De la minoration extrait

de la minoration à l’émancipation
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cesse voir mise à l’œuvre. L’application, écrirons-nous plus loin, est ce qui guide la
démarche scientifique et doit éloigner le scientifique de la tentation de substituer à
l’idéologie linguistique dominante une autre idéologie, celle du dominé 8 , pour s’en
tenir à la réalité des faits, à la part occultée du conflit, selon une assise épistémologique
et une assise méthodologique précises. L’implication réside dans le fait que le
scientifique doit avoir à l’esprit que l’observation portée sur la domination et sur le
conflit qui en découle, peut éventuellement modifier l’espace langagier et donc social
aussi bien au niveau des représentations, des pratiques et des institutionnalisations
de la langue et ce auprès des acteurs sociaux, politiques et même scientifiques. Aussi
est-il envisagé d’assumer une forme d’application-implication du sociolinguiste, au
risque de réduire la frontière qui sépare le scientifique du politique. Sans doute est-il
utile à ce niveau-ci de la réflexion de rappeler de nouveau que la politique doit être
envisagée par rapport à son sens large, à savoir ce qui a trait à l’organisation de la
société, donc à l’organisation des langues.
Le premier chapitre vient ainsi coiffer l’ensemble de l’ouvrage en posant plus
clairement les bases et les contours de cette application-implication. Au-delà du
titre sous forme interrogative, ce texte tente de répondre à des questions essentielles
pour la bonne compréhension de la problématique et notamment : qu’est-ce que
la minoration ? De même, comment définir l’engagement ? L’utilité sociale ? Quel
cadre méthodologique et épistémologique mobiliser afin d’engager une analyse
et un traitement de la domination ? Finalement, de ce chapitre presque en forme
de préalable dialogique, découleront les autres.
Aussi les deux parties suivantes traitent de concepts intimement liés à la minoration
et domination. Le deuxième chapitre, « Une sociolinguistique du conflit pour
analyser le cas du corse », met ainsi en exergue la notion de « conflit » et son traitement.
Pour ce faire, nous sommes remonté à l’une des sources épistémologiques du conflit
en retraçant les principales caractéristiques de la sociolinguistique catalane. L’école
catalane a en effet très largement influencé les études dites « périphériques » dont
les études corses. Cette influence, tantôt explicite tantôt discrète, a considérablement
marqué le discours corse tout au long de ces quarante dernières années. La chose
est acquise, du moins auprès de l’école catalane : l’étude de la minoration et de la
domination linguistique doit d’une part inscrire sa démarche du côté d’une sociolinguistique
du conflit, c’est-à-dire du côté d’une pensée qui envisage la minoration et
la domination et plus spécifiquement la diglossie comme sources de conflit ; d’autre
part, il ne saurait y avoir d’analyse valable, sans que celle-ci ne soit fondamentalement
associée à un interventionnisme en vue de l’abrogation des conditions politiques à
l’origine du conflit ainsi mis en lumière. Nous inscrivons clairement nos recherches
du côté de cette sociolinguistique du conflit tout en reconnaissant les ajustements
nécessaires pour chaque terrain étudié. Celui insulaire offre des perspectives différentes
et laisse apparaître également les limites ou nuances à apporter à la « leçon »
catalane en contexte diglossique.
8. Sur les « idéologies linguistiques », on consultera par exemple Duchêne & Heller (2007),
Boyer (2017), Costa (2017), Boudreau (2018) ou Jaffe (2020).