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Qu'est-ce qu'une idéologie ?

Plusieurs ouvrages de sciences sociales ou de philosophie politique prennent comme thème le mot idéologie et ce qu’il signifie. Ici, on l’aborde comme problème dialectique, et ce, au sens où Aristote l’entend dans son ouvrage intitulé Topiques : « Un problème dialectique est une question dont l’enjeu peut être soit l’alternative pratique d’un choix et d’un rejet, soit l’acquisition d’une vérité ou d’une connaissance. »

Plusieurs ouvrages de sciences sociales ou de philosophie politique prennent comme thème le mot idéologie et ce qu’il signifie. Ici, on l’aborde comme problème dialectique, et ce, au sens où Aristote l’entend dans son ouvrage intitulé Topiques : « Un problème dialectique est une question dont l’enjeu peut être soit l’alternative pratique d’un choix et d’un rejet, soit l’acquisition d’une vérité ou d’une connaissance. »

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GILLES PLANTE

b.a. c.c.l. ll.l. m.a. ph.d.

PROBLÈME DIALECTIQUE

QU'EST-CE QU'UNE IDÉOLOGIE ?

CENTRE D’ÉTUDE EN HUMANITÉS CLASSIQUES

«J’APPELLE CLASSIQUE CE QUI EST SAIN.» (GŒTHE)

SSP ÉDITEUR (2020)

ISBN : 978-2-921344-65-4



GILLES PLANTE

b.a. c.c.l. ll.l. m.a. ph.d.

PROBLÈME DIALECTIQUE

QU'EST-CE QU'UNE IDÉOLOGIE ?

CENTRE D’ÉTUDE EN HUMANITÉS CLASSIQUES

«J’APPELLE CLASSIQUE CE QUI EST SAIN.» (GŒTHE)

SSP ÉDITEUR (2020)

ISBN : 978-2-921344-65-4


Éditeur : Société Scientifique Parallèle Inc.

4010 rue Cormier

Notre-Dame-du-Mont-Carmel, Québec

Canada G0X 3J0

ISBN : 978-2-921344-65-4

Dépôt légal

Bibliothèque nationale du Québec

Bibliothèque nationale du Canada

3 e trimestre 2020

© Gilles Plante, 14 août 2020

350, De la terrasse

Saint-Étienne-des-Grès, Québec

Canada G0X 2P0


SOMMAIRE

Plusieurs ouvrages de sciences sociales ou de philosophie politique prennent comme

thème le mot idéologie et ce qu’il signifie.

Ici, on l’aborde comme problème dialectique, et ce, au sens où Aristote l’entend dans

son ouvrage intitulé Topiques :

Un problème dialectique est une question dont l’enjeu peut être soit l’alternative pratique

d’un choix et d’un rejet, soit l’acquisition d’une vérité ou d’une connaissance. 1

Les tenants et aboutissants de cette recherche sont présentés en ces pages sous les

rubriques suivantes :

CONSIDÉRATIONS EUCLIDIENNES page 1

ÉLÉMENTS D’UNE RÉPONSE PARTIELLE page 9

ÉLÉMENTS D’UNE RÉPONSE COMPLÈTE page 19

UNE RÉPONSE COMPLÈTE page 35

CONCLUSION page 43

1 Aristote, Topiques (104b 1), par Jacques Brunschwig, Les belles lettres, Paris, 1967, p. 16 ; https://

archive.org/details/AristoteTopiquesIBudet1967/page/n89/mode/1up



CONSIDÉRATIONS EUCLIDIENNES

L'homme est doué d'un intellect capable de trois tâches distinctes :

a) la tâche théorétique, celle de contempler un objet offert à la connaissance

intellective qui est ainsi connu au moyen d’une représentation mentale ; par

exemple, Pierre s’approprie l’enseignement géométrique exposé dans les

Éléments d’Euclide ;

b) la tâche pratique, celle de maîtriser les émotions et les mutations corporelles les

accompagnant, bref les pulsions 2, et ce, dans le for interne tant psychique que

corporel ; par exemple, Pierre maîtrise la colère qui naît en lui du fait qu’il est si

contrarié que son grille-pain soit panne que ses mains en tremblent ;

c) et la tâche technique, celle de maîtriser la fabrication d’objets naissant dans le

for externe comme résultat d’un dessein ; par exemple, Pierre maîtrise la mise

en œuvre des techniques grâce auxquelles son grille-pain en panne, posé sur

son établi, peut être réparé, et il le répare ainsi de main de maître.

Ce qu’on vient de lire en b) est un exposé de nature théorétique qui énonce une

définition de l’expression tâche pratique, alors que la tâche, elle, n’est pas théorétique.

Définir théorétiquement ce en quoi consiste la nature de tâche pratique diffère de l’acte

pratique consistant à maîtriser consciemment les émotions et les mutations corporelles,

les pulsions, et ce, ici et maintenant. Il en est de même pour ce qu’on vient de lire en c)

pour tâche technique. La manière de faire fonctionner un appareil est décrite dans un

mode d’emploi dont la lecture ne remplace pas l’emploi de l’appareil.

Pour accomplir la tâche théorétique de s’approprier l’enseignement qu’expose Euclide

dans ses Éléments 3, Pierre en lit trois pages où il repère quatre définitions au Livre I, et

quatre définitions au Livre VII :

2 CNRTL, pulsion : force bio-psychique inconsciente créant dans l'organisme un état de tension propre à

orienter sa vie fantasmatique et sa vie de relation vers des objets et suscitant des besoins dont la

satisfaction est nécessaire pour que la tension tombe. ; https://www.cnrtl.fr/definition/pulsion ; https://

www.cnrtl.fr/definition/pulsion

3 Les œuvres d’Euclide, en grec, en latin et en français, par François Peyrard, Paris, 1814, chez M..

Patris ; https://archive.org/details/lesoeuvresdeucli01eucl/page/n45/mode/2up ; https://archive.org/details/

lesoeuvresdeucli01eucl/page/380/mode/2up

1


A. Livre I

αʹ. Σημεῖόν ἐστιν, οὗ μέρος οὐθέν.

βʹ. Γραμμὴ δὲ μῆκος ἀπλατές.

γʹ. Γραμμῆς δὲ πέρατα σημεῖα.

δʹ. Εὐθεῖα γραμμή ἐστιν, ἥτις ἐξ ἴσου τοῖς ἐφ ̓ ἑαυτῆς

σημείοις κεῖται.

I. Punctum est, cujus pars nulla est.

II. Linea autem sine latitudine longitudo

III. Lineæ autem extrema puncta.

IV. Recta linea est, quæcumque ex æquo punctis in ea sitis jacet.

1. Le point est ce qui n’a aucune partie.

2. La ligne est une longueur sans largeur.

3. Les extrémités d’une ligne sont des points.

4. La ligne droite est celle qui est toute également placée entre ses points.

B. Livre VII

αʹ. Μονάς ἐστιν, καθ ̓ ἣν ἕκαστον τῶν ὄντων ἓν λέγεται.

βʹ. Ἀριθμὸς δὲ τὸ ἐκ μονάδων συγκείμενον πλῆθος.

γʹ. Μέρος ἐστὶν ἀριθμὸς ἀριθμοῦ ὁ ἐλάσσων τοῦ μείζονος, ὅταν καταμετρῇ τὸν

μείζονα.

δʹ. Μέρη δέ, ὅταν μὴ καταμετρῇ.

I. Unitas est secundum quam unumquodque existentiel unum dicitur.

II. Numerus autem, ex unitatibus compositis multitudo.

III. Pars est numerus numeri, minor majoris, quando metitur majorem.

IV. Partes autem, quando non metitur.

1. L’unité est ce selon quoi chacune des choses existantes est dite une.

2. Un nombre est un assemblage composé d’unités.

3. Un nombre est une partie d’un nombre, le plus petit du plus grand, lorsque le plus petit

mesure le plus grand.

4. Un nombre est parties d’un nombre quand il ne le mesure pas.

Le point est ce dont la partie est nulle, ou ce qui n’a aucune partie. Une ligne est une

longueur, donc une grandeur, mais sans largeur, une longueur dont les extrémités sont

des points qui, eux, n’ont aucune partie, alors que la ligne en a, ce qui explique que la

ligne soit placée entre ses points. Par ailleurs, un nombre est un assemblage (en latin :

multitudo) composé (en latin : composita) de plusieurs unités posées comme une dans

le nombre, ce que signifie com dans composé. L’unité est ce selon quoi chacune des

choses existantes est dite une, sans que soit précisé ce en quoi consiste le ce selon

quoi. Mais on obtient un peu de lumière lorsqu’on lit qu’un nombre est une partie (pars)

2


d’un nombre, le plus petit du grand, lorsque le plus petit mesure le plus grand. Par

contre, un nombre est parties (partes) d’un nombre quand il ne le mesure pas. Ce que

signifie le signe 1 est partie dans : 2 définition : 1, 1. Ce que signifie le signe 1 est parties

dans : 2 somme = 1 + 1.

Ainsi, un nombre est un assemblage de plusieurs unités formant un composé ; chacune

de ces unités est une partie du nombre quand le nombre mesure ; par contre, lorsque le

nombre ne mesure pas, ces unités sont parties d’un nombre. Il importe de remarquer

que c’est le nombre qui mesure, ou pas, et non l’unité. Ces subtilités selon lesquelles

sont distinguées la partie, écrite au singulier grammatical, et les parties, écrite au pluriel

grammatical, conduit à une interrogation à propos d’une notion fort importante sur

laquelle on reviendra plus loin (p. 28) à propos de l’idéologie : la mesure.

Le nom nombre vient du latin numerus, composé de la particule négative nu, qui signifie

non, et du mot merus, ainsi défini au Dictionnaire illustré latin-français 4 de Félix Gaffiot :

Seul, unique, rien que, en 2, est ce que Félix Gaffiot retient comme sens figuré de

merus. En apposant la particule négative nu à merus dans numerus, on affecte ce seul,

ce unique, ce rien que, d’une négation, ce qui est indispensable à l’acte consistant à

4

https://www.lexilogos.com/latin/gaffiot.php?q=cohaereo

3


mesurer. En effet, parmi les multiples acceptions que peut prendre le verbe mesurer, il

en est une selon laquelle mesurer se prend avec une idée de comparaison 5.

Comparaison n’est pas raison, dit un proverbe français bien connu ayant pour origine

latine : Omnis comparatio claudicat. Or, le nom comparaison se compose de com, de

par, et de raison, ce en quoi il diffère bien de raison pris seul. Comparaison signifie

l’action de comparer dont le fruit consiste à découvrir du pareil, une parité dont le

caractère d’unité, au sens où Euclide l’emploie — L’unité est ce selon quoi chacune des

choses existantes est dite une — est signifié avec com, ce qui implique une mesure,

que signifie ici raison. Au cinquième livre de ses Éléments, Euclide définit raison (en

grec : logos ; en latin : ratio) comme suit : Une raison est une certaine manière d’être

(habitudo) de deux grandeurs homogènes suivant la quantité 6. Une comparaison,

comme action de comparer, recherche une parité : rapport de similitude entre deux

êtres 7.

La partie d’un nombre qui mesure n’est pas un rien que, parce qu’elle est considérée

comme incluse dans un assemblage composé. Composition est l’action de composer

consistant à poser comme un (signifié par com) au sens de l’unité d’Euclide. Par contre,

les parties d’un nombre qui ne mesure pas ne sont pas prises comme incluses dans un

assemblage composé, un assemblage qualifié par ce mode précis que définit composé.

Un assemblage composé d’unités est précisément dit composé lorsque chaque partie

compose un nombre qui mesure, ce sans quoi l’assemblage d’unités n’est pas

composé. Un moteur mis en pièces éparses posées sur le sol ne compose pas un

moteur, un assemblage qui peut mouvoir. Partie, écrit au singulier grammatical, signifie

un particulier dans le carré d’Apulée où singulier est pris au sens de merus.

Ces considérations euclidiennes suffisent pour introduire les oppositions selon

lesquelles on peut et on doit distinguer la notion constituée comme universel pris

universellement, comme universel pris particulièrement, et comme singulier, dans le

5

6

7

CNRTL : https://www.cnrtl.fr/definition/mesurer

https://archive.org/details/lesoeuvresdeucli01eucl/page/234/mode/2up

CNRTL : https://www.cnrtl.fr/definition/parité

4


carré d’Apulée. Aristote définit universel comme suit : λέγω δὲ καθόλου μὲν ὃ ἐπὶ

πλειόνων πέφυκε κατηγορεῖσθαι, καθ´ ἕκαστον δὲ ὃ μή ; J'entends par universel

(καθόλου) ce qui, par sa nature (πέφυκε) , peut être attribué à plusieurs; et par

singulier (ἕκαστον), ce qui ne le peut pas.

8

Dans le carré d’Apulée, l’universel pris

universellement et le singulier sont des contraires, l’universel pris universellement et le

non-universel pris universellement sont des contradictoires, ainsi que sont des

contradictoires le singulier et le non-singulier, alors que le non-singulier et le nonuniversel

pris universellement sont des sous-contraires. La conjonction des deux souscontraires

non-singulier et non-universel pris universellement, autrement dit ce qui est à

la fois non-singulier et non-universel pris universellement, est nommé avec le nom

universel pris particulièrement, noté ici en abrégé particulier 1 pour non-singulier, et en

particulier 2 pour non-universel pris universellement ; si on abrège le nom universel pris

universellement en universel, on obtient le carré d’Apulée suivant :

contraires : universel <—> singulier

sous-contraires : particulier 1 <—> particulier 2 9

Les subtilités selon lesquelles sont distinguées partie, écrite au singulier grammatical, et

parties, écrite au pluriel grammatical, a conduit à une interrogation à propos de la notion

de mesure, tout en remarquant que c’est le nombre, pris comme assemblage composé

d’unités, qui mesure. Revenons au point et à la ligne. Dans une ligne, on peut distinguer

une partie qu’on nomme avec le nom : segment. Aucun segment de ligne n’est un point

puisque le point est ce dont la partie est nulle, ou ce qui n’a aucune partie, bien que tout

tel segment soit entre deux points lorsque la ligne est segmentée en acte. Or, dans le

carré d’Apulée présenté plus haut, le singulier est comparable à un point ; et le

particulier, à un segment de ligne ; et l’universel est comparable à une ligne.

Autrement dit, dans le carré d’Apulée présenté plus haut, le singulier est comparable à

parties, le particulier à partie, et l’universel à nombre. Thomas d’Aquin l’exprime ainsi :

8

9

Aristote, De l’interprétation, 17a 38 ; http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/hermeneia7.htm

Sont des contradictoires : universel <—> particulier 2 ; et singulier <—> particulier 1.

5


Or, ce que la forme requiert d’abord, c’est la détermination ou proportionnalité de ses principes,

soit matériels, soit efficients et c’est ce qu’on entend par le mode ; c’est pourquoi on dit que la

mesure fixe ce que doit être le mode. C’est la forme qui est signifiée par l’espèce, car chaque

chose est constituée dans son espèce par sa forme, et c’est pourquoi il est dit que le nombre

désigne l’espèce. Car, d’après le Philosophe [il s’agit d’Aristote], les définitions qui expriment

l’espèce sont comme les nombres. En effet, comme l’unité ajoutée ou soustraite au nombre en

fait varier l’espèce, de même, dans les définitions, une différence ajoutée ou soustraite. 10

Avant de poursuivre l’interrogation en cours sur l’idéologie, il est utile de considérer la

tâche théorétique que, comme Pierre, on vient d’accomplir pour un aspect de

l’enseignement qui est exposé dans les Éléments d’Euclide, et ce, comme un

mathématicien qui s’adonne à la géométrie, comme un géomètre, et de la comparer à

la tâche technique d’un arpenteur-géomètre, celle de mesurer et d'arpenter les terres,

de faire des relevés de terrain au moyen de certains instruments de mesure et

d’optique 11.

L’arpenteur-géomètre doit connaître la géométrie d’Euclide. On sait que des géométries

non-euclidiennes furent formulées dès le XIX e siècle

12. Dans l’exercice de sa

profession, l’arpenteur-géomètre semble s’en tenir à la géométrie d’Euclide si on en

juge par ce qu’il produit : un cadastre des terrains, et des certificats de leur localisation.

En plus de ses connaissances en géométrie euclidienne, l’arpenteur-géomètre doit

encore maîtriser l’usage de ses instruments, ce qu’il n’apprend pas dans un traité de

géométrie ; il l’apprend en lisant le mode d’emploi, et surtout en s’exerçant à leur emploi

pendant ses études. Dans l’exercice de sa profession, l’arpenteur-géomètre doit encore

venir à bout d’obstacles qui viennent du terrain qu’il parcourt afin de l’arpenter, ou de

difficultés qui viennent des interactions humaines sur le chantier et qui entravent

légèrement ou lourdement son action technique. Parmi ces obstacles ou difficultés,

10 Somme théologique, Iª q. 5 a. 5 : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/sommes/

1sommetheologique1apars.htm#_Toc484618177 ; Praeexigitur autem ad formam determinatio sive

commensuratio principiorum, seu materialium, seu efficientium ipsam, et hoc significatur per modum,

unde dicitur quod mensura modum praefigit. Ipsa autem forma significatur per speciem, quia per formam

unumquodque in specie constituitur. Et propter hoc dicitur quod numerus speciem praebet, quia

definitiones significantes speciem sunt sicut numeri, secundum philosophum in VIII Metaphys.; sicut enim

unitas addita vel subtracta variat speciem numeri, ita in definitionibus differentia apposita vel subtracta.

https://www.corpusthomisticum.org/sth1003.html#28451

11

CNRTL : https://www.cnrtl.fr/definition/arpenteur

12 Jean-Luc Chabert, Les géomètres non-euclidiennes, Repères - IREM, n° 1, octobre 1990, p. 69 ; http://

numerisation.irem.univ-mrs.fr/WR/IWR97004/IWR97004.pdf

6


certaines sont particulières, en ce sens qu’elles peuvent pareillement se rencontrer en

d’autres sessions de travail, alors que certaines autres sont singulières, en ce sens

qu’elles sont uniques, sans pareilles, qu’elles sont merus.

Alors que l’arpenteur-géomètre est en pleine exécution de sa tâche technique sur ce

terrain, et qu’il y rencontre ces obstacles ou difficultés, des émotions associées à des

mutations corporelles, des pulsions, satisfaisantes ou pas, peuvent naître en son for

interne psychique et corporel. Il se doit alors d’accomplir sa tâche pratique, consistant à

maîtriser celles qui sont particulières, et celles qui sont singulières. Par exemple,

l’arpenteur-géomètre Roger Ladouceur rencontre toujours un chef de chantier

particulier avec qui il entre en interaction lors d’une intervention. Mais, ce fut

singulièrement difficile le 5 janvier 2003, lors de la pause de 10 heures, avec le chef de

chantier Jacques Bataille dont il venait de dénoncer une malfaçon au maître d’œuvre ;

une rixe les mit aux prises.

La contemplation théorétique implique la formation d'une connaissance intellective dont

la réalisation exige de faire abstraction du singulier, mais pas du particulier. Elle porte

sur le nécessaire et le contingent. La maîtrise des émotions et des mutations

corporelles les accompagnant ne se réalise pas en faisant abstraction du singulier ; au

contraire, elle exige une réalisation se traduisant par une confrontation avec le singulier,

dans le for interne ; elle ne porte que sur le contingent. La maîtrise de la fabrication

d’objets naissant dans le for externe exige aussi une réalisation se traduisant par une

confrontation sensible avec le singulier, et elle porte aussi sur le contingent.

~~~ ¥ ~~~

7



ÉLÉMENTS D’UNE RÉPONSE PARTIELLE

Est nécessaire ce qui est et ne peut pas ne pas être, ou ce qui n’est pas et ne peut pas

être. Par contre, est contingent ce qui est et peut ne pas être, ou ce qui n’est pas et

peut être ; maîtriser sa colère, née de la panne affectant son grille-pain, ou maîtriser la

technique à mettre en œuvre pour le réparer, exige du contingent.

Le singulier est ce qui est incomparable à un autre. Faire abstraction du singulier

consiste à ne retenir que le comparable, i.e. une ressemblance (universel pris

universellement) entre des ressemblants (universel pris particulièrement). La

connaissance d’une ressemblance entre des ressemblants est intellective ; la notion

intelligible de bouleau, cet arbre de la famille des Bétulacées qui pousse dans les pays

froids et tempérés

13, est saisie par l’intellect théorétique. La connaissance du singulier

est sensitive, procède des sens ; je vois ce bouleau avec mes yeux, je le touche avec

mes mains, et ce, sans être tenu d’avoir à l’esprit qu’il s’agit d’un arbre de la famille des

Bétulacées qui pousse dans les pays froids et tempérés.

Ce qui est et peut ne pas être, ainsi que ce qui n’est pas et peut être, soit le contingent,

exigent un sujet mobile, un sujet à mouvement impliquant une durée. Le sujet mobile

est celui qui peut être mû, soit qu’il soit actuellement mû tout en étant en puissance

d’être au repos ou de ne plus être mû, soit qu’il soit au repos tout en étant en puissance

d’être mû ; le sujet immobile est celui qui n’est pas mû et ne peut pas être mû. Ce qui

n’est pas et ne peut pas être est impossible. Ce qui est et ne peut pas ne pas être, le

nécessaire, peut impliquer un sujet immobile, un sujet qui est affranchi de tout

mouvement et de toute durée, mais peut aussi impliquer un sujet mobile, un sujet à

mouvement impliquant une durée.

Tout mouvement (en latin : motus) est un continu qui est décomposable en moments

particuliers (en latin : momentum). Le moment est une partie du mouvement, partie au

sens d’Euclide. Et toute durée est un continu qui est décomposable en instants

particuliers qui la mesurent en termes de passé, de présent, et de futur. Un instant est

13

https://www.cnrtl.fr/definition/bouleau

9


une partie de la durée, partie au sens d’Euclide. Dans instant, la particule négative

universelle in affecte stant qui, lui vient du verbe stare qui signifie : se tenir immobile.

L’instant ne se tient pas immobile, et ne peut pas se tenir immobile.

En français , l’expression stat se trouve en plusieurs mots, parfois comme préfixe,

parfois comme suffixe, parfois comme ni l’un ni l’autre. Comme préfixe

14, on la trouve,

entre autres, dans : statique, pour l’absence de mouvement ; stationner, pour rester à la

même place. Comme suffixe

15, dans : thermostat, le dispositif pour maintenir une

température constante. Comme ni préfixe ni suffixe, dans : persistance, dont l’antonyme

est inconstance. Bref, l’instant est inconstant puisqu’il ne persiste pas et ne peut pas

persister, et ce, en toutes circonstances.

Ce qui est et ne peut pas ne pas être, le nécessaire, lorsqu’il implique un sujet mobile,

présente deux cas de figure :

a) le nécessaire de composition,

b) le nécessaire de succession.

Par exemple, la mise en présence d’une flamme et d’un combustible en état adéquat

d’inflammabilité cause un incendie, et ce, par nécessité de composition d’une flamme et

d’un tel combustible mis simultanément en présence de l’une, la flamme, et de l’autre,

le combustible. Le nécessaire de succession assure la continuité du mouvement de

telle manière que ce qui est et ne peut pas ne pas être traverse nécessairement

l’intervalle qui va de son présent vers son futur en engendrant ainsi son passé. Ainsi,

bien que la mise en présence d’une flamme et d’un combustible en état adéquat

d’inflammabilité cause un incendie, la naissance d’un incendie peut être empêchée, ou

un incendie né peut être éteint, ce qui serait impossible si l’incendie, qui est un

nécessaire de composition, était aussi un nécessaire de succession.

14 SENSEGATES SARL (FRANCE), http://mots-croises.sensagent.com/prefixes/francais/motscommencant-par-STAT.html?pn=2&pages=0-4315467

15 op. cit., http://mots-croises.sensagent.com/suffixes/francais/mots-finissant-par-STAT.html?

pn=2&pages=0-2448228

10


Ces considérations introduisent deux autres cas de figure pour le nécessaire : le

nécessaire inconditionnel, et le nécessaire conditionnel. Le nécessaire inconditionnel

est celui qui s’énonce à propos de ce dont on parle, du sujet S, comme suit : il est

nécessaire que S soit. Le nécessaire conditionnel est celui qui s’énonce à propos de ce

dont on parle, du sujet S, pour dire ce qui lui arrive, ainsi : si S est, alors il est

nécessaire qu’il soit P.

Le contraire du nécessaire inconditionnel, ainsi défini : il est nécessaire que S soit, est

un nécessaire inconditionnel, ainsi défini : il est nécessaire que S ne soit pas ; il est

impossible que S soit est son équivalent. Le contradictoire du nécessaire inconditionnel,

ainsi défini : il est nécessaire que S soit, est le contingent ainsi défini : il n’est pas

nécessaire que S soit. Le contradictoire du contraire du nécessaire inconditionnel, ainsi

défini : il est nécessaire que S ne soit pas, est le contingent ainsi défini : il n’est pas

nécessaire que S ne soit pas.

Le contraire du nécessaire conditionnel, ainsi défini : si S est, alors il est nécessaire

qu’il soit P, est le nécessaire conditionnel ainsi défini : si S est, alors il est nécessaire

qu’il ne soit pas P. Le contradictoire du nécessaire conditionnel ainsi défini : si S est,

alors il est nécessaire qu’il soit P, est le contingent ainsi défini : si S est, alors il n’est

pas nécessaire qu’il soit P.

Le contradictoire du nécessaire affirmatif, inconditionnel ou conditionnel, est le

contingent négatif, qui s’énonce : il est possible que… ne soit pas. Le contradictoire du

nécessaire négatif, inconditionnel ou conditionnel est le possible affirmatif, qui

s’énonce : il est possible que… soit… En effet, il est possible équivaut à il n’est pas

nécessaire.

Le passé présente deux cas de figure :

a) celui du passé révolu : S fut, et n’est plus. ;

b) celui du passé composé avec le présent : S a été, et est encore.

11


Connaître le passé révolu, dit aussi simple, est un acte de connaissance qui intervient

toujours en un présent, le présent signifié avec le est dans n’est plus, qui exprime la

rupture d’une continuité, un présent situé après le passé révolu signifié avec le fut dans

S fut. Évidemment, il est possible que S fut, et ce, sans que personne ne le connaisse,

sans que personne ne puisse dire : S fut, et n’est plus. Le passé révolu est ainsi un

nécessaire inconditionnel ; en effet, si S fut en réalité, il est impossible que S ne fut pas.

L’enquête de police sur un meurtre, par exemple, est un acte de connaissance qui

intervient après le fait accompli, le meurtre, et l’auteur du meurtre ne peut pas agir de

telle manière que le meurtre ne fut pas commis. Le passé composé, i.e. composé avec

le présent, s’énonce comme suit : S a été, et est encore. L’acte de connaissance qui

intervient est aussi en un présent ; le présent, ici signifié avec le est dans est encore,

est exprimé en continuité avec le passé signifié avec le a été, en signifiant l’absence de

rupture. Dans la langue courante, il arrive souvent que le locuteur se contente de dire :

S a été, et il arrive aussi fréquemment que le locuteur dise : S a été pour signifier un

passé révolu, au lieu de dire : S fut. Le passé composé est ainsi un nécessaire

inconditionnel pour ce qui est passé. Qu’en est-il pour la suite, le présent ? Si la jonction

qu’exprime composé dans passé composé est sujette à un nécessaire de succession, il

s’agit d’un nécessaire inconditionnel, sinon il est conditionnel.

Le futur présente aussi deux cas de figure :

a) ou bien il est nécessaire ;

b) ou bien il est contingent.

Tout futur, nécessaire ou contingent, implique un présent qui le précède. Le futur

nécessaire est un nécessaire de succession. Le futur contingent est un nécessaire de

composition qui n’est pas encore composé, mais qui est composable de telle manière

qu’il peut devenir composé. Le futur contingent est encore un nécessaire de

composition qui est composé, mais qui est décomposable de telle manière que, dans

l’avenir, il peut devenir décomposé. Le futur contingent peut aussi ne pas être un

nécessaire, et n’être que purement accidentel, notamment dans l’évènement causé par

la chance ou par le hasard. Par exemple, je me rends au marché pour me procurer de

12


la nourriture, et il arrive que, par chance, j’y rencontre mon voisin de palier ; dans la

coïncidence qui arrive par chance, la simultanéité implique un acte de libre arbitre chez

les coïncidants. Je me rends au marché pour me procurer de la nourriture, et il arrive

que, par hasard, je suis témoin du fait que la foudre frappe la girouette sise sur le toit de

la mairie ; dans la coïncidence qui arrive par hasard, manque un acte de libre arbitre

chez l’un des coïncidants, ou même chez les deux comme dans : Au moment où l’orage

s’abattit sur le pâturage, la foudre frappa la chèvre qui y broutait. Évidemment, le

locuteur qui prononce cette phrase eut la chance d’être présent à l’évènement.

Comme le futur, nécessaire ou contingent, n’est pas encore, puisqu’il n’est alors que

connaissable qu’il sera, il implique alors un acte de connaissance qui, lui, intervient

toujours en un temps présent qui précède le futur anticipé. Par exemple, au moment où

je me procure un billet de loterie, je connais présentement que je peux gagner un lot

lors du tirage au sort à venir, si le tirage a lieu dans des conditions équitables. Par

contre, au moment où je lis cette phrase, je connais présentement que, étant mortel, je

mourrai nécessairement, bien que je ne connaisse pas encore le point final du

mouvement et le point final de la durée auxquels je mourrai. Notons que la mort ne fait

pas partie de la vie puisque la fin de la vie est comme un point, donc sans partie, se

trouvant à l’extrémité d’une ligne continue placée entre ses points, précise Euclide.

Aucun homme ne connaît ni ne peut connaître sa mort singulière ; au point final qu’est

la mort, ne se trouvent ni moment ni instant, à proprement parler. Au dernier instant de

la vie, l’homme peut dire : Je suis en train de mourir, mais au point final de la mort,

aucun homme ne peut dire : Je suis mort.

Connaître le présent, en vérité ou en vraisemblance

16, implique toujours un acte de

l’imagination accompli au présent. Connaître le futur en tant que futur, en vérité ou en

vraisemblance, implique toujours un acte de l’imagination accompli au présent, que

peut accompagner un acte de réminiscence impliquant la mémoire, et le réel présent

n’est pas l’évènement lui-même : ce sont des signes avant-coureurs. Il en est de même

16 Le vraisemblable est semblable au vrai, mais ce qui apparaît comme semblable au vrai peut se révéler

faux lors d’une réduction analytique. C’est pourquoi il arrive qu’on commette une erreur. Un fauxsemblant

parvient à induire en erreur s’il est bien présenté sous l’apparence trompeuse du vraisemblable.

13


lorsqu’il s’agit de connaître le passé en tant que passé : ce sont des signes aprèscourus,

pourrait-on dire, des vestiges.

Connaître le futur en tant que futur, ou le passé en tant que passé, est-il un acte de

l’intellect théorétique, un acte consistant à contempler un objet donné à connaître et

connu au moyen d’une représentation mentale ? Oui, mais en faisant abstraction du

singulier, notamment du point singulier du mouvement et du point singulier de la durée

où l’évènement arriva ou arrivera, d’une part, et surtout en se gardant des émotions qui

peuvent naître de la description de l’évènement passé ou des difficultés anticipées dans

le futur, d’autre part. Par exemple, l’historien qui, présentement, étudie la naissance de

la traite d’esclaves dite atlantique en Occident, peut parvenir à une représentation

mentale vraie ou vraisemblable faisant abstraction du singulier, puisqu’il n’est lui-même

nullement impliqué dans la conjoncture singulière pertinente. 17

Lorsqu’il s’agit de connaître le futur en tant que futur, ou le passé en tant que passé,

dans un acte de connaissance pratique ou un acte de connaissance technique, le

problème se pose différemment. Dans un tel cas, l’acte de connaissance exigible

s’inscrit alors dans un ici et maintenant qui, par définition, ne fait pas abstraction du

singulier puisqu’on y est singulièrement plongé. L’acte de connaissance pratique ou de

connaissance technique s’inscrit dans un mouvement qu’il s’agit d’accomplir ici et

maintenant, et ce, en tenant compte du poids qu’impliquent le passé et le futur

immédiats, poids qui fait naître des émotions et des mutations corporelles, pour la tâche

pratique, ou des doutes, pour la tâche technique. Par exemple, pour la pratique, le

mariage que je contracte ici et maintenant va-t-il tenir longtemps, ou est-ce que je

commets une erreur à cet égard ? Par exemple, pour la technique, le pont que je suis à

construire ici et maintenant va-t-il tenir debout, ou est-ce que je commets une erreur ?

Lorsqu’il s’agit de connaître le futur en tant que futur, ou le passé en tant que passé, et

ce, dans une acte de connaissance pratique, cet acte consiste à délibérer, un mot où

17 Évidemment, il demeure possible à cet historien d’être ému par une répulsion en lisant la description

des conditions où vécurent ces esclaves, mais cette émotion ne fait pas partie de l’histoire qu’il raconte

puisqu’il n’était pas là. Quant à son futur, cette émotion peut conduire cet historien à espérer ne pas avoir

à vivre dans de telles conditions.

14


libérer est manifestement présent. Délibérer, c’est accomplir un acte de libre arbitre.

Dans l’expression libre arbitre, le terme important est arbitre, que le terme secondaire

libre qualifie. Délibérer, c’est prendre en considération toutes les circonstances de la

conjoncture objective future dans laquelle s’inscrira mon action afin de déterminer

l’issue qui sera préférable pour moi, d’une part, et pour les autres participants à la

conjoncture, d’autre part. Alors que chacun de plusieurs autres et moi participons à une

même conjoncture, ce que je préfère et ce que préfère chacun des autres participants à

la conjoncture peuvent être convergents ou divergents, en tout ou en partie.

Évidemment, délibérer sur les circonstances d’une conjoncture objective future dans

laquelle s’inscrira mon action, et ce, sans que d’autres participent à cette même

conjoncture, n’implique que de déterminer l’issue qui sera préférable pour moi seul.

Dans la prise en considération d’une conjoncture commune à plusieurs participants,

dont moi, conjoncture où moi et plusieurs autres sont partie, et non parties, au sens

d’Euclide, il importe que chacun d’eux et moi apprécions bien ce qui, dans l’enjeu

commun qui doit revenir à ceux qui sortiront gagnants à l’issue de la joute, gagnants

dont chacun espère être, et ce, du point de vue de chacun, dont le mien, parce que la

mise de chacun, dont la mienne, risque d’être perdue au cours de la joute. L’enjeu

commun, ce bien commun constitué de la mise de chacun, inclut celle du perdant qui,

lui, est exclu de toute issue heureuse.

Si la délibération est l’action de délibérer, son fruit est un délibéré, c’est-à-dire une

décision délibérée à exécuter en acte, un choix réfléchi d’une action : soit de se

commettre ou de s’abstenir, soit de se commettre en tel sens ou tel autre sens. Par

ailleurs, dans une conjoncture où plusieurs participent, ceux qui agissent en

concertation, ceux qui agissent dans une action où ils se concertent, engendrent un

concert qui est leur fruit commun, et qui constitue le bien commun poursuivi par ceux

qui agissent en concertation pour l’atteindre. C’est ainsi qu’ils participent à la prise

d’une même décision délibérée à exécuter en acte, et qu’ils y adhèrent pendant toute la

durée de l’exécution, et ce, de concert, sans défection. Par exemple, le concert que

donnent les instrumentistes d’un orchestre symphonique est le fruit de leur concertation

15


dans l’exécution de leurs partitions respectives, et ce, à titre de partie au sens

d’Euclide ; à titre de parties, une cacophonie se substituerait au concert.

Or, l’exécution d’une décision délibérée est un mouvement au cours duquel des

obstacles prévus ou même imprévus surgissent, si bien qu’une reconsidération des

circonstances de la conjoncture objective dans laquelle mon action est en cours de

déploiement peut s’imposer. Alors que, avant l’exécution, la conjoncture envisagée

n’inclut pas encore mon action, pendant l’exécution, la conjoncture l’inclut ; autrement

dit, l’inclusion de mon action dans la conjoncture fait naître une contrainte naissant de

cette inclusion même, et il en est de même pour tous les participants à la conjoncture.

Cette contrainte implique un passé en tant que passé et un futur en tant que futur, ainsi

que le présent qui se trouve à leur jonction commune et qui en dépend dans une

certaine mesure. Dans le cas d’une décision délibérée et exécutée à plusieurs, agissant

de concert, le passé en tant que passé et le futur en tant que futur des coalisés, en tant

que coalisés, s’ajoutent à ceux des sujets singuliers. C’est ainsi que, lorsqu’il s’agit de

connaître le futur en tant que futur, ou le passé en tant que passé, dans un acte de

connaissance pratique ou un acte de connaissance technique, le problème se pose

d’une manière essentiellement différente de la manière dont se présente l’acte de

connaissance théorétique dont le fruit est une théorie faisant abstraction du singulier.

Théorétiquement parlant, participer à un combat livré sur un champ de bataille, au

cours d’une guerre, implique le risque d’y perdre la vie, alors que l’auteur de cette

théorie, en tant qu’auteur de cette théorie, n’affronte pas ce risque. Pratiquement et

techniquement parlant, participer à un combat livré sur un champ de bataille, au cours

d’une guerre, et ce, de ma position dans un même ordre de bataille où plusieurs autres

tiennent chacun une autre position, ici et maintenant, implique le risque couru que ce

soit moi qui meurs, plutôt qu’un autre.

Et ce qu’on vient d’écrire à propos d’un combat livré sur un champ de bataille n’est que

parole théorétiquement prononcée alors qu’on est assis devant un feuillet, et non une

16


parole prononcée par un combattant retranché dans sa tranchée qui, lui, la dirait

pratiquement et techniquement parlant.

La question : qu’est-ce qu’une idéologie ? reçoit ainsi une première réponse, partielle :

l’idéologie n’est pas qu’une théorie. Mais alors, qu’est-ce d’autre ?

~~~ ¥ ~~~

17



ÉLÉMENTS D’UNE RÉPONSE COMPLÈTE

Le nom idéologie fut introduit dans le lexique français par Antoine Destutt de Tracy

(1754-1836) 18, pour signifier une philosophie que le Centre national de ressources

textuelles et lexicales présente ainsi :

Science des idées (au sens général des faits de conscience), de leur nature, de leur rapport avec

les signes qui les représentent, et surtout de leur origine (qu'elles tirent de la seule expérience

sensible, continuation du sensualisme de Condillac) 19

L’origine étymologique du mot idéologie se trouve en grec ancien : eidos, logos. On est

déjà familier avec cette idée qui, dans la philosophie d’Aristote, se présente autrement

que chez Antoine Destutt de Tracy, en ces termes :

Or, ce que la forme requiert d’abord, c’est la détermination ou proportionnalité de ses principes,

soit matériels, soit efficients et c’est ce qu’on entend par le mode ; c’est pourquoi on dit que la

mesure fixe ce que doit être le mode. C’est la forme qui est signifiée par l’espèce, car chaque

chose est constituée dans son espèce par sa forme, et c’est pourquoi il est dit que le nombre

désigne l’espèce. Car, d’après le Philosophe [il s’agit d’Aristote], les définitions qui expriment

l’espèce sont comme les nombres. En effet, comme l’unité ajoutée ou soustraite au nombre en

fait varier l’espèce, de même, dans les définitions, une différence ajoutée ou soustraite. 20

Antoine Destutt de Tracy, ce militaire, politologue, homme politique et intellectuel

français, très influent en France à son époque, celle de Napoléon Bonaparte, eut aussi

un rayonnement intellectuel significatif aux États-Unis d’Amérique, au point que Thomas

Austrian economist, d’autre part.

21

Le Mises Institute, fondée par Ludwig von Mises, est

une institution qui enseigne l’école autrichienne d’économique, une théorie de la vie

économique qualifiée de praxéologie. Murray N. Rothbard écrit :

Jefferson le fréquenta, d’une part, et que Timothy D. Terrell le présente comme a proto-

18 https://www.napoleon.org/histoire-des-2-empires/biographies/destutt-de-tracy-antoine-comtede-1754-1836-ecrivain-senateur/

19

CNRTL : https://www.cnrtl.fr/definition/idéologie

20 Somme théologique, Iª q. 5 a. 5 : Praeexigitur autem ad formam determinatio sive commensuratio

principiorum, seu materialium, seu efficientium ipsam, et hoc significatur per modum, unde dicitur quod

mensura modum praefigit. Ipsa autem forma significatur per speciem, quia per formam unumquodque in

specie constituitur. Et propter hoc dicitur quod numerus speciem praebet, quia definitiones significantes

speciem sunt sicut numeri, secundum philosophum in VIII Metaphys.; sicut enim unitas addita vel

subtracta variat speciem numeri, ita in definitionibus differentia apposita vel subtracta. ; http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/sommes/1sommetheologique1apars.htm#_Toc484618177 ; https://

www.corpusthomisticum.org/sth1003.html#28451

21 Timothy D. Terrell, The Economics of Destutt de Tracy, Mises Institute, 11/28/2008, https://mises.org/

library/economics-destutt-de-tracy

19


La praxéologie repose sur l’axiome fondamental que les êtres humains individuels agissent,

c’est-à-dire sur le fait primordial que les individus s’engagent dans des actions conscientes vers

des objectifs choisis. Ce concept d’action contraste avec un comportement purement réflexif, ou

réflexe, qui n’est pas dirigé vers des objectifs. La méthode praxéologique tire un discours des

implications logiques de ce fait primordial. En bref, l’économie praxéologique est la structure des

implications logiques du fait que les individus agissent. Cette structure est construite sur l’axiome

fondamental de l’action, et a quelques axiomes subsidiaires, tels que que les individus varient et

que les êtres humains considèrent les loisirs comme un bien précieux. Je réfère tout sceptique à

l’idée de déduire d’une base aussi simple tout un système d’économie à Action humaine de

Mises. En outre, puisque la praxéologie commence par un véritable axiome, A, toutes les

propositions qui peuvent être déduites de cet axiome doivent également être vraies. Car si A

implique B, et A est vrai, alors B doit également être vrai. 22

Le nom praxéologie vient du grec praxis, et logos ; la praxéologie est un discours

théorétique portant sur l’action pratiquée dans la vie économique. Prétendre que

l’économie praxéologique est la structure des implications logiques du fait que les

individus agissent, comme le dit Rothbard, soulève plusieurs questions. Elles seront

abordées de manière indirecte au cours de l’examen d’une autre acception du mot

idéologie que le Centre national de ressources textuelles et lexicales recense comme

suit :

Ensemble plus ou moins cohérent des idées, des croyances et des doctrines philosophiques,

religieuses, politiques, économiques, sociales, propre à une époque, une société, une classe et

qui oriente l'action.

Dans cette seconde définition, l’expression principale est celle qui est ci-après

soulignée : Ensemble plus ou moins cohérent de… qui oriente l’action. C’est ce principe

qui est au cœur de la thèse que soutient Rothbard. L’idéologie oriente l’action qui, elle,

se situe dans l’ordre pratique et dans l’ordre technique, et ce, même si on peut aussi en

parler théorétiquement, ce qu’on est en train de faire, et ce que fit Rothbard. Mais, une

théorie de l’agir, en tant que discours théorétique, ne consiste jamais à agir ici et

22 Murray N. Rothbard, Praxeology : The Methodological of Austrian Economics, Mises Institute, 2019 ;

https://mises.org/wire/rothbard-praxeology ; Praxeology rests on the fundamental axiom that individual

human beings act, that is, on the primordial fact that individuals engage in conscious actions toward

chosen goals. This concept of action contrasts to purely reflexive, or knee-jerk, behavior, which is not

directed toward goals. The praxeological method spins out by verbal deduction the logical implications of

that primordial fact. In short, praxeological economics is the structure of logical implications of the fact that

individuals act. This structure is built on the fundamental axiom of action, and has a few subsidiary

axioms, such as that individuals vary and that human beings regard leisure as a valuable good. Any

skeptic about deducing from such a simple base an entire system of economics, I refer to Mises's Human

Action. Furthermore, since praxeology begins with a true axiom, A, all the propositions that can be

deduced from this axiom must also be true. For if A implies B, and A is true, then B must also be true.

20


maintenant. Rothbard ne l’ignore pas puisqu’il écrit qu’il est un fait primordial que les

individus s’engagent dans des actions conscientes vers des objectifs choisis. Il ajoute

que ce concept d’action contraste avec un comportement purement réflexif, ou réflexe,

qui n’est pas dirigé vers des objectifs. Il a raison de dire que la méthode praxéologique

tire un discours des implications logiques de ce fait primordial. Mais il n’a pas raison

que dire que l’économie praxéologique est la structure des implications logiques du fait

que les individus agissent. Cette structure des implications logiques se trouve et ne se

trouve que dans le discours, et non dans l’économie, dans la vie économique telle que

vécue ici et maintenant par des individus singuliers. Le concept d’action appartient au

discours théorétique, alors que l’action engagée ici et maintenant n’est pas le concept

d’action. On peut donc être considéré comme un sceptique à l’idée de déduire d’une

base aussi simple tout un système d’économie, et la suite va montrer pourquoi l’axiome

fondamental de l’action fait problème, et même l’axiome subsidiaire qui énonce que les

individus varient non seulement en particularité, mais aussi en singularité.

Poursuivant l’examen de la seconde acception du nom idéologie que le Centre national

de ressources textuelles et lexicales recense, on relève l’expression propre à une

époque, une société, une classe, qui qualifie un ensemble plus ou moins cohérent

de… ; elle exprime une disjonction selon laquelle une idéologie peut être propre ou à

une époque, ou à une société, ou à une classe. Qu’une idéologie soit propre à une

époque implique sa contingence ; une autre idéologie peut lui être substituée à une

autre époque. Qu’une idéologie soit propre à une société implique que des sociétés

distinctes peuvent en avoir de différentes, d’où sa contingence. Qu’une idéologie soit

propre à une classe implique que, dans une même société, plusieurs sous-groupes

peuvent en avoir de différentes, d’où sa contingence. Par contre, on peut concéder que,

à toute époque, en toute société, en toute classe, on trouve une idéologie, un ensemble

plus ou moins cohérent de… qui oriente l’action.

En quoi consiste cet ensemble plus ou moins cohérent de… ? En des idées, des

croyances et des doctrines philosophiques, religieuses, politiques, économiques,

sociales. L’expression philosophiques, religieuses, politiques, économiques, sociales.

21


exprime encore une disjonction dont l’ensemble des éléments est plus ou moins

cohérent, et ce, d’une cohérence pertinente à ce que peut admettre une disjonction,

selon qu’elle une alternative ou une équivalence

23. Par contre, l’expression des idées,

des croyances et des doctrines exprime une conjonction d’éléments où interviennent

deux éléments qui peuvent être disparates : des croyances et des doctrines. Une

difficulté s’ajoute donc à l’émergence d’une cohérence entre elles, bien qu’il ne soit pas

impossible de la résoudre. Pour la suite, conservons donc l’expression : ensemble plus

ou moins cohérent d'idées qui oriente l’action.

On comprend ainsi que la seconde acception du nom idéologie, ait pu donner lieu à une

connotation péjorative, et à une connotation méliorative.

Le Centre national de ressources textuelles et lexicales présente l’acception péjorative

en ces termes :

2. [Très fréquemment avec valeur dépréciative]

a) [Dans la philos. marxiste, par opposition aux faits économiques, à la science et à

l'infrastructure, seule déterminante] :

3. Historiquement, [le terme] est entré dans la réflexion sociale avec le marxisme qui lui a donné

tout de suite un sens péjoratif, l'idéologie est le contraire de la science. Elle se présente d'abord

comme une vision du monde, c'est-à-dire une construction intellectuelle qui explique et justifie un

ordre social existant, à partir de raisons naturelles ou religieuses... Mais cette vision n'est en

réalité qu'un voile destiné à cacher la poursuite d'intérêts matériels égoïstes en renforçant et

étendant la domination d'une classe de privilégiés. L'idéologie est donc une superstructure de la

société dont elle émane et qu'elle soutient... Golfin1972.

b) [La valeur dépréciative vient du sentiment que le ressort de l'idéologie est dans le besoin de

justifier des entreprises destinées à satisfaire des aspirations intéressées et qui est surtout

exploité pour la propagande`` (Foulq.-St-Jean 1962)] . Les metteurs en scène russes témoignent

d'une extrême ingéniosité pour extraire une idéologie révolutionnaire des pièces les plus

anodines dans leur version originale (Arts et litt.,1936, p. 30-12) :

4. En ce xx e siècle, où le sens de l'histoire ne s'exprime plus que dans les comportements les

plus profanes de l'homme, sans parler des idéologies qui l'extrapolent dans des systèmes

totalitaires, il n'apparaît pas, à première vue, que la promesse divine joue un grand rôle, par ses

fidèles, dans l'espérance du monde, non plus que dans les idéologies du progrès. Univers écon.

et soc.,1960, p. 64-10.

5. L'idéologie aspire par nature à devenir propagande − c'est-à-dire transmission automatique de

formules magnétisées par une passion d'essence au fond haineuse, et qui ne prend corps qu'à la

condition de s'exercer contre une certaine catégorie d'humains : les juifs, les chrétiens, les francmaçons,

les bourgeois, etc. G. Marcel, Les Hommes contre l'humain, 167 d'apr. Foulq.-St-

Jean1962. L'idéologie officielle. Pareil constat n'épuise pas la question de savoir si l’utilisation,

23

CNRTL : https://www.cnrtl.fr/definition/ou

22


partiellement consciente, de la diversification de l'enseignement supérieur aux fins de réconcilier

l'idéologie proclamée du « droit de tous d'accéder à tout » avec la sélection nécessaire au

maintien des normes professionnelles, est souhaitable ou si l'on peut lui reprocher de coûter cher

pour sauvegarder l'idéologie officielle par une ruse institutionnelle, au détriment d'un effort

pédagogique véritable (Antoine, Passeron, Réforme Univ.,1966, p. 185).

c) [P. oppos. à la philos. dont l'idéologie apparaît comme une vulgarisation] Les idées sont

encombrées d'idéologies, abstractions immobilisées et simplifiées pour une vaste consommation,

qui modèlent les esprits et y résistent à la création spirituelle (E. Mounier, Manifeste du personn.,

11 d'apr. Foulq.-St-Jean1962) :

6. L'idéologie est à la philosophie dans un rapport comparable à celui de la vulgarisation à la

science. Souvent celle-ci, vue à travers celle-là, est méconnaissable : mais la vulgarisation n'en

doit pas moins le jour à la science. J. Monnerot, Les Faits sociaux ne sont pas des ch., 206, ibid.

d) [P. oppos. au sens des réalités] Théorie vague et nébuleuse, portant sur des idées creuses et

abstraites, sans rapport avec les faits réels. Synon. utopie, rêve, idéalisme naïf.Idéologie puérile,

creuse; vague idéologie. Qu'est-ce que tu veux qu'ils foutent, tous ces précurseurs qui attendent

l'heure de l'action? Ils parlent! Ils s'enivrent d'idéologie! Leur activité n'a pas d'autre champ libre

que celui des idées. Nous n'avons pas encore de prise sur les choses (Martin du G., Thib., Été

14, 1936, p. 69) :

7. Idée vaine aussi ce déterminisme qui tente curieusement de faire la synthèse de l'existence et

de l'être. Nous sommes aussi libres que vous voudrez, mais impuissants... Pour le reste, la

volonté de puissance, l'action, la vie ne sont que de vaines idéologies. Beauvoir, Mém. j.

fille,1958, p. 341. 24

Cependant, le Centre national de ressources textuelles et lexicales ne néglige pas de

présenter cet ensemble plus ou moins cohérent d'idées qui oriente l’action d’une

manière méliorative, dite par extension et rare, d’une rareté qui mériterait d’être

remplacée par une certaine abondance dans l’usage courant :

C. − Par extension, rare. Système d'idées, philosophie du monde et de la vie. Dans Tartuffe, il

[Molière] ne bafoue pas la religion, ni exactement le faux dévot; il dessine et peint celui qui abrite

derrière une idéologie ses appétits (Barrès, Cahiers, t. 13, 1920, p. 37).L'idéologie est un

système global d'interprétation du monde historico-politique (Encyclopédie universelle, t. 81970,

s.v. idéologie).

− En particulier, néologisme Idéologie de quelque chose - Théorie sur quelque chose que l'on

veut mettre en valeur. Car le Marché commun représente pour le Français moyen, niveau de vie,

autos, frigos, idéologie de consommation (Le Nouvel Observateur,14 déc. 1966, p. 49, col.

1).Sans doute joue-t-on aussi aux États-Unis des pièces politiques qui ne dépassent pas le

niveau du patronage, mais l'idéologie de « protestation », florissante dans la chanson, a donné

naissance là-bas à quelques œuvres dramatiques tout à fait remarquables (Les Lettres

françaises,20 déc. 1967, p. 18, col. 3). 25

Le nom idéologie, pris en cette acception méliorative, est un système d’idées ou une

philosophie du monde et de la vie, voire un système ou une théorie de quelque chose

24

25

CNRTL : https://www.cnrtl.fr/definition/idéologie

CNRTL : https://www.cnrtl.fr/definition/idéologie

23


que l'on veut mettre en valeur, dit le Centre national de ressources textuelles et

lexicales, quelque chose qui implique une fin qui peut être poursuivie avec des moyens

qui conviennent à son avènement, comme le dirait Rothbard. Un moyen qui ne convient

pas à son avènement est proprement dit en contravention avec la fin à poursuivre. Un

moyen qui convient est une convention, lorsque ce mot est pris en cette acception :

convenir à quelque chose ; être approprié, adapté à cette chose

26. En effet, le mot

convention sert souvent à signifier un accord entre des personnes ; mais qu’il

convienne d’ouvrir la porte afin de pénétrer dans un local dont la porte est fermée

constitue bel et bien ouvrir la porte comme une convention ; il arrive aussi qu’on doive

frapper poliment à la porte pour obtenir qu’on nous l’ouvre, ce qui constitue une autre

sorte de convention. La fin qui peut être poursuivie est soit un bien futur contingent dont

on cherche l’avènement, soit un mal futur contingent dont on cherche l’évitement ; un

bien futur nécessaire ou un mal futur nécessaire n’a pas à être poursuivi puisqu’il va

nécessairement nous tomber dessus. Et, d’une certaine manière, ce qui convient à

l’évitement d’un mal contingent futur se propose d’y contrevenir.

Une idéologie, prise en cette acception méliorative, peut-elle être une théorie sur

quelque chose que l'on veut mettre en valeur, comme le dit le Centre national de

ressources textuelles et lexicales ? Lorsqu’il recense les diverses acceptions du mot

théorie, le Centre national de ressources textuelles et lexicales ne manque pas de

préciser que ce mot s’emploie le plus souvent par opposition à ‘pratique’ — et il aurait

pu ajouter ‘technique’ — et que ce mot revêt des concepts abstraits appliqués à un

domaine particulier :

I. − [Le plus souvent par opposition à pratique]

A. − Ensemble de notions, d'idées, de concepts abstraits appliqués à un domaine particulier. 27

C’est à juste titre que le Centre national de ressources textuelles et lexicales prend soin

de préciser son assertion en employant le terme particulier, et en n’employant pas le

mot singulier. L’explication de cette justesse fut donnée plus haut, là où il fut précisé

que le singulier est incomparable, alors que le comparable nécessite une ressemblance

26

27

CNRTL : https://www.cnrtl.fr/definition/convenir

CNRTL : https://www.cnrtl.fr/definition/théorie/substantif

24


entre des ressemblants à qui cette ressemblance peut être attribuée, et ce,

particulièrement. Chaque ressemblant est une partie d’un tout signifié par la

ressemblance qui, elle, n’existe pas séparément des ressemblants, comparables entre

eux selon cette ressemblance qui leur est commune et qui leur est ainsi

particulièrement appliquée. Mais des singuliers, à ce titre, sont incomparables, n’ayant

en commun que le nom commun singulier. Le comparable est indivis, alors que le

singulier est divis ; or, divis et indivis sont des contraires ne pouvant pas être

simultanément dans un même sujet. Alors que l’individu est en soi indivis, le singulier

est divis par rapport à un autre singulier. Un individu singulier est en soi indivis à titre

d’individu, et divis par rapport à un autre singulier à titre de singulier, ce dont la

praxéologie de Rothbard devrait mieux prendre acte. Et l’individualisme est une

idéologie qui devrait aussi s’en aviser en intégrant les Éléments d’Euclide qui, lui,

distingue partie et parties. En lisant ce que le Centre national de ressources textuelles

et lexicales dit de idéologie en son acception péjorative, on a pu relever ce passage : La

valeur dépréciative vient du sentiment que le ressort de l'idéologie est dans le besoin de

justifier des entreprises destinées à satisfaire des aspirations intéressées. Sauf qu’il est

indispensable à toute entreprise destinée à satisfaire les aspirations intéressées de

ceux qui y participent de recourir à un discours pour la justifier, ce sur quoi on reviendra

plus loin, en recourant au principe de totalité qui anime l’esprit d’équipage

confondre avec le totalitarisme.

28, à ne pas

Lorsque le Centre national de ressources textuelles et lexicales cite l’Encyclopédie

universelle qui écrit : L'idéologie est un système global d'interprétation du monde

historico-politique, l’emploi du terme global n’est pas sans justesse ; le globe dit

terrestre, considéré globalement, présente une surface occupée par de l’eau à 70%, et

de la terre à 30%, ce pourquoi la Terre est aussi nommée planète bleue. Ainsi, comme

ce qui est historique se déploie à la fois au niveau du singulier, du ici et maintenant, et

au niveau du particulier qui varie selon la nature de la ressemblance considérée, ces

deux niveaux exigent une interprétation propre, bien qu’ils puissent être globalement

réunis ; il en va de même pour le politique. Le mot système vient du latin sustema qui

28

Loïc Final, La liberté du commandement L’esprit d’équipage, Éditions des Équateurs, Paris, 2020

25


signifie assemblage. Dans la mesure où cet assemblage donne lieu à la distinction

entre partie et parties, au sens d’Euclide, l’emploi du mot système n’est pas sans

justesse.

Bref, si on emploie le nom idéologie pris en une acception méliorative, on peut retenir

que le mot idéologie signifie :

Ensemble formé d’une décision délibérée d’atteindre une fin future définie qui oriente la mise à

exécution de moyens d’action, dans une conjoncture où coexistent du nécessaire (de

composition, de succession), du contingent, et ce, dans un mouvement continu décomposable en

moments et une durée continue décomposable en instants distribués en un passé, un présent, et

un futur, avec remise en question de la décision lorsque la mise à exécution rencontre des

obstacles pratiques ou techniques singuliers.

Un tel ensemble peut-il être cohérent, et ce, à titre de théorie sur quelque chose que

l'on veut mettre en valeur, comme l’affirme le Centre national de ressources textuelles

et lexicales ?

Qu’est-ce que le Centre national de ressources textuelles et lexicales entend par

cohérence ? Il répond en distinguant implicitement la tâche théorétique, la tâche

pratique et la tâche technique, et ce, avec la justesse que permet le niveau de leur

comparabilité, celui d’une analogie :

B.− Cour., au fig. [En parlant des parties d'un tout ou de ce tout lui-même, p. ex. une pensée, un

discours, une théorie, un ouvrage, etc.]

Harmonie, rapport logique, absence de contradiction dans l'enchaînement des parties de ce

tout. Une parfaite cohérence; assurer la cohérence de qqc.; manquer de cohérence. Synon.

logique, harmonie, unité, vraisemblance. Anton. incohérence, confusion. (…)

− Dans le domaine de l'art (peint., archit., mus., etc.) :

1. ... il y a une logique totale du tableau ou du spectacle, une cohérence éprouvée des

couleurs, des formes spatiales et du sens de l'objet. Un tableau dans une galerie de peinture,

vu à la distance convenable, a son éclairage intérieur qui donne à chacune des taches de

couleurs non seulement sa valeur colorante, mais encore une certaine valeur représentative.

(…)

− [En parlant des membres d'un groupe, d'une équipe, entre eux, ou de cette équipe elle-même

considérée dans son ensemble] Unité continue :

2. ... un « effort fractionné, momentané, éphémère, suivi de revirement et de réaction, devait

naturellement faire souffrir toute notre organisation ». (...). Unité, cohérence, sont les

conditions du service public. Si elles manquent partout et toujours, c'est qu'il manque un

ressort central à l’État. (…) 29

29

CNRTL : https://www.cnrtl.fr/definition/cohérence

26


Cette justesse peut être confirmée en recourant à l’étymologie latine, qu’on trouve

exposée au Dictionnaire illustré latin-français de Félix Gaffiot en ces termes :

cohærentia, æ, f. (cohæreo), formation en un tout compact , connexion, cohésion :(…).

cohæreo,hæsi,hæsum, ere, int ., être attaché ensemble ;

1 [pr. et fig.] être lié, attaché : (…) ;

2. être attaché dans toutes ses parties solidement, avoir de la cohésion, former un tout

compact : (…) 30

Enfin, cette justesse peut être affinée en recourant à l’analogon

décrit par Thomas d’Aquin :

31

de la mesure, ainsi

Mais il faut savoir qu’une réalité est comparée à l’intellect pratique autrement qu’à l’intellect

théorétique. En effet, l’intellect pratique cause les réalités, c’est pourquoi il est la mesure des

réalités qui adviennent par lui ; au lieu que l’intellect théorétique, parce qu’il reçoit en provenance

des réalités, est en quelque sorte mû par les réalités elles-mêmes, et ainsi les réalités le

mesurent. 32

Ces quelques lignes posent et résolvent le problème de la cohérence entre la tâche

théorétique, d’une part, et la tâche pratique et la tâche technique, d’autre part, et ce,

selon une analogie. L’intellect pratique ou technique mesure les réalités qui, à titre

d’effet, adviennent par lui à titre de cause de ces réalités, alors que l’intellect

théorétique est mesuré par ce qu’il reçoit des réalités. L’intellect qui, à titre d’effet, est

mesuré par une réalité présentement existante qui le meut à titre de cause, ne se

transporte pas comme tel dans le rôle de l’intellect pratique ou technique qui, à titre de

cause, fait advenir une réalité future à titre d’effet. Quant à la cohérence entre la tâche

pratique, d’une part, et la tâche technique, d’autre part, les réalités qui, à titre d’effet,

adviennent par l’intellect pratique à titre de cause sont dans le for interne, et les réalités

qui, à titre d’effet, adviennent par l’intellect technique à titre de cause sont dans le for

externe.

30

31

CNRTL : https://www.lexilogos.com/latin/gaffiot.php?q=cohaereo

Le Petit Robert ; analogon : Élément signifiant dans une analogie. Paris, 2018

32 Thomas d’Aquin, De veritate, Question 1 : Qu’est-ce que la vérité ?, Article 2, La vérité se trouve-t-elle

principalement dans l’intelligence, plutôt que dans les réalités ? : Sed sciendum, quod res aliter

comparatur ad intellectum practicum, aliter ad speculativum. Intellectus enim practicus causat res, unde

est mensura rerum quae per ipsum fiunt : sed intellectus speculativus, quia accipit a rebus, est

quodammodo motus ab ipsis rebus, et ita res mensurant ipsum. ; http://docteurangelique.free.fr/

bibliotheque/questionsdisputees/questionsdisputeessurlaverite.htm#_Toc333932555 :

27


Ce que Thomas d’Aquin dit ici de l’intellect pratique vaut aussi pour l’intellect technique.

L’angle droit étudié par le géomètre avec l’intellect théorétique n’est pas l’équerre

qu’emploie le charpentier avec l’intellect technique qui érige une structure à angle droit

avec une peine éprouvée ici et maintenant que n’éprouve pas le géomètre qui, muni de

son crayon, est assis devant son feuillet de papier. C’est ainsi que l’architecte qui

conçoit le plan d’un bâtiment n’éprouve pas les mêmes difficultés que le chef de

chantier qui en gère l’érection ici et maintenant, et ce, même si le même individu

singulier porte le chapeau d’architecte et le chapeau du chef de chantier.

Et c’est précisément ici qu’aboutit l’annonce faite plus haut (p. 3) à propos des subtilités

d’Euclide selon lesquelles sont distinguées la partie au singulier et les parties au pluriel,

subtilités qui conduisent à une interrogation à propos d’une notion fort importante, celle

de mesure. C’est grâce à cet aboutissement qu’on rejoint le propos à tenir sur

l’idéologie.

Pour mieux connaître ce qu’il s’impose d’entendre par analogon, il convient de lire ce

que dit Aristote à propos de la ressemblance pour des choses de genres différents dans

son ouvrage intitulé Topiques :

1. Pour la ressemblance, on peut la trouver même pour des choses de genres différents, en

que le rapport du premier terme relativement à un second, se retrouve d'un autre à un autre. Par

exemple, le rapport que la science soutient relativement à la chose sue, la sensation le soutient

relativement à la chose sentie.

2. La ressemblance peut tenir à ce que de même qu'une première chose est dans une

seconde, de même une autre est dans une autre : comme, par exemple, ce que la vue est dans

l'œil, l'entendement l'est dans l’âme. Et encore, ce que le calme est dans la mer, !'absence de

vent l'est dans l'air. De part et d'autre, c'est un repos.

3. C'est surtout entre les choses qui sont à de grandes distances qu'il faut s’exercer à découvrir

des ressemblances ; car nous pourrons alors plus aisément voir les ressemblances dans les

autres cas.

4. Ce qui n'empêche pas d'examiner aussi, pour !es choses qui sont dans le même genre, si

elles n’ont pas toutes quelque chose d'identique. Par exemple, les ressemblances de l'homme,

du cheval, du chien; car, par cela même qu’il y a en eux quelque chose d'identique. par cela

même aussi ces êtres sont semblables. 33

33 Aristote, Topiques, 108a 6-17, traduit par J. Barthélemy Saint-Hilaire, Librairie De Ladrange, Paris,

1853 ; https://archive.org/details/bub_gb_heuWpieDdBMC/page/n109/mode/2up ; texte grec à : http://

remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/topiques1gr.htm#108a10

28


La comparaison entre l’intellect théorétique, l’intellect pratique et l’intellect technique,

présente une cohérence d’ordre analogique, signifié par l’analogon mesure, tel que le

présente Thomas d’Aquin, puisque leurs tâches se comparent selon le paragraphe 1,

pour le premier et les deux autres, et selon le paragraphe 2, pour les deux autres.

L’intellect théorétique élabore une théorie en faisant abstraction du singulier, et dégage

des ressemblances dont chacune, prise comme un tout indivis, est attribuable à des

ressemblants dont chacun est pris comme une partie de ce tout indivis, ce pourquoi

aucun particulier n’est un singulier qui, lui, est divis. En effet, dans un tel tout indivis,

c’est ce caractère même d’indivis qui est attribué à chacun des particuliers ; devant des

individus singuliers, l’intellect théorétique élabore une théorie en faisant abstraction du

singulier divis, mais en retenant l’individu indivis comme universel pris universellement

et comme universel pris particulièrement, les deux étant indivis. C’est ce caractère qui

sépare cette sorte de tout universel du tout intégral qui, lui, n’est jamais attribuable à

ses parties.

Par exemple, lecteur, j’écris à ton intention la phrase suivante, que je t’offre en partage :

Cette phrase est écrite à ton intention. Tu viens de la lire, si bien que toi et moi l’avons

maintenant en partage. Or, en te la donnant en partage, je ne la conserve pas moins en

entier, et tu la possèdes aussi en entier. Par contre, si je possède une pomme que je

t’offre de la partager avec moi moitié-moitié, ni toi ni moi ne l’aurons en entier. La

phrase à partager est un tout universel ; la pomme à partager est un tout intégral.

Le tout universel table, à titre d’universel pris universellement, est attribuable à quel que

meuble composé d'une surface plane reposant sur un ou plusieurs pieds

34

que ce soit,

considéré à titre d’universel pris particulièrement et comme partie du tout universel

table. Par contre, le tout intégral table n’est attribuable ni à surface plane ni à pied, ces

éléments étant et n’étant que parties du tout intégral table. Or le nom table, soit

l’expression meuble composé d'une surface plane reposant sur un ou plusieurs pieds,

34

CNRTL : https://www.cnrtl.fr/definition/table

29


sert à nommer et le tout universel et le tout intégral, d’une part, et la partie du tout

universel, mais pas les parties du tout intégral, d’autre part. 35

Au lieu du nom table, prenons le nom citoyen, ainsi défini : celui à qui incombe une

obligation de loyauté envers les lois d’une communauté politique organisée 36 ;

l’expression est alors considérée comme un universel pris universellement. Ce tout

universel citoyen, à titre d’universel pris universellement, est attribuable à celui à qui

incombe une obligation de loyauté envers les lois d’une communauté politique

organisée, un celui à qui alors considéré à titre d’universel pris particulièrement, ou

comme partie du tout universel citoyen, au sens d’Euclide. Sauf que…

Sauf que, dans une communauté politique organisée, on distingue le magistrat du

simple citoyen qui, lui, n’est pas magistrat, parce que le magistrat n’est pas qu’un

simple citoyen. Le magistrat est un citoyen qui incombe une obligation de loyauté

envers les lois d’une communauté politique organisée, et, en plus, à qui incombe

l’obligation spéciale d’établir la loi, i.e. la règle envers laquelle le citoyen doit être loyal,

règle qui organise une multitude d’individus singuliers, parties dans une multitude, en

une communauté d’individus qui sont partie de cette communauté, une communauté

faite de bonnes mœurs partagées à titre de fondement d’une amitié dite d’utilité dont

l’existence même constitue précisément leur bien commun. Sauf que…

Sauf que la nature même de cette amitié dite d’utilité, de ce bien commun, donne aussi

lieu à des plaintes et à des réclamations (τὰ ἐγκλήματα καὶ αἱ μέμψεις), précise

35 Thomas d’Aquin, Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 15 : Secundo ibi, hoc autem ponit duos modos

totius; dicens quod totum dicitur dupliciter; aut ita quod unumquodque contentorum a toto continente, sit

ipsum unum, scilicet ipsum totum continens, quod est in toto universali de qualibet suarum partium

praedicato. Aut ex partibus constituatur unum, ita quod non quaelibet partium sit unum illud. Et haec est

ratio totius integralis, quod de nulla suarum partium integralium praedicatur. ; 1099. En deuxième lieu

lorsqu’il [il s’agit d’Aristote, Métaphysique,1023b 25] dit : ̈ Mais cela . ̈ Il présente deux sens se rapportant

au tout en disant que le tout se dit de deux manières. Ou bien de telle manière que chacune des parties

contenues par le tout qui les contient soit l’unité ̈ elle-même , ̈ c’est- à-dire le tout qui contient, et qui est

dans un tout universel qui peut s’attribuer à chacune de ses parties. Ou bien de telle manière que l’unité

résulte de la composition des parties de telle manière qu’aucune des parties ne soit cette unité. Et telle

est la définition du tout intégral qui ne peut être attribué à aucune de ses parties intégrales. ; http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

36

CNRTL : https://www.cnrtl.fr/definition/citoyen ; https://www.cnrtl.fr/definition/loyauté

30


Aristote ; or, ces plaintes et réclamations constituent le terreau même où naissent et

croissent les idéologies.

37

Car, le simple citoyen et le magistrat sont aussi parties du

tout intégral qu’est aussi la communauté politique organisée ; ce qui est organisé est un

organisme, un ensemble composé d'éléments bien structurés

38. Et c’est là ce qui est

sous-jacent à l’idéologie prise dans son acception méliorative, d’une part, et considérée

comme système global d'interprétation du monde historico-politique, d’autre part.

L’intellect théorétique qui élabore une théorie, en faisant abstraction du singulier chez

les sujets dont il parle, et en dégageant ainsi une ressemblance prise comme un tout

indivis attribuable à des ressemblants dont chacun est pris comme une partie de ce tout

indivis, élabore un universel concret, i.e. un universel pris universellement et pris en

relation avec ses sujets particuliers d’attribution, et ce, en ne faisant pas abstraction de

la matière sensible pertinente. Mais, l’intellect théorétique qui élabore une théorie peut

encore pousser la démarche jusqu’à faire abstraction de la matière sensible, pour ne

retenir que la matière non-sensible, la matière intelligible ; c’est ce qui est appelé un

universel abstrait.

Ici, le mot matière est pris dans l’acception précise de mère du multiple, principe du

multiple, origine du multiple ; c’est ainsi que la Terre est dite mère nourricière des

animaux. Matière vient du latin materia, où le nom mater

39

(en français, mère ; en grec,

37 Aristote. Éthique à Nicomaque, 1162b 21 : Ἔοικε δέ, καθάπερ τὸ δίκαιόν ἐστι διττόν, τὸ μὲν

ἄγραφον τὸ δὲ κατὰ νόμον, καὶ τῆς κατὰ τὸ χρήσιμον φιλίας ἣ μὲν ἠθικὴ ἣ δὲ νομικὴ εἶναι. ; On

pourrait dire que de même qu'il y a deux sortes de droit, l'un [naturel] et non écrit, et l'autre déterminé par

la loi, de même l'amitié fondée sur l'utilité, est de deux sortes, l'une morale, et l'autre légale. ; http://

remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/morale8.htm#1162b.

Thomas d’Aquin, Sententia Ethic., lib. 8 l. 13 n. 9 : Et similiter est duplex utilitas, quam oportet in amicitiis

consequi. Quarum una est moralis, quando scilicet unus exhibet utilitatem alteri secundum quod pertinet

ad bonos mores. Et haec utilitas respondet iusto non scripto. Alia autem est utilitas legalis, prout scilicet

unus exhibet utilitatem alteri, secundum quod est lege statutum. ; #1734. — Pareillement, il y a double

utilité à poursuivre dans les amitiés. L'une est morale: elle a lieu quand l'un procure à l'autre une utilité en

ce qui touche aux bonnes mœurs; cette utilité correspond au juste non écrit. L'autre est l'utilité légale: elle

a lieu dans la mesure où l'un procure à l'autre une utilité en rapport à ce qui est statué par une loi. ; http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentaireethiquenicomaque.htm

38

CNRTL : https://www.cnrtl.fr/definition/organisme

39 Félix Gaffiot, Dictionnaire illustré latin-français, materia, mater : https://www.lexilogos.com/latin/

gaffiot.php?p=953 ;

31


μήτηρ 40) est présent ; Gaffiot cite Cicéron : materia rerum, matière des réalités, réalités

prises dans une pluralité qui explique l’emploi du pluriel grammatical dans réalités. La

materia, c’est comme la Mère Nature, la mère nourricière.

Tout nom concret signifie un universel concret ; tout nom abstrait signifie un universel

abstrait. Le nom concret désigne des êtres que nos sens externes (vue, ouïe, toucher,

goût, odorat) peuvent percevoir. Le nom abstrait désigne des êtres que nos sens

externes ne peuvent pas percevoir ; nos sens internes, notamment l’imagination, le

peuvent.

41

On dit encore que le nom concret signifie un universel concret défini selon

sa forme et sa matière sensible, et que le nom abstrait signifie un universel abstrait

défini selon sa forme, mais sans matière sensible, i.e. avec sa seule matière intelligible,

comme l’est une entité mathématique. 42

Par exemple, blanc est un universel concret, attribuable à tout sujet blanc, alors que

blancheur est un universel abstrait, qui n’est attribuable à aucun sujet. Car, il est vrai de

dire que : La neige est blanche, mais il est faux de dire que : La neige est blancheur.

C’est ainsi que l’universel concret homme

43

se dit de tout homme en chair et en os,

mais que l’universel abstrait humanité, au sens d’ensemble des êtres humains, ne se dit

d’aucun homme en chair et en os ; l’humanité n’est pas un homme en chair et en os.

Le nombre 2 est un universel concret employé pour nommer des dyades 44 comme :

deux pommes, deux bouleaux, deux pierres, là où les mots pommes, bouleaux, et

pierres signifient une matière sensible commune aux pommes, ou aux bouleaux, ou aux

pierres. L’universel abstrait ne retient que deux, et fait abstraction de pommes, de

bouleaux, de pierres, bref de toute matière sensible que ce soit à laquelle deux est

attribuable : deux (pommes, bouleaux, pierres, matière sensible). Le nombre 2 que

considère l’arithmétique est ainsi un universel abstrait de toute matière sensible.

40

https://outils.biblissima.fr/fr/eulexis-web/

41 Le Robert en ligne, https://dictionnaire.lerobert.com/guide/noms-abstraits-noms-concrets ; Grevisse, Le

bon usage, n° 452a.

42

43

44

Aristote, Métaphysique, 1036a 10 et 1045b 33

Au sens de homo sapiens, et non celui de mâle

CNRTL : Réunion, groupe de deux éléments solidaires ; https://cnrtl.fr/definition/dyade

32


L’économétrie, elle qui traite par les mathématiques les données statistiques relatives

aux phénomènes économiques afin d'en améliorer l'analyse ou d'en dégager des lois

ou des relations constantes

45, emploie l’universel abstrait que constituent les données

statistiques, qui sont de matière intelligible, alors que les phénomènes économiques

sont de matière sensible. Comme le remarque Grevisse, un nom concret peut, par

métonymie, être employé comme nom abstrait, et vice-versa. Mais, une telle métonymie

peut induire en erreur si on n’y prête pas attention. Le débat à propos de la valeur en

usage et de la valeur en échange, qui commence avec Adam Smith, suffit pour prendre

la mesure du problème.

La confusion entre l’universel concret et l’universel abstrait explique ce pourquoi

certaines idéologies ne peuvent être prises que selon l’acception péjorative, ce qui

s’aggravera avec le nominalisme et le terminisme

donne lieu à un tel risque de confusion dont on doit se garder. 47

46. Le concept de ville intelligente

Les considérations développées dans cette section, ajoutées à celles de la section

précédente, fournissent les éléments qui permettent de donner une réponse complète à

la question : Qu’est-ce qu’une idéologie ?

~~~ ¥ ~~~

45

CNRTL : https://www.cnrtl.fr/definition/économétrie

46 Arnaud-Aaron Upinsky présente cette problématique dans : La tête coupée, Le secret du pouvoir, Les

éditions du Bief, 4 e édition, 2018.

47 Commission de l’éthique en science et en technologie, La ville intelligente au service du bien commun,

Lignes directrices pour allier l’éthique au numérique dans les municipalités du Québec, Gouvernement du

Québec, 2017, https://www.ethique.gouv.qc.ca/media/1043/ville_intelligente_a.pdf

33



UNE RÉPONSE COMPLÈTE

On a vu que l'homme est doué d'un intellect capable de trois tâches distinctes :

a) la tâche théorétique, celle de contempler un objet donné à connaître qui est

connu au moyen d’une représentation mentale ;

b) la tâche pratique, celle de maîtriser les émotions et les mutations corporelles les

accompagnant et ce, dans le for interne psychique et corporel ;

c) et la tâche technique, celle de maîtriser la fabrication d’objets naissant dans le

for externe comme résultat d’un dessein.

On a aussi vu que ce qui est donné à lire en b) est un exposé de nature théorétique qui

énonce une définition de tâche pratique, une tâche qui, elle, n’est pas théorétique.

Définir théorétiquement ce en quoi consiste la nature de la tâche pratique diffère de

l’acte pratique consistant à maîtriser consciemment les émotions et les mutations

corporelles , les pulsions, et ce, hic et nunc, ici et maintenant. On a encore vu qu’il en

est de même pour ce qui est donné à lire en c) pour tâche technique. Par contre, ce qui

est donné à lire en a) est un exposé de nature théorétique énonçant une définition de

tâche théorétique qui, elle, s’exerce sur des notions qui sont elles-mêmes de nature

théorétique.

Le nom théorie vient du grec θεωρία

nom théorème, en grec θεώρημα

48

qui signifie action de voir, de contempler. Le

49, en dérive ; tout théorème de géométrie exprime

une théorie. L’œil, l’organe de la vue, voit et ne voit que du singulier visible. L’intellect

théorétique ne voit pas de singulier ; il voit et ne voit qu’une ressemblance et les

ressemblants particuliers pertinents à cette ressemblance, vue qu’il exprime dans une

théorie. Toute théorie est une vue théorétique de quelque chose qui est toujours une

vue de comparable, et qui n’est jamais une vue de singulier incomparable. La vue de

l’œil et la vue de l’intellect théorétique ne se comparent ainsi que par analogie. La vue

de l’œil voit le tracé d’une figure dessinée au crayon sur le papier ou à la craie au

tableau ; la vue de l’intellect théorétique voit la représentation mentale intelligible de la

48

49

https://outils.biblissima.fr/fr/eulexis-web/?lemma=θεωρεω&dict=Bailly

https://outils.biblissima.fr/fr/eulexis-web/?lemma=μητηρ&dict=Bailly

35


figure comme Euclide la définit : 14. On appelle ‘ figure ’ ce qui est compris entre une ou

plusieurs limites 50.

Il fut établi que la seconde acception du mot idéologie que propose le Centre national

de ressources textuelles et lexicales présente une cohérence, ce qu’il exprime en

distinguant la tâche théorétique, la tâche pratique et la tâche technique, et ce, avec la

justesse que permet le niveau de leur comparabilité, celui d’une analogie :

B.− Cour., au fig. [En parlant des parties d'un tout ou de ce tout lui-même, p. ex. une pensée, un

discours, une théorie, un ouvrage, etc.] (…)

− Dans le domaine de l'art (peint., archit., mus., etc.) : (…)

− [En parlant des membres d'un groupe, d'une équipe, entre eux, ou de cette équipe elle-même

considérée dans son ensemble] Unité continue : (…)

Il fut aussi établi que cette justesse peut être affinée en recourant à l’analogon

mesure décrit au De veritate de Thomas d’Aquin qui, à la Question 1, Article 2, écrit :

Mais il faut savoir qu’une réalité est comparée à l’intellect pratique [ou à l’intellect technique]

autrement qu’à l’intellect théorétique. En effet, l’intellect pratique [ou technique] cause les réalités

[futures], c’est pourquoi il est la mesure des réalités qui adviennent par lui [dans le futur] ; au lieu

que l’intellect théorétique, parce qu’il reçoit en provenance des réalités [présentes et passées],

est en quelque sorte mû par les réalités [présentes ou passées] elles-mêmes, et ainsi les réalités

[présentes ou passées] le mesurent. 52

51

de la

L’articulation en une cohérence de ce que l’intellect théorétique reçoit en provenance

des réalités [présentes et passées] qui le mesurent, et de ce que l’intellect pratique [ou

technique] cause, soit des réalités [futures], se heurte au problème qui naît de l’absence

d’une nécessité de succession entre des réalités contingentes. À ce premier problème

en s’ajoute un autre, celui qui naît de ce que l’idéologie s’entend d’un ensemble plus ou

moins cohérent d'idées qui oriente l’action, ce qui introduit la tâche pratique et la tâche

technique en leur aspect proprement pratique ou technique, celui de l’exécution. À cet

égard, le problème que pose l’exécution pour la tâche pratique présente un aspect

qu’on a évoqué, celui de la maîtrise des émotions et des mutations corporelles qui

50

51

Euclide, Éléments, Livre I, Définition 14

Le Petit Robert ; analogon : Élément signifiant dans une analogie. Paris, 2018

52 Thomas d’Aquin, De veritate, Q. ! A. 2 : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/questionsdisputees/

questionsdisputeessurlaverite.htm#_Toc333932555

36


l’accompagnent, et ce dans un ici et maintenant dont on n’a pas encore entièrement

exposé la teneur.

En bonne méthode, il s’impose de commencer par le premier problème pour ne

s’attaquer au second qu’ensuite.

Un discours théorétique, fruit de la tâche théorétique, peut être dialectique, ou

analytique. Dans la philosophie d’Aristote, un discours dialectique n’est pas scientifique,

alors qu’un discours analytique l’est. Tout discours scientifique est introduit par un

discours dialectique qui énonce des hypothèses. Le discours dialectique les présentent

conformément aux principes communs à toute formulation d’une hypothèse

vraisemblable, alors que le discours analytique les fondent en vérité lorsque c’est

possible, et ce, conformément aux principes propres au sujet à propos duquel

l’hypothèse vraisemblable est formulée.

Or, le nom science se prend aujourd’hui en de multiples acceptions, bien que

l’acception fondamentale en est conservée avec l’adverbe sciemment : en

connaissance de cause

53. Un discours scientifique exprime la connaissance d’une

cause nécessaire et du fait qui est son effet, ou la connaissance du fait comme effet

nécessaire d’une cause dont la nature est encore à préciser. Une cause peut être

nécessaire, mais non suffisante pour que naisse le fait qui est son effet, et elle est alors

dite éloignée ; une cause peut être nécessaire et suffisante pour que naisse le fait qui

est son effet, et elle est alors dite prochaine. La cause du fait qui est son effet peut

aussi être contingente ; et un fait peut aussi être l’effet de la chance ou du hasard 54.

La formulation d’un discours théorétique n’exige pas toujours un scientifique revêtu d’un

sarrau qui parcourt fréquemment la distance qui sépare son laboratoire, où des

expérimentations sont accomplies, et son cabinet d’étude, où se trouve sa règle à

calcul. Par exemple, un homicide-fait, entendu comme le fait de donner la mort à un

être humain, exige un homicide-auteur, entendu comme celui, celle qui tue un être

53

54

CNRTL : https://www.cnrtl.fr/definition/sciemment

En statistiques, on distingue l’aléatoire et l’erratique.

37


humain

55, et ce, à titre de cause efficiente de l’effet constitué par le fait pertinent, la

cause matérielle étant le cadavre gisant sur la scène de l’homicide-fait, la cause finale

étant le mobile de l’homicide-auteur. Si l’être humain qui tue et l’être humain qui est tué

sont un même être humain singulier, il ne s’agit pas d’un homicide, mais d’un suicide.

Un homicide entendu comme le fait de donner la mort à un être humain peut aussi être

causé par un agent non-humain ; par exemple, le skieur tué par une avalanche.

L’enquêteur de police qui prend ce discours théorétique sur l’homicide comme point de

départ, avec le soutien éventuel de l’expert en criminalistique, doit encore exécuter la

tâche pratique de connaître si l’homicide-fait est coupable ou non, ce qui relève de

l’intellect pratique qui enquête à charge et à décharge, et exécuter la tâche technique

de connaître le modus operandi, le mobile et l’opportunité de le commettre que peut

avoir eu l’homicide-auteur. L’exécution de ces deux tâches est requise pour aboutir, et

ce, ici et maintenant, à mettre les menottes au Fantômas singulier qui tua l’Hélène

singulière de circonstance.

C’est ainsi que l’enquêteur de police peut parvenir à assurer la cohérence de ce que

l’intellect théorétique reçoit en provenance des réalités [présentes et passées] qui le

mesurent, et de ce que l’intellect pratique [ou technique] cause, soit des réalités

[futures]. Cependant, il se heurte au problème qui naît de l’absence d’une nécessité de

succession entre des réalités contingentes ; il n’est donc pas assuré qu’il puisse

parvenir à mettre les menottes au Fantômas parce que des obstacles peuvent intervenir

comme entrave à l’enquête de police. L’entrave peut venir de la difficulté à trouver des

témoins, des pièces à conviction, difficultés causées par une dissimulation, par une

réticence due une contrainte, etc. L’entrave peut encore venir du fait que l’homicideauteur

est un personnage de rang social important, ou qu’il est lié à un personnage de

rang social important, etc.

Bref, une idéologie, entendue un ensemble plus ou moins cohérent d'idées qui oriente

l’action en ce qui concerne la tâche technique considérée du point de vue de son

55

CNRTL : https://www.cnrtl.fr/definition/homicide

38


aspect proprement technique, celui de l’exécution, peut échouer. On en trouve un

exemple sous la plume de Friedrich Engels puisque, 140 ans après la publication des

lignes ici données à lire, le socialisme dit scientifique est pourtant demeuré utopique :

Ces deux grandes découvertes: la conception matérialiste de l'histoire et la révélation du mystère

de la production capitaliste au moyen de la plus-value, nous les devons à Marx. C'est grâce à

elles que le socialisme est devenu une science, qu'il s'agit maintenant d'élaborer dans tous ses

détails. 56

À ce premier problème, fut-il dit, s’en ajoute un autre qui naît de ce que l’idéologie

s’entend d’un ensemble plus ou moins cohérent d’idées qui oriente l’action, ce qui

introduit la tâche pratique en son aspect proprement pratique, celui de l’exécution

réussie d’une maîtrise des émotions et des mutations corporelles qui l’accompagnent,

et ce, dans un ici et maintenant où s’immisce le libre arbitre, notamment lorsque

d’autres et moi participons à une même conjoncture, alors que ce que je préfère et ce

que préfère chacun des autres participants à la conjoncture peuvent être convergents

ou divergents, en tout ou en partie.

La tâche pratique de l’intellect, fut-il dit, est celle de maîtriser les émotions et les

mutations corporelles les accompagnant et ce, dans le for interne psychique et corporel.

L’intellect pratique formule la teneur de la règle à suivre, ce qui est l’acte de libre arbitre

accompli pour la conjoncture des circonstances actuelles et futures, en connaissant les

circonstances actuelles, et en connaissant les circonstances futures dans laquelle

s’insèrera l’action ponctuelle singulière par une anticipation qui commence avec un

pressentir (sentir à l’avance). Mais, à cet acte de l’intellect pratique doit s’ajouter l’acte

de la volonté qui anime l’exécution ferme de la décision délibérée en déterminant

l’agent à s’engager et à persister dans cet engagement.

L’action ponctuelle singulière dont il s’agit, et ce, dans un ici et maintenant, est celle

d’une action qui se déploie dans le for interne, celui d’émotions corporellement

éprouvées qui naissent de la connaissance sensitive, comme :

56 Friedrich Engels (1880), Socialisme utopique et socialisme scientifique, une édition électronique

réalisée à partir du livre de Karl Marx et Friedrich Engels, Socialisme utopique et socialisme scientifique,

Traduction française, 1950 ; http://classiques.uqac.ca/classiques/Engels_friedrich/socialisme_scientifique/

socialisme_scientifique.pdf

39


a) être attiré, être rebuté, convoiter ce qui attire, mépriser ce qui rebute, jouir,

s’attrister de ne pas jouir ;

b) espérer, désespérer, oser, craindre, s’irriter.

Le rôle de l’intellect pratique est de découvrir la mesure à introduire dans l’assomption

de ces émotions, ce en quoi consiste le libre arbitre, et le rôle de la volonté est de l’y

introduire et de l’y maintenir malgré les obstacles et les contraintes. Car, l’homme ne

peut pas ne pas éprouver l’émotion consistant à être attiré par un bien sensible, à être

rebuté par un mal sensible, à espérer jouir d’un bien sensible, à craindre de perdre sa

vie, etc. La mesure à introduire dans l’assomption de ces émotions et à prendre pour

règle à tenir pendant toute l’exécution consiste en un juste milieu que l’intellect pratique

discerne au-delà d’un bien ou d’un mal qui apparaît à la connaissance sensitive.

Aristote expose ce en quoi consiste ce juste milieu pris comme mesure dans son

Éthique à Nicomaque

57. Le fondement théorétique de cette thèse se trouve dans une

propriété du triangle rectangle connue d’Aristote et qu’Euclide formule ainsi :

Si dans un triangle rectangle on mène une perpendiculaire de l’angle droit sur la base, les

triangles adjacents à la perpendiculaire sont semblables au triangle entier et semblables entre

eux. (...) De là, il est évident que, dans un triangle rectangle, la perpendiculaire menée de l’angle

droit sur la base, est moyenne proportionnelle entre les segments de la base, et que chaque côté

de l’angle droit est moyen proportionnel entre la base et le segment contigu. 58

C’est de là que vient l’usage du mot droit, pris de l’angle droit du triangle rectangle, pour

nommer le sujet des études dites juridiques, adjectif venu du latin qui signifie

littéralement : justum dicere, dire le juste. En pratique, on n’est pas encore parvenu à

dire le juste en déterminant la valeur exacte de la moyenne proportionnelle pertinente

au moyen d’une règle à calcul ; on se contente de conventions, au sens établi plus

haut. Il en est de même pour la thèse de John Nash en économique. Cette thèse de la

57

Aristote, Éthique à Nicomaque, Livre 5, chapitres 6 et 7.

58 Les Œuvres d'Euclide, Paris, 1819, traduites littéralement par F. Peyrard, C.-F. Patris, nouveau tirage

augmenté d’une importante introduction par Jean Itard, Paris, 1966, Librairie scientifique et technique

Albert Blanchard, sixième livre, proposition VIII, p. 227 ; https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k110982q/

f244.image.r=les+éléments+d'Euclide.langFR. Cette thèse du triangle rectangle sera reprise par John

Nash dans The Bargaining Problem, April, 1950, Econometrica, Journal of The Econometric Society, pp.

155-162, p. 162 : « [In the bargaining problem], (...) the set of points in the graph is such that portion of it

in the first quadrant forms an isoscele right triangle. »

40


moyenne proportionnelle prise comme définition du juste est néanmoins préférable à la

thèse que propose la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, dont le

préambule commence avec cette phrase très problématique :

Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille

humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice

et de la paix dans le monde.

L’acte de libre arbitre n’intervient pas dans un univers vide, un univers où rien de

concret ne se trouve ; au contraire, l’univers dans lequel intervient l’acte de libre arbitre

est plein d’émotions corporellement éprouvées qui sont, non seulement présentes, mais

souvent pressantes, ce pourquoi un arbitrage s’impose. En ce sens, l’homme n’est pas

libre, mais il doit plutôt acquérir la disposition ferme d’accomplir l’arbitrage nécessaire

qui conduit à un choix réfléchi qui intervient dans un univers où des obstacles se

dressent devant lui, où des contraintes pèsent sur lui. Évidemment, il peut arriver qu’un

objet laisse tel homme indifférent parce que, par exemple, il n’est ni attiré ni rebuté par

lui, etc.

Lorsque d’autres et moi participons à une même conjoncture, alors que ce que je

préfère et ce que préfère chacun des autres participants à la conjoncture peuvent être

convergents ou divergents, en tout ou en partie, notamment lors d’une action concertée,

la résolution du problème qui se pose à la tâche pratique implique la persuasion.

Persuader consiste à employer un discours qui atteint celui à qui on s’adresse tant au

niveau de son intellect, en employant des arguments destinés à obtenir son

assentiment, qu’au niveau des émotions et mutations corporelles qui peuvent naître en

lui, en formulant les arguments avec des mots susceptibles de remuer sa sensibilité afin

d’obtenir son consentement. Il s’agit de découvrir et d’employer les mots qui vont

susciter chez celui à qui on les adresse l’une ou l’autre des émotions évoquées plus

haut. Aristote s’est intéressé à ce problème, et y a consacré un traité : Rhétorique 59.

Aristote a aussi écrit un autre traité, Poétique

60, qui propose un enseignement

intéressant l’idéologue qui souhaite présenter son idéologie d’une manière esthétique,

59

60

https://archive.org/details/rhtoriquedaris01aris/page/18/mode/2up

https://archive.org/details/aristotepotique01arisgoog/page/n5/mode/2up

41


au moyen d’un roman, d’une pièce de théâtre, d’un film, d’une pièce musicale, d’un

chant, d’un éditorial de journal, d’une vidéo sur l’Internet, etc. Les dialogues de Platon

ou ceux de Cicéron imitent le genre littéraire du roman. Pour le chant dit militant, la liste

est longue : chant de commémoration, de ralliement, de résistance, etc.

L’idéologie, à titre d’ensemble plus ou moins cohérent d’idées qui oriente l’action, ne

peut pas ne pas tenir compte de l’aspect propre à la tâche pratique. L’idéologue se doit

d’inclure, dans son discours, des arguments formulés avec le souci d’obtenir

l’assentiment et le consentement de ceux à qui il s’adresse, et ce, afin que naisse entre

eux une amitié dite d’utilité faite de bienveillance réciproque. Des trois tâches que doit

accomplir l’idéologue, la théorétique, la pratique et la technique, la réussite de la tâche

pratique est pratiquement décisive. Sauf qu’elle doit résoudre un problème épineux,

celui de l’ennemi.

C’est ainsi que Karl Marx et Friedrich Engels, dans le Manifeste du parti communiste,

écrivent cette phrase : La société entière se scinde de plus en plus en deux vastes

camps ennemis, en deux grandes classes qui s'affrontent directement : la bourgeoisie

et le prolétariat.

61

Chez Thomas d’Aquin, on peut lire qu’on doit haïr son ennemi en tant

qu’ennemi, certes, mais avec mesure, i.e. en tempérant le haïr en qualité d’ennemi

avec un aimer en qualité d’homme :

2. Tout être hait naturellement son contraire en tant que tel. Or nos ennemis nous sont contraires

en tant qu'ennemis. Nous devons donc les haïr comme tels ; qu'ils soient nos ennemis ne peut

que nous déplaire. Mais ils ne nous sont pas contraires comme hommes, et comme capables de

la béatitude, et à ce point de vue nous devons les aimer. 62

Le moment est venu de conclure.

~~~ ¥ ~~~

61 Karl Marx et Friedrich Engels (1848), Manifeste du Parti communiste, p. 7 ; http://classiques.uqac.ca/

classiques/Engels_Marx/manifeste_communiste/Manifeste_communiste.pdf

62 Somme théologique, IIª-IIae q. 25 a. 8 ad 2 à http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/sommes/

3sommetheologique2a2ae.htm#_Toc476936669 ; texte latin : Ad secundum dicendum quod unaquaeque

res naturaliter odio habet id quod est sibi contrarium inquantum est sibi contrarium. Inimici autem sunt

nobis contrarii inquantum sunt inimici. Unde hoc debemus in eis odio habere, debet enim nobis displicere

quod nobis inimici sunt. Non autem sunt nobis contrarii inquantum homines sunt et beatitudinis capaces.

Et secundum hoc debemus eos diligere. ; à https://www.corpusthomisticum.org/sth3025.html#39950

42


CONCLUSION

Qu’est-ce qu’une idéologie ? Une première réponse fut donnée : l’idéologie n’est pas

que théorie. Car, l’idéologie est théorie, mais pas que théorie. Elle est aussi pratique,

mais pas que pratique, et technique, mais pas que technique. Une seconde réponse fut

donc formulée pour dire que l’idéologie est partiellement théorie, partiellement pratique,

et partiellement technique.

Par ailleurs, comme on l’a appris, le Centre national de ressources textuelles et

lexicales présente aussi le nom idéologie, pris en une acception méliorative, comme

suit :

a) ensemble plus ou moins cohérent d’idées qui oriente l’action ;

b) théorie sur quelque chose que l'on veut mettre en valeur.

On obtient une synthèse en introduisant les trois parties de la seconde réponse dans

l’acception méliorative du CNRTL, pour obtenir ce qui suit :

L’idéologie est un ensemble plus ou moins cohérent d’idées théorétiques

‣ qui propose de mettre en valeur une fin constituée en un futur contingent à

réaliser,

‣ qui oriente la mise en action pratique, ici et maintenant, de moyens disponibles

dans le for interne,

‣ et qui oriente la mise en production technique, ici et maintenant, de moyens

disponibles dans le for externe.

Obtenir un tel ensemble plus ou moins cohérent se heurte à plusieurs difficultés, et de

quatre ordres distincts, dont deux d’un premier ordre :

a) la tâche théorétique exclut le singulier, alors que la tâche pratique et la tâche

technique incluent le singulier ;

b) la tâche pratique inclut le singulier dans le for interne, alors que la tâche

technique inclut le singulier dans le for externe.

Obtenir un tel ensemble plus ou moins cohérent se heurte aussi à une difficulté d’un

second ordre : la fin constituée en futur contingent ne peut être poursuivie que dans un

43


ici et maintenant déployé dans une durée où se déploient successivement un passé, un

présent et un futur, mais sans nécessité de succession.

Obtenir un tel ensemble plus ou moins cohérent se heurte encore à une difficulté d’un

troisième ordre : ou bien l’agent, celui qui poursuit la fin et qui met des moyens en

action pratique et en production technique, est un agent singulier, ou un agent collectif.

Un individu singulier qui se dirige lui-même ne rencontre pas les mêmes problèmes de

coordination qu’un groupe d’individus agissant de concert avec des préférences en

partie convergentes et en partie divergentes.

Obtenir un tel ensemble plus ou moins cohérent se heurte enfin à une difficulté d’un

quatrième ordre lorsque plusieurs groupes d’individus agissant de concert doivent se

coordonner entre eux dans une conjoncture où leurs préférences respectives sont plus

ou moins convergentes, ou lorsque plusieurs groupes d’individus agissant de concert

doivent s’affronter dans une conjoncture où leurs préférences respectives sont plus ou

moins divergentes.

Dans les pages précédentes, on a suivi le Centre national de ressources textuelles et

lexicales pour qui le nom idéologie se prend en une acception péjorative et en une

acception méliorative. Chez beaucoup d’auteurs qui parlent de l’idéologie, on trouve

souvent un discours qui lui est défavorable parce qu’ils en adoptent l’acception

péjorative. Par exemple, à propos de l’origine et du sens de l’histoire, Karl Jaspers

prend ce parti lorsqu’il écrit :

Une idéologie est un complexe d'idées ou de représentations qui passe aux yeux du sujet pour

une interprétation du monde ou de sa propre situation, qui lui représente la vérité absolue, mais

sous la forme d'une illusion par quoi il se justifie, se dissimule, se dérobe d'une façon ou d'une

autre, mais pour son avantage immédiat. 63

Dans les pages précédentes, sans nier qu’il arrive qu’une l’idéologie puisse se

présenter ainsi, on a préféré commenter l’acception méliorative suggérée par le CNRTL,

confortée par cette thèse de Thomas d’Aquin selon laquelle l’intellect pratique [ou

63 Karl Jaspers, Origine et sens de l’histoire, (Vom Ursprung und Ziel der Geschichte). Traduit de

l'allemand par Hélène Naef et Wolfgang Achterberg, Plon, Paris, 1954

44


technique] cause les réalités, ce pourquoi il est la mesure de réalités futures

contingentes qui adviennent par lui, alors que l’intellect théorétique est mû par des

réalités qui, elles-mêmes, le mesurent :

Mais il faut savoir qu’une réalité est comparée à l’intellect pratique autrement qu’à l’intellect

théorétique. En effet, l’intellect pratique cause les réalités, c’est pourquoi il est la mesure des

réalités qui adviennent par lui ; au lieu que l’intellect théorétique, parce qu’il reçoit en provenance

des réalités, est en quelque sorte mû par les réalités elles-mêmes, et ainsi les réalités le

mesurent. 64

Même Karl Jaspers, celui qu’on vient de citer à propos du sens de l’histoire, en convient

puisqu’il écrivit aussi un autre livre, Philosophie : Orientation dans le monde.

Eclairement de l'existence. Métaphysique

reprend de l’acception méliorative :

65, un livre qu’il présente en des termes qu’il

En philosophie, il s'agit de la pensée qui porte la vie, qui éclaire et oriente l'action

dans la vie personnelle et politique.

Dont acte ! La fin de l’idéologie

66

n’est donc pas pour bientôt, bien que chacune des

idéologies soit, elle, toujours enveloppée dans une finitude, et que, parfois, elle sombre

dans une illusion.

FIN

64 Thomas d’Aquin, De veritate, Question 1, Article 2 ; http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/

questionsdisputees/questionsdisputeessurlaverite.htm#_Toc333932555

65 Paris ; Berlin [etc] : Springer-Verlag, 1989

66

Daniel Bell, La fin de l’idéologie, Presses Universitaire de France, Paris, 1997

45




Qu’est-ce qu’une idéologie ?

L’idéologie est théorie, mais pas que théorie.

Elle est aussi pratique, mais n’est pas que pratique.

Elle est aussi technique, mais n’est pas que technique.

L’idéologie est donc partiellement théorie, partiellement

pratique, et partiellement technique.

Mais le nom idéologie se prend encore en deux

acceptions, l’une péjorative, et l’autre, méliorative.

C’est le problème dialectique qu’on explore en ces

pages.

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