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ZESO_03-20_FRANZ_alle

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SKOS CSIAS COSAS<br />

Schweizerische Konferenz für Sozialhilfe<br />

Conférence suisse des institutions d’action sociale<br />

Conferenza svizzera delle istituzioni dell’azione sociale<br />

Conferenza svizra da l’agid sozial<br />

<strong>ZESO</strong><br />

ZEITSCHRIFT FÜR SOZIALHILFE<br />

<strong>03</strong>/<strong>20</strong><br />

L'INTEGRATION<br />

L’aide sociale doit absolument<br />

investir dans la<br />

formation<br />

INTERVIEW<br />

La formation en ligne - les<br />

expériences de la ZHAW<br />

PRATIQUE<br />

Quels encaissements<br />

l’aide sociale peut-elle<br />

prendre en compte ?<br />

PARENTS CÉLIBATAIRES<br />

MENACÉS DE PAUVRETÉ<br />

Des mesures de prévention se font attendre


Quels encaissements l’aide sociale<br />

peut-elle prendre en compte ?<br />

PRATIQUE Les revenus perçus rétroactivement par les bénéficiaires de l’aide sociale ne peuvent<br />

être pris en compte dans les prestations d'aide sociale déjà fournies que si les deux prestations<br />

concernent la même période. Les autres encaissements sont pris en compte à titre de revenus dans<br />

le budget d’aide actuel.<br />

Mme Kunz est divorcée et vit avec ses deux<br />

enfants dans son propre ménage. Le père<br />

verse des contributions d’entretien pour<br />

ces derniers. Dans l'ensemble, les revenus<br />

ne suffisent pas à couvrir les besoins de<br />

base, raison pour laquelle la famille perçoit<br />

également l’aide sociale. Mme Kunz vient<br />

de recevoir pour elle-même un versement<br />

unique de contributions d’entretien impayées<br />

qui remontent à une époque où elle<br />

n’était pas encore soutenue par l'aide sociale.<br />

QUESTIONS<br />

1. Pour l’entretien après le divorce, les<br />

contributions d’entretien perçues rétroactivement<br />

sont-elles prises en<br />

compte dans le calcul de l'aide sociale ?<br />

2. Doivent-elles être considérées comme<br />

revenu ou fortune ?<br />

3. Mme Kunz peut-elle garder cet argent ?<br />

PRATIQUE<br />

Dans cette rubrique, la <strong>ZESO</strong> publie des questions<br />

ex-emplaires de la pratique de l'aide sociale qui ont<br />

été adressées à la « CSIAS-Line », une offre de conseil<br />

en ligne que la CSIAS propose à ses membres.<br />

L'accès pour vos questions se fait dans l'espace<br />

membressur le site interent : www.csias.ch <br />

espace membres (se connecter) CSIAS-Line.<br />

BASES<br />

Le droit à l’aide sociale s’ouvre lorsqu’une<br />

personne ne peut subvenir à ses besoins et<br />

qu’elle ne reçoit pas d’aide de tiers ou pas à<br />

temps. Personne n’a le droit de choisir<br />

entre l’aide sociale et d’autres possibilités<br />

d’aide en amont (norme CSIAS A.3. al. 2).<br />

En raison du principe de subsidiarité, le<br />

droit à des contributions d’entretien prime<br />

toujours sur le droit à l'aide sociale. En l’absence<br />

d’une contribution d’entretien en<br />

temps opportun, des avances peuvent être<br />

demandées à l'aide sociale, compte tenu du<br />

principe de la couverture des besoins. En<br />

cas de remboursement d'avances sur prestations<br />

d’aide sociale, il convient de tenir<br />

compte de diverses mesures de sûreté<br />

(norme CSIAS E.2.3).<br />

Les prestations reçues rétroactivement<br />

de la part de tiers viennent en remboursement<br />

des avances consenties par l’aide<br />

sociale (norme CSIAS E.2.2. al. 1). Toutefois,<br />

seules les prestations de même espèce<br />

et correspondant à la même période<br />

peuvent être prises en compte (norme<br />

CSIAS E.2.2. al. 2). Par conséquent, les<br />

prestations et les montants versés par l’aide<br />

sociale doivent se rapporter à la même<br />

période (congruence temporelle) et servir<br />

le même objectif ou couvrir l’entretien<br />

(congruence d’objectif).<br />

Les encaissements qui ne peuvent pas<br />

être pris en compte dans les prestations<br />

d'aide sociale déjà fournies sont pris en<br />

compte à titre de revenus dans le budget<br />

d'aide actuel. Toutes les ressources financières<br />

sont prises en compte dans le calcul<br />

des prestations de l’aide sociale (norme<br />

D.1. al. 1). Les ressources financières disponibles<br />

sont prises en compte au moment<br />

de leur versement et il est attendu des personnes<br />

bénéficiaires qu’elles utilisent les<br />

montants pour couvrir les besoins de base<br />

(théorie des flux entrants).<br />

Aucune franchise sur le revenu n'est<br />

accordée sur les montants perçus rétroactivement.<br />

Cela s'applique également aux<br />

versements reçus durant le mois du dépôt<br />

de la demande. Toutefois, les bénéficiaires<br />

peuvent utiliser les encaissements rétroactifs<br />

qui ne peuvent être pris en compte dans<br />

les prestations d'aide sociale déjà fournies<br />

pour rembourser des dettes existantes.<br />

RÉPONSES<br />

1. Dans le cas présent, les contributions<br />

d’entretien perçues rétroactivement ne<br />

peuvent pas être prises en compte dans<br />

les prestations d'aide sociale déjà fournies.<br />

2. Le versement unique est à considérer<br />

comme un revenu dans le budget d’aide<br />

actuel de Mme Kunz. Aucune franchise<br />

sur le revenu n’est accordée.<br />

3. Mme Kunz peut garder cet argent, mais<br />

son besoin de soutien actuel diminue à<br />

concurrence des contributions d’entretien<br />

reçues. Il est même possible que<br />

Mme Kunz perde temporairement son<br />

droit à l’aide sociale, si les prestations<br />

encaissées dépassent ses besoins de<br />

base actuels.<br />

•<br />

Manuela Reuss<br />

Commission normes et aides pratiques<br />

de la CSIAS<br />

INFORMATION IMPORTANTE<br />

Les références aux normes CSIAS s’appliquent<br />

à la nouvelle structure des normes valables à<br />

partir de <strong>20</strong>21.<br />

6 <strong>ZESO</strong> 3/<strong>20</strong>


La formation continue pour les<br />

bénéficiaires de l’aide sociale<br />

AIDE SOCIALE Pour continuer à garantir le succès de l'integration professionnelle, l’aide sociale doit<br />

investir dans l’encouragement des compétences et la qualification. Les premières expériences de la<br />

ville de Berne confirment le bien-fondé de cette approche. Selon le nouveau message FRI, les cantons<br />

disposeront ces quatre prochaines années de CHF 43 millions de fonds fédéraux pour promouvoir<br />

les compétences de base et la formation continue.<br />

En Suisse, près de la moitié des bénéficiaires<br />

de l'aide sociale âgés entre 25 et 64<br />

ans (46,4 %) n'ont aucun diplôme professionnel.<br />

Cela signifie que la proportion de<br />

personnes sans formation professionnelle<br />

est environ trois fois plus élevée parmi les<br />

bénéficiaires de l’aide sociale que dans la<br />

population résidente permanente. Parallèlement,<br />

près de 30 % des bénéficiaires de<br />

l’aide sociale possèdent des compétences<br />

de base insuffisantes, raison pour laquelle<br />

ils sont prioritairement placés dans des emplois<br />

non qualifiés.<br />

En raison des mégatendances dans le<br />

monde du travail, le nombre d’emplois peu<br />

qualifiés ne cesse de diminuer depuis des<br />

années. Une évolution qui remet en question<br />

l'approche de l'aide sociale qui consiste<br />

à orienter directement et aussi rapidement<br />

que possible les clients souvent peu qualifiés<br />

vers le marché de l’emploi. Si l'aide sociale<br />

souhaite à l’avenir poursuivre cet objectif,<br />

il convient d’investir davantage dans<br />

l’encouragement des compétences et la<br />

qualification professionnelle. Pour l'aide sociale,<br />

cela implique un changement de paradigme,<br />

puisqu’à ce jour, elle s’est montrée<br />

très réticente à financer les formations ou<br />

cours de perfectionnement des personnes<br />

de plus de 25 ans. La Conférence suisse<br />

des institutions d'action sociale (CSIAS) et<br />

la Fédération suisse pour la formation continue<br />

(FSEA) ont donc lancé conjointement<br />

l'offensive de formation continue en <strong>20</strong>18.<br />

Dans les différents cantons, des projets<br />

pilotes montrent que cette approche est prometteuse.<br />

Depuis plusieurs années, le Bureau<br />

de la sécurité sociale de la ville de Berne<br />

attache beaucoup d’importance à l’encouragement<br />

des compétences et des qualifications<br />

des bénéficiaires de l'aide sociale. Dans<br />

sa stratégie actuelle pour les années <strong>20</strong>18 à<br />

<strong>20</strong>21 visant à promouvoir l'intégration professionnelle<br />

et sociale, la ville de Berne investit<br />

2,3 millions de francs dans la mise en<br />

place et le pilotage d’offres d'encouragement<br />

adéquates.<br />

Permettre à un demandeur d’emploi de<br />

suivre une formation professionnelle est le<br />

meilleur moyen de poser les bases d’une<br />

sortie durable de l'aide sociale. De nombreux<br />

bénéficiaires ne sont toutefois pas à<br />

même de suivre une formation professionnelle.<br />

Il est donc essentiel d'identifier des<br />

parcours de formation moins exigeants et<br />

de les utiliser de manière ciblée. À cette fin,<br />

le Bureau de la sécurité sociale de la ville de<br />

Berne a développé un modèle de formation<br />

fondé sur quatre échelons, associés chacun<br />

à un objectif d’encouragement prioritaire.<br />

Le but de cette approche est de former les<br />

bénéficiaires de l'aide sociale compte tenu<br />

de leur potentiel et à un échelon qui leur est<br />

accessible.<br />

Davantage de fonds pour combler les<br />

lacunes de l'offre<br />

A l’heure actuelle, la ville de Berne mène<br />

des projets pilotes pour développer des<br />

cours visant à favoriser l’acquisition des<br />

compétences de base et de la vie courante,<br />

ainsi que des formations spécialisées d’une<br />

durée de six mois dans la restauration et<br />

l’entretien. Les premières expériences sont<br />

porteuses d’espoir : l’encouragement selon<br />

le modèle échelonné semble profiter à une<br />

partie des bénéficiaires de l'aide sociale et<br />

les formations spécialisées en particulier<br />

permettent d’augmenter les chances de<br />

trouver un emploi. En outre, les cours de<br />

formation ont des effets qui vont au-delà de<br />

la simple acquisition de connaissances,<br />

puisqu’ils aident les participants à améliorer<br />

leur confiance en soi, leur assurance et<br />

leur motivation, tout en leur insufflant une<br />

dynamique positive.<br />

Le nouveau message FRI offre l’occasion<br />

d'intensifier l’encouragement des compétences<br />

et la qualification professionnelle<br />

en Suisse : pour les années <strong>20</strong>21 à <strong>20</strong>24,<br />

la Confédération met en effet à disposition<br />

des fonds pour un montant total de 43 millions<br />

de francs. D'une part, ces fonds sont<br />

destinés à combler les lacunes de l’offre<br />

existante. Pour les bénéficiaires de l’aide sociale,<br />

elle entend d’autre part garantir l’accès<br />

à des structures d’encouragement dans<br />

la formation continue, la formation professionnelle<br />

et l'assurance-chômage. Les<br />

cantons sont désormais appelés à mettre à<br />

disposition le même montant pour la promotion<br />

des compétences de base.<br />

Afin d’opérer le changement de paradigme<br />

dans l’aide sociale vers un accent accru<br />

sur la formation, il ne suffit pas de créer<br />

des offres d’encouragement appropriées.<br />

Outre la mise à disposition des fonds nécessaires<br />

au financement de ces offres, il<br />

est nécessaire de développer les processus<br />

d'insertion professionnelle actuels. Il s’agit<br />

d’identifier au plus vite et d’encourager le<br />

potentiel de perfectionnement des bénéficiaires<br />

de l'aide sociale.<br />

Pour y parvenir, il faut disposer d’un outil<br />

d’évaluation systématique et professionnel<br />

qui permette d’identifier suffisamment tôt<br />

le potentiel existant, puis de mettre l’accent<br />

sur l’orientation vers les compétences tout<br />

au long du processus d'insertion professionnelle.<br />

De l'évaluation du potentiel au placement,<br />

en passant par la formation, il faut à<br />

tout moment connaître précisément les compétences<br />

de chaque demandeur d'emploi,<br />

les lacunes qu’il doit combler pour sa future<br />

insertion et les moyens qui lui permettront<br />

d’acquérir les compétences requises. •<br />

David Kieffer<br />

Bureau de la sécurité sociale de la ville de Berne<br />

3/<strong>20</strong> <strong>ZESO</strong><br />

7


« Pour nous tous, c’était la douche<br />

froide au printemps »<br />

INTERVIEW Après une année de transition, Frank Wittmann a été officiellement nommé le 1 er juin <strong>20</strong><strong>20</strong><br />

directeur du département du travail social de la ZHAW. Il souhaite moderniser le programme d’études<br />

en renforçant sa praticité, ainsi que promouvoir la numérisation dans le travail social.<br />

« <strong>ZESO</strong> » : Depuis mars, votre HES<br />

dispense ses cours en ligne. Comment<br />

avez-vous vécu cette phase d’enseignement<br />

à distance ?<br />

Frank Wittmann : J'ai été surpris<br />

de constater que la transition s’est bien<br />

opérée. Le changement a en effet été très<br />

abrupt. J'ai été satisfait de la réaction majoritairement<br />

positive des étudiants et des<br />

participants aux formations continues. Je<br />

m'attendais à ce qu'au moins un quart à<br />

un tiers d’entre eux abandonnent les cours<br />

de perfectionnement. Au vu des circonstances,<br />

nous avions proposé à tous les participants<br />

d’interrompre leur CAS et de les<br />

rembourser au prorata des coûts. Cependant,<br />

personne n'a accepté la proposition<br />

et tous ont fait l’expérience de ce nouvel<br />

apprentissage, notamment nos étudiants<br />

en Bachelor et Master qui n'avaient toutefois<br />

pas vraiment le choix.<br />

La transition a-t-elle été difficile pour<br />

le corps enseignant ?<br />

Ce changement a demandé de grands<br />

efforts à nos professeurs. Avant la crise du<br />

coronavirus, de nombreux enseignants et<br />

étudiants n’étaient que modérément intéressés<br />

par l'e-learning. L'attitude « un peu,<br />

mais pas trop » était monnaie courante.<br />

Pour nous tous, ce fut une douche froide<br />

au printemps. En très peu de temps, nous<br />

avons dû changer le cadre didactique et<br />

étendre l'usage des outils numériques. Je<br />

n'ai jamais vécu un changement aussi radical<br />

en si peu de temps. Mais cette situation<br />

a généré une dynamique étonnante. Notre<br />

courbe d'apprentissage a grimpé en flèche.<br />

Les cours en ligne étaient-ils aussi adaptés<br />

que l'enseignement présentiel ?<br />

Pour certains domaines, le numérique<br />

ne suffit pas. Cela s'applique en particulier<br />

aux discussions et réflexions au sein de<br />

grands groupes. En étant physiquement<br />

présent dans la s<strong>alle</strong>, je peux observer le<br />

langage non verbal des personnes qui ne<br />

s’expriment pas. Je vois les réactions des<br />

autres participants et je peux intégrer ces<br />

informations dans mes perceptions et interventions.<br />

L'utilisation du zoom est très<br />

tentante pour une communication linéaire.<br />

Il est intéressant de noter qu'au début, tous<br />

les étudiants ont participé aux visioconférences<br />

en activant leur mode vidéo. Après<br />

un certain temps, les professeurs se sont retrouvés<br />

face à une centaine d’écrans noirs.<br />

Nous avons alors réalisé l’importance de<br />

définir des règles de base. En tant que professeur,<br />

il est impossible de s’adresser durant<br />

des heures à un écran noir. Chaque<br />

intervention nécessite des réactions et interactions<br />

avec les étudiants.<br />

Quelles conclusions et enseignements<br />

tirez-vous de cette expérience ?<br />

Certaines matières enseignées en classe<br />

se prêtent aussi bien à des cours en ligne.<br />

La transmission de connaissances fonctionne<br />

bien, à distance – par exemple, par<br />

le biais de lectures, de présentations audios<br />

et de films. Il en va de même des travaux<br />

menés dans des groupes restreints. A l’avenir,<br />

nous devrions cependant cibler l’usage<br />

des études de contact lorsqu’elles génèrent<br />

une forte valeur ajoutée. Par exemple pour<br />

les discussions plénières et les réflexions de<br />

groupe susmentionnées.<br />

Même lorsque la crise du coronavirus<br />

sera terminée et que la distanciation<br />

sociale ne sera plus nécessaire ?<br />

Chez nous, l’avenir ne réside pas dans<br />

les études en ligne. Je pars du principe que<br />

nous créerons une forte synergie entre les<br />

cours en classe et en ligne. A l’instar de la<br />

plupart des étudiants et professeurs, j'espère<br />

que le coronavirus sera bientôt sous<br />

contrôle et que nous pourrons à nouveau<br />

augmenter les études en classe.<br />

Comment les étudiants vivent-ils le<br />

manque d'échanges sociaux avec les<br />

professeurs et leurs pairs ?<br />

En tant qu’espace de proximité, l'université<br />

nous manque à tous. Cependant,<br />

de nombreux étudiants en Bachelor apprécient<br />

la nouvelle flexibilité offerte par<br />

les cours en ligne. Des enquêtes ont montré<br />

que les études de contact sont l’élément<br />

qui manque le plus à nos étudiants des<br />

cours de perfectionnement.<br />

Photo: Palma Fiacco<br />

8 <strong>ZESO</strong> 3/<strong>20</strong>


Que se passera-t-il en automne ? Comment<br />

gérerez-vous les exigences liées<br />

au coronavirus ces prochains mois à la<br />

ZHAW ?<br />

Nous avons un concept de protection<br />

et mettons en œuvre les règles de distanciation<br />

sociale. Actuellement, une place<br />

sur deux est vide dans nos s<strong>alle</strong>s de classe.<br />

Une partie des études et certains cours de<br />

perfectionnement auront lieu sur notre<br />

campus Toni-Areal, tandis que d'autres<br />

seront dispensés sous forme numérique.<br />

Nous sommes en passe de faire de l’apprentissage<br />

mixte la nouvelle norme didactique.<br />

Les stages font partie intégrante<br />

des études en travail social. Ils<br />

n’ont probablement pas pu<br />

avoir lieu ?<br />

Notre priorité a toujours été de permettre<br />

aux étudiants de terminer leurs<br />

études dans les délais prévus, sans leur<br />

faire perdre un semestre. Cela n'a pas toujours<br />

été facile, mais nous y sommes parvenus<br />

grâce à l'approche orientée vers les<br />

solutions de tous les participants, notamment<br />

dans la formation pratique qui requérait<br />

une grande flexibilité. Presque tous<br />

les projets de mon CAS « Culture change »<br />

(changement culturel) ont été affectés par<br />

le coronavirus. Le télétravail à domicile, les<br />

nouvelles urgences organisationnelles, les<br />

changements de stratégie et autres chamboulements<br />

ont entravé la collaboration ou<br />

même conduit à l'annulation de projets.<br />

La tâche de la HES est de préparer les<br />

étudiants à de telles crises. Comment y<br />

parvient-elle ?<br />

Notre tâche principale est de permettre<br />

aux étudiants d'acquérir les connaissances<br />

et compétences requises et de les associer<br />

à des expériences pratiques, notamment<br />

dans le domaine de l'autogestion. Le coronavirus<br />

a contraint les étudiants et, en fin<br />

de compte, la société, à trouver les moyens<br />

de faire face à une situation totalement<br />

inédite. Un exercice de gestion de la volatilité,<br />

de l'incertitude, de la complexité et<br />

de l'ambiguïté, un véritable apprentissage<br />

par la pratique. Dans différents contextes,<br />

nous avons facilité la réflexion sur la situation<br />

et les expériences vécues. En ce sens, le<br />

coronavirus a généré une plateforme de réflexion<br />

et d'acquisition de compétences qui<br />

n’aurait jamais vu le jour en temps normal.<br />

Comment la HES peut-elle aider la société<br />

à faire face à des problèmes tels<br />

que le nombre croissant de personnes<br />

touchées par la pauvreté ?<br />

L'une de nos tâches consiste à publier<br />

les résultats de nos travaux scientifiques<br />

pour rendre le public attentif aux dérives et<br />

nouveaux développements, mais aussi de<br />

nourrir la discussion sur ces phénomènes,<br />

de sensibiliser la société et, en collaboration<br />

avec nos partenaires de la pratique, de<br />

participer à l’élaboration de solutions.<br />

<br />

« En ce sens, le coronavirus<br />

a généré<br />

une plateforme de<br />

réflexion et d'acquisition<br />

de compétences<br />

qui n’aurait<br />

jamais vu le jour en<br />

temps normal. »<br />

3/<strong>20</strong> <strong>ZESO</strong><br />

9


« Il est important de connaître ses propres ressources : j'ai besoin<br />

de savoir ce que je peux faire et où se situent mes limites ou celles<br />

de mes collègues. »<br />

<br />

A votre avis, quelles sont les autres<br />

conséquences de la crise pour votre<br />

HES ?<br />

Les besoins sociaux et l'agenda social<br />

subissent des changements majeurs, ce<br />

qui se répercute sur nos thématiques et approches<br />

et donc sur notre enseignement<br />

et nos travaux de recherche. Par ailleurs,<br />

la baisse des recettes fiscales impactera<br />

non seulement les budgets du secteur social,<br />

mais aussi les finances des HES publiques.<br />

Toutefois, les ressources limitées<br />

nous inciteront aussi à fixer des priorités<br />

encore plus claires.<br />

Quelles sont vos priorités immédiates<br />

en tant que nouveau directeur de la<br />

HES de travail social de la ZHAW ?<br />

La stratégie thématique, portée notamment<br />

par nos instituts, se poursuivra dans<br />

la continuité. Cependant, elle est complétée<br />

par deux nouveaux ensembles thématiques.<br />

Le premier, la garantie de l’existence,<br />

combine des thèmes tels que la<br />

pauvreté, l'insertion professionnelle, l'aide<br />

sociale et la protection de l’adulte. L'autre<br />

ensemble thématique est la numérisation<br />

dans le travail social. Nous avons créé des<br />

réseaux internes interdisciplinaires pour<br />

développer ces deux groupes thématiques.<br />

La coopération interdisciplinaire est une<br />

grande force. Il est très important pour<br />

moi de prendre le pouls de la situation, de<br />

travailler en étroite collaboration avec les<br />

praticiens et de répondre à leurs besoins.<br />

Nous avons déjà commencé à intensifier<br />

les contacts avec les institutions sociales.<br />

La raison d'être d'une HES est de traiter<br />

les sujets qui ont une utilité pratique. Nous<br />

devons encore combler cette lacune et développer<br />

ce potentiel. Nous nous y attelons<br />

dès à présent !<br />

Dans la plupart des HES, l'aide sociale<br />

était, à ce jour, un thème marginal<br />

des cursus de formation. Pourquoi se<br />

concentrer sur ce sujet ?<br />

L'aide sociale figure au cœur du travail<br />

social – surtout dans une ville et un canton<br />

comme Zurich. Les services sociaux<br />

publics constituent aussi un important<br />

employeur pour nos étudiants. Nous aimerions<br />

leur transmettre les bases professionnelles<br />

requises et réserver au sujet la place<br />

qu'il mérite. Nos nouveaux cours de perfectionnement,<br />

ainsi que nos prestations de<br />

conseil et de recherche thématiques rencontrent<br />

un succès encourageant.<br />

Tout le monde parle aujourd’hui du<br />

deuxième thème - la numérisation<br />

dans le travail social. Dans la pratique,<br />

il me semble qu'il n'a pas vraiment<br />

été abordé. Comment comptez-vous<br />

procéder ?<br />

Nous nous trouvons dans une phase<br />

passionnante d'exploration et d'expérimentation.<br />

Les membres de notre réseau<br />

sont en train de rassembler des acteurs de<br />

domaines tels que les affaires sociales, les<br />

statistiques, l'administration et la technologie<br />

pour analyser les problèmes et identifier<br />

des approches. Dans le contexte des<br />

mégadonnées, il faut préciser que de nombreux<br />

sets de données ne sont pas interconnectés<br />

à l'heure actuelle. L'une de nos<br />

tâches consiste à étudier et à exploiter<br />

leur potentiel et celui des combinaisons<br />

de données, tout en assurant la protection<br />

des données et de la personnalité, en particulier<br />

des clientes et clients. Une grande<br />

sensibilité et une grande prudence sont de<br />

mise. Lors d'un récent événement, une collaboratrice<br />

d’un service social m'a confié<br />

qu'elle trouvait le sujet de la numérisation<br />

ultra passionnant, mais qu'il n'avait<br />

malheureusement rien à voir avec l‘aide<br />

sociale. Je comprends bien entendu son<br />

point de vue, mais la numérisation ne cesse<br />

de s’imposer dans le secteur social.<br />

En Suisse romande et en France en<br />

particulier, la participation des personnes<br />

touchées par la pauvreté est un<br />

sujet important, notamment dans le<br />

cadre des cursus de formation. Est-ce<br />

une option pour vous ?<br />

J'ai beaucoup de sympathie pour une<br />

vision holistique de la participation. Je<br />

partage votre avis selon lequel la Suisse<br />

alémanique et la ZHAW peuvent s'ouvrir<br />

davantage à la pratique et créer leurs<br />

propres canaux afin d’accroître la participation.<br />

Nous devons procéder à une évaluation<br />

nuancée pour déterminer quelle<br />

forme de participation se prête à quels<br />

thèmes et projets, tout en apportant une<br />

réelle valeur ajoutée. Nous participons actuellement<br />

à un projet global de la ZHAW<br />

qui met en place une nouvelle forme de<br />

participation interne pour les étudiants, le<br />

personnel et les professeurs de la HES.<br />

10 <strong>ZESO</strong> 3/<strong>20</strong>


FRANK WITTMANN<br />

Depuis le 1 er juin <strong>20</strong><strong>20</strong>, Frank Wittmann est<br />

directeur du département du travail social de la<br />

ZHAW. Il a rédigé un mémoire sur la culture des<br />

médias pour lequel il a effectué des recherches<br />

de terrain pendant un an au Sénégal. Après<br />

avoir terminé ses études, il a coordonné la<br />

communication et la formation continue dans<br />

un programme de volontariat pour la mission de<br />

maintien de la paix des Nations unies en Haïti. En<br />

<strong>20</strong>07, Frank Wittmann a réintégré la ZHAW pour<br />

diriger l'état-major du département des affaires<br />

internationales.<br />

Le travail social est un domaine<br />

d'étude apprécié, mais la majorité des<br />

étudiants sont des femmes. Des changements<br />

se profilent-ils à l'horizon ?<br />

La proportion de femmes reste nettement<br />

supérieure à celle des hommes.<br />

Actuellement, le rapport est d'environ<br />

75/25, mais il est un peu plus équilibré<br />

dans la formation continue. Durant les travaux<br />

de groupe, nous pouvons aisément<br />

constater que les étudiants masculins n'ont<br />

aucun statut exotique. Nous continuons à<br />

œuvrer en faveur de la hausse du nombre<br />

d’hommes.<br />

Ne devrait-il pas y avoir davantage<br />

de femmes dans les fonctions dirigeantes<br />

?<br />

Dans le secteur social et les HES, la<br />

proportion n'est pas exactement l'inverse,<br />

mais souvent paritaire. Pour notre département<br />

du travail social, nous espérons pouvoir<br />

préparer davantage d'étudiantes aux<br />

fonctions dirigeantes. Nous pouvons leur<br />

apporter un soutien dans nos formations<br />

et cours de perfectionnement et instaurer<br />

les pratiques adéquates dans la filière HES.<br />

Une étude de la Haute école spécialisée<br />

bernoise BFH a conclu que les travailleurs<br />

sociaux souffrent davantage<br />

de burnout que la moyenne. Dans leur<br />

activité, ils évoluent souvent dans un<br />

environnement difficile et empreint de<br />

souffrance. Leurs tâches professionnelles<br />

sont exigeantes, éprouvantes et<br />

stressantes, comme le précise la BFH.<br />

Comment préparer les étudiants à<br />

cette pression ?<br />

Les thèmes du stress, de la pression et<br />

du burnout sont très présents dans la formation.<br />

Dans mon CAS « Leadership et<br />

coopération dans les organisations à but<br />

non lucratif », la santé et la maladie figurent<br />

parmi les thèmes clés régulièrement évoqués<br />

par les dirigeants. De nombreux spécialistes<br />

et dirigeants n’ont pas fini d’apprendre<br />

lorsqu'il s'agit de développer une<br />

relation détendue qui améliore leur propre<br />

performance et celle de leurs équipes. Un<br />

burnout ne survient pas systématiquement<br />

après un effort hors du commun, mais est<br />

le résultat d’une combinaison de facteurs<br />

inextricablement liés. La gestion inadéquate<br />

de la pression, la méconnaissance<br />

de ses propres ressources et l'absence de<br />

relations interpersonnelles intactes en font<br />

souvent partie.<br />

Quelles mesures de prévention recommandez-vous<br />

?<br />

Dans le cadre des formations et cours<br />

de perfectionnement, nous devons favoriser<br />

la connaissance de soi qui sert de base à<br />

l'autogestion. Il est important de connaître<br />

ses propres ressources : j'ai besoin de savoir<br />

ce que je peux faire et où se situent<br />

mes limites ou celles de mes collègues. Je<br />

dois apprendre à les accepter et à les communiquer<br />

de manière adéquate. Et je peux<br />

progressivement travailler pour accroître<br />

ma résilience et celle de mon équipe. Par<br />

exemple, en posant un autre regard sur les<br />

situations de stress ou en réfléchissant aux<br />

ressources individuelles et collectives que<br />

je peux mobiliser pour relever un défi. Le<br />

développement personnel est étroitement<br />

lié au besoin d’être soutenu par les autres.<br />

<br />

•<br />

Interview réalisée par<br />

Ingrid Hess<br />

3/<strong>20</strong> <strong>ZESO</strong><br />

11


Les désavantages cumulés conduisent<br />

les foyers monoparentaux à l’aide sociale<br />

Quel est le profil des foyers monoparentaux du canton de Neuchâtel qui bénéficient de l'aide<br />

sociale ? Quels sont les facteurs qui conduisent à la dépendance ou à la sortie de l'aide sociale ? Et<br />

comment les professionnels des services sociaux évaluent-ils la situation ? Ces questions ont été<br />

analysées dans le cadre d'une étude menée par la chercheuse Ornella Larenza au sein du Pôle de<br />

recherche national LIVES.<br />

Dans plus de neuf cas sur dix, les foyers monoparentaux bénéficiaires<br />

de l'aide sociale dans le canton de Neuchâtel en <strong>20</strong>16 se<br />

composaient d'une mère et de ses enfants. Les parents célibataires<br />

étaients âgés entre 26 et 55 ans avec un âge moyen d’environ 40<br />

ans. Ces familles monoparentales habitaient principalement dans<br />

les zones les plus urbanisées du canton, notamment à La Chauxde-Fonds<br />

et à Neuchâtel.<br />

Dans la plupart des cas, les parents avaient fait leur transition à<br />

la monoparentalité par la rupture d’un projet de couple se soldant<br />

par une séparation, un divorce ou la fin d’une cohabitation. Les<br />

cas de veuvage étaient cependant très rares. La majorité des monoparents<br />

vivaient dans une unité d’assistance comprenant un seul<br />

enfant dépendant.<br />

La plupart des parents bénéficiaires de l’aide sociale cherchaient<br />

un emploi ou étaient inactifs. Plus d’un cinquième étaient<br />

actifs et travaillaient - souvent à temps partiel. Dans le canton de<br />

Neuchâtel, un peu plus de la moitié des monoparents bénéficiaires<br />

étaient de nationalité suisse, et un quart des ressortissants d’un<br />

pays européen.<br />

La quasi-totalité des foyers percevaient des prestations d’aide<br />

sociale à long terme. Seule une petite minorité de bénéficiaires arrivaient<br />

à quitter l’aide sociale en moins de douze mois. Les foyers<br />

bénéficiaires où des pères étaient à la tête du ménage présentaient<br />

globalement les mêmes caractéristiques de profil que celles de la<br />

population totale (mères et pères).<br />

Pas de déclencheur unique<br />

L’enquête qualitative permettait d’investiguer la question des parcours<br />

des foyers monoparentaux à l’aide sociale et de leur expérience<br />

subjective en tant que bénéficiaires. La transition à la monoparentalité<br />

survenait à des moments différents du parcours de vie<br />

- indépendamment de l’entrée à l’aide sociale. Parfois les parents<br />

étaient déjà à l’aide sociale pendant la vie de couple, parfois ils<br />

étaient arrivés à l’aide sociale suite à la séparation. Dans quelques<br />

cas, ils avaient déjà fait l’expérience de l’aide sociale en dehors de<br />

la vie de couple et sans enfant et y étaient revenus par la suite.<br />

La focalisation sur les moments de l’entrée et de la sortie de<br />

l’aide sociale dans les parcours des bénéficiaires ayant participé<br />

à l’enquête avait permis de comprendre quels évènements et facteurs<br />

pouvaient contribuer à l’entrée à l’aide sociale et lesquels permettaient<br />

ou empêchaient d’en sortir ensuite.<br />

Dans aucune des histoires collectées, l’entrée à l’aide sociale<br />

était seulement le résultat d’un déclencheur qui intervenait à un<br />

moment précis du parcours de vie. Elle était plutôt le fruit d’un ou<br />

plusieurs processus de cumul de désavantages qui se mettaient en<br />

place en amont de l’arrivée à l’aide sociale et qui s’imbriquaient<br />

à un événement déclencheur. Parmi les désavantages cumulés,<br />

citons les difficultés liées à l’origine sociale (famille d’origine), le<br />

parcours scolaire déficitaire ou incomplet, les inégalités dans la vie<br />

de couple, les problèmes de santé et les parcours migratoires difficiles.<br />

Sortir de l’aide sociale est possible par la reprise d’une activité<br />

professionnelle ou l’augmentation du taux d’activité. Pour cela, il<br />

est très important de pouvoir disposer de moyens de garde fiables<br />

quand les enfants sont en bas âge. Certains parents renonçaient à<br />

l’aide sociale, alors qu’ils y auraient eu droit, ou quittaient le dispositif<br />

à la suite d’une remise en couple et à la naissance d’un autre<br />

enfant avec un nouveau partenaire, sans que le bénéficiaire ait pu<br />

trouver un emploi ou augmenter son taux d’activité.<br />

Manque de soutien financier et pratique<br />

Parmi les facteurs pouvant empêcher la sortie de l’aide sociale, il y<br />

a le fait de travailler dans des secteurs offrant peu d’emplois, des<br />

problèmes de santé physique ou encore l’âge relativement avancé<br />

des bénéficiaires pour le marché de l’emploi. Le manque de solutions<br />

de garde fiables était souvent évoqué parmi les empêchements<br />

majeurs à la reprise d’une activité professionnelle, ainsi que<br />

le manque de possibilité d’évoluer grâce à des formations n’étant<br />

pas prises en charge par l’aide sociale. Chez les personnes surendettées,<br />

on observait parfois une incitation négative à sortir de<br />

l’aide sociale, puisque la sortie s’accompagnait d’une saisie sur salaire.<br />

Enfin, le manque de support économique et/ou pratique (la<br />

garde des enfants) de la part du père constituait souvent une limitation<br />

pour les mères ne parvenant ainsi pas à sortir de l’aide sociale.<br />

La monoparentalité peut jouer différents rôles dans les parcours<br />

de vie des bénéficiaires de l’aide sociale. Elle peut être le déclencheur<br />

de l’instabilité économique du foyer monoparental et provoquer<br />

le recours à l’aide sociale, en présence d’autres désavantages<br />

cumulés au fil du parcours de vie. Pour les mères qui avaient déjà<br />

fait la transition à la monoparentalité avant l’entrée à l’aide sociale,<br />

elle pouvait agir comme un facteur latent qui contribuait à<br />

l’entrée à l’aide sociale à la suite de l’apparition d’un déclencheur<br />

(par exemple la perte de l’emploi). Enfin, elle pouvait entraîner<br />

une aggravation de la situation personnelle des mères qui étaient<br />

déjà à l’aide sociale avant la transition à la monoparentalité. Ces<br />

cas de figure distincts révèlent l’importance d’à la fois promouvoir<br />

des mesures de prévention (contre le cumul de désavantages) et de<br />

14 <strong>ZESO</strong> 3/<strong>20</strong> SCHWERPUNKT


FOYERS MONOPARENTEAUX<br />

FOYERS MONOPARENTAUX BÉNÉFI-<br />

CIAIRES DE L’AIDE SOCIALE DANS LE<br />

CANTON DE NEUCHÂTEL<br />

Cet article synthétise les résultats d'un projet de recherche<br />

sur les foyers monoparentaux ayant bénéficié de l’aide<br />

sociale économique dans le canton de Neuchâtel en <strong>20</strong>16.<br />

L'étude a été réalisée en <strong>20</strong>19 sur mandat de l’Office de la<br />

politique familiale et de l'égalité du canton de Neuchâtel et<br />

financée par l'Université de Lausanne, le Pôle national de<br />

recherche LIVES et le canton de Neuchâtel.<br />

L’étude est disponible en ligne sur :<br />

www.lives-nccr.ch/sites/default/files/rapport_de_recherche_<br />

neuchatel_final_101219.pdf<br />

Plus de 90 % des parents célibataires bénéficiant de l'aide sociale sont<br />

des mères. <br />

Photo : Palma Fiacco<br />

soutenir des politiques de conciliation famille-travail pour les parents<br />

en situation de monoparentalité. A ce sujet, les bénéficiaires<br />

reconnaissaient l’importance de pouvoir compter sur un dispositif<br />

tel que l’aide sociale. Néanmoins, ils et elles souhaitaient plus de<br />

flexibilité au niveau du financement des moyens de garde et de<br />

formation.<br />

Les professionnels souhaitent des solutions adaptées<br />

Les focus groupes avec les responsables des services sociaux et leurs<br />

assistants sociaux et assistantes sociales avaient permis de valider<br />

les résultats de la recherche qualitative sur un petit échantillon et<br />

d’offrir quelques réflexions ultérieures, tirées de la pratique professionnelle.<br />

Les professionnel-le-s soulignaient tout particulièrement<br />

l’importance du versement et des montants des pensions alimentaires,<br />

ainsi que des questions liées à l’attribution de la garde dans<br />

les parcours à l’aide sociale des mères en situation de monoparentalité.<br />

En même temps, ils et elles souhaitaient proposer des solutions<br />

d’aide plus adaptées aux différents types de bénéficiaires,<br />

selon le secteur d’emploi. Ils confirmaient également la nécessité<br />

de promouvoir des mesures pour faciliter l’accès aux moyens de<br />

garde des parents qui n’étaient pas en mesures d’emploi, ainsi que<br />

des formations comme outils pour quitter l’aide sociale pour les<br />

parents potentiellement réactivables. Les professionnels relevaient<br />

l’existence d’un problème de non-recours à l’aide sociale chez des<br />

bénéficiaires potentiel-le-s, ainsi que des incitations négatives à<br />

quitter l’aide sociale, provoquées par les effets de seuil. En lien avec<br />

ce dernier point, ils et elles suggéraient aussi de réfléchir à l’aide<br />

sociale comme à un maillon du système de protection sociale et que<br />

tout changement normatif tienne compte de la cohérence entre les<br />

différents « bouts du système ». Enfin, ils avouaient une certaine<br />

légèreté dans leur manière de saisir les données sur les bénéficiaires<br />

pour les statistiques cantonales. Toutefois, ils et elles souhaitaient<br />

que certaines catégories soient modifiées pour être plus représentatives<br />

de la complexité des situations individuelles. •<br />

Dr. Ornella Larenza<br />

Chercheuse de la Haute école spécialisée de la Suisse italienne<br />

Ancienne chercheuse du Pôle de recherche national LIVES<br />

DOSSIER 3/<strong>20</strong> <strong>ZESO</strong><br />


Parents célibataires dans la tranche des<br />

bas salaires – une impasse ?<br />

Trouver un équilibre entre travail, garde d’enfants et responsabilités familiales est particulièrement<br />

difficile pour les parents célibataires. Pour celles et ceux qui travaillent dans le secteur des bas<br />

salaires ou qui dépendent de l'aide sociale, les possibilités de développer des perspectives<br />

professionnelles sont rares.<br />

Selon l'OCDE (<strong>20</strong>04), la conciliation entre travail et vie familiale<br />

poursuit deux objectifs : d’une part, de permettre aux personnes<br />

concernées de participer au marché du travail, de générer un revenu<br />

et de s'intégrer dans la société. D'autre part, d’offrir aux enfants<br />

les meilleures prise en charge et éducation possibles.<br />

Pour les familles en situation difficile, et en particulier les parents<br />

célibataires, atteindre ces objectifs est une tâche herculéenne<br />

qui nécessite le soutien de tiers.<br />

Pour subvenir aux besoins de la famille, les mères célibataires<br />

qui présentent de faibles qualifications professionnelles et ne perçoivent<br />

pas de contribution d’entretien du père peuvent uniquement<br />

recourir à l’aide sociale ou travailler à plein temps, voire à un<br />

taux d’activité élevé. Dans les deux cas, elles risquent de tomber<br />

dans un cercle vicieux alliant pauvreté et surmenage.<br />

Concilier travail et garde d’enfants<br />

Malgré un emploi à plein temps, le secteur des bas salaires implique<br />

souvent des heures de travail irrégulières, un travail posté et<br />

un faible revenu. Par ailleurs, les employeurs offrent peu de mesures<br />

de soutien et la régularité du revenu n'est pas toujours garantie.<br />

Lorsque les parents célibataires perçoivent l'aide sociale, l’entretien<br />

et la garde d’enfants sont pris en charge. Cependant, ils<br />

sont tenus de retrouver rapidement une indépendance financière<br />

et d’accepter un emploi. La pratique des services sociaux varie d'un<br />

canton à l'autre. Pour certains, la garde d’enfants en bas âge prime<br />

sur la reprise d’une activité lucrative. D’autres poussent parfois les<br />

mères à suivre une formation à plein temps et donc à recourir à une<br />

garde extrafamiliale le soir.<br />

TRAVAIL ET VIE FAMILIALE DANS UN<br />

CONTEXTE DE VULNÉRABILITE SOCIALE<br />

En <strong>20</strong>19, l'association a:primo a publié le rapport « Conciliation<br />

de la vie familiale et professionnelle dans un contexte<br />

de vulnérabilité sociale », basé sur les données du monitoring<br />

continu des programmes a:primo et sur des enquêtes<br />

réalisées auprès des collaborateurs et familles concernés.<br />

Les déclarations publiées dans le document se réfèrent à<br />

ces données. Même si les mères célibataires sont les seules<br />

à avoir participé aux programmes et à s’être prononcées, le<br />

contenu s’applique aussi aux pères célibataires.<br />

Les mères subissent également la pression des offices régionaux<br />

de placement.<br />

Dans les familles monoparentales, le père n'est souvent pas disponible<br />

pour garder les enfants. Si la famille ne vit pas à proximité<br />

immédiate, il faut trouver une autre solution de garde quotidienne.<br />

Bien que les crèches offrent des conditions stables, les coûts sont<br />

souvent trop élevés. En raison de la charge administrative impliquée,<br />

les parents aux faibles ressources éducatives peinent à gérer<br />

les demandes de subventions ou de bons de garde pour la crèche.<br />

Malgré les subventions, la garde d'enfants reste souvent onéreuse<br />

puisqu’en fonction de la situation professionnelle, les heures de<br />

garde peuvent s’accumuler, notamment en cas d’horaires de travail<br />

irréguliers. Les mamans de jour informelles constituent une<br />

solution alternative. Elles sont en général moins chères et plus<br />

flexibles, mais la stabilité de la garde n’est pas toujours garantie.<br />

Souvent, la qualité de la garde est secondaire, l’essentiel est que<br />

l'enfant soit pris en charge et le financement assuré.<br />

Lorsque l'enfant est malade ou durant les vacances scolaires,<br />

les parents célibataires atteignent vite leurs limites. Ils dépendent<br />

d'un réseau social fonctionnel qui n’est pas disponible en soi, mais<br />

qu’il s’agit de créer et d’entretenir. Dégager le temps nécessaire<br />

reste difficile en plus du travail, des enfants et du ménage.<br />

Pour les enfants, la famille est le premier lieu favorisant l’éducation<br />

et la sociabilisation. La famille exerce une influence décisive<br />

sur le développement de l'enfant. Afin de pouvoir s’épanouir,<br />

ce dernier doit évoluer dans un environnement social stable. Il a<br />

besoin d’attention, de sécurité, d’encouragement et, en l’absence<br />

d’un des parents, d'un cadre affectueux pour faire face à ce changement<br />

existentiel.<br />

L'équilibre entre ces conditions-cadres et ces exigences est<br />

fragile et génère vite un cercle vicieux avec peu de marge de<br />

manœuvre. Entre travail et famille, il n'y a guère de temps pour<br />

réfléchir aux possibilités de s’extraire du cercle vicieux.<br />

Faibles chances de suivre une formation (continue)<br />

L'aide sociale finance souvent la place de crèche et parfois aussi les<br />

cours de langue. Afin que la famille puisse supporter ces coûts, en<br />

plus du loyer ou de l'assurance-maladie, elle devrait nettement augmenter<br />

ses revenus. En règle générale, cette hausse résulte de meilleures<br />

qualifications professionnelles. Pour les femmes ayant une<br />

faible formation initiale, celles-ci augmenteraient leurs chances<br />

sur le marché du travail.<br />

Pour la plupart, les coûts d’une formation complète excèdent<br />

leurs moyens. Outre le financement de l’entretien, la formation<br />

ou formation continue n’est pas compatible avec la famille et le<br />

16 <strong>ZESO</strong> 3/<strong>20</strong> DOSSIER


Ce sont souvent les mères<br />

qui supportent le déficit financier<br />

FOYERS MONOPARENTEAUX<br />

Les séparations peuvent entraîner un déficit financier pour l’entretien des enfants. Etant donné que<br />

les parents célibataires assument la responsabilité financière, leur risque de dépendre de l’aide<br />

sociale est particulièrement élevé. De nouvelles réglementations tentent d'atténuer ce problème.<br />

Les séparations constituent un risque structurel de pauvreté.<br />

Photo : Palma Fiacco<br />

Lorsqu’un enfant vit la plupart du temps chez un parent, l'autre<br />

doit contribuer financièrement à son entretien. Pour les parents à<br />

faible revenu, le montant ne suffit souvent pas à assurer leur propre<br />

existence et l’entretien de l’enfant dont ils ont la garde. Dans ce cas,<br />

ils font face à un déficit financier. A l'occasion de la révision du<br />

droit sur l’entretien de l’enfant (<strong>20</strong>15), les Chambres fédérales ont<br />

débattu de la gestion de tels cas de déficit. En vertu du droit de la<br />

famille, l’entretien incombe aux deux parents et la solution du<br />

« partage du déficit » avait donc été proposée : elle introduisait le<br />

partage du déficit par moitié entre les deux parents. Pour des raisons<br />

fédéralistes, cette proposition n'a cependant pas obtenu la<br />

majorité des suffrages. La réglementation existante sur le transfert<br />

du déficit a été conservée : pour un parent débirentier, la possibilité<br />

d’assurer sa propre existence prime sur son obligation d’entretien.<br />

En matière de déficit financier, il n'est donc pas possible de<br />

fixer un montant minimal pour la contribution d’entretien.<br />

Par conséquent, le risque de dépendre de l’aide sociale est particulièrement<br />

élevé chez les parents célibataires, dont environ 26 %<br />

finissent tôt ou tard à l’aide sociale. Chez les jeunes parents avec<br />

des enfants en bas âge, ce taux est même supérieur à 70 % (Büro<br />

BASS, <strong>20</strong><strong>20</strong>). Pour les parents à faible revenu, il y a donc grand<br />

intérêt à trouver une solution afin que les parents créanciers, soit<br />

très majoritairement les femmes, n’aient pas à assumer la majeure<br />

partie de l’entretien des enfants. Au vu de l’obligation de rembourser<br />

l'aide sociale, ces dernières subissent par ailleurs cette pression<br />

financière supplémentaire.<br />

Toutefois, l'introduction d’un partage du déficit générerait de<br />

nombreux autres nouveaux problèmes. Avec une telle introduction,<br />

un nombre accru de personnes dépendraient de l’aide sociale, augmentant<br />

ainsi la charge administrative associée. Des communes<br />

seraient indirectement responsables de subvenir à l’entretien d’enfants<br />

vivant dans une autre commune ou un autre canton. En outre,<br />

l’aide sociale devrait procéder à divers ajustements dans le calcul<br />

des besoins de base afin de tenir compte de l'obligation d’entretien<br />

envers les enfants vivant chez l’autre parent.<br />

Les raisons pratiques ne sont pas les seules à s'opposer à la résolution<br />

du problème du déficit dans l'aide sociale. Aujourd’hui, les<br />

divorces et séparations constituent un risque de pauvreté structurel<br />

qui nécessite une protection ciblée à long terme. Compte tenu<br />

du système social à plusieurs niveaux, il serait utile de couvrir ce<br />

risque de pauvreté au moyen d'une prestation sous condition de<br />

ressources en amont de l'aide sociale. Avec l'avance sur contributions<br />

d’entretien ou les prestations complémentaires pour les<br />

familles, il existe déjà des instruments axés sur le problème des<br />

dettes alimentaires. Ils pourraient être dûment adaptés, harmonisés<br />

ou introduits dans toute la Suisse.<br />

Alors que la discussion sur la gestion des cas de déficit se poursuit,<br />

la CSIAS tente d'atténuer les problèmes à l’aide des règles en<br />

vigueur. Dans les normes CSIAS révisées, que les cantons sont invités<br />

à appliquer à partir du 1 er janvier <strong>20</strong>21, les enfants et jeunes<br />

adultes sont explicitement exemptés de l'obligation de rembourser<br />

les prestations d’aide sociale versées. Bien que les parents restent<br />

tenus de rembourser ces prestations, les conditions exactes d'un tel<br />

devoir de remboursement sont réglées plus en détail dans les nouvelles<br />

normes. Par ailleurs, le remboursement à partir de revenus<br />

provenant d’une activité lucrative devrait être exigé avec grande prudence<br />

et pour une durée limitée.<br />

Diverses nouvelles réglementations ont également vu le jour au<br />

niveau fédéral afin d'atténuer le problème du déficit non résolu. Une<br />

contribution d’entretien convenable peut être fixée rétroactivement<br />

pour les cinq dernières années (art. 286a CC) lorsque la situation<br />

du parent débirentier s’est entretemps considérablement améliorée.<br />

En outre, l'aide au recouvrement des contributions d’entretien sera<br />

uniformisée dans toute la Suisse. Les nouvelles dispositions entreront<br />

en vigueur le 1.1.<strong>20</strong>22. Néanmoins, la pression pour résoudre<br />

les problèmes de déficit reste élevée et, avec la crise économique actuelle<br />

liée au coronavirus, elle pourrait encore augmenter. Le sujet<br />

devrait bientôt figurer à nouveau à l’ordre du jour des discussions<br />

politiques. <br />

•<br />

Dr. iur. Alexander Suter, Secteur droit et conseil CSIAS<br />

DOSSIER 3/<strong>20</strong> <strong>ZESO</strong><br />

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