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LORD ESPERANZA<br />
Le collectif<br />
au pouvoir<br />
“In us we trust” (trad. nous croyons en nous), c’est la devise<br />
du label de vêtements écoresponsables lancé par le rappeur<br />
Lord Esperanza. Il évoque la puissance du travail collectif.<br />
the red bulletin : Quelles furent<br />
vos collaborations artistiques les<br />
plus marquantes ?<br />
lord esperanza : Je suis arrivé à la<br />
musique par l’écriture, et puis j’ai eu<br />
un groupe de rock qui s’est arrêté<br />
au bout d’un an et demi à cause des<br />
aléas de la vie, mais aussi des ego<br />
et des jalousies. Avec un ami rappeur<br />
de Lille, Pollux, j’ai ensuite monté<br />
un duo (Lord & Lux, ndlr). À ce<br />
moment, j’étais très avide de collaborations<br />
parce que pour moi, la<br />
musique est avant tout quelque<br />
chose qui se partage. Dès que je<br />
trouvais quelqu’un prêt à me suivre<br />
dans ma folie créative, je me lançais.<br />
Je voulais tout le temps être en studio,<br />
mais je n’avais pas d’argent, il<br />
fallait trouver des sessions gratuites,<br />
emprunter un micro ou un logiciel…<br />
Plus tard, j’ai monté une tournée<br />
pour créer des clips vidéo avec un<br />
réalisateur dans chaque ville, et on<br />
faisait élire le gagnant par les fans.<br />
Je donne aussi des cours d’écriture<br />
bénévoles à des enfants souvent<br />
issus de quartiers défavorisés qui<br />
ont des destins incroyables. Certains<br />
ont traversé la Méditerranée sur un<br />
bateau en plastique. J’ai envie de<br />
faire participer la communauté le<br />
plus possible.<br />
Qu’est-ce qui vous anime dans ces<br />
projets collectifs ?<br />
La notion de transmission collective.<br />
Quand j’ai commencé le rap à<br />
14-15 ans, j’ai eu la chance de rencontrer<br />
un ami de dix ans mon aîné.<br />
Il m’a fait confiance, m’a enregistré<br />
gratuitement chez lui et m’a donné<br />
des conseils. Il m’a accueilli avec<br />
beaucoup de générosité. Et très vite,<br />
il m’a dit : « Tu sais, ce que je fais<br />
pour toi, il faudra que tu le fasses<br />
pour d’autres. » Ça m’a marqué et<br />
c’est resté ancré dans mon rapport<br />
à autrui. Même si j’ai beaucoup travaillé,<br />
j’ai une chance unique par<br />
rapport à d’autres artistes qui ne<br />
vivent pas de leur musique. Cette<br />
reconnaissance, j’essaye de la transformer<br />
et ça passe par des projets<br />
comme ceux-là.<br />
Comment se déroule le processus<br />
d’écriture à plusieurs sur un titre ?<br />
En général, chacun écrit son couplet,<br />
puis on trouve le refrain et l’idée<br />
ensemble. Mon souvenir de collaboration<br />
le plus notable, c’était un séminaire<br />
d’écriture pour Patrick Bruel.<br />
On a écrit la chanson Le Fil, qui<br />
évoque la relation entre un père et<br />
son fils. J’ai travaillé avec un auteur<br />
de 45 ans qui avait des enfants,<br />
contrairement à moi. Je me suis donc<br />
mis à la place de mon père pour<br />
écrire. Pour d’autres chansons, je me<br />
suis mis à la place de femmes. C’était<br />
un défi assez excitant, qui cassait les<br />
codes du « moi, je ». Quand je suis<br />
revenu au rap, j’avais l’impression<br />
d’avoir un point de vue différent.<br />
En 2018, vous avez créé un label de<br />
musique, Paramour, nouvelle forme<br />
d’aventure collective. Pourquoi ?<br />
L’idée était d’officialiser des collaborations<br />
avec des gens qui étaient là<br />
depuis le début et qui donnaient<br />
« Quand tu<br />
collabores avec<br />
des artistes<br />
que tu produis,<br />
tu as une partie<br />
de leur vie entre<br />
les mains. »<br />
#EnFeatAvecLord<br />
Au printemps dernier, le<br />
<strong>Red</strong> Bull Studios Paris a<br />
proposé à Lord Esperanza<br />
de se rapprocher encore<br />
plus de sa communauté<br />
en lançant le projet<br />
#EnFeatAvecLord : composer<br />
un morceau collaboratif<br />
avec des centaines de personnes.<br />
Le rappeur proposait<br />
quatre mesures et<br />
les fans pouvaient ensuite<br />
envoyer les leurs, chaque<br />
semaine, sur une plateforme<br />
digitale dédiée. L’artiste<br />
a sélectionné les meilleurs<br />
textes, et au bout de<br />
6 300 sets de mesures et<br />
80 000 visiteurs venus lire<br />
les propositions ou voter,<br />
le morceau (qui sortira bientôt)<br />
compte seize contributeurs<br />
: les trois artistes<br />
Lord Esperanza, Nelick<br />
et Fouki, ainsi que treize<br />
utilisateurs de la plateforme<br />
qui le rencontreront en<br />
septembre.<br />
Excité par l’idée de « sortir<br />
de sa zone de confort »<br />
avec ce nouveau défi créatif,<br />
Lord Esperanza a été agréablement<br />
surpris par la qualité<br />
des propositions, et<br />
notamment cette image<br />
qui l’a fait rêver : « Funambule<br />
au bord du trou noir /<br />
en blouson sombre. » Il a<br />
aussi fallu s’adapter à cette<br />
méthode de composition :<br />
« Ça représente plus de<br />
travail de composer avec<br />
les idées d’autrui, dit Lord.<br />
On est dans un rapport plus<br />
rationnel que quand on écrit<br />
seul. Avec ses propres<br />
mots, il y a un côté un peu<br />
magique dans l’inspiration.<br />
Là, c’était plus scientifique,<br />
parce qu’il faut trouver les<br />
bonnes formules pour que<br />
tout s’agence bien. »<br />
Pour lui, ce sera une chanson<br />
qui compte. « Ce titre<br />
a une valeur émotionnelle<br />
forte. En général, en studio,<br />
le morceau est plié en<br />
quelques heures. Ce texte<br />
a été écrit, travaillé, élaboré<br />
pendant quasiment six<br />
semaines donc j’ai eu le<br />
temps de le voir évoluer,<br />
ce qui est rare. Cela nous a<br />
permis de prendre plus de<br />
recul pour ne garder que le<br />
meilleur. C’était vraiment<br />
un exercice intéressant. »<br />
JASON PIEKAR SMAËL BOUAICI<br />
16 THE RED BULLETIN