Spectrum_03_2021
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DOSSIER
Texte Lara Diserens
Photos Lara Diserens et MONA / Jesse Hunniford
L’art à fleur de peau
Aujourd’hui démocratisé, le tatouage reflète l’ évolution
de la notion d’œuvre dans le monde de l’art et des
tatoueur·euse·s en tant qu’artistes à part entière.
our la vie, ou rien. Il marque la peau à
P l’encre indélébile. Ancre un dessin ou
un message dans un corps. L’illustration, le
dessin, la gravure, l’écriture se rencontrent à
la croisée du tatouage. Acte engagé ou décoration
corporelle, esthétique ou symbolique,
le tatouage s’affirme comme un phénomène
artistique, culturel et sociétal.
À la conquête du 10ème art
De plus en plus de visibilité entoure la pratique
du tatouage. Associations, syndicats et
manifestations se multiplient, avec l’ambition
de protéger le métier et de faire reconnaitre
le tatouage comme un art. Le Mondial
du tatouage, rendez-vous incontournable
dans le métier, rassemble depuis 1999 plus
de 420 artistes chaque année à Paris, dans
une ambiance de compétition et de partage.
C’est l’occasion pour les tatoueur·euse·s
de revendiquer leur statut artistique, et de
défendre leurs droits. En Suisse, c’est l’Association
Suisse des Tatoueurs Professionnels
(ASTP) qui s’assure de protéger le métier.
L’association s’engage à préserver les intérêts
de ses membres, mais aussi ceux des
client·e·s, en s’appuyant sur la protection
morale et un règlement précis.
Un statut artistique : c’est là une des grandes
revendications des tatoueur·euse·s. En
2014, le célèbre (et très controversé) tatoueur
français Tin-Tin évoque le tatouage
Daniel Hernandez: @kayloose sur Instagram
comme un 10ème art dans
Arts Magazine. Aujourd’hui,
le combat est presque gagné,
même si certain·e·s peinent
encore à se l’approprier.
Daniel Hernandez, aka
@kayloose, a fait de sa passion
du dessin son métier. Le
tatoueur fribourgeois définit
son style comme épuré, mais
solide. « Il faut être passionné
pour faire ce métier. Le
matin je me lève je dessine,
la journée je tatoue, et le soir
je re-dessine. J’y pense tout
le temps. Tout ce que je vois
autour de moi m’inspire », confie-t-il. Cet
ancien cuisinier apprécie particulièrement
la marge d’évolution dans son travail, qui
traduit souvent les événements de sa vie.
Mais sa carrière débute tout juste : « Je n’ai
pas encore la prétention de dire que je suis
un artiste. Je tatoue des flashs uniques, mais
aussi des références qui existent déjà. Je
suis toujours en recherche de mon style »,
explique Daniel.
Sur toile de derme
Le tatoueur de 24 ans rappelle que la plupart
des tatoueur·euse·s effectuent aussi des
tableaux. En Tasmanie, le Musée MONA
expose l’œuvre de l’artiste belge Wim Delvove.
L’œuvre en question ? Tim : un homme
assis torse nu, immobile,
dos tatoué. Après sa mort, le
tatouage sera découpé et encadré,
afin de conserver sa modeste
valeur de 130'000 dollars. Le
tatouage n’échappe pas aux lois
du marché de l’art ! Au Japon,
le tatouage est encore associé
aux Yakusas, figures de la mafia
criminelle. Mais cela n’empêche
pas la mise en avant de cet art
traditionnel. Le Musée des Pathologies
à Tokyo regroupe une
collection de 105 pièces de peaux
tatouées. De Amsterdam à Paris,
en passant par San Francisco et
Tattoo Tim, de Wim Delvoye. MONA : Museum of Old and New Art,
New Zealand.
Bâle… les expositions dédiées au tatouage se
propagent sur la carte du monde. Un tatouage,
au même titre qu’une peinture, a définitivement
sa place dans un musée.
Gravé dans la peau
Ce n’est pas uniquement le tatouage qui
marque à vie, mais bien l’expérience qui l’entoure.
Le contact tatoueur·euse-tatoué·e, le
projet et son évolution, l’ambiance du salon,
le premier ressenti, l’intensité de la douleur…
toutes ces étapes sont cruciales. Le lâcherprise
fait partie du processus, tout comme
l’appréhension qui précède le jour J. Se faire
tatouer demande un certain recul. La décision
dépend évidemment de son rapport à
son corps, à soi, à ses convictions. Le·la tatoué·e
doit être courageux·euse , au même
titre que le·la tatoueur·euse. Mais les abus
existent. Le compte instagram Paye ton
tattoo artist ressasse des témoignages d’agressions
sexuelles et de discriminations lors
de sessions de tatouage. Une sorte d’admiration
et de respect du·de la tatoueur·euse
peut parfois intimider. D’où l’intérêt de bien
choisir son ou sa partenaire artistique. L’idée
n’est pas de ressortir avec un traumatisme
ancré en soi. Au bout du compte, la confiance
mutuelle est requise, et la communication
primordiale. Le tatouage est avant tout un
échange et un moment de partage qui restera
gravé dans la mémoire… et dans la peau. P
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