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CULTURE
Texte Velia Ferracini et Luca Poli
Photo Pixabay
Littérature et futur : coup de pelle
ou coup de pouce ?
Aujourd'hui, la numérisation de la littérature se développe
toujours plus. Réflexion sur le danger du virtuel.
Une culture autocentrée serait un problème. S’il est bien d’écrire,
il est tout aussi bien de lire.
a numérisation de la littérature interroge
Lle futur de celle qui a jusqu'alors toujours
été associée à l'objet matériel qu'est le livre. En
se libérant de ce lien, l'identité de la littérature
risque de s'estomper dans l'actuelle mutation
médiatique. De plus, le système de production
éditorial est mis en danger par les géants de
l'industrie qui proposent à chacun·e d'éditer
son texte. Ce phénomène risque de supprimer
les intermédiaires (librairies, maisons
d'édition), perturbant ainsi la littérature ellemême.
Dans cet univers en transition, quel est
donc le futur de la littérature ?
Un nouveau visage
Nous avons interrogé le professeur de littérature
de l'Université de Fribourg Claude Bourqui
sur les dangers de la numérisation : « Le
codex imprimé est un objet qui possède des
avantages sur le plan de la maniabilité mais
qui souffre, en tant qu’objet matériel, de handicaps
de diffusion et de conservation ». L'on
constate en effet que les versions numériques
ont l’avantage d’une grande souplesse à la production
et à la diffusion. « Il est vraisemblable
qu’aura lieu tôt ou tard, pour l’écrit de création
littéraire, la dématérialisation qui s’est produite
pour la création musicale et filmique »,
affirme le professeur. Mais le processus peut
prendre du temps pour des raisons culturelles,
dont l'attachement symbolique au livre,
ou qui tiennent à la spécificité économique
du marché du livre tributaire
de la vente d’objets matériels.
Claude Bourqui prédit aussi que
la situation dépendra de l’évolution
de la lecture sur écran :
« Ainsi, des solutions hybrides
vont forcément naître. Par
exemple, ceux qui ont besoin de
tenir un codex dans les mains
pourront sûrement le fabriquer
à domicile par imprimante 3-D »,
grâce à un texte obtenu sur une
plate-forme de vente.
De plus en plus de gens publient
par le biais de grandes entreprises. Il est donc
possible que la littérature se modifie au point
qu’elle n’ait plus son visage actuel. « Le système
de distribution dominant jusqu’à aujourd'hui
date du XVIe siècle. Il est bouleversé
depuis l’avènement d’Internet qui a permis
l’achat à distance des livres-objets, avec pour
conséquence l’éclatement des structures de
la librairie traditionnelle et la transmission
des textes sous forme dématérialisée, ce qui
ébranle le modèle économique des éditeurs. »
explique Claude Bourqui. Ainsi, tout dépendra
de la manière dont les éditeurs réussiront
à réformer ce modèle : vont-ils se transformer
en majors de l’écrit numérique ? ou vont-ils
jouer la carte du vintage en tentant de replier
la littérature sur l’espace du livre traditionnel ?
« Notons que le pire qui pourrait arriver à la
création littéraire serait qu’elle se retrouve
confinée dans l’espace réduit du livre imprimé
et devienne une activité de happy few nostalgiques
», conclut ce dernier.
La littérature comme besoin
Également interrogé, le professeur en littérature
française Thomas Hunkeler explique :
« la littérature, relevant d’un besoin humain
basé sur le désir d’expression de soi, l’épanouissement
de l’imaginaire et la conjuration de la
mort, trouvera toujours à se satisfaire. Si ses
formes changent, le besoin persistera. » Il voit
cependant deux risques pesant actuellement
sur la production littéraire : « d’une part, ce-
lui de se voir imposer une production à destination
globale, à la manière des grandes machines
hollywoodiennes formatées pour être
consommables partout et donc dépourvues
de singularité. D’autre part, l’avènement d’une
culture littéraire personnelle, où chacun écrit
et personne ne lit ». Michel Viegnes, lui aussi
professeur en littérature française, précise
pour sa part qu’il existe une exception pour
les genres comme « le roman policier et la
Fantasy, cette dernière parce qu'elle permet
de s'évader, et le premier parce qu'il est devenu
un vecteur pour parler de toutes sortes
de maux contemporains ». Thomas Hunkeler
conclut avec humour : « Heureusement que les
professeurs ont souvent tort quand il s’agit de
prédire l’avenir. »
En effet, bien malin celui ou celle qui pourrait
prédire l’avenir de la littérature avec exactitude.
Si tout porte à croire que celui-ci n’est pas
des plus radieux étant donné que le livre-objet
est doucement poussé vers l’oubli, ce n’est pas
forcément le cas du livre numérique qui a de
plus en plus de succès. Il n'en est pas moins
étrange de constater que le mouvement fait
pour tourner les pages de sa liseuse reste le
même que celui de son prédécesseur, comme
si ce plaisir devait être préservé à tout prix tel
un héritage. Et puis si les grandes entreprises
capitalistes ont leur rôle à jouer dans cet effacement
progressif du Livre papier et de ses intermédiaires,
est-ce uniquement pour le pire ?
Après tout, chacun·e peut désormais publier
à moindre coût un texte qui lui tient à cœur,
chose impensable pour qui n’a pas forcément
les moyens de passer par une maison d’édition.
Qui sait…P
Maxime Corpataux s'est de son côté
interrogé sur le futur de l'architecture.
Retrouvez l'interview
du Dr. Sergi
Aguacil-Moreno, responsable
pour l’EPFL
du Smart Living Lab
et du Project2050
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