Spectrum_01_2021
DOSSIERTexte Leonardo MariacaPhoto Diocèse de Lausanne, Genève et FribourgLe futur de l’Eglise catholiqueL’Eglise catholique est la plus grande Eglise chrétiennedu monde avec plus d’un milliard de baptisé·e·s. Mais avecune déchristianisation générale commencée dans les années70, quel avenir pour l’institution?n 1969, 25% des Français·aises allaient àE la messe tous les dimanches et 94% desjeunes Français·aises étaient baptisé·e·s. Denos jours, la pratique dominicale tourne autourde 2% et les baptisé·e·s avant l’âge de 7ans ne sont plus que 30% en France. Dansun contexte de pandémie, de crise migratoire,économique et sociale, après la grèvedes femmes du 14 juin 2019 et les grèves duclimat, se pose la question de la spiritualité.Dans un monde aux changements de paradigmesrapides, la rédaction de Spectrums’interroge sur le futur de la religion catholique.Rencontre avec Charles Morerod, dominicainet évêque depuis 2011 de Lausanne,Genève et Fribourg.Comment interprétez-vous ce phénomènede déchristianisation généraleen Europe occidentale débuté il y a unecinquantaine d’année ?Tout d’abord, il est important de noter quesi les lieux de cultes de campagnes ont unecertaine tendance à se vider, les églises auxcœurs des villes accueillent des milliers defidèles. Par exemple, la basilique de Notre-Dame de Genève en accueille plus de 2000tous les dimanches, en temps normal toutdu moins. Certes au début des annéesseptante, les deux grandes confessions enSuisse recouvraient quasiment 97% de lapopulation. Maintenant ce n’est plus le cas,d’autres religions sont arrivées, et c’est unebonne chose, car cela peut nous apprendreà vivre ensemble. Mais il est vrai que l’Eglisecatholique s’est dissociée du politique età bien des égards c’est un avantage mutuel.La séparation de l’Etat et de l’Eglisea pour effet pour le premier d’explorer denouveaux horizons et pour le second de luiretirer une charge qui l’encombrait dans samission avant tout spirituelle. L’Eglise estpeut-être plus humble et plus consciente deson propre rôle.Que pensez-vous du New-Âge et des nouvelles formes de spiritualité ?L’idée chrétienne, c’est de se dire la chose suivante : comment moi, en tant que chrétien, entant que catholique, je peux, à l’aide de ma foi, aidez les autres, ma communauté, ma société ?La foi invite donc à se donner. Le New-Âge, lui, suit le processus inverse : comment est-ceque la foi, la spiritualité, peut me servir, moi, dans ma vie quotidienne ? Ainsi, on prend cequi nous convient le mieux de l’extérieur pour s’arranger notre intérieur. C’est un genrede supermarché des religions. Le problème, c’est que c’est de mon point de vue une visionégocentrée et superficielle d’aborder le transcendant. Votre foi change selon les modes, lesenvies, les découvertes, et non selon les répercussions qu’elle a sur les autres. C’est aussi ceque dit le philosophe bouddhiste japonais Nishitani : on ne doit pas se demander à quoi peutnous servir la religion, mais la religion nous dit à quoi nous pouvons servir.La séparation de l’Etat et de l’Eglise a pour effet pour le premier d’explorer de nouveaux horizons et pourle second de lui retirer une charge qui l’encombrait dans sa mission avant tout spirituelle.16 spectrum 02.21
Comment abordez-vous le dialogueinterreligieux ?J’ai fait partie en Suisse du Conseil Suissedes Religions, qui se compose de personnalitésdirigeantes des trois Églises nationales,de la communauté juive, de l’organisationfaîtière des musulmans sunnites deSuisse et de celle des chiites. Son but est decontribuer au maintien et à la promotionde la paix religieuse en Suisse, promouvoirla compréhension et la confiance entre lesresponsables des communautés religieuses.Le Conseil a récemment remis aux autoritésfédérales un texte montrant la contributiondes religions à l’accueil des immigrants. L’onserait étonné de se rendre compte à quelpoint l’on peut s’entendre. En ces temps depandémie, nous avons eu l’occasion d’agiravec des représentants juifs et musulmansen ce qui concerne la fermeture des lieux decultes, puisque cela nous concerne tous.Quelle est la place de la femme dansl’Eglise catholique et cette dernièredoit-elle évoluer selon-vous ?Les personnes actives dans l’Église sonttrès majoritairement des femmes, mais il y aévidemment un hiatus entre leur place dansl’Église et celle qu’elles ont heureusementacquise dans la société. Sur bien des points,l’Église a su créer des synthèses entre sapropre tradition et les cultures rencontrées,à son rythme. On verra ce que cela va donneravec la culture actuelle.«Si vous êtes victimesd'un acte pédophile de lapart d'un représentantde l'Eglise, parlez-enimmédiatementà la police.»Comment interprétez-vous les scandalespédophiles révélés depuis unevingtaine d’années et comment lasituation doit-elle évoluer ?L’un des grands problèmes de ces scandales,c’est le fait que pendant longtemps, le prêtreavait une place intouchable au sein de lacommunauté. Si vous osiez en tant qu’enfantvous confier sur ce que le prêtre avait fait,beaucoup refusaient de vous croire. Aussi,la relation entre l’instrument judiciaire etl’Eglise était moins ouverte : on avait gardéles réflexes d’une époque où le clergé nepassait pas devant les tribunaux « laïcs ».Toutefois, l’autorité qu’a l’Etat sur l’Egliseest salutaire, c’est pourquoi je le dis ici : siIl est vrai que l’Eglise catholique s’est dissociée du politique et à bien des égards c’est un avantagemutuel.vous êtes victimes d’un acte pédophile dela part d’un représentant de l’Eglise, parlez-enimmédiatement à la police, avantde faire les démarches vers un quelconquereprésentant religieux. Toutefois la plupartdes cas qui nous arrivent sont prescrits etsont confiés à des commissions internes etexternes dans un but d’écoute, de dédommagementet de prévention.Quelle doit être la place de l’Eglisecatholique dans la société actuelle etfuture ?S’il est vrai que tous les jours des hommeset des femmes perdent la foi chrétienne,d’autres la trouvent aussi : j’ai vu des personnestrès variées (pauvres ou riches)découvrir la foi et changer radicalementde perspective existentielle. Un athée trèsmilitant a écrit que le partage des biens entant qu’athée est quand même plus difficiledans des conditions où l’on pourrait donnersa vie quand on pense qu’on n’a qu’une vie.La religion tient à cœur à des gens, et personnen’a envie de se faire enlever quelquechose qu’il aime, et si on enlevait l’amourdu monde ce ne serait pas nécessairementmieux même s’il peut être cause de violence.Le fait de se faire enlever ce que l’onaime peut aussi être cause de violence. Lareligion est souvent vue comme un facteurde cette dite violence, mais si on l’enlève,on pourrait être tenter de le remplacer pardes idéologies qui, poussées à des extrêmes,deviennent aussi des facteurs de violences,au moins dans le sens où l’égoïsme nuit aupartage. Le meilleur moyen de l’éviter, c’estd’avoir une religion qui s’efforce de ne pasêtre un facteur de violence. PEn complément de ce témoignage,l’équipe de Spectrum vous invite àdécouvrir l’interview de Sœur Anne-Stéfanie,cistercienne à l’abbayede la Maigrauge, premier monastèreféminin de Fribourg.02.21spectrum17
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Comment abordez-vous le dialogue
interreligieux ?
J’ai fait partie en Suisse du Conseil Suisse
des Religions, qui se compose de personnalités
dirigeantes des trois Églises nationales,
de la communauté juive, de l’organisation
faîtière des musulmans sunnites de
Suisse et de celle des chiites. Son but est de
contribuer au maintien et à la promotion
de la paix religieuse en Suisse, promouvoir
la compréhension et la confiance entre les
responsables des communautés religieuses.
Le Conseil a récemment remis aux autorités
fédérales un texte montrant la contribution
des religions à l’accueil des immigrants. L’on
serait étonné de se rendre compte à quel
point l’on peut s’entendre. En ces temps de
pandémie, nous avons eu l’occasion d’agir
avec des représentants juifs et musulmans
en ce qui concerne la fermeture des lieux de
cultes, puisque cela nous concerne tous.
Quelle est la place de la femme dans
l’Eglise catholique et cette dernière
doit-elle évoluer selon-vous ?
Les personnes actives dans l’Église sont
très majoritairement des femmes, mais il y a
évidemment un hiatus entre leur place dans
l’Église et celle qu’elles ont heureusement
acquise dans la société. Sur bien des points,
l’Église a su créer des synthèses entre sa
propre tradition et les cultures rencontrées,
à son rythme. On verra ce que cela va donner
avec la culture actuelle.
«Si vous êtes victimes
d'un acte pédophile de la
part d'un représentant
de l'Eglise, parlez-en
immédiatement
à la police.»
Comment interprétez-vous les scandales
pédophiles révélés depuis une
vingtaine d’années et comment la
situation doit-elle évoluer ?
L’un des grands problèmes de ces scandales,
c’est le fait que pendant longtemps, le prêtre
avait une place intouchable au sein de la
communauté. Si vous osiez en tant qu’enfant
vous confier sur ce que le prêtre avait fait,
beaucoup refusaient de vous croire. Aussi,
la relation entre l’instrument judiciaire et
l’Eglise était moins ouverte : on avait gardé
les réflexes d’une époque où le clergé ne
passait pas devant les tribunaux « laïcs ».
Toutefois, l’autorité qu’a l’Etat sur l’Eglise
est salutaire, c’est pourquoi je le dis ici : si
Il est vrai que l’Eglise catholique s’est dissociée du politique et à bien des égards c’est un avantage
mutuel.
vous êtes victimes d’un acte pédophile de
la part d’un représentant de l’Eglise, parlez-en
immédiatement à la police, avant
de faire les démarches vers un quelconque
représentant religieux. Toutefois la plupart
des cas qui nous arrivent sont prescrits et
sont confiés à des commissions internes et
externes dans un but d’écoute, de dédommagement
et de prévention.
Quelle doit être la place de l’Eglise
catholique dans la société actuelle et
future ?
S’il est vrai que tous les jours des hommes
et des femmes perdent la foi chrétienne,
d’autres la trouvent aussi : j’ai vu des personnes
très variées (pauvres ou riches)
découvrir la foi et changer radicalement
de perspective existentielle. Un athée très
militant a écrit que le partage des biens en
tant qu’athée est quand même plus difficile
dans des conditions où l’on pourrait donner
sa vie quand on pense qu’on n’a qu’une vie.
La religion tient à cœur à des gens, et personne
n’a envie de se faire enlever quelque
chose qu’il aime, et si on enlevait l’amour
du monde ce ne serait pas nécessairement
mieux même s’il peut être cause de violence.
Le fait de se faire enlever ce que l’on
aime peut aussi être cause de violence. La
religion est souvent vue comme un facteur
de cette dite violence, mais si on l’enlève,
on pourrait être tenter de le remplacer par
des idéologies qui, poussées à des extrêmes,
deviennent aussi des facteurs de violences,
au moins dans le sens où l’égoïsme nuit au
partage. Le meilleur moyen de l’éviter, c’est
d’avoir une religion qui s’efforce de ne pas
être un facteur de violence. P
En complément de ce témoignage,
l’équipe de Spectrum vous invite à
découvrir l’interview de Sœur Anne-Stéfanie,
cistercienne à l’abbaye
de la Maigrauge, premier monastère
féminin de Fribourg.
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