Qualité Références n° 53
Perpectives 2011 : OUTILS & METHODES DE MANAGEMENT
Perpectives 2011 : OUTILS & METHODES DE MANAGEMENT
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DOSSIER<br />
<br />
et est appelée à trouver relai dans les différents<br />
Etats par leurs organismes de normalisation<br />
comme l’AFNOR en France. La<br />
norme est promise à révision d’ici trois ans<br />
afin de tenir compte des premières expériences<br />
d’application.<br />
La norme ISO 26000 n’est pas un texte juridique,<br />
mais elle a pour particularité de faire<br />
référence à un grand nombre de règles<br />
(70 conventions de l’OIT, 45 textes relevant<br />
de l’ONU), mais aussi d’autres textes à<br />
portée non juridique (textes issus de l’OCDE<br />
ou du Conseil de l’Europe, rapport du<br />
GIEC...). L’ambition du texte est de proposer<br />
une référence internationale afin de faire<br />
prévaloir les grands principes internationaux<br />
jusque dans les pays dont le droit ne<br />
permettrait pas le respect des droits de<br />
l’homme.<br />
Jacques Igalens (Professeur à l’Université<br />
de Toulouse1 Capitole), éminent spécialiste<br />
de la RSE, a de son côté fait la preuve des<br />
sérieuses réserves à l’égard de ce processus<br />
d’élaboration de la norme ISO 26000 : le<br />
choix des procédures pose de nombreuses<br />
questions au regard de la légitimité de telles<br />
normes au regard des processus démocratiques.<br />
Les critiques à cet égard sont de<br />
divers ordres. La première question réside<br />
dans la production par un organisme de<br />
nature purement privée comme l’ISO pour<br />
trancher non pas des aspects techniques<br />
mais pour s’intéresser à des questions qui<br />
débordent sur des aspects politiques. Les<br />
difficultés tiennent par ailleurs à la représentativité<br />
des parties ayant négocié la<br />
norme, en particulier la faible place concédée<br />
aux pays en voie de développement et l’absence<br />
de tout représentant africain.<br />
Une élaboration qui fait question<br />
De même, la question peut se poser quand au<br />
choix des représentants et leur répartition<br />
entre 6catégories de «stakeholders» (porteurs<br />
d’intérêts): pourquoi différencier ces catégories,<br />
qui les sélectionne, qui les contrôle? L’omniprésence<br />
des consultants dans chacun de<br />
ces groupes peut rendre certains choix<br />
suspects. Enfin, le choix du consensus n’a pas<br />
permis d’aboutir à un accord unanime : des<br />
pays aussi importants que l’Allemagne ou les<br />
Etats-Unis ont refusé de l’approuver. De son<br />
côté, le Professeur Jean-Claude Javilliers<br />
(Professeur émérite à l’Université Panthéon-<br />
Assas, ancien directeur des normes à l’OIT)<br />
souligne que la norme ISO a d’abord pu<br />
susciter l’inquiétude, mais que ses aspects<br />
les plus inquiétants ont pu être corrigés,<br />
notamment en raison de la synergie qui a<br />
pu être trouvée entre la norme ISO et les<br />
normes internationales de l’ONU et de l’OIT.<br />
Il apparaît en outre que, si nul ne peut se<br />
réjouir de l’affaiblissement des Etats,<br />
chacun peut se réjouir de l’implication des<br />
acteurs privés dans l’application du droit<br />
international, qui ne peut être qu’un facteur<br />
d’efficacité supplémentaire pour ce droit.<br />
La singularité de ce processus de naissance<br />
de la norme conduit les intervenants à s’interroger<br />
sur les conséquences qui pourraient<br />
en découler à l’égard de la nature de<br />
la norme qui en est issue. Pour les praticiens,<br />
la norme a pour principal mérite de<br />
déterminer un sens partagé de la responsabilité<br />
sociale. Ainsi, selon Pierre Mazeau,<br />
la norme est une « norme-définition ».<br />
Mais les juristes et gestionnaires s’accordent<br />
pour considérer que c’est le signe d’une<br />
importante évolution dans laquelle les entreprises<br />
prennent une part croissante dans la<br />
détermination des normes.<br />
Pour le gestionnaire Jacques Igalens, elle<br />
montre la promotion de la première «norme<br />
cosmopolite dans laquelle l’entreprise<br />
remplace la Cité ». Dans un sens voisin, le<br />
juriste Antoine Lyon-Caen, estime que la<br />
promotion de l’ISO 26000 est le signe de la<br />
naissance de l’entreprise-monde, à travers<br />
un processus quasi-constitutionnel dans<br />
lequel les Etats n’ont plus le rôle que d’une<br />
partie prenante.<br />
La singularité de la norme<br />
ISO 26000<br />
Sheldon Leader (Professeur de droit à<br />
Essex) insiste sur l’intérêt que représente<br />
l’émergence d’un droit permettant de lier<br />
la question de l’activité économique et les<br />
droits de l’Homme. La norme promeut le<br />
respect des droits de l’homme en engageant<br />
les entreprises à respecter les droits<br />
internationaux et à améliorer la situation<br />
des travailleurs. Ce choix devrait conduire<br />
à élargir la responsabilité des entreprises<br />
qui agissent dans des Etats dans lesquels<br />
les droits humains sont violés.<br />
Pourtant, bien que la norme ne soit pas au<br />
premier chef de nature juridique, les rédacteurs<br />
ont pris le plus grand soin à rédiger<br />
les clauses relatives à la responsabilité des<br />
entreprises afin d’éviter toute audace juridique<br />
en ce sens. La notion de responsabilité<br />
des entreprises en fonction de leur<br />
« sphère d’influence », imposée par les<br />
Etats-Unis, conduit à limiter la responsabilité<br />
des entreprises dans les seuls cas de<br />
preuve de l’exercice d’une influence sur les<br />
Etats dans la violation de droits de l’homme,<br />
mais en aucun cas pour s’être abstenues<br />
d’intervenir dans une violation des droits<br />
alors qu’elles avaient une capacité de le faire.<br />
Pour Pierre Brunet (Professeur de théorie<br />
du droit à Nanterre), la norme ISO 26000<br />
constitue un objet juridique étrange. Elle<br />
ne peut être assimilée à aucune forme de<br />
norme identifiée.<br />
Dépourvue de toute sanction en cas de<br />
violation donc non susceptible de fonder<br />
toute action en justice, elle ne saurait constituer<br />
une norme juridiquement valide. Mais<br />
elle ne peut non plus être comprise comme<br />
une norme technique malgré sa production<br />
au sein de l’ISO (faute de se contenter de<br />
décrire les propriétés de l’action des entreprises)<br />
ni comme une norme morale (faute<br />
de conséquence en cas de violation).<br />
L’impact de la norme ISO 26000 :<br />
gestion et droit en mutation<br />
Toutefois, bien que le texte décline toute<br />
portée normative, ce texte est appelé à<br />
recevoir un écho considérable. Il sera probablement<br />
interprété par ceux qui s’y réfèreront<br />
comme un texte tendant à prescrire<br />
ce que seront les bonnes pratiques de RSE.<br />
La prétention à la globalité conduira par<br />
ailleurs à lui donner une portée encore plus<br />
large : la norme permettra l’institution d’un<br />
véritable ordre normatif, qui sera d’autant<br />
plus efficace politiquement qu’il ne sera<br />
pas contraignant juridiquement. Les organisations<br />
auront donc bien du mal à lui<br />
échapper.<br />
L’impact de la norme ISO 26000 sur l’évolution<br />
des règles juridiques et sur les<br />
pratiques de gestion des entreprises est<br />
difficile à évaluer. Du côté de la gestion, les<br />
gestionnaires, Eric Pezet et Anne-Catherine<br />
Moquet (Maître de conférences à Paris<br />
Est) montrent la difficulté du chemin qui<br />
peut mener de l’adoption de la norme<br />
ISO 26000 jusqu’à sa mise en œuvre des<br />
entreprises, qui requiert un processus d’appropriation<br />
de la part des organisations.<br />
Un tel processus d’appropriation exige de<br />
proposer une vision organisatrice comprise<br />
par les entreprises comme compatible avec<br />
sa stratégie et de trouver les outils concrets<br />
et diversifiés destinés à le faire. Un tel<br />
passage paraît difficile, en raison à la fois<br />
du caractère très général des lignes directrices<br />
relatives à la responsabilité sociétale<br />
et de leur immersion dans l’univers<br />
QUALITÉ RÉFÉRENCES ➤ JUILLET, AOÛT, SEPTEMBRE 2011 ➤ PAGE 34