Spectrum_03_2021
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DOSSIER
Texte Iris Vuichard
Photos redbubble.com , rqasf.qc.ca
L’art contemporain, une
escroquerie ?
Les expositions d’art contemporain mettent à rude
épreuve l’ouverture d’esprit et la bonne volonté des
visiteur∙euse∙s. Mais est-ce que toutes les œuvres exposées
méritent vraiment ces efforts ?
Nicas Galley, docteur en histoire de l'art et spécialiste
du marché de l'art
’art contemporain suscite de nombreuses
L controverses. Entre la réaction de Brice
(Omar Sy) dans la fameuse scène du film
Intouchables, « le mec il a saigné du nez sur
un fond blanc, il demande 30'000 euros ! »
et celle de Philippe (François Cluzet) qui
voit « beaucoup de sérénité et une certaine
violence » dans quelques taches rouges
sur une toile blanche, la plupart des gens
adoptent des points de vue plus nuancés.
Pourtant, certaines œuvres ont de quoi laisser
perplexe. À titre d’exemple, on pourrait
notamment citer l’œuvre de Robert Barry
Closed Gallery dont le concept tient simplement
dans l’idée de ne pas ouvrir le lieu
d’exposition ou le très célèbre Carré blanc
sur fond blanc de Kasimir Malevitch qui,
comme son nom l’indique, consiste en un
carré blanc sur fond blanc. Les exemples
sont innombrables et rivalisent d’absurdité,
du moins aux yeux des profanes.
L’art englobe aujourd’hui dans sa définition
une telle diversité d’éléments qu’il est difficile
de trouver ses repères. Depuis le tournant
du 20ème siècle, l’art s’est libéré de la
contrainte esthétique. Nous sommes désormais
avant tout dans une course à l’originalité.
Aujourd’hui, il semble que l’art soit de
l’art car on l’a désigné comme tel et non plus
parce qu’il correspond à certains critères de
beauté ou présente une certaine maîtrise
technique. C’est dans cette logique que les
ready-made de Marcel Duchamp, ces banals
objets du quotidien comme le célèbre urinoir
ou le porte-bouteille, ont pu être considérés
comme d’inestimables chefs-d’œuvre.
En effet, le succès de l’artiste tient dans le
fait qu’il fut le premier à avoir l’idée de présenter
un simple objet manufacturé comme
une œuvre d’art.
Mais si tout peut être de l’art, finalement,
qu’est-ce qui justifie la valeur d’une œuvre ?
Et si les critères esthétiques ont plus ou
moins disparu, comment estimer que tel
tableau est un chef-d’œuvre et que tel autre
ne mérite pas d’attention particulière ? Bien
sûr, l’art contemporain n’est pas dépourvu
de toute logique mais suit simplement un
raisonnement différent de celui des siècles
précédents, peut-être moins facile à appréhender.
Pour répondre à ces questionnements et
peut-être comprendre un peu mieux ce qui
s’offre à nos yeux en visitant une exposition
d’art contemporain, Nicolas Galley, docteur
en histoire de l’art et spécialiste du marché
de l’art, nous donne quelques clés pour
mieux aborder l’art contemporain.
Succès commercial ou reconnaissance
artistique ?
Nicolas Galley insiste avant tout sur la distinction
entre succès commercial et véritable
chef-d’œuvre du point de vue du monde
artistique. Selon lui « la réussite d’un artiste
nécessite la validation du milieu artistique où
les curateurs et curatrices jouent un rôle prédominant.
Sans ce soutien, un succès commercial
est possible, mais sera très vraisemblablement
de courte durée. » Le marché de
l’art s’intéresse évidemment davantage aux
perles rares dont on peut espérer une certaine
postérité qu’aux éphémères succès commerciaux.
Il se réfère donc aux professionnels
et professionnelles qui déterminent ce
qui prendra place sur la scène commerciale.
« Certains artefacts dont
les qualités matérielles
semblent douteuses ne
peuvent être isolés de la
réflexion et du discours
qui leur a donné naissance.
»
Nicolas Galley, docteur en histoire de l'art
« Le marché de l’art s’intéresse et intègre
rapidement les productions artistiques reconnues
comme les plus pertinentes par
les curateurs et les historiens de l’art. » Bien
que désormais presque tout puisse être considéré
comme de l’art, Nicolas Galley assure
que les marchand∙e∙s d’art ne peuvent profiter
impunément du manque de repères de
leurs acheteurs et acheteuses pour leur survendre
n’importe quelle production par de
beaux discours. Marché et institution étant
18 spectrum 05.21