07.12.2020 Views

Qualité Références n° 53

Perpectives 2011 : OUTILS & METHODES DE MANAGEMENT

Perpectives 2011 : OUTILS & METHODES DE MANAGEMENT

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

DOSSIER<br />

<br />

et est appelée à trouver relai dans les différents<br />

Etats par leurs organismes de normalisation<br />

comme l’AFNOR en France. La<br />

norme est promise à révision d’ici trois ans<br />

afin de tenir compte des premières expériences<br />

d’application.<br />

La norme ISO 26000 n’est pas un texte juridique,<br />

mais elle a pour particularité de faire<br />

référence à un grand nombre de règles<br />

(70 conventions de l’OIT, 45 textes relevant<br />

de l’ONU), mais aussi d’autres textes à<br />

portée non juridique (textes issus de l’OCDE<br />

ou du Conseil de l’Europe, rapport du<br />

GIEC...). L’ambition du texte est de proposer<br />

une référence internationale afin de faire<br />

prévaloir les grands principes internationaux<br />

jusque dans les pays dont le droit ne<br />

permettrait pas le respect des droits de<br />

l’homme.<br />

Jacques Igalens (Professeur à l’Université<br />

de Toulouse1 Capitole), éminent spécialiste<br />

de la RSE, a de son côté fait la preuve des<br />

sérieuses réserves à l’égard de ce processus<br />

d’élaboration de la norme ISO 26000 : le<br />

choix des procédures pose de nombreuses<br />

questions au regard de la légitimité de telles<br />

normes au regard des processus démocratiques.<br />

Les critiques à cet égard sont de<br />

divers ordres. La première question réside<br />

dans la production par un organisme de<br />

nature purement privée comme l’ISO pour<br />

trancher non pas des aspects techniques<br />

mais pour s’intéresser à des questions qui<br />

débordent sur des aspects politiques. Les<br />

difficultés tiennent par ailleurs à la représentativité<br />

des parties ayant négocié la<br />

norme, en particulier la faible place concédée<br />

aux pays en voie de développement et l’absence<br />

de tout représentant africain.<br />

Une élaboration qui fait question<br />

De même, la question peut se poser quand au<br />

choix des représentants et leur répartition<br />

entre 6catégories de «stakeholders» (porteurs<br />

d’intérêts): pourquoi différencier ces catégories,<br />

qui les sélectionne, qui les contrôle? L’omniprésence<br />

des consultants dans chacun de<br />

ces groupes peut rendre certains choix<br />

suspects. Enfin, le choix du consensus n’a pas<br />

permis d’aboutir à un accord unanime : des<br />

pays aussi importants que l’Allemagne ou les<br />

Etats-Unis ont refusé de l’approuver. De son<br />

côté, le Professeur Jean-Claude Javilliers<br />

(Professeur émérite à l’Université Panthéon-<br />

Assas, ancien directeur des normes à l’OIT)<br />

souligne que la norme ISO a d’abord pu<br />

susciter l’inquiétude, mais que ses aspects<br />

les plus inquiétants ont pu être corrigés,<br />

notamment en raison de la synergie qui a<br />

pu être trouvée entre la norme ISO et les<br />

normes internationales de l’ONU et de l’OIT.<br />

Il apparaît en outre que, si nul ne peut se<br />

réjouir de l’affaiblissement des Etats,<br />

chacun peut se réjouir de l’implication des<br />

acteurs privés dans l’application du droit<br />

international, qui ne peut être qu’un facteur<br />

d’efficacité supplémentaire pour ce droit.<br />

La singularité de ce processus de naissance<br />

de la norme conduit les intervenants à s’interroger<br />

sur les conséquences qui pourraient<br />

en découler à l’égard de la nature de<br />

la norme qui en est issue. Pour les praticiens,<br />

la norme a pour principal mérite de<br />

déterminer un sens partagé de la responsabilité<br />

sociale. Ainsi, selon Pierre Mazeau,<br />

la norme est une « norme-définition ».<br />

Mais les juristes et gestionnaires s’accordent<br />

pour considérer que c’est le signe d’une<br />

importante évolution dans laquelle les entreprises<br />

prennent une part croissante dans la<br />

détermination des normes.<br />

Pour le gestionnaire Jacques Igalens, elle<br />

montre la promotion de la première «norme<br />

cosmopolite dans laquelle l’entreprise<br />

remplace la Cité ». Dans un sens voisin, le<br />

juriste Antoine Lyon-Caen, estime que la<br />

promotion de l’ISO 26000 est le signe de la<br />

naissance de l’entreprise-monde, à travers<br />

un processus quasi-constitutionnel dans<br />

lequel les Etats n’ont plus le rôle que d’une<br />

partie prenante.<br />

La singularité de la norme<br />

ISO 26000<br />

Sheldon Leader (Professeur de droit à<br />

Essex) insiste sur l’intérêt que représente<br />

l’émergence d’un droit permettant de lier<br />

la question de l’activité économique et les<br />

droits de l’Homme. La norme promeut le<br />

respect des droits de l’homme en engageant<br />

les entreprises à respecter les droits<br />

internationaux et à améliorer la situation<br />

des travailleurs. Ce choix devrait conduire<br />

à élargir la responsabilité des entreprises<br />

qui agissent dans des Etats dans lesquels<br />

les droits humains sont violés.<br />

Pourtant, bien que la norme ne soit pas au<br />

premier chef de nature juridique, les rédacteurs<br />

ont pris le plus grand soin à rédiger<br />

les clauses relatives à la responsabilité des<br />

entreprises afin d’éviter toute audace juridique<br />

en ce sens. La notion de responsabilité<br />

des entreprises en fonction de leur<br />

« sphère d’influence », imposée par les<br />

Etats-Unis, conduit à limiter la responsabilité<br />

des entreprises dans les seuls cas de<br />

preuve de l’exercice d’une influence sur les<br />

Etats dans la violation de droits de l’homme,<br />

mais en aucun cas pour s’être abstenues<br />

d’intervenir dans une violation des droits<br />

alors qu’elles avaient une capacité de le faire.<br />

Pour Pierre Brunet (Professeur de théorie<br />

du droit à Nanterre), la norme ISO 26000<br />

constitue un objet juridique étrange. Elle<br />

ne peut être assimilée à aucune forme de<br />

norme identifiée.<br />

Dépourvue de toute sanction en cas de<br />

violation donc non susceptible de fonder<br />

toute action en justice, elle ne saurait constituer<br />

une norme juridiquement valide. Mais<br />

elle ne peut non plus être comprise comme<br />

une norme technique malgré sa production<br />

au sein de l’ISO (faute de se contenter de<br />

décrire les propriétés de l’action des entreprises)<br />

ni comme une norme morale (faute<br />

de conséquence en cas de violation).<br />

L’impact de la norme ISO 26000 :<br />

gestion et droit en mutation<br />

Toutefois, bien que le texte décline toute<br />

portée normative, ce texte est appelé à<br />

recevoir un écho considérable. Il sera probablement<br />

interprété par ceux qui s’y réfèreront<br />

comme un texte tendant à prescrire<br />

ce que seront les bonnes pratiques de RSE.<br />

La prétention à la globalité conduira par<br />

ailleurs à lui donner une portée encore plus<br />

large : la norme permettra l’institution d’un<br />

véritable ordre normatif, qui sera d’autant<br />

plus efficace politiquement qu’il ne sera<br />

pas contraignant juridiquement. Les organisations<br />

auront donc bien du mal à lui<br />

échapper.<br />

L’impact de la norme ISO 26000 sur l’évolution<br />

des règles juridiques et sur les<br />

pratiques de gestion des entreprises est<br />

difficile à évaluer. Du côté de la gestion, les<br />

gestionnaires, Eric Pezet et Anne-Catherine<br />

Moquet (Maître de conférences à Paris<br />

Est) montrent la difficulté du chemin qui<br />

peut mener de l’adoption de la norme<br />

ISO 26000 jusqu’à sa mise en œuvre des<br />

entreprises, qui requiert un processus d’appropriation<br />

de la part des organisations.<br />

Un tel processus d’appropriation exige de<br />

proposer une vision organisatrice comprise<br />

par les entreprises comme compatible avec<br />

sa stratégie et de trouver les outils concrets<br />

et diversifiés destinés à le faire. Un tel<br />

passage paraît difficile, en raison à la fois<br />

du caractère très général des lignes directrices<br />

relatives à la responsabilité sociétale<br />

et de leur immersion dans l’univers<br />

QUALITÉ RÉFÉRENCES ➤ JUILLET, AOÛT, SEPTEMBRE 2011 ➤ PAGE 34

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!