Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
DOSSIER
Texte Leonardo Mariaca et Eleonora Bobbià
Illustration Phillipe Haenni
Le fantasme d’une fin d’un monde
La fin de toute civilisation revient régulièrement dans
l’agenda de l’humanité et paradoxalement, certaines personnes
semblent même l’espérer.
e la prophétie maya du 21.12.12 à la mise
D en route du CERN, combien de fois
n’a-t-il pas été question dans les différents
médias de la fin plus ou moins crédible de
l’humanité ? À cette triste éventualité l’on
constate alors d’étranges comportements
de masse. Rappelons-nous par exemple lors
du boom médiatique créé par le calendrier
maya de celles et ceux qui se sont isolé·e·s
dans des bunkers au Canada avec d’énormes
quantités de papier toilettes, déterminé·e·s à
passer l’hiver apocalyptique qui s’annonçait.
Certain·e·s survivalistes se préparent de leur
côté au Ragnarok par l’achat massif d’armes
lourdes, comme si pour finir, ils et elles n'attendaient
que cela. Mais comment expliquer
qu’une partie de l’humanité semble attendre
désespérément une fin du monde à proprement
parler ?
Le cerveau ou l’art de survivre
La réponse est avant toute chose à chercher
dans notre cerveau. Ce dernier est calibré
pour nous maintenir en vie, et dans ce but,
il s’est fait spécialiste de repérer le danger
le plus vite possible. Le cerveau s’intéresse
davantage aux mauvaises nouvelles, au
sensationnalisme et aux catastrophes, car
il essaie de prévoir les éventuels dangers
auxquels chacun et chacune doit faire face.
« C’est la raison pour laquelle l’on lit plus volontiers
des articles de presse remplis pleins
de meurtres ou de scandales. On va être attiré·e
par le négatif non pas parce que l’on est
pessimiste, mais parce que notre cerveau le
comprend comme un danger dont on doit
se prémunir », affirme Alain Bochud, psychologue
FSP indépendant.
Aussi, l’être humain, comme tout être vivant
jusqu’à preuve du contraire, est incapable
d’appréhender sa propre mortalité, ce que
démontre le psychologue au travers de l’expérience
de pensée suivante : « fermer les
yeux et et imaginez-vous dans 10 ans. Normalement,
l’image que vous avez en tête est
fondamentalement positive. Maintenant,
imaginez le monde dans 10 ans. Généralement,
la vision future de celui-ci est plutôt
négative ». On va se représenter notre futur
comme meilleur que notre présent, ce
qui va être un moteur psychologique pour
avancer : cela nous donne un but à atteindre.
Toutefois l’on va se représenter notre environnement
comme plus dangereux encore
que notre réalité actuelle : cela nous oblige à
mieux nous préparer, à rester sur nos gardes,
et donc, à survivre. Ainsi, les personnes qui
espèrent une fin du monde ou une catastrophe
n’imaginent pas réellement la possibilité
d’être dans les victimes, ils et elles se
voient irrémédiablement figurer au nombre
des survivants.
Un Reboot pour tout recommencer
Lorsque l’on vit une situation difficile ou que
l’on n’est pas satisfait·e de son quotidien, on
pense qu’une grande catastrophe aurait l’effet
d’un reset et que cela redistribuerait les
cartes. Comme l’explique Alain Bochud :
L’idée est de se dire : moi qui ai une vie
peut-être fade, peut-être que dans ce monde
d’après, j’aurais un destin
On peut aussi expliquer ce désir de fin de
civilisation par le principe de l’égalité des
chances. L’on perçoit aujourd’hui des inégalités
partout, et face à ce genre d’injustices,
une catastrophe planétaire devient un instrument
de réajustement social, comme
le confirme Alain Bochud : « Une “fin du
monde” classiquement dit nous toucherait
tous et toutes, indépendamment de notre
statut social, richesse, sexe, religion, genre
ou provenance. Voir s’effondrer le système
serait alors pris comme une forme de justice
».
Toutefois ce fantasme est à prendre avec
des pincettes : si un grand effondrement de
civilisation peut attirer pour toutes les raisons
citées plus haut, il n’empêche qu’une
catastrophe reste par définition une catastrophe.
Une vision radicale de la nécessité
d’un changement admet la mort et la destruction,
et si notre monde est plus qu’imparfait,
il reste le seul que nous possédons.
Une guerre reste une atrocité, une fin du
monde reste une fin en soi. Peu importe le
genre de civilisation que l’on espère, celle-ci
devra être construite à force d’efforts, et non
pas par l’anéantissement. P
En ces temps de pandémie, les
théories du complot pullulent.
Rencontre avec
Pascal Wagner-egger,
chercheur et
enseignant en psychologie
sociale.
14 spectrum 02.21