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Ils étaient (Soanne édition n°1)

Plongée émue dans une adolescence longtemps idéalisée. Un "Je me souviens" collectif, au pluriel, où personne n'est particulièrement identifié, sauf sur des photographies anciennes rephotographiées à même la moquette.

Plongée émue dans une adolescence longtemps idéalisée. Un "Je me souviens" collectif, au pluriel, où personne n'est particulièrement identifié, sauf sur des photographies anciennes rephotographiées à même la moquette.

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Ils

étaient

Soanne édition n°1



Ils étaient

« Je suis prêt à avancer que tout texte

qui n’est pas une lettre d’amour est nul »

(approximativement Philippe Lacoue-Labarthe)



Ils faisaient des feux de camp de serviettes hygiéniques (volées probablement) sur le toit

d’un centre commercial, à la tombée de la nuit.

Ils faisaient des concerts de casserole en raccompagnant l’une des leurs qui n’avaient que

la permission de minuit.

Ils dormaient ensemble, chez les uns ou les autres.

Certains prenaient des douches ensemble.

Ils organisaient des week-ends comme on organiserait des traversées au long cours, nombre

de yaourts, décompte des saucisses, nombre de bières par personne et par heure.

Ils mettaient du sirop de citron, du Pulco dans le vin blanc dégueulasse de Leader Price.

Au bar, ils buvaient des demis pêche ou des monacos, des chocolats chauds, l’une d’eux

l’avait même bu salé – première visite à un bar qui venait d’ouvrir et qui deviendrait leur

QG, le « Verlaine », astucieusement situé à côté du « Rimbaud ».

Ils buvaient aussi de la vodka, des tec-paf, de la sangria, du rhum, du gin même, du Baileys

et ces alcools à la mode alors, à la pomme ou au litchi, le Soho, sans doute.


Ils étaient un groupe mais le groupe fluctuait – on n’aurait pu dire combien ils étaient.

Ils allaient au parc, se baigner dans les lacs, à la piscine, dans les bois.

Ils allaient passer une soirée dans les pentes de Veyre-Monton, une après-midi à se rafraîchir

dans l’Allier, un week-end à Montméat ou au « Moulin des îles ».

Ils allaient rigoler au PAL. Avec les girafes qui bavent, un king-kong en carton-pâte et un

grand-huit pour enfant.

Ils allaient à Maringues « faire les maïs » et boire chaque soir l’argent gagné sous le soleil

de la journée.

Ils allaient voir des feux d’artifice à Montjuzet.

Ils allaient à des concerts à l’Escapade.

Ils allaient faire des batailles de boules de neige avec la glace restante à la sortie de la patinoire

de la zone industrielle.

Ils allaient visiter le chantier du nouveau Zenith et se faire sortir par les chiens.


Ils allaient devenir amis avec un jeune homme qui chantait dans la rue en décembre, avec

sa guitare.

Ils allaient explorer les toits de la ville.

Ils allaient explorer les caves. Cinq niveaux, disait-on. Ils en visitaient trois.

Ils faisaient des « soirées adultes » où ils se déguisaient en grands, mettaient des robes de

soirées, des cravates, buvaient du vin et mangeaient des pommes dauphine surgelées.

Ils allaient en camp de vacances en Norvège jusqu’au cercle polaire.

Ils passaient des nuits à regarder des séries sur VHS.

Ils allaient dans des boîtes gays, des boîtes à gigolos, de tout petits lieux avec des miroirs

et des comptoirs très hauts.

Ils s’écrivaient des cartes postales et de longues lettres quand ils partaient en vacances

avec leurs parents.

Ils se déguisaient pour se prendre en photo.



Ils refaisaient la pochette d’Abbey Road à la campagne, sur un passage piéton entre une

grange et un pré à vaches.

Ils se donnaient rendez-vous à 14h Place de Jaude. Sous la statue de Desaix, plus ou

moins. Aux côtés de feu les punks à chiens.

Ils créaient des jeux de piste à l’échelle de la ville, parfois de véritables chasses au trésor.

Ils jouaient aux quatre coins dans la cathédrale.

Ils aménageaient une cave, dalle de béton, chaux, peinture, moquette rose et violette qu’ils

découpaient pour faire le signe du ying et du yang.

Ils faisaient une chaîne humaine sur 3 étages pour descendre à la cave des meubles, une

sono, des lumières, tout un matériel pour faire la fête.

Ils parlaient beaucoup de sexe.

Ils rêvaient d’acheter des solex et cherchaient un endroit où les stocker.

Ils dessinaient.


Ils dansaient.

Ils faisaient de la guitare, de la batterie, du violoncelle, du saxophone ou du violon.

Ils jouaient à un des premiers jeux vidéo, avions de chasse blancs sur fond noir.

Ils prenaient des bangs et en vomissaient.

Ils essayaient d’acheter du shit. Y arrivaient parfois, se faisaient avoir beaucoup.

Ils aimaient se mettre tout nus dans des soirées, sans prétexte particulier. Ils aimaient

aussi se baigner dans les rivières tout habillés.

Ils pêchaient des poissons qui ne faisaient pas la maille et qu’ils devaient relâcher, déjà

morts, ou quasi.

Ils empruntaient les cuissardes kaki des hommes de la famille et agrémentaient leurs

tenues de colliers de fleurs en plastique.

Ils rêvaient de leur futur appartement : ils habiteraient tous ensemble rue Saint-Andrédes-arts

à Paris. Ils dessinaient les plans.


Ils rêvaient du restaurant qu’ils ouvriraient tous ensemble. Il y aurait un train électrique

pour apporter les plats.

Ils entraient dans les galeries Lafayette par le toit et volaient ce qu’ils pouvaient.

Ils volaient des chaussettes Achille, des briquets BIC, des sous-vêtements de marque, du

maquillage, des cd, des jeux pour enfants et des cigarettes en chocolat.

Ils faisaient brûler du papier d’Arménie dans les appartements avant que les parents ne

rentrent de week-end.

Ils étaient suivis par leurs frères quand ils partaient en camping.

Ils allaient au mariage de la mère de l’un d’eux.

Ils entendaient leurs parents dire « autant que ça reste entre nous » lorsqu’ils dormaient

ensemble.

Ils mâchouillaient des bâtons de réglisse.

Ils prenaient du tabac à priser.



Ils achetaient des paquets de dix cigarettes.

Ils fumaient des Camel, des Marlboro, des Lucky Strike et des Benson and Edge. Et du

tabac à rouler : Amsterdamer, Samson, Interval.

Ils organisaient de grandes collectes de cigarettes en ville pour les distribuer lors de fête.

Ils arrivaient à quémander jusqu’à 70 unités, stockées dans un petit coffre en bois.

Ils faisaient le décompte des lieux où ils avaient fait l’amour.

Ils écoutaient « Mistral gagnant » en boucle pendant la nuit.

Ils se brouillaient avec leurs parents.

Ils se déguisaient en Deschiens pour Mardi-Gras.

Ils se voyaient parfois pleurer les uns les autres.

Il leur arrivait de se chercher en ville, de bar en bar.

Ils ne savaient pas ce qu’ils voulaient faire dans la vie.


Ils vomissaient sur les matelas de leurs parents.

Ils faisaient l’amour dans toutes les salles de bains.

Ils étaient timides, bègues, narcissiques, homosexuels, dérangés, pudiques, pervers, nymphomanes

et paranoïaques.

Ils étaient interviewés au parc au sujet de la coupe du monde de foot 1998.

Ils allaient voir les tours du World Trade Center tomber à la Fnac du centre commercial.

Ils allaient fumer des pétards dans un garage humide, adossés aux vélos de la famille.

Ils mangeaient ensemble à midi.

Ils essayaient de battre le record de gens sur un scooter en marche (7, 8 ou 9 ?)

Ils lançaient des œufs dans la vitrine du sex-shop de la rue Ballainvilliers.

Ils étaient méchants parfois, se fermaient, s’isolaient, se moquaient.


Ils observaient quelqu’un de leur classe qu’ils n’aimaient pas sortir de chez lui pour les

rejoindre, et, n’ayant pas la bonne adresse, revenir chez ses parents, dépité.

Ils prenaient d’interminables cafés.

Ils parlaient de l’an 01, ils voulaient faire la révolution, ils avaient l’impression d’être nés

trop tard. Ils appartenaient à une autre époque.

Ils portaient des pantalons en velours côtelé, des chemises à carreaux élimées et se teignaient

parfois les cheveux.

Ils devaient aller « en course » avec leurs parents.

Ils s’allongeaient, à 5, dans la neige pour laisser leurs empreintes.

Ils se photographiaient à 5, 6 ou plus, debout sur une balançoire au lac d’Aydat.

Ils se laissaient photographier, tristes à mourir, sur un balcon, la nuit.

Ils fabriquaient des bonhommes en farine et ballons de baudruche qu’ils vendaient comme

boules antistress aux Puces.




Ils allaient faire du ski dans le brouillard au Lioran, ils se prenaient des sapins en pleine

tête.

Ils prenaient le bus hollywood, qui était gratuit à condition de mâcher des chewing-gums.

Ils allaient à Amsterdam avec la Scénic familiale.

Ils dormaient sous des éoliennes.

Ils portaient des lunettes et des cols roulés.

Ils se feraient violer, ou quasi, par un camarade de classe, leur père mourrait d’une

leucémie, leur mère avorterait en secret, leur frère prendrait de l’héroïne – ils ne savaient

pas tout les uns des autres.

Ils faisaient un roman-photo policier tournant autour de merguez volantes.

Ils exposaient des photos d’anus en gros plan.

Ils cherchaient des photographies de tour Eiffel.


Ils étaient déjà nostalgiques à 15 ans.

Ils étaient amoureux d’un lycéen allemand, d’un chanteur homosexuel, d’un infirmier,

d’enfants.

Ils avaient de bonnes notes, leurs carnets de correspondance étaient prometteurs. Ils

avaient la vie devant eux.

Ils avaient des amis suicidaires, des amis en train de rentrer dans les ordres, des amis concierges

et anciens amants de Patrick Juvet.

Ils faisaient les fous au cinéma, suivaient les pointillés lumineux d’évacuation des escaliers,

à quatre pattes.

Ils allaient à la piscine extérieure les jours d’été et paressaient sur l’herbe.

Ils allaient boire des cafés à la Brasserie du Pont de Jaude. Au Suffren, ils aimaient s’asseoir

à la place de Jean-Louis Trintignant dans Ma nuit chez Maud.

Ils suivaient des rues pour sortir de la ville et se retrouvaient à Royat, à Aubière, à

Gravenoire. Ils allaient loin sans voiture.



Ils allaient très jeunes boire des bières rares dans une cave à bières qui s’appelait La

Perdrix.

Ils ouvraient leurs manteaux et manquaient de s’envoler les soirs de tempête dans la pente

à côté de la cathédrale, un mois de décembre de la toute fin du XXe siècle.

Ils récupéraient des pièces dans les fontaines publiques grâce à un aimant attaché au bout

d’un fil.

Ils allaient à Paris en train Corail fumeur.

Ils étaient parmi les premiers à tester la nouvelle numérotation téléphonique avec le 04

avant le 73.

Ils allaient retirer les premiers euros à la banque le 1er janvier, peu après minuit.

Ils enterraient une boîte de Nesquik jaune dans la terre de leur cour de récréation. C’était

leur trésor.

Ils sortaient au Zizi follies et faisaient connaissance avec la faune homosexuelle locale.


Ils allaient boire du blanc-cass’ au Petit bouchon et dans un autre bar où c’était encore

moins cher, près du tribunal.

Ils ne passaient pas inaperçus.

Ils jouaient à la belote, un peu au tarot, au Trivial pursuit, à Richesses du monde, et plus

tard au Times Up et au Times up du pauvre avec des feuilles de tabac à rouler.

Ils portaient des chapeaux mous.

Ils sortaient des amis de coma éthylique en leur mettant la tête dans la fontaine de la

Place de Jaude.

Ils investissaient l’espace sur un balcon en soirée chez les parents d’une amie.

Ils ruinaient des moquettes et des canapés blancs chez d’autres parents.

Ils cassaient des vitres qu’il fallait réparer en urgence le dimanche matin.

Ils regardaient des films pornos sur la télévision familiale, en groupe.


Ils aimaient regarder le jour se lever.

Ils aimaient la tête de veau sauce gribiche, le gigot de trois jours, le foie-gras poêlé, le

saint-nectaire, la mousse au chocolat.

Ils partaient en vacances en duo, à Pau en plein été, dans une ville déserte.

Ils partaient en vacances en Tunisie, à Bourg-Lastic, en Egypte, sur la côte Atlantique, au

pays basque avec leur famille.

Ils allaient se visiter les uns les autres, à Toulouse, Orléans, Paris, Brest…

Ils se racontaient leur famille, leur histoire, les histoires d’amour parentales qui n’en finissent

pas, les remariages, les histoires politiques, les histoires financières, les histoires de

santé.

Ils prenaient des douches ou des bains au milieu de la nuit.

Ils essayaient de fumer de la fibre de bananes séchées au radiateur ou de la vitamine C

chauffée à la poêle.




Ils buvaient de l’alcool Ricqlès à la menthe.

Ils fumaient parfois des Kent à la menthe ou des cigarettes roulées au tabac Old Osborne

brun, piquées à leurs pères.

Ils s’engueulaient pour des histoires d’assiettes à acheter ou ne pas acheter neuves chez

Habitat.

Ils n’étaient pas bilingues. Ils se débrouillaient en anglais, allemand, italien, espagnol,

arabe.

Ils avaient des correspondants allemands avec qui ils passaient beaucoup de temps dans

les immenses piscines à toboggans de Regensburg.

Ils pratiquaient le saut en longueur, le badmington, la natation, le handball. Ils n’étaient

pas sportifs.

Ils se cachaient derrière les arbres pour fumer pendant les tours de cour en athlétisme.

Ils se faisaient des frayeurs en explorant les soi-disant souterrains de leur lycée.


Ils plantaient dans le sable destiné au lancer de poids des pommes de terre trouvées dans

un bac au sous-sol du bâtiment d’histoire géographie.

Ils se mettaient du vernis à ongle ridicule pour rigoler.

Ils volaient du fil d’étain en cours de technologie et se fabriquaient des bagues et des anneaux

qu’ils se mettaient dans le nez pour effrayer la toute jeune et crédible prof d’anglais.

Ils vandalisaient leurs agendas avec des photos pornos et du nutella.

Ils relevaient systématiquement, pendant plusieurs années, les bêtises assénées par leur

prof d’italien et tiraient plusieurs copies du recueil une fois arrivés à la fin du lycée.

Ils étaient amoureux de filles et de garçons souvent plus vieux qu’eux.

Ils faisaient des concours d’autofellation dans la baignoire de la pension italienne où ils

étaient en voyage de classe près de Naples.

Ils dansaient sur du raï et sous la pluie à la fête de la musique.

Ils découvraient les plaisirs des débuts de la musique électro.


Ils étaient sans doute secrètement amoureux les uns les autres.

Ils disparaissaient parfois de la circulation et il fallait attendre pour de nouveau les avoir

au téléphone.

Ils montaient au Puy-de-Dôme en plein hiver et faisaient des pique nique à la bougie en

plein champ à la fin du printemps.

Ils disaient parfois qu’ils seraient morts avant 30 ans.

Ils se demandaient qui parmi eux aurait le premier un enfant, qui se marierait en premier

(ils polémiquaient sur l’utilité du mariage) et qui mourrait en premier.

Ils n’imaginaient pas les réseaux sociaux.

Ils adoptaient, lentement, les premiers tam-tam, tatoo, puis les téléphones portables. Ils

avaient un petit Sony, un Blackberry, puis des Ola, des Nokia, des Siemens...

Ils s’échangeaient des livres parfois, des disques, des magazines.

Ils jouaient aux lego technic.


Ils faisaient des collages avec des affiches prélevées dans la rue.

Ils écoutaient les Doors, Nirvana, Oasis, avant de se spécialiser les uns les autres.

Ils avaient une photo de Blur dans leur portefeuille et faisaient croire que c’était une photo

de leur père jeune.

Ils faisaient croire aux autres qu’ils s’appelaient Jean-Pierre et Alison.

Ils utilisaient de l’eau précieuse comme démaquillant et mettaient du Jean-Paul Gautier et

du CK comme parfum.

Leur odeur la plus forte était l’assouplissant qu’utilisait la mère de l’un d’eux.

Ils allaient chez la dermatologue pour se faire enlever les points noirs, épiler les sourcils

ou traiter contre l’acné (le Roaccutane). Ils avaient des scolioses, ils étaient myopes comme

des taupes, se faisaient des tours de reins, et n’avaient pas encore 20 ans.

Ils portaient des jeans Levis, des pulls Blanc-bleu, des tee-shirts de couleur et des débardeurs

petit bateau. Ils avaient parfois – marqueur social déjà sensible – des pantalons

dockers et des polos Eden Park.



Leurs baskets étaient des Gazelles, des Adidas à semelles plates, des Puma à bout renforcé,

des Doc Martens noirs ou marrons, des Kickers de couleur, des Converse, des

Clarks, des Campers – ou des sous-marques.

Quand ils n’avaient pas assez d’argent pour s’acheter les marques qu’ils voulaient, ils customisaient

leurs habits et se peignaient, par exemple, des converse arlequin.

Ils succombaient à la mode des lacets dépareillés, des débardeurs superposés, des cheches

de couleur noués sur le devant, des ponchos péruviens.

Ils avaient tout à fait conscience des différences sociales, politiques, culturelles de leurs

familles.

Ils avaient moins conscience de la profonde homogénéité de leur groupe malgré tout.

Ils parlaient peu de voyages.

Ils s’intéressaient à la photographie, allaient visiter Beaubourg, la maison européenne de

la photo, l’institut du monde arabe, le musée Van Gogh d’Arles, le Rijksmuseum d’Amsterdam.


Ils avaient souvent des fous rires.

Ils jouaient à ne pas marcher sur les crocodiles dans les centres commerciaux – alors

qu’ils étaient déjà bien pubères.

Ils se passaient des mots en classe.

Ils pouffaient comme des enfants et se faisaient mal au ventre à force de rigoler.

Ils gardaient précieusement leurs photos de classe.

Ils parlaient beaucoup de leurs profs.

Il leur arrivait de les suivre pour voir où ils habitaient, voire de pénétrer dans leur cage

d’escalier et de dérober un courrier.

Ils allaient en « permanence » entre midi et deux. Une fois leur « pion » leur avait dit

« votre président » est mort. Ils pensaient que c’était Chirac mais c’était Mitterrand.

Le proviseur du lycée leur demandait de ne pas venir au lycée avec des jeans déchirés, des

cheveux orange, et de s’embrasser un peu plus discrètement.


Ils s’émancipaient à l’atelier théâtre, se déguisaient en femme et faisaient du playback sur

« Summertime ».

Ils se coupaient brusquement les cheveux très courts.

Les adultes les trouvaient beaux. Ils le sentaient.

Ils aimaient danser devant tout le monde dans la rue.

Ils allaient jouer au billard et s’essayaient parfois au poker.

En camping, ils voulaient attraper un mouton et en faire un méchoui sur un feu de camp.

Ils voulaient voler une barque et se tailler une rame dans un arbre.

Ils s’échangeaient l’air bouche contre bouche jusqu’à ce que la tête leur tourne.

Ils inhalaient des bombes de nettoyage de matériel photo qui leur changeaient la voix.

Ils mangeaient des kebab, des croissants au jambon, des croque monsieur et sandwichs

niçois.



Ils allaient à la crêperie le 1513, dans un hôtel Renaissance, au restau chinois ou au restau

indien.

Ils allaient sur le Minitel pour connaître les résultats du bac.

Ils avaient vécu en Auvergne, en région parisienne, en Algérie.

Ils passaient des heures sur les bancs et les rebords des plantations des places publiques et

dans les cafés.

Ils connaissaient leur ville sur le bout des doigts.

Ils aimaient à se promener dans les rues étroites autour de la rue Pascal, celles qui descendent

du plateau central, rue de la Prison et rue de la Bohême.

Ils allaient voir des concerts à la maison du peuple, à la maison des congrès ou à la

maison des sports. Ils allaient écouter Ben Harper, Sinsemilia, Maceo Parker, Higelin, Tri

Yann...

En juillet, ils allaient au festival de rock à Cournon. Un 13 juillet, ils voyaient Noir Désir

et une boule de feu en guise de feu d’artifice.


Le dimanche soir, ils regardaient l’épisode de Friends que Canal Jimmy venait de diffuser,

enregistré sur une VHS.

Certains habitaient si près les uns des autres qu’on n’avait même pas le temps de fumer

une cigarette entre les deux immeubles.

Ils étaient choqués que leur prof d’anglais leur fasse corriger les copies des 6e.

Ce qui les rapprochait peut-être le plus était d’être passés tous, plus ou moins, entre les

mains de Mme B., prof de français de 4e, gravement atteinte.

Parmi les expressions qui en étaient restées : « Bon-jour » (en insistant sur le bon et

répété 25 fois sur le même ton), « te-un, te-deux, te-trois » (pour aller plus vite en

comptant après le 20), « avez-vous VOUS des choses z’à dire ? » qui ouvrait chaque cours

(avec les liaisons accentuées) et « tu veux ça pour faire un brouillon ? » qui accompagnait

chaque petit bout de papier tendu, aussi infime soit-il.

Quelques autres gimmicks les soudaient : « Bitard au coin ! » du prof de physique qui

aimait à punir ainsi une grande bringue bientôt majeure plutôt vulgaire, « de haut en bas

à droite du trait. Sans frapper ni frotter il faut presser » du vieux M. C. de leurs cours de

peinture.


Les oscilloscopes des cours de physique-chimie les amusaient beaucoup.

Ils tendaient des pièges à leurs admirateurs secrets, tentaient de les décourager en leur

faisant peur et en se faisant rire.

Ils avaient des chiens nommés « Formule 1 » ou « Lancelot ». Ils étaient allergiques aux

poils de chat et avaient l’impression d’être dompteur de cirque en promenant un labrador.

Ils aimaient les marchés aux Puces et les fringues d’occasion. Ils allaient à Guérisol, aux

Puces de Clermont, de Montreuil et de Saint-Ouen. Ils étaient déçus des prix des Puces

de Saint-Ouen et déçus de Carnaby Street, à Londres.

Ils ne parlaient pas de religion, pas encore d’écologie, peu et naïvement de politique. Ils

parlaient d’eux, de leur famille et de leurs rêves.

Ils ne faisaient souvent rien de spécial.

Ils aimaient s’allonger dans l’herbe, surtout quand il y avait des pâquerettes.



Merci à Anne, Virginie, Marie S., Marie F., Marie-B, Sophie,

Maud, Laure, Matthieu, Armand, Mich, Morb, Loïc, etc.

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