03.05.2021 Views

Spectrum_03_2021

  • No tags were found...

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

DOSSIER

Texte Lara Diserens

Photos Lara Diserens et MONA / Jesse Hunniford

L’art à fleur de peau

Aujourd’hui démocratisé, le tatouage reflète l’ évolution

de la notion d’œuvre dans le monde de l’art et des

tatoueur·euse·s en tant qu’artistes à part entière.

our la vie, ou rien. Il marque la peau à

P l’encre indélébile. Ancre un dessin ou

un message dans un corps. L’illustration, le

dessin, la gravure, l’écriture se rencontrent à

la croisée du tatouage. Acte engagé ou décoration

corporelle, esthétique ou symbolique,

le tatouage s’affirme comme un phénomène

artistique, culturel et sociétal.

À la conquête du 10ème art

De plus en plus de visibilité entoure la pratique

du tatouage. Associations, syndicats et

manifestations se multiplient, avec l’ambition

de protéger le métier et de faire reconnaitre

le tatouage comme un art. Le Mondial

du tatouage, rendez-vous incontournable

dans le métier, rassemble depuis 1999 plus

de 420 artistes chaque année à Paris, dans

une ambiance de compétition et de partage.

C’est l’occasion pour les tatoueur·euse·s

de revendiquer leur statut artistique, et de

défendre leurs droits. En Suisse, c’est l’Association

Suisse des Tatoueurs Professionnels

(ASTP) qui s’assure de protéger le métier.

L’association s’engage à préserver les intérêts

de ses membres, mais aussi ceux des

client·e·s, en s’appuyant sur la protection

morale et un règlement précis.

Un statut artistique : c’est là une des grandes

revendications des tatoueur·euse·s. En

2014, le célèbre (et très controversé) tatoueur

français Tin-Tin évoque le tatouage

Daniel Hernandez: @kayloose sur Instagram

comme un 10ème art dans

Arts Magazine. Aujourd’hui,

le combat est presque gagné,

même si certain·e·s peinent

encore à se l’approprier.

Daniel Hernandez, aka

@kayloose, a fait de sa passion

du dessin son métier. Le

tatoueur fribourgeois définit

son style comme épuré, mais

solide. « Il faut être passionné

pour faire ce métier. Le

matin je me lève je dessine,

la journée je tatoue, et le soir

je re-dessine. J’y pense tout

le temps. Tout ce que je vois

autour de moi m’inspire », confie-t-il. Cet

ancien cuisinier apprécie particulièrement

la marge d’évolution dans son travail, qui

traduit souvent les événements de sa vie.

Mais sa carrière débute tout juste : « Je n’ai

pas encore la prétention de dire que je suis

un artiste. Je tatoue des flashs uniques, mais

aussi des références qui existent déjà. Je

suis toujours en recherche de mon style »,

explique Daniel.

Sur toile de derme

Le tatoueur de 24 ans rappelle que la plupart

des tatoueur·euse·s effectuent aussi des

tableaux. En Tasmanie, le Musée MONA

expose l’œuvre de l’artiste belge Wim Delvove.

L’œuvre en question ? Tim : un homme

assis torse nu, immobile,

dos tatoué. Après sa mort, le

tatouage sera découpé et encadré,

afin de conserver sa modeste

valeur de 130'000 dollars. Le

tatouage n’échappe pas aux lois

du marché de l’art ! Au Japon,

le tatouage est encore associé

aux Yakusas, figures de la mafia

criminelle. Mais cela n’empêche

pas la mise en avant de cet art

traditionnel. Le Musée des Pathologies

à Tokyo regroupe une

collection de 105 pièces de peaux

tatouées. De Amsterdam à Paris,

en passant par San Francisco et

Tattoo Tim, de Wim Delvoye. MONA : Museum of Old and New Art,

New Zealand.

Bâle… les expositions dédiées au tatouage se

propagent sur la carte du monde. Un tatouage,

au même titre qu’une peinture, a définitivement

sa place dans un musée.

Gravé dans la peau

Ce n’est pas uniquement le tatouage qui

marque à vie, mais bien l’expérience qui l’entoure.

Le contact tatoueur·euse-tatoué·e, le

projet et son évolution, l’ambiance du salon,

le premier ressenti, l’intensité de la douleur…

toutes ces étapes sont cruciales. Le lâcherprise

fait partie du processus, tout comme

l’appréhension qui précède le jour J. Se faire

tatouer demande un certain recul. La décision

dépend évidemment de son rapport à

son corps, à soi, à ses convictions. Le·la tatoué·e

doit être courageux·euse , au même

titre que le·la tatoueur·euse. Mais les abus

existent. Le compte instagram Paye ton

tattoo artist ressasse des témoignages d’agressions

sexuelles et de discriminations lors

de sessions de tatouage. Une sorte d’admiration

et de respect du·de la tatoueur·euse

peut parfois intimider. D’où l’intérêt de bien

choisir son ou sa partenaire artistique. L’idée

n’est pas de ressortir avec un traumatisme

ancré en soi. Au bout du compte, la confiance

mutuelle est requise, et la communication

primordiale. Le tatouage est avant tout un

échange et un moment de partage qui restera

gravé dans la mémoire… et dans la peau. P

12 spectrum 05.21

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!