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JESSICA NABONGO<br />
Une tout autre idée<br />
du tourisme<br />
Jessica Nabongo est une photographe, influenceuse et entrepreneure<br />
déterminée à secouer l’industrie du voyage. En l’humanisant.<br />
En octobre dernier, Jessica Nabongo<br />
devient la première femme noire<br />
à visiter tous les pays de la planète.<br />
Son arrivée aux Seychelles, sa<br />
195 e destination, achève un périple<br />
de deux ans et demi qui a mené<br />
l’Américaine d’origine ougandaise<br />
de 36 ans des villes africaines aux<br />
plages indonésiennes, des déserts<br />
du Moyen-Orient aux campagnes<br />
d’Europe. Un voyage suivi en ligne<br />
par ses quelque 180 000 abonnés.<br />
Toutefois, Nabongo ne se limite<br />
pas à promouvoir des voyages sur<br />
Instagram et son site web ; elle y<br />
interroge aussi les idées préconçues<br />
des Occidentaux sur les destinations<br />
touristiques et les publics cibles<br />
associés. Grâce à sa tournée historique<br />
et à sa société de voyage Jet<br />
Black, Nabongo défend la nécessité<br />
d’une représentation plus équilibrée<br />
dans une industrie qui reste majoritairement<br />
blanche. Cinq mois<br />
après la fin de son circuit, voyager<br />
librement à travers le monde devenait<br />
impossible. Pour Nabongo, un<br />
esprit vagabond et curieux reste<br />
néanmoins un bon moyen de tisser<br />
de solides liens.<br />
the red bulletin : D’où vous est<br />
venue l’idée de visiter tous les<br />
pays ?<br />
jessica nabongo: Je m’étais fixé<br />
ce but au début de mes vingt ans.<br />
En 2017, j’en étais à soixante pays<br />
visités, j’ai alors décidé de me rendre<br />
dans tous les autres avant mes<br />
35 ans. J’ai réussi cinq mois après<br />
mon anniversaire.<br />
Vous êtes la première femme noire<br />
à y parvenir. Pourquoi est-ce<br />
important pour vous ?<br />
L’accès des Noirs au voyage n’a pas<br />
toujours été aussi aisé que pour les<br />
Blancs. Une situation liée aux nombreuses<br />
discriminations coloniales,<br />
mais aussi à celles internes à certains<br />
pays. Brandir un passeport<br />
américain ou un passeport ougandais<br />
ne produit pas les mêmes effets.<br />
J’ai compris l’importance pour les<br />
titulaires d’un passeport africain,<br />
que les douaniers du monde entier<br />
comprennent qu’il peut aussi servir<br />
à faire du tourisme.<br />
Qu’est-ce qui a motivé la création<br />
de votre agence de voyages ?<br />
L’envie de proposer une offre spécialisée<br />
dans l’Afrique, l’Amérique<br />
centrale, l’Amérique du Sud, et les<br />
Caraïbes. Ces régions abritent des<br />
coins exceptionnels, mais demeurent<br />
peu visitées parce que mal connues.<br />
Les touristes n’ont d’yeux que pour<br />
Paris, mais Dakar, Accra ou Lagos<br />
c’est bien aussi. L’idée est de changer<br />
le discours afin de développer ces<br />
destinations.<br />
Quelle est la leçon la plus importante<br />
que votre expérience vous<br />
a apprise ?<br />
Partout où j’allais, je posais cette<br />
question aux habitants : « Qu’est-ce<br />
qui vous rend heureux ? » La réponse<br />
était toujours la même : être avec<br />
ceux qu’ils aiment et voir leurs<br />
enfants heureux. Quelles que soient<br />
nos différences – ethniques, sociales,<br />
sexe, religion, nationalité – nous<br />
aspirons à peu près aux mêmes<br />
choses. La pandémie nous a rapprochés.<br />
Mes échanges avec des citoyens<br />
européens, africains ou asiatiques<br />
ont montré que nous vivons partout<br />
une expérience similaire. Nos actes<br />
n’affectent pas seulement notre voisin<br />
direct, mais la planète entière.<br />
Nous sommes tous voisins.<br />
Comment avez-vous vécu le<br />
confinement ?<br />
J’adore voyager et cela me manque<br />
terriblement, mais nous sommes<br />
tous soumis à cette situation. J’ai<br />
connu un moment difficile. Je mangeais<br />
peu, buvais avec excès et maigrissais<br />
à vue d’œil. Mais j’ai fini<br />
par me reprendre. J’ai téléchargé<br />
Headspace (une application de méditation,<br />
ndlr). Je désirais pratiquer la<br />
méditation depuis des années, mais<br />
les déplacements fréquents et mon<br />
manque de discipline ont retardé ce<br />
moment. La méditation m’apporte<br />
calme et pleine conscience et développe<br />
ma capacité de concentration.<br />
Comment explore-t-on le monde<br />
quand on est confiné ?<br />
On l’explore localement. Des<br />
Kenyans me disaient que leur passeport<br />
ne leur servait à rien. Qu’à cela<br />
ne tienne, visitez Lamu, Mombasa,<br />
le mont Kenya, leur ai-je conseillé.<br />
Le pays natal reste à découvrir. L’interdiction<br />
de voyager vise à protéger<br />
la santé de chacun. Mais les vidéos<br />
et les livres nous font voyager sans<br />
se déplacer et nous font mieux<br />
connaître une destination avant<br />
de s’y rendre.<br />
Pourquoi les voyages sont-ils si<br />
importants ?<br />
Cela nous aide à voir l’autre avant<br />
tout comme un semblable et pas<br />
seulement comme un Pakistanais,<br />
un Anglais, un Français, un Sénégalais<br />
ou un Ghanéen. L’Occidental a<br />
peur des épouvantails, surtout s’ils<br />
ont les traits d’une personne noire<br />
ou typée. Avec les voyages, les gens<br />
se rencontrent, s’apprivoisent. Ainsi,<br />
les peurs ancestrales se dissipent et<br />
laissent place à plus de tolérance et<br />
d’amour. Nous nous humanisons.<br />
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Instagram : @thecatchmeifyoucan<br />
ELTON ANDERSON JESSICA HOLLAND<br />
22 THE RED BULLETIN