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GEORGE MARSHALL<br />
« Ces gens qui s’embarquent dans<br />
des voyages à l’issue incertaine sont<br />
plutôt optimistes et enthousiastes. »<br />
j’avais acquises au sein de ces organisations.<br />
J’étais très motivé pour repartir de<br />
zéro là-bas. » En 2016, il retourne à<br />
Mexico pour commencer à photographier<br />
les paysages que voient les migrants lorsqu’ils<br />
voyagent en train, un projet qu’il<br />
pensait pouvoir réaliser en un an mais<br />
qui s’est transformé en deux projets dans<br />
trois pays, qui sont toujours en cours<br />
près de quatre ans plus tard.<br />
Allison a rapidement fait l’expérience<br />
directe de la vulnérabilité des personnes<br />
qui empruntent ces trajets. « Pour aller<br />
du sud au nord, un seul train ne suffit<br />
pas. Il faut comprendre la route que l’on<br />
emprunte ; il faut monter et descendre.<br />
Ces trains de marchandises transportent<br />
des milliers et des milliers de dollars de<br />
marchandises vers les États-Unis ou le<br />
Canada. Des banditos volent régulièrement<br />
des céréales, des téléviseurs, etc.<br />
Il est donc très risqué de voyager de cette<br />
façon. » Allison a été témoin de violences,<br />
a été dévalisé et a failli être tué, il y a deux<br />
ans, par un gang de criminels alors qu’il<br />
voyageait avec deux amis. « Nous avons<br />
été détenus dans un train sous la menace<br />
d’une arme, dit Allison. J’ai prié pour<br />
avoir la vie sauve. Nous avons eu de la<br />
chance de nous en sortir vivants. » Et<br />
pourtant, Allison était de retour au travail<br />
le mois suivant, armé de son appareil<br />
photo, voyageant à pied et en train avec<br />
un convoi d’environ 7 000 personnes.<br />
« Il faut parfois arriver à oublier certaines<br />
choses pour pouvoir continuer. C’est ce<br />
que j’ai choisi de faire. »<br />
Puis l’année dernière, la détermination<br />
d’Allison a été une nouvelle fois mise à<br />
l’épreuve. Après s’être vu refuser l’entrée<br />
au Canada, des agents américains ont<br />
découvert qu’Allison avait dépassé la<br />
durée de validité du visa qui lui avait été<br />
délivré après avoir assisté à une exposition<br />
à New York quelques mois plus tôt.<br />
Il a été détenu par le département de l’immigration<br />
et des douanes et emprisonné<br />
à Tacoma, dans l’État de Washington. Une<br />
erreur administrative selon Allison, qui<br />
passera près d’un mois en prison.<br />
Enfermé à nouveau, il se plonge dans<br />
l’écriture et le dessin. Il fait poser ses<br />
codétenus pour des portraits et réussi à<br />
dégager pour chacun d’entre eux des<br />
aspects positifs, palliant ainsi à l’angoisse<br />
de ces immigrants illégaux en attente<br />
d’être expulsés. « Nous plaisantions sur<br />
la situation. J’ai tellement ri. Ce fut une<br />
véritable thérapie. J’ai réalisé que je<br />
n’avais pas besoin d’aller au Canada.<br />
J’avais besoin d’être dans cette prison.<br />
C’est là que le travail que je fais avec passion<br />
depuis quelques années devait me<br />
conduire: au centre de détention dont<br />
j’avais entendu parler par les migrants.<br />
Lorsque j’étais enfermé dans cette prison,<br />
j’étais traité comme n’importe quel autre<br />
prisonnier. C’était la première fois que je<br />
me sentais comme une personne non privilégiée<br />
travaillant sur ce sujet. »<br />
Après qu’Allison ait été autorisé à partir,<br />
il a attendu dans une cellule de détention.<br />
« La plupart des gens qui étaient là<br />
avec moi étaient en train d’être expulsés<br />
et perdaient tout ce qu’ils avaient, mais<br />
c’était une fête. Nous étions toujours<br />
enfermés, mais c’était une célébration<br />
de la liberté. »<br />
Allison est de nouveau sur la piste<br />
des migrants au Mexique. « Les<br />
gens essaient toujours d’échapper<br />
aux mauvaises conditions, dit-il,<br />
la migration ne s’arrête pas. » Comment<br />
envisage-t-il la fin de ses projets ?<br />
« Lorsque cela cesse de me stimuler, je<br />
m’arrête, déclare-t-il. Mais malgré les<br />
dangers, je me sens toujours vivre. J’ai vu<br />
des gens trouver la force d’aller de l’avant.<br />
Ces gens qui s’embarquent dans des<br />
voyages à l’issue incertaine pour essayer<br />
de survivre et de vivre – et peut-être un<br />
peu plus que cela – apprécient la vie. Ils<br />
sont plutôt optimistes, résistants et<br />
enthousiastes. Ils rigolent. Cela me fascine.<br />
Nous devrions célébrer la migration<br />
et la considérer non pas comme un problème<br />
mais comme un phénomène. L’idée<br />
de Trump qu’ils seraient tous des criminels,<br />
c’est de la foutaise. Il y aura toujours<br />
des exceptions, mais tous les gens avec<br />
lesquels je suis devenu ami sont des gens<br />
qui travaillent dur. »<br />
C’est ce concept d’optimisme dans la<br />
difficulté qui a inspiré le titre du prochain<br />
livre d’Allison, <strong>The</strong> Light of the Beast (trad.<br />
La lumière de la Bête). « La Bête est le nom<br />
que les migrants ont donné au train,<br />
explique-t-il. C’est dangereux, il y a le<br />
grondement du moteur. C’est comme un<br />
énorme monstre sur le dos duquel les<br />
gens doivent grimper. La lumière, c’est<br />
aussi l’espoir qu’il représente. »<br />
<strong>The</strong> Light of the Beast aux éditions<br />
Pavement (en anglais). La galerie Make<br />
Your Mark à Helsinki consacre une expo<br />
au travail d’Allison (2-30 septembre).<br />
pabloallison.co.uk<br />
THE RED BULLETIN 77