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Spectrum_01_2021

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DOSSIER

Texte Leonardo Mariaca et Eleonora Bobbià

Illustration Phillipe Haenni

Le fantasme d’une fin d’un monde

La fin de toute civilisation revient régulièrement dans

l’agenda de l’humanité et paradoxalement, certaines personnes

semblent même l’espérer.

e la prophétie maya du 21.12.12 à la mise

D en route du CERN, combien de fois

n’a-t-il pas été question dans les différents

médias de la fin plus ou moins crédible de

l’humanité ? À cette triste éventualité l’on

constate alors d’étranges comportements

de masse. Rappelons-nous par exemple lors

du boom médiatique créé par le calendrier

maya de celles et ceux qui se sont isolé·e·s

dans des bunkers au Canada avec d’énormes

quantités de papier toilettes, déterminé·e·s à

passer l’hiver apocalyptique qui s’annonçait.

Certain·e·s survivalistes se préparent de leur

côté au Ragnarok par l’achat massif d’armes

lourdes, comme si pour finir, ils et elles n'attendaient

que cela. Mais comment expliquer

qu’une partie de l’humanité semble attendre

désespérément une fin du monde à proprement

parler ?

Le cerveau ou l’art de survivre

La réponse est avant toute chose à chercher

dans notre cerveau. Ce dernier est calibré

pour nous maintenir en vie, et dans ce but,

il s’est fait spécialiste de repérer le danger

le plus vite possible. Le cerveau s’intéresse

davantage aux mauvaises nouvelles, au

sensationnalisme et aux catastrophes, car

il essaie de prévoir les éventuels dangers

auxquels chacun et chacune doit faire face.

« C’est la raison pour laquelle l’on lit plus volontiers

des articles de presse remplis pleins

de meurtres ou de scandales. On va être attiré·e

par le négatif non pas parce que l’on est

pessimiste, mais parce que notre cerveau le

comprend comme un danger dont on doit

se prémunir », affirme Alain Bochud, psychologue

FSP indépendant.

Aussi, l’être humain, comme tout être vivant

jusqu’à preuve du contraire, est incapable

d’appréhender sa propre mortalité, ce que

démontre le psychologue au travers de l’expérience

de pensée suivante : « fermer les

yeux et et imaginez-vous dans 10 ans. Normalement,

l’image que vous avez en tête est

fondamentalement positive. Maintenant,

imaginez le monde dans 10 ans. Généralement,

la vision future de celui-ci est plutôt

négative ». On va se représenter notre futur

comme meilleur que notre présent, ce

qui va être un moteur psychologique pour

avancer : cela nous donne un but à atteindre.

Toutefois l’on va se représenter notre environnement

comme plus dangereux encore

que notre réalité actuelle : cela nous oblige à

mieux nous préparer, à rester sur nos gardes,

et donc, à survivre. Ainsi, les personnes qui

espèrent une fin du monde ou une catastrophe

n’imaginent pas réellement la possibilité

d’être dans les victimes, ils et elles se

voient irrémédiablement figurer au nombre

des survivants.

Un Reboot pour tout recommencer

Lorsque l’on vit une situation difficile ou que

l’on n’est pas satisfait·e de son quotidien, on

pense qu’une grande catastrophe aurait l’effet

d’un reset et que cela redistribuerait les

cartes. Comme l’explique Alain Bochud :

L’idée est de se dire : moi qui ai une vie

peut-être fade, peut-être que dans ce monde

d’après, j’aurais un destin

On peut aussi expliquer ce désir de fin de

civilisation par le principe de l’égalité des

chances. L’on perçoit aujourd’hui des inégalités

partout, et face à ce genre d’injustices,

une catastrophe planétaire devient un instrument

de réajustement social, comme

le confirme Alain Bochud : « Une “fin du

monde” classiquement dit nous toucherait

tous et toutes, indépendamment de notre

statut social, richesse, sexe, religion, genre

ou provenance. Voir s’effondrer le système

serait alors pris comme une forme de justice

».

Toutefois ce fantasme est à prendre avec

des pincettes : si un grand effondrement de

civilisation peut attirer pour toutes les raisons

citées plus haut, il n’empêche qu’une

catastrophe reste par définition une catastrophe.

Une vision radicale de la nécessité

d’un changement admet la mort et la destruction,

et si notre monde est plus qu’imparfait,

il reste le seul que nous possédons.

Une guerre reste une atrocité, une fin du

monde reste une fin en soi. Peu importe le

genre de civilisation que l’on espère, celle-ci

devra être construite à force d’efforts, et non

pas par l’anéantissement. P

En ces temps de pandémie, les

théories du complot pullulent.

Rencontre avec

Pascal Wagner-egger,

chercheur et

enseignant en psychologie

sociale.

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