10.09.2020 Views

En_Homme_Libre_extrait

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Dans la même collection<br />

• •<br />

Hospitalières, Francis Aïqui, 2020<br />

Fragments de vie, reflets d’Évangile, Gaston Pietri, 2019<br />

Le morceau de sucre, Noëlle Vincensini, 2018<br />

• •


À mon épouse Huguette<br />

À mes enfants et petits-enfants


Avant-propos<br />

Passionné par la poésie de Dante ou d’Aragon, la philosophie<br />

grecque, hégélienne et marxiste, la musique de Mozart ou de<br />

Verdi, et l’art et la littérature, mon père, Léo Micheli, est un<br />

homme de grande culture et un humaniste, dont témoigne son<br />

parcours riche d’engagements déterminés et de choix courageux.<br />

Cet entretien avec Dominique Lanzalavi est naturellement<br />

un hommage à celui qui transmet tant.<br />

Rester soi-même un homme libre, « Connais-toi<br />

toi-même » de Socrate, « Je pense, donc je suis » de Descartes,<br />

de même que la philosophie de Karl Marx, sont les pierres<br />

angulaires de sa pensée.<br />

Mais avant tout, c’est son grand intérêt pour la jeunesse,<br />

avec toutes ses richesses d’invention et de créativité, qui demeure<br />

l’un des fils conducteurs de ses actions et de ses écrits.<br />

C’est pourquoi ce livre s’adresse à toutes celles et à tous<br />

ceux qui ont la soif d’exister, la passion de la liberté et le désir de<br />

rester fidèles à leurs convictions.<br />

Je remercie chaleureusement Dominique Lanzalavi pour<br />

l’intérêt constant qu’il porte à mon père et à cette période de la<br />

résistance corse.<br />

Vannina Micheli-Rechtman<br />

Psychiatre, psychanalyste, docteure en philosophie<br />

• 7 •


Introduction<br />

Léo Micheli a toujours cultivé un certain goût pour la<br />

discrétion. C’est la raison pour laquelle il n’est connu<br />

que d’un petit nombre de spécialistes qui savent qu’il fut<br />

l’un des principaux responsables de la résistance corse.<br />

C’est dans le cadre de mes travaux historiques que je l’ai<br />

rencontré pour la première fois. J’ai en effet consacré ma<br />

maîtrise d’histoire ainsi que plusieurs documentaires à la<br />

libération de la Corse et aux questions politiques qu’elle<br />

a engendrées. L’une des principales motivations de mes<br />

recherches a toujours été de ramener dans la lumière des<br />

événements ou des personnages trop longtemps restés dans<br />

l’ombre et je trouvais regrettable que l’un des responsables<br />

de la principale organisation de résistance corse ne fasse<br />

pas partager son expérience et sa vision de cette période au<br />

plus grand nombre. Je l’ai donc sollicité plusieurs fois afin<br />

qu’il accepte de témoigner dans un documentaire, ce qu’il<br />

a fini par faire en 2012. J’ai ainsi pu lui donner la parole<br />

dans le film intitulé Nom de code : Léo 1 . Un titre qui faisait<br />

référence au pseudonyme qu’il avait pris dans la clandestinité<br />

et qui a fini par faire oublier son véritable prénom :<br />

Étienne. Si le documentaire a constitué une première<br />

1. Coproduit par France 3 Corse ViaStella et Mareterraniu productions.<br />

• 9 •


• •<br />

étape, son format limité ne permettait pas à Léo Micheli<br />

de développer toute sa réflexion et de détailler le cours<br />

des événements. Quelques années plus tard, il nous est<br />

donc apparu nécessaire de poursuivre nos entretiens et<br />

de les mettre par écrit. Pour moi, cet ouvrage avait un<br />

double objectif : recueillir un témoignage exceptionnel<br />

sur la façon dont la Corse est devenue le premier département<br />

français libéré en permettant à un protagoniste<br />

de donner sa version des faits, et comprendre les motivations<br />

qui ont pu pousser de jeunes hommes tels que lui<br />

à s’engager au péril de leur vie. Mais, comme le précise<br />

Léo Micheli lui-même, il ne s’agit là que de « sa vérité »<br />

et non pas forcément de « la » vérité. Ce sont des clés<br />

de compréhension qu’il nous livre sur l’ambiance de<br />

l’époque, sur le communisme, sur la Résistance et sur<br />

le climat d’après-guerre qui sont tout aussi utiles pour<br />

le grand public que pour les spécialistes car ceux qui<br />

pouvaient parler et raconter ont quasiment tous disparu.<br />

À l’instar de nombre de ses compagnons de lutte<br />

durant la Seconde Guerre mondiale, l’histoire de Léo<br />

Micheli est avant tout celle d’un adolescent engagé qui<br />

s’est retrouvé pris dans la tourmente des événements<br />

dramatiques de l’époque. Mais l’originalité de son<br />

parcours est double. D’une part, en raison des importantes<br />

fonctions qui lui ont été confiées dans la clandestinité<br />

malgré son très jeune âge. Et, d’autre part, parce<br />

qu’après-guerre il fut appelé à rejoindre le Comité<br />

central du Parti communiste français à Paris où il est<br />

devenu l’un des plus proches conseillers de son secrétaire<br />

général, Jacques Duclos. Une ascension fulgurante pour<br />

ce jeune Bastiais dont les études à l’école normale ont été<br />

• 10 •


• •<br />

interrompues par la guerre, mais qui a pu bénéficier des<br />

formations internes du parti délivrées par des professeurs<br />

qui ont figuré parmi les plus importants intellectuels de<br />

leur temps. Ces entretiens avec Léo Micheli ne s’arrêtent<br />

donc pas à la Seconde Guerre mondiale et à la Résistance.<br />

Ils abordent également sa vision de la guerre froide, de la<br />

« déstalinisation » du Parti communiste, du nationalisme<br />

corse jusqu’aux questions plus récentes du retour<br />

en force des idées qu’il a combattues durant la guerre. Ils<br />

évoquent aussi la situation de la Corse et son avenir.<br />

Que l’on partage ses idées ou pas, découvrir le<br />

témoignage de Léo Micheli c’est faire un voyage dans<br />

l’histoire, traverser des événements phares du xx e siècle<br />

et côtoyer certains grands personnages qui l’ont façonné.


Prologue<br />

Léo Micheli, vous êtes le dernier survivant des chefs de<br />

la résistance corse. Que pensez-vous du fait que l’on vous donne<br />

la parole alors que l’on peut considérer que vous n’avez plus de<br />

contradicteurs ?<br />

Beaucoup de mes camarades ont disparu, notamment<br />

parmi les responsables du Parti communiste et du Front<br />

national. Ils ne sont plus là pour me contredire. J’essaie<br />

donc de porter en moi, comme dit Montesquieu, un<br />

certain contraire. J’essaie de dialoguer avec moi-même<br />

et de me porter la contradiction au maximum. <strong>En</strong> cela, je<br />

suis fidèle à notre conception de la pensée et de l’action<br />

révolutionnaire qui consiste à se remettre constamment<br />

en cause.<br />

Mais qu’est-ce que cela vous fait d’être le dernier chef encore en<br />

vie de la résistance corse ?<br />

Je suis l’un des derniers responsables vivants de la<br />

résistance corse, mais si l’on me demande comment je<br />

réagis à ça, ma seule pensée est celle de l’avenir à partir<br />

des camarades qui ont disparu et dont je n’arrive pas à<br />

oublier la mémoire. J’y ai pensé le jour même où l’on se<br />

libérait car ils ne voyaient pas le soleil de la Libération.<br />

• 13 •


• •<br />

<strong>En</strong> étant le dernier à pouvoir parler, vous sentez-vous investi d’une<br />

mission ?<br />

Non, je ne suis investi d’aucune mission. Je me sens<br />

investi d’un devoir de dire ce que j’ai à dire, même si ce<br />

n’est pas toujours juste. Mais je ne suis pas un missionnaire.<br />

Je parle en disant non pas « je sais », mais « je<br />

crois ». Je suis dans le doute permanent.<br />

Lorsque je me retourne sur mon passé et que je<br />

revois mes camarades communistes ou de la Résistance,<br />

je constate malheureusement que la plupart ont disparu<br />

et que la position que j’occupe me rend enclin à faire<br />

attention avant de parler. Je dois faire un travail critique<br />

sur mes pensées et rester dans un certain doute qui ne me<br />

procure pas beaucoup de tranquillité.


<strong>En</strong>fance et contexte avant-guerre<br />

Parlez-nous un peu de votre enfance. Quelles sont vos origines ?<br />

Je suis né le 11 novembre 1923, sous le ciel de Bastia,<br />

d’un père docker qui était de la ville et d’une mère<br />

commerçante, née au quartier du Guadellu, mais qui<br />

s’appelait Muracciole et était originaire du village du<br />

même nom. J’étais comme tous les jeunes de mon âge.<br />

Je faisais du sport, j’ai joué au foot, j’ai même été dans<br />

l’équipe première du Football Club bastiais. J’ai également<br />

participé à quelques galas de boxe, aussi bien au<br />

théâtre de Bastia qu’à Porto-Vecchio ou à L’Île-Rousse.<br />

Je pratiquais un peu tous les sports. Cela m’a d’ailleurs<br />

servi durant la Résistance lorsque je prenais le vélo pour<br />

faire le tour de la Casinca où se trouvaient mes camarades<br />

résistants comme les frères Vittori. À l’époque, partir<br />

de Bastia et aller à Sorbo-Ocognano, Vescovato ou<br />

Silvareccio et revenir, ce n’était quand même pas aisé.<br />

J’ai fait beaucoup de sport, mais je ne sais pas si j’ai bien<br />

fait parce que, lorsqu’on monte sur un ring, c’est pour<br />

donner des coups mais aussi pour en recevoir. On m’avait<br />

dit que je pouvais faire quelque chose dans la boxe, mais<br />

je lisais beaucoup et je pensais que mon avenir n’était pas<br />

dans le sport.<br />

• 15 •


• •<br />

Vous vous êtes intéressé très tôt à la politique. Cela venait-il de<br />

votre environnement familial ?<br />

Mon père était engagé dans le syndicalisme. Il avait<br />

adhéré dès 1904 au syndicat des dockers à Bastia. Il était<br />

de tendance anarcho-syndicaliste. D’ailleurs, pendant<br />

la guerre d’Espagne, sa sympathie allait aux anarchistes.<br />

Il était athée alors que ma mère était croyante. Mais je<br />

n’ai pas épousé la cause du prolétariat d’une manière<br />

mécaniste, comme s’il était normal qu’en appartenant<br />

à une classe laborieuse je devienne membre du parti<br />

du prolétariat. L’homme et les circonstances entrent<br />

aussi en compte. Marx, <strong>En</strong>gels et Lénine étaient des<br />

bourgeois. Il n’y a pas une donnée mécaniste qui ferait<br />

que seuls adhèrent au Parti communiste les gens qui sont<br />

d’extraction ouvrière. Cela peut aider, mais la personnalité<br />

intervient ensuite. On peut très bien être d’une<br />

classe bourgeoise socialement parlant et politiquement<br />

adhérer à des théories d’avant-garde et révolutionnaires.<br />

C’est ce qui s’est passé en Corse pendant la Résistance.<br />

Lorsque j’étais enfant, à Bastia, l’activité syndicale<br />

et politique était importante. Je suis d’une génération qui<br />

venait de sortir du Front populaire, un mouvement pour<br />

lequel la population insulaire avait éprouvé une grande<br />

sympathie car nous voyions arriver les premières familles<br />

d’ouvriers grâce aux congés payés. C’était une époque<br />

joyeuse, mais pas pour tout le monde, car il y avait aussi<br />

en Corse des réactionnaires qui n’étaient pas contents de<br />

voir ces ouvriers prendre des vacances.<br />

J’ai vécu dans ce tourbillon d’avant la Seconde<br />

Guerre mondiale. Une époque dominée par un phénomène<br />

qui nous était tombé sur la tête : le fascisme italien<br />

• 16 •


• •<br />

qui avait ses prolongements en Corse, en France et dans le<br />

monde. Le fascisme italien demandait alors que la Corse<br />

devienne italienne et cela a plongé toute une génération<br />

dans la politique. L’un des principaux souvenirs de cette<br />

époque est que nous étions condamnés à partir avec une<br />

valise vers les terres d’Abyssinie, la Corse devenant une<br />

province du fascisme italien. Et cette menace a dominé<br />

toute la vie politique et sociale de l’époque. Il y avait<br />

alors des manifestations à Rome où l’on criait « Corsica<br />

a noi ! ».<br />

Mais qu’est-ce qui fait que, très jeune, vous allez vous engager à<br />

gauche ?<br />

Je ne sais pas pourquoi l’on s’engage à gauche. Je crois que<br />

les combats des dockers sur le port de Bastia m’avaient<br />

déjà très impressionné. Ils avaient des revendications sur<br />

les salaires et surtout l’emploi, à l’époque déjà. Le fait<br />

que l’on aille recruter des dockers qui n’étaient pas des<br />

professionnels avait créé une situation très conflictuelle<br />

sur le port de Bastia. Je me souviens que l’on racontait<br />

beaucoup, dans le milieu familial, que des gens avaient<br />

coupé les amarres d’un navire en grève sur lequel se<br />

trouvaient des « jaunes 1 ». Et puis il y avait aussi quelque<br />

chose de pas très beau : certains dockers s’en prenaient à<br />

leurs collègues d’origine italienne et, à ce moment-là, il y<br />

a eu un conflit interne assez intéressant car des ouvriers<br />

1. Le terme de « jaunes » qualifie les briseurs de grève. Selon Léo<br />

Micheli, à Bastia ils étaient souvent recrutés dans les villages<br />

parce qu’ils étaient moins au fait des luttes ouvrières dans la<br />

mesure où ils avaient souvent un petit bien qui leur permettait<br />

de subsister en cas de disette.<br />

• 17 •


• •<br />

révolutionnaires ont défendu les Italiens par fraternité. Je<br />

les ai alors vus, avec mes jeunes yeux, combattre pour la<br />

dignité et cela m’a marqué. C’était fier, presque orgueilleux,<br />

mais ils se battaient pour la dignité humaine. C’était<br />

en quelque sorte un combat, pour le dire de manière un<br />

peu anachronique, contre le racisme. J’ai vécu dans un<br />

milieu de lutte ouvrière. J’allais très souvent chez mon<br />

oncle et ma tante qui tenaient une « cantina 2 » où l’on<br />

chantait constamment des chansons révolutionnaires,<br />

tout cela mêlé de références à l’opéra italien : on chantait,<br />

par exemple, du Puccini qui était originaire de Lucca. Et,<br />

dans les opéras, il y avait toujours un côté révolté. J’ai<br />

appris de cette façon à ne pas mépriser les « Lucchesi 3 »<br />

et tout cela créait surtout une atmosphère très vivante,<br />

intéressante pour un jeune. Cela contribuait peut-être à<br />

éveiller des jeunes consciences. D’ailleurs, à Bastia, nous<br />

étions quelques-uns qui avions les mêmes opinions et<br />

nous nous sommes ensuite retrouvés dans les organisations<br />

politiques.<br />

<strong>En</strong> 1936 éclate la guerre d’Espagne 4 . A-t-elle un écho chez vous ?<br />

Nous avons beaucoup parlé de la guerre d’Espagne.<br />

D’abord parce qu’il y avait des collectes alimentaires pour<br />

les républicains espagnols et puis il y a eu des manifestations<br />

pour les gens qui voulaient partir en Espagne. Je<br />

2. Bar à vin de l’époque.<br />

3. Terme qui désigne les habitants de la ville de Lucca en Italie, employé<br />

de façon péjorative en Corse pour désigner les Italiens en général.<br />

4. Guerre civile qui se déclare en 1936 à la suite d’un coup d’État des<br />

nationalistes, menés par le général Franco, contre le gouvernement<br />

républicain. Elle prendra fin en 1939 avec la victoire de Franco et l’exil<br />

du gouvernement républicain et de centaines de milliers de ses partisans.<br />

• 18 •


• •<br />

me souviens des volontaires, sur les quais de Bastia, qui<br />

voulaient s’enrôler pour aider les républicains espagnols.<br />

On parlait alors beaucoup du Front populaire espagnol de<br />

l’époque puis du Front populaire français. Dans certaines<br />

catégories de la population, que l’on appellerait petitesbourgeoises,<br />

il y avait aussi la haine du Front populaire<br />

qui, à Bastia, avait peu de partisans. C’était d’ailleurs à la<br />

mesure de la sympathie que les travailleurs avaient, eux,<br />

pour le Front populaire.<br />

Nous, nous suivions très attentivement les événements<br />

espagnols car c’était un combat qui nous concernait.<br />

On disait beaucoup d’ailleurs que les républicains<br />

espagnols se battaient pour protéger la frontière francoespagnole.<br />

Il valait mieux avoir les républicains espagnols<br />

à la frontière que les sbires de Franco. Des Corses partaient<br />

donc pour combattre dans les Brigades internationales 5 . Il<br />

y a eu, en particulier, un camarade italien de la Casinca<br />

qui est parti, puis les frères Vittori de Porri et Dominique<br />

Vincetti 6 de Silvareccio. Ils partaient pour éventuellement<br />

mourir pour la cause de la République espagnole.<br />

J’étais donc baigné dans une atmosphère à la fois<br />

syndicale et politique. Je me souviens des belles figures<br />

5. Ces Brigades étaient composées de volontaires antifascistes qui<br />

combattaient auprès de l’armée républicaine espagnole.<br />

6. Les frères Vittori (Antoine-François dit François, François-Antoine<br />

dit Bébé, et Aurèle) avaient eux aussi été volontaires des Brigades<br />

internationales lors de la guerre d’Espagne. Aurèle Vittori mourra au<br />

combat en 1937. François deviendra l’un des responsables militaires<br />

de la résistance corse sous le pseudonyme de « Lieutenant-colonel<br />

Rémy ». Bébé travaillera à Toulon où il sera emprisonné en 1940<br />

pour activité communiste clandestine. Évadé en 1943, il rejoindra la<br />

Résistance en Aveyron où il deviendra le « Commandant Marc ».<br />

• 19 •


• •<br />

que nous avions à l’époque comme Jean Meria, par<br />

exemple, un militant très valeureux et très courageux qui<br />

était à la tête des postiers et a intégré la direction du Parti<br />

communiste en Corse. Il faisait partie de ces gens courageux,<br />

intelligents et qui avaient une certaine culture.<br />

Vous allez donc adhérer très tôt au Parti communiste ?<br />

Picasso disait qu’il était allé au communisme comme on<br />

va à la fontaine. Pour moi, c’est la même chose, je suis<br />

allé au Parti communiste d’une manière naturelle. La<br />

jeunesse de Bastia était engagée. La génération de jeunes<br />

à laquelle j’appartenais était plongée dans une situation<br />

éminemment troublante et troublée. Il y avait le danger<br />

du fascisme italien qui voulait la « Corse italienne » et il<br />

y avait, en France, une donnée anti-Front populaire qui<br />

commençait à être importante. On réprimait le mouvement<br />

ouvrier comme le fascisme avait réprimé le mouvement<br />

révolutionnaire en Italie. À cette époque, il était<br />

tout à fait normal que les jeunes s’engagent dans l’action<br />

politique. La politique, c’était la vie quotidienne. Le<br />

fascisme italien signifiait la misère, avec tous les ouvriers<br />

italiens qui arrivaient et se plaignaient de ce qu’ils avaient<br />

vu en Italie, et puis c’était aussi la guerre car Mussolini ne<br />

cessait d’en parler en bombant le torse et il avait lancé<br />

ses troupes en Éthiopie. D’ailleurs, je me rappelle qu’au<br />

moment où ses troupes étaient entrées dans la capitale<br />

du pays, Addis-Abeba, un maire bonapartiste d’Ajaccio<br />

lui avait envoyé un message de félicitations. Donc, il y<br />

avait des fascistes en Corse, mais également des gens<br />

qui se dressaient contre tout ça au nom d’un idéal qui<br />

se rattachait directement à celui de 1789. Nous connais-<br />

• 20 •


• •<br />

sions les limites de 1789, mais la révolution française<br />

avait des principes qui pouvaient être repris et galvanisés<br />

à l’époque.<br />

Il y avait alors une organisation qui se battait<br />

courageusement, c’était la Jeunesse communiste. Je suis<br />

d’abord devenu pionnier, car il fallait attendre d’avoir<br />

quinze ans pour adhérer à la Jeunesse communiste et c’est<br />

ce que j’ai fait dès que j’ai atteint cet âge. À l’époque, la<br />

Jeunesse communiste, à Bastia, était dirigée par des gens<br />

comme Jean-Baptiste Angeli et son frère Antoine qui se<br />

battra contre les Allemands jusqu’à la mort au Puy ; il y<br />

avait aussi mon frère Joseph Micheli, Albert Stefanini, et<br />

tant d’autres.<br />

Mais le Parti communiste était faible, à cette époque, en Corse.<br />

Le Parti communiste était faible, mais vivace et actif.<br />

Évidemment, pour faire un mouvement révolutionnaire<br />

il faut le nombre, puis une organisation et la théorie. Et<br />

là, le nombre n’y était pas. Mais nous avions un groupement<br />

de jeunes assez important au sein d’un cercle qui<br />

s’appelait Paul Vaillant-Couturier, en l’honneur du poète<br />

et journaliste, auteur de la fameuse chanson Jeunesse qui<br />

contient la célèbre formule : « Nous bâtirons un lendemain<br />

qui chante. »<br />

À l’âge de quinze ans, j’étais donc membre des<br />

Jeunesses communistes et j’ai été élu bibliothécaire du<br />

cercle Vaillant-Couturier ; je m’occupais déjà des livres<br />

et cela ne m’a jamais abandonné 7 . Ce cercle, dont le<br />

7. Après son départ du Comité central du Parti communiste, dans les<br />

années 1950, Léo a effectué toute sa carrière professionnelle dans<br />

l’édition.<br />

• 21 •


• •<br />

siège était situé avenue Carnot 8 à Bastia, avait un effectif<br />

d’environ deux cent cinquante jeunes. Pour l’agglomération<br />

bastiaise, cela faisait déjà du bruit. Il y avait<br />

d’autres cercles un peu partout en Corse, aussi bien à<br />

Ajaccio qu’à Porto-Vecchio ou Corte. Beaucoup de<br />

jeunes adhéraient à l’époque à la Jeunesse communiste.<br />

C’était un moment où les jeunes discutaient beaucoup<br />

et de tous les problèmes, aussi bien à l’école qu’après<br />

les cours, lors des réunions que nous tenions. Il y avait<br />

également des mouvements syndicaux très importants,<br />

notamment chez les dockers, les cheminots, les électriciens,<br />

les postiers, qui animaient la vie politique. De<br />

plus, au parti, il y avait des ouvriers, mais aussi toute une<br />

équipe de professeurs du lycée comme, par exemple,<br />

Bainville, Borel ou encore Arthur Giovoni. À côté de<br />

Raoul Benigni, de Pierre Giudicelli, de Pascal Luchetti et<br />

de tant d’autres, il y avait cette catégorie d’intellectuels<br />

qui donnait un mélange très intéressant.<br />

Tout ce contexte politique, social et culturel entraînait<br />

la jeunesse à s’intéresser aux problèmes politiques.<br />

Nous diffusions dans la rue, pratiquement tous les<br />

dimanches, la presse du parti. Cela faisait une certaine<br />

activité. Notre organisation était très structurée et entretenait<br />

des liens étroits avec le mouvement syndical. Il y<br />

avait beaucoup de volonté. Dans les réunions publiques<br />

et contradictoires qui se tenaient au théâtre de Bastia, des<br />

militants communistes interpellaient régulièrement les<br />

orateurs. Il y avait une activité politique intense probablement<br />

dictée par le fait qu’il y avait cette menace fasciste.<br />

8. Le local se trouvait dans l’immeuble aujourd’hui situé au 2, avenue<br />

Maréchal-Sebastiani.<br />

• 22 •


• •<br />

Table des matières<br />

Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7<br />

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9<br />

Prologue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13<br />

<strong>En</strong>fance et contexte avant-guerre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15<br />

Le Congrès des Jeunesses communistes . . . . . . . . . . . . . 35<br />

Le Pacte germano-soviétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38<br />

Les débuts de la Résistance en Corse . . . . . . . . . . . . . . . . 44<br />

L’arrivée des troupes italiennes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50<br />

La grande manifestation de mars 1943 à Bastia . . . . . 57<br />

La conférence de Porri de mai 1943 . . . . . . . . . . . . . . . . . 68<br />

L’hégémonie du Front national<br />

dans la résistance corse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81<br />

La Résistance victime de la répression . . . . . . . . . . . . . . . 87<br />

La préparation de l’insurrection . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101<br />

La Corse, premier département libéré . . . . . . . . . . . . . . 107<br />

Place à la bataille politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119<br />

Les années au Comité central du PCF . . . . . . . . . . . . . 126<br />

Regard sur le nationalisme corse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140<br />

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142<br />

Annexe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149<br />

• 165 •

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!