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Instruire une solution pour connaître l'«être en tant qu'être»

Au cours de la seconde moitié du 4e siècle avant Jésus-Christ, Aristote découvre l’être en tant qu’être, qu’il distingue de l’être mathématique et aussi de l’être de nature, l’être mathématique étant aussi distinct de l’être de nature. Et, au cours du développement de sa thèse sur l’être en tant qu’être, Aristote entre en discussion avec ceux qui, déjà à son époque, soutenaient une si radicale mathématisation qu’ils situaient l’être mathématique au fondement même de tout le reste: «[992a 30,] Ἀλλὰ γέγονε τὰ μαθήματα τοῖς νῦν ἡ φιλοσοφία, φασκόντων ἄλλων χάριν αὐτὰ δεῖν πραγματεύεσθαι.» ; «Mais, les mathématiques sont devenues, pour les modernes, toute la Philosophie, quoiqu’ils disent qu’on ne devrait les cultiver qu’en vue du reste.» 4 C’est dans cette conjoncture qu’Aristote conçoit l’organon qu’il emploie dans Métaphysique, l’ouvrage où il expose sa découverte de l’être en tant qu’être.

Au cours de la seconde moitié du 4e siècle avant Jésus-Christ, Aristote découvre l’être en tant qu’être, qu’il distingue de l’être mathématique et aussi de l’être de nature, l’être mathématique étant aussi distinct de l’être de nature.
Et, au cours du développement de sa thèse sur l’être en tant qu’être, Aristote entre en discussion avec ceux qui, déjà à son époque, soutenaient une si radicale mathématisation qu’ils situaient l’être mathématique au fondement même de tout le reste: «[992a 30,] Ἀλλὰ γέγονε τὰ μαθήματα τοῖς νῦν ἡ φιλοσοφία, φασκόντων ἄλλων χάριν αὐτὰ δεῖν πραγματεύεσθαι.» ; «Mais, les mathématiques sont devenues, pour les modernes, toute la Philosophie, quoiqu’ils disent qu’on ne devrait les cultiver qu’en vue du reste.» 4
C’est dans cette conjoncture qu’Aristote conçoit l’organon qu’il emploie dans Métaphysique, l’ouvrage où il expose sa découverte de l’être en tant qu’être.

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GILLES PLANTE

B.A. C.C.L. LL.L. M.A. Ph.D.

PROBLÈME DIALECTIQUE

INSTRUIRE UNE SOLUTION POUR

CONNAÎTRE L’ÊTRE EN TANT QU’ÊTRE

CENTRE D’ÉTUDE EN HUMANITÉS CLASSIQUES

«J’APPELLE CLASSIQUE CE QUI EST SAIN.» (GŒTHE)

SSP ÉDITEUR (2020)

ISBN : 978-2-921344-71-5



GILLES PLANTE

B.A. C.C.L. LL.L. M.A. Ph.D.

PROBLÈME DIALECTIQUE

INSTRUIRE UNE SOLUTION POUR

CONNAÎTRE L’ÊTRE EN TANT QU’ÊTRE

CENTRE D’ÉTUDE EN HUMANITÉS CLASSIQUES

«J’APPELLE CLASSIQUE CE QUI EST SAIN.» (GŒTHE)

SSP ÉDITEUR (2020)

ISBN : 978-2-921344-71-5


Éditeur : Société Scientifique Parallèle Inc.

4010 rue Cormier

Notre-Dame-du-Mont-Carmel

Québec

ISBN : 978-2-921344-71-5

Dépôt légal

Bibliothèque nationale du Québec

Bibliothèque nationale du Canada

1 er trimestre 2020

© Gilles Plante, 23 décembre 2019

350, De la terrasse

Saint-Étienne-des-Grès, Québec

Canada G0X 2P0


SOMMAIRE

I. UN PEU D’HISTOIRE page 3

II. L’UN COMME PRINCIPE DU NOMBRE page 7

Indivis et divis page 7

Multiplication et division page 9

Une réimposition selon «en tant que» page 13

Matière sensible et matière intelligible page 16

Une præcisio importante page 19

Une ouverture vers l’être en tant qu’être page 22

La relation de tout et de partie page 26

Une question laissée sans réponse page 31

Le nombre pris comme relatif page 33

Au moment de clore cette section page 38

III. L’UN COMME PROPRIÉTÉ DE L’ÉTANT page 43

Comme point de départ page 44

La comparaison annoncée page 49

Instruire une solution à un problème page 55

L’Un pris en son sens le plus strict page 58

L’opposition de l’Un et du Multiple page 66

Une opposition de contraires page 70

Quant à nous et quant à la nature page 72

Structure pour l’assemblage des éléments de la solution page 79

IV. CONCLUSION page 87



UN PEU D’HISTOIRE

En 2005, le professeur Pierre Lescanne

1, chercheur en informatique théorique,

discipline où on s’adonne à l’étude des fondements logiques et mathématiques du

traitement automatique de l’information par une machine de Turing, publia un fichier

intitulé : Introduction à la logique 2.

Dans l’une des fiches, il écrit que la «logique est une théorie mathématique (comme les

autres!)» qui «étudie des sortes particulières d’objets mathématiques», en ces termes :

La logique est une théorie mathématique (comme les autres!),

︎ elle utilise les mathématiques comme le font les autres branches des mathématiques,

︎ elle étudie des sortes particulières d’objets mathématiques :

︎ les propositions,

︎ les théorèmes,

︎ les jugements,

︎ les démonstrations,

︎ les séquents,

︎ etc.

Dans une autre fiche, il décrit une histoire de la logique attestant d’une mathématisation

progressive : «L’histoire montre que tout ce qui est susceptible de se mathématiser se

mathématise.» Et, dans une autre, il expose les étapes de cette histoire où intervient

une constante croissance des «êtres mathématiques» :

Au début, seuls les entiers sont des êtres mathématiques. Puis les Anciens acceptent les

rationnels.

Au début du dix-neuvième siècle, les relatifs et les complexes (ou imaginaires) deviennent euxaussi

des êtres mathématiques.

Au dix-neuf siècle

︎ les réels (Dedekind),

︎ puis les fonctions (en «extension»)

︎ et les ensembles ( Cantor ) deviennent des êtres mathématiques.

Au début du vingtième siècle, les fonctions (en «intention») (Church et Curry) et les théorèmes

(Boole, Frege etc.) deviennent des êtres mathématiques.

Aujourd’hui, les démonstrations (Curry, de Bruijn et Howard , 1980) deviennent des êtres

mathématiques.

1

2

Laboratoire de l'Informatique du Parallélisme (LIP), École normale supérieure de Lyon

Pierre Lescanne, Introduction à la logique : http://perso.ens-lyon.fr/pierre.lescanne/ENSEIGNEMENT/

LOGIQUE/05-06/transp_introduction.pdf

3


Au cours de la seconde moitié du 4 e siècle avant Jésus-Christ, Aristote découvre l’être

en tant qu’être, qu’il distingue de l’être mathématique et aussi de l’être de nature, l’être

mathématique étant aussi distinct de l’être de nature.

Et, au cours du développement de sa thèse sur l’être en tant qu’être, Aristote entre en

discussion avec ceux qui, déjà à son époque, soutenaient une si radicale

mathématisation qu’ils situaient l’être mathématique au fondement même de tout le

reste: «[992a 30,] Ἀλλὰ γέγονε τὰ μαθήματα τοῖς νῦν ἡ φιλοσοφία, φασκόντων

ἄλλων χάριν αὐτὰ δεῖν πραγματεύεσθαι.»

3

; «Mais, les mathématiques sont

devenues, pour les modernes, toute la Philosophie, quoiqu’ils disent qu’on ne devrait

les cultiver qu’en vue du reste.» 4

C’est dans cette conjoncture qu’Aristote conçoit l’organon qu’il emploie dans

Métaphysique, l’ouvrage où il expose sa découverte de l’être en tant qu’être.

Cet organon , qu’il appelle «τρόπος», est en quelque sorte une méthode pour traiter

l’information pertinente à l’ἐπιστήμη qu’est la connaissance de l’être en tant qu’être, et

ce, par un intellect-investigateur, soit la raison humaine dont l’autonomie propre est de

chercher à découvrir des raisons (au sens du terme latin «ratio», si fréquemment

employé par son commentateur Thomas d’Aquin) :

«Διὸ δεῖ πεπαιδεῦσθαι πῶς ἕκαστα ἀποδεκτέον, ὡς ἄτοπον ἅμα ζητεῖν ἐπιστήμην καὶ

τρόπον ἐπιστήμης· ἔστι δ᾽ οὐδὲ θάτερον ῥᾴδιον λαβεῖν.»

«Il faut donc que nous apprenions avant tout quelle sorte de démonstration (ἀποδεκτέον) convient

à chaque objet particulier ; car il serait absurde de mêler ensemble et la recherche de la science

(ζητεῖν ἐπιστήμην), et celle de sa méthode (τρόπον ἐπιστήμης) : deux choses dont l’acquisition

présente de grandes difficultés.» 5

3

Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/metaphysique1.htm

4 Métaphysique, traduction de Pascale-Dominique Nau : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/

complements/Aristotemetaphysiquepascalenau2008.htm — Ces «modernes» sont les platoniciens de

l’Académie, dont Sceucippe est devenu le scolarque après la mort de Platon, le fondateur. Les livres 13

et 14 de Métaphysique contiennent les arguments qu’Aristote élabore à ce propos.

5

Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/metaphysique2pierron.htm ; la traduction

est de Alexis Pierron et Charles Zevort.

4


Si une logique convient à un projet qui embrasse l’être en tant qu’être, ce qui inclus

l’être de nature et l’être mathématique, et ce, dans la mesure où ils sont l’un et l’autre

être, cette logique se distingue-t-elle de la logique qui occupe le professeur Pierre

Lescanne ? Si oui, où est-ce qu’Aristote expose cette distinction ? Et enfin, en quoi

consiste cette distinction ?

L’exposé de la distinction recherchée, celle qui concerne la méthode de recherche

(τρόπος ἐπιστήμης) propre à la philosophie première (σοφία πρώτη), soit la

métaphysique telle que la conçoit Aristote qui, lui, n’emploie pas le terme

«métaphysique», se trouve là où il présente cette métaphysique, cette «ἐπιστήμην»,

particulièrement à Métaphysique, Livre 5 et Livre10.

La distinction retenue par Aristote se formule ainsi : l’Un qui est convertible avec l’Étant

se distingue de l’Un qui est principe du nombre. Par convention terminologique, on

écrira Un avec un «u» en majuscule, et en le mettant en italique ; il en sera de même

pour son opposé, le Multiple. L’exploration de cette distinction constitue l’objectif de ce

document.

Dans cette exploration, l’édition anglaise du Sententia libri Metaphysicae qu’on doit à

John P. Rowan est utilisée parce qu’elle contient le texte d’Aristote et le texte du

commentaire qu’en fait Thomas d’Aquin, dans une traduction anglaise dont on assure la

traduction française, à l’aide de celle que Serge Pronovost a accomplie et qui est

publiée par l’Institut Docteur Angélique, là où on trouve aussi le texte latin du

commentaire fait par Thomas d’Aquin. Le texte grec écrit par Aristote est pris du site

L'antiquité grecque et latine du moyen âge, initié par Philippe Remacle.

Mais, au début de cette entreprise, il convient de s’arrêter à ce qu’est l’être

mathématique, et ce, dans la perspective qu’en avaient Aristote, l’auteur de

Métaphysique, et son éminent commentateur, Thomas d’Aquin, dans son célèbre

Sententia libri Metaphysicae.

C’est la tâche qui va être accomplie dans la prochaine section.

5



L’UN COMME PRINCIPE DU NOMBRE

Il s’impose de ne pas confondre «individu» et «singulier» : «Ainsi il y a un individu, pour

autant qu’il est indivis en lui-même, mais un singulier, pour autant qu’il est divisé des

autres. Aussi ‘singulier’ est-il la même chose que ‘divis’.» 6, écrit Thomas d’Aquin. Et, il

s’impose tout autant de ne pas confondre cette distinction individu-singulier, celle qui

vient d’être posée, avec la distinction singulier-pluriel propre au nombre dit grammatical,

bien qu’elles soient voisines.

Indivis et divis

Selon la distinction individu-singulier, ce qui est un individu est indivis en lui-même, et

ce qui est singulier est divis par rapport à d’autres singuliers. L’individu, à titre d’indivis

en lui-même, est un ; l’unité que signifie cet Un le constitue en sa qualité d’individu. Ce

qui possède cette unité pour qualité est multipliable ; il a son pareil chez tout autre

individu indivis en lui-même : son indivision elle-même. Par contre, l’unique n’est pas

multipliable puisqu’il est singulier ; un singulier n’a pas son pareil. Il s’ensuit que l’unité

de l’individu, qui admet une parité, n’est pas l’unicité du singulier, qui n’admet aucune

parité ou n’admet qu’une disparité ; c’est ainsi que l’individu est comparable à un autre,

alors que le singulier est incomparable à tout autre.

Deux singuliers ont, certes, en commun la particularité négative de ne pas avoir son

pareil, ce pourquoi ils ne sont en rien pareils l’un à l’autre parce que l’un n’est pas

l’autre. Puisque, à titre de singulier, ils sont ainsi divers (mot où on reconnaît celui de

«divis», aussi présent dans «division»), ils n’ont en commun que le nom «singulier» où

le préfixe «sin» signifie l’unique. Par contre, deux individus ont en commun la

particularité affirmative d’avoir son pareil en ce que chacun est indivis en lui-même, et

ont ainsi en commun cette parité elle-même et le nom qui la signifie, soit «individu», ce

mot qui signifie indivis en lui-même.

6

Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 co. — «Sic est individuum inquantum est indivisum in se,

singulare vero inquantum est divisum ab aliis; unde singulare est idem quod divisum.» : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/sommes/SENTENCES3.htm

7


Dire individu indivis en lui-même apparaît, certes, comme un pléonasme, mais l’emploi

qu’on en fait dans ce document est motivé par le souci de bien insister sur un point de

terminologie ; individu, dans ce document, est utilisé au sens de indivis en lui-même. La

parité d’être indivis en soi-même se trouve en chacun des individus, ce pourquoi, étant

ainsi une-en-plusieurs, elle se définit comme un universel. Car, l’universel se définit :

un-en-plusieurs. Par contre, est singulier ce qui n’est pas un en plusieurs, ce qui n’est

pas universel.

Un premier sujet individuel peut ainsi être à la fois indivis en lui-même et divis par

rapport à un second sujet individuel indivis en lui-même et divis par rapport au premier

sujet. L’un et l’autre sujet constitue un multiple dans lequel le premier exemplaire et le

second exemplaire sont pareils quant à leur individualité. Par contre, l’un et l’autre sujet

ne sont pas pareils quant à leur singularité, ce pourquoi ils ne constitue pas un multiple

à cet égard. Mais, il est évident que deux sujets individuels à titre d’indivis en soi-même

doivent être divers, donc divis l’un par rapport à l’autre, et ce, selon leur singularité,

pour pouvoir être mutuellement les termes d’une comparaison quant à leur indivision

respective, indivision néanmoins commune aux deux puisque multipliée en eux deux.

À cet égard, Aristote écrit : « [999b 30] τὸ γὰρ ἀριθμῷ ἓν ἢ τὸ καθ᾽ ἕκαστον λέγειν

διαφέρει οὐθέν· οὕτω γὰρ λέγομεν τὸ καθ᾽ ἕκαστον, τὸ ἀριθμῷ ἕν, καθόλου δὲ

τὸ ἐπὶ τούτων.» ; «Numériquement un (ἀριθμῷ ἓν), ou chacun séparément (καθ᾽

ἕκαστον), c’est la même chose (λέγειν διαφέρει), puisque nous appelons chacun

séparément (καθ᾽ ἕκαστον) le numériquement un (ἀριθμῷ ἕν) : l’universel (καθόλου),

au contraire, c’est ce qui est en ceux-ci (ἐπὶ τούτων).» 7 Et, Thomas d’Aquin commente

ce texte ainsi : «464. Sic enim appellamus singulare quod est unum numero, sicut

universale quod est in multis. Quod autem est singulare, non multiplicatur nec invenitur

nisi singulariter.» ; «Nous appelons en effet singulier ce qui est un numériquement, tout

comme nous appelons universel ce qui est en plusieurs. Mais ce qui est singulier n’est

ni multiplié et ni n’est rencontré si ce n'est que singulièrement.» 8

7

8

Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/metaphysique3pierron.htm

Commentaires du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

8


Il s’ensuit que la qualité «individu» est multipliable, et ce, est en plusieurs ; et la qualité

«singulier», qui, numériquement parlant, est en ce seul et unique sujet numériquement

un à cet égard, n’est pas multipliable en plusieurs, et résulte de la division d’un

multipliable en plusieurs multiplié en acte en ces plusieurs.

Multiplication et division

L’action accomplie de diviser, la division en acte, fut appliquée à un divisé en acte, donc

à un divisible en puissance, puisqu’un indivisible n’est pas divisé et ne peut pas être

divisé, étant indivis en soi-même. L’individu est indivisible ; si le sujet qui est individu est

divisé, il cesse d’exister, il cesse d’être. L’action de multiplier, la multiplication, est

appliquée à un multipliable, et on obtient ainsi une multiplicité faite de plusieurs

individus, pareils selon leur individualité, même s’ils ne sont pas pareils selon leur

singularité. Et, d’un point de vue grammatical, la multiplicité faite de plusieurs individus

admet le nombre du pluriel, et ce, sans remettre en question la distinction individusingulier.

Donc, dans : «un individu», le nombre grammatical dit singulier ne signifie pas

que cet individu est divis en lui-même.

Chaque homme individuel est indivisible ; il ne survit pas à une coupure en deux. Par

contre, deux hommes individuels, du fait de leur commune qualité d’être indivis, forment

un doublet d’indivis qui est Un malgré leur division, en faisant abstraction de leur

singularité. Ce doublet est-il indivisible, ou pas ? Le doublet, considéré comme tel,

cesse d’exister s’il est divisé, bien qu’aucun des deux individus le composant n’en

meure. L’individu est ainsi associé à la multiplication de l’individu en un multiple

d’individus, alors que le singulier est associé à la division d’un multiple d’individus sans

atteindre l’indivision de l’individu ; ainsi, la division présuppose un multipliable multiplié

en acte qui, lui, n’est pas encore divisé et qui est donc un divisible. À cet égard, Aristote

écrit :

«[1020b 1] Ἕνα μὲν δὴ τρόπον τοῦτον λέγεται ἡ ποιότης διαφορὰ οὐσίας, ἕνα δὲ ὡς τὰ

ἀκίνητα καὶ τὰ μαθηματικά, ὥσπερ οἱ ἀριθμοὶ ποιοί τινες, οἷον οἱ σύνθετοι καὶ μὴ μόνον ἐφ'

ἓν ὄντες ἀλλ' ὧν μίμημα [5] τὸ ἐπίπεδον καὶ τὸ στερεόν (οὗτοι δ' εἰσὶν οἱ ποσάκις ποσοὶ ἢ

9


ποσάκις ποσάκις ποσοί), καὶ ὅλως ὃ παρὰ τὸ ποσὸν ὑπάρχει ἐν τῇ οὐσίᾳ· οὐσία γὰρ ἑκάστου

ὃ ἅπαξ, οἷον τῶν ἓξ οὐχ ὃ δὶς ἢ τρὶς εἰσὶν ἀλλ' ὃ ἅπαξ· ἓξ γὰρ ἅπαξ ἕξ.» 9

«Dans un autre sens, le terme [qualité] s’applique aux êtres immobiles (τὰ ἀκίνητα) et aux êtres

mathématiques (τὰ μαθηματικά), car les nombres sont d’un certain type (quales), par exemple,

ceux qui sont composés, et pas seulement ceux d’une dimension, mais aussi ceux dont les

surfaces et les solides sont la contrepartie (car il y a des nombres qui sont tant de fois un tel et tant

de fois tant de fois un tel). Et en général, cela signifie ce qui est présent dans la substance en plus

de la quantité. Car la substance de chaque (οὐσία ἑκάστου) nombre est ce qu’elle est une fois (ὃ

ἅπαξ) ; par exemple, la substance de six n'est pas deux fois trois, mais six pris une fois (ὃ ἅπαξ),

car six fois un est six (ἓξ γὰρ ἅπαξ ἕξ).» 10

Le produit de la multiplication consistant en 2 fois 3 est, certes, égal à 6, mais il

n’exprime pas la substance du 6 qui, elle, est 6 pris une fois, de telle manière que six

fois un est identique à la substance de 6 ; c’est même la définition de sa quiddité.

Thomas d’Aquin n’hésite pas à employer le mot «substantia» pour nommer ce qui est

«en dehors de la quantité», en ces termes :

«991. Id ergo, quod existit in substantia numeri praeter ipsam quantitatem, quae est numeri

substantia, dicitur qualitas eius, ut hoc quod significatur per hoc quod dicitur bis vel ter.» 11

«991. Donc, ce qui existe dans la substance du nombre en dehors de la quantité elle-même, qui

est l’essence même du nombre, est dit être sa qualité, comme ce qu’on signifie par ceci en disant

deux fois ou trois fois.»

La définition de ce qu’est 6 l’énonce à titre d’espèce, et elle s’exprime avec : 6 fois un.

Le genre de la substance du 6 se nomme pluralité, et la différence spécifique en est

donnée par les unités exprimées plusieurs fois. Ainsi la définition de cette quiddité

qu’est 6 est : pluralité de un, et un, et un, et un, et un, et un. Chacun de ces Uns est un

9

Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/metaphysique5gr.htm#142

10

Commentary on the Metaphysics : «488. In another sense the term applies to immobile things and to

the objects of mathematics, as numbers are of a certain type (quales), for example, those which are

compound, and not only those of one dimension but also those of which surface and solid are the

counterpart (for there are numbers which are so many times so much and so many times so many times

so much). And in general it means what is present in substance besides quantity. For the substance of

each number is what it is once; for example, the substance of six is not two times three but six taken

once, for six times one is six.» : https://archive.org/details/AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/

page/n429

11

Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

10


individu indivis en lui-même. Et cet individu indivis en lui-même qu’est ce Un

proprement l’Un qui est principe du nombre, comme on le précisera bientôt.

12

est

Thomas d’Aquin commente encore le texte d’Aristote qu’on trouve à 1020b 1 en

précisant que les «objets des mathématiques sont extraits du mouvement», ce qui les

distingue des êtres en mouvement, donc mobiles, qui sont objets de la philosophie de la

nature, en ces termes :

989. Secundum ponit ibi, alio vero dicit, quod alius modus qualitatis vel qualis est secundum quod

immobilia et mathematica dicuntur qualia. Mathematica enim abstrahunt a motu, ut in sexto huius

dicetur. Mathematica enim sunt numeri, et magnitudines; et in utrisque utimur nomine qualis.

Dicimus enim superficies esse quales, inquantum sunt quadratae vel triangulares. Et similiter

numeri dicuntur quales, inquantum sunt compositi. Dicuntur autem numeri compositi, qui

communicant in aliquo numero mensurante eos; sicut senarius numerus et novenarius

mensurantur ternario, et non solum ad unitatem comparationem habent, sicut ad mensuram

communem. Numeri autem incompositi, vel primi in sua proportione dicuntur, quos non mensurat

alius numerus communis, nisi sola unitas. 13

«Il donne ici un deuxième sens dans lequel le terme qualité est utilisé. Il dit que le terme qualité ou

«qualifié» est utilisé dans un autre sens, dans la mesure où les choses immobiles et les objets

mathématiques sont qualifiés d'une certaine manière. Les objets des mathématiques sont extraits

du mouvement, comme indiqué dans le livre VI de cet ouvrage (1161). De tels objets sont des

nombres et des quantités continues, et nous utilisons le terme qualité. On dit donc que les surfaces

sont qualifiées de carrées ou de triangulaires. Et de même, on dit que les nombres sont composés.

On dit que ces nombres sont composés et qu'ils ont un nombre commun qui les mesure; par

exemple, le nombre six et le nombre neuf sont mesurés par le nombre trois et ne sont pas

simplement désignés par le terme "mesure commune". Mais ceux qui ne sont mesurés que par un

nombre commun autre que l'un sont appelés non composés ou premiers dans leur proportion.» 14

Il convient de se rendre au paragraphe 1161, mentionné ici pas Thomas d’Aquin, là où il

commente cette phrase d’Aristote : «[1026a 7] Ἀλλ’ ἔστι καὶ ἡ μαθηματικὴ

12 Par convention terminologie, on le rappelle, on écrit Un avec un «u» en majuscule, et en le mettant en

italique pour nommer le Un qui constitue le sujet de ce document.

13 Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

14

Commentary on the metaphysics : «Here he gives a second sense in which the term quality is used.

He says that the term quality or “qualified” is used in another sense insofar as immobile things and the

objects of mathematics are said to be qualified in a certain way. For the objects of mathematics are

abstracted from motion, as is stated in Book VI of this work (1161). Such objects are numbers and

continuous quantities, and of both we use the term quality. Thus we say that surfaces are qualified as

being square or triangular. And similarly numbers are said to be qualified as being compound. Those

numbers are said to be compound which have some common number that measures them; for example,

the number six and the number nine are measured by the number three, and are not merely referred to

one as a common measure. But those which are measured by no common number other than one are

called uncompounded or first in their proportion.» ; https://archive.org/details/

AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/page/n429

11


θεωρητική·· Ἀλλ' εἰ ἀκινήτων καὶ χωριστῶν ἐστί, νῦν ἄδηλον, ὅτι μέντοι ἔνια

μαθήματα ᾗ ἀκίνητα καὶ ᾗ χωριστὰ θεωρεῖ, δῆλον.»

15

; «Mais les mathématiques

sont aussi une science théorétique, même s’il n’est pas encore évident de savoir s’il

s’agit de choses immobiles et séparables de la matière. Cependant, il est évident que

les mathématiques théorisent (θεωρεῖ) à propos des choses dans la mesure où elles

sont immobiles et séparables de la matière.»

16

L’être de nature, à propos duquel

théorise la philosophie de la nature (τὰ φύσις), la physique (au sens grec : τὰ φυσικὰ),

est mobile par essence et inséparable de la matière quant à son mode d’existence, son

mode d’être (modus essendi).

Par exemple, la pluralité d’une pomme, et d’une pomme, et d’une pomme, et d’une

pomme, et d’une pomme, et d’une pomme, autrement dit la substance du nombre six

pommes, est ici définie avec sa matière sensible, celle des pommes qu’on peut cueillir

du pommier et manger. Par contre, la pluralité de un, et un, et un, et un, et un, et un,

autrement dit la substance du nombre six, est définie avec une matière intelligible, en

faisant abstraction du mode d’existence que prend la matière sensible et en le

considérant comme étant séparé d’elle. On y revient plus loin.

On peut ainsi commencer à saisir ce qu’est un être mathématique pour Aristote, soit un

être composé d’une matière intelligible et d’une forme spécifique, composition dont fait

état la définition de cet être mathématique. Et, ainsi, il va de soi que cette «ἐπιστήμην»

qu’est la mathématique possède une méthode, un «τρόπος ἐπιστήμης», qui lui est

propre lorsqu’elle prend en considération l’être mathématique en tant que

mathématique, alors que la métaphysique considère l’être mathématique en tant

qu’être.

15

Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/metaphysique6pierron.htm

16

Commentary on the metaphysics : «But mathematics is also a theoretical science, although it is not

yet evident whether it deals with things which are immobile and separable from matter. However, it is

evident that mathematics speculates about things insofar as they are immobile and insofar as they are

separable from matter.» : https://archive.org/stream/AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/

Aquinas.CommentaryOnTheMetaphysicsOfAristotleIi#page/n5/mode/2up/search/1161

12


Une réimposition selon «en tant que»

La réimposition où est employée une dénomination précédée de «en tant que» signifie

que l’être mathématique considéré en tant qu’être relève de la métaphysique et de ses

principes propres, alors que l’être mathématique en tant que mathématique relève de la

mathématique et de ses principes propres. De la même manière, l’homme en tant

qu’animal doué de raison et l’homme en tant que bipède sans plume ne relèvent pas

des mêmes principes, et ce, même s’il s’agit du même homme.

Lorsqu’il commente le texte qu’Aristote donne à 1026a 7, Thomas d’Aquin écrit :

«1161. Sed tamen hoc est manifestum, quod scientia mathematica speculatur quaedam inquantum

sunt immobilia et inquantum sunt separata a materia sensibili, licet secundum esse non sint

immobilia vel separabilia. Ratio enim eorum est sine materia sensibili, sicut ratio concavi vel curvi.

In hoc ergo differt mathematica a physica, quia physica considerat ea quorum definitiones sunt

cum materia sensibili. Et ideo considerat non separata, inquantum sunt non separata. Mathematica

vero considerat ea, quorum definitiones sunt sine materia sensibili. Et ideo, etsi sunt non separata

ea quae considerat, tamen considerat ea inquantum sunt separata.» 17

«Cependant, il est évident que la science mathématique étudie certaines choses dans la mesure

où elles sont immobiles et séparées de la matière sensible, bien qu'elles ne soient en soi ni

immobiles ni séparables de la matière. Par exemple, leur structure intelligible, concave ou

incurvée, ne contient pas de matière sensible. La science mathématique diffère donc de la

philosophie de la nature en ce sens que, si la philosophie de la nature considère les choses dont

les définitions contiennent de la matière sensible (et considère donc ce qui n'est pas séparé dans

la mesure où elle n'est pas séparée), la science mathématique considère les choses dont la

définition ne contient pas de matière sensible. Et ainsi, même si les choses qu’elle considère ne

sont pas séparées de la matière, elle les considère néanmoins dans la mesure où elles sont

séparées.» 18

L’analyse de l’espèce qu’est un nombre, dont la définition est faite du genre, qui est

signifié avec pluralité ou multitude, et de la différence spécifique, qui est signifiée par

les unités exprimées au pluriel comme plusieurs unités, est attestée avec ce qu’Aristote

17 Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

18

Commentary on the Metaphysics : «However, it is evident that mathematical science studies some

things insofar as they are immobile and separate from matter, although they are neither immobile nor

separable from matter in being. For their intelligible structure, for example, that of concave or curved,

does not contain sensible matter. Hence mathematical science differs from the philosophy of nature in

this respect, that while the philosophy of nature considers things whose definitions contain sensible

matter (and thus it considers what is not separate insofar as it is not separate), mathematical science

considers things whose definitions do not contain sensible matter. And thus even though the things

which it considers are not separate from matter, it nevertheless considers them insofar as they are

s e p a r a t e . » : https://archive.org/stream/AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/

Aquinas.CommentaryOnTheMetaphysicsOfAristotleIi#page/n11/mode/2up/search/1161

13


écrit en ces termes : «[1057a 1] Τὸ δὲ πλῆθος οἷον γένος ἐστὶ τοῦ ἀριθμοῦ· ἔστι

γὰρ ἀριθμὸς πλῆθος ἑνὶ μετρητόν·»

19

; «Et la pluralité est en quelque sorte le genre

du nombre, puisque le nombre est une multitude mesurée par un.»

20

Ainsi, «ἔστι

ἀριθμὸς πλῆθος ἑνὶ μετρητόν» ; le nombre (ἀριθμὸς) est ainsi défini : multitude

(πλῆθος) mesurée par l’un (ἑνὶ μετρητόν).

Cet Un pris comme mesure (ἑνὶ μετρητόν) n’est autre que l’individu indivis en luimême

qui est proprement l’Un qui est principe du nombre. Cet Un pris comme mesure

(ἑνὶ μετρητόν) n’est pas lui-même un nombre puisqu’il n’est pas une multitude. Le

nombre, lui, est une multitude que mesure le Un pris comme mesure (ἑνὶ μετρητόν).

Cette analyse de l’espèce qu’est un nombre se poursuit en soulevant la question de la

présence ou de l’absence des singuliers (tels que définis selon la distinction individusingulier)

dans la définition même de l’espèce qu’est un nombre.

Autrement dit, dans l’espèce : multitude mesurée par l’un, le Un est-il singulier, ou pas,

et, s’il ne l’est pas, qu’est-il ? Thomas d’Aquin pose explicitement le problème comme

suit :

«1496. Ratio autem huius est, quia materia, quae principium est individuationis, est secundum se

ignota, et non cognoscitur nisi per formam, a qua sumitur ratio universalis. Et ideo singularia non

cognoscuntur in sua absentia nisi per universalia. Materia autem non solum est principium

individuationis in singularibus sensibilibus, sed etiam in mathematicis. Materia enim alia est

sensibilis, alia intelligibilis. Sensibilis quidem ut aes et lignum, vel etiam quaelibet materia mobilis,

ut ignis et aqua, et huiusmodi omnia; et a tali materia individuantur singularia sensibilia. Intelligibilis

vero materia est, quae est in sensibilibus, non inquantum sunt sensibilia, sicut mathematica sunt.

Sicut enim forma hominis est in tali materia, quae est corpus organicum, ita forma circuli vel

trianguli est in hac materia quae est continuum vel superficies vel corpus.» 21

«La raison en est que la matière, qui est le principe de l'individuation, est inconnaissable en soi et

n'est connue que par la forme dont dérive la définition universelle (ratio universalis). Et c’est

pourquoi les singuliers, en leur absence (in sua absentia), ne sont connues que par leurs

universaux (nisi per universalia). Or, la matière est le principe de l'individuation non seulement

dans les sensibles singuliers, mais aussi en mathématiques ; car il y a deux sortes de matière,

19

Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/metaphyque10gr.htm#1057a

20 Commentary on the Metaphysics : «And plurality is in a sense the genus of number, since number is

many measured by one.» :https://archive.org/stream/AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/

Aquinas.CommentaryOnTheMetaphysicsOfAristotleIi#page/n333/mode/2up/search/and+plurality

21

Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

14


l'une sensible et l'autre intelligible. Et par matière sensible, on entend le bronze et le bois, ou toute

matière mobile, telle que le feu, l’eau et autres de ce type ; et les sensibles singuliers sont

individualisés par une telle matière. Mais on entend par matière intelligible ce qui existe dans les

sensibles mais qui ne sont pas considérées comme sensibles, mais comme objets de la

mathématique. De même que la forme de l'homme existe dans telle ou telle matière, qui est un

corps organique, de la même manière, la forme d'un cercle ou d'un triangle existe dans cette

matière, qui est un continu, qu'il soit surface ou corps.» 22

La «raison de ceci», la «ratio huius», est exposée au numéro 1495, là où on lit : «Sed

huiusmodi singulares circuli abeuntes ab actu, idest recedentes ab actuali inspectione

sensus, quantum ad sensibiles, aut imaginationis, quantum ad mathematicos, non est

manifestum, utrum sint inquantum sunt singulares; sed tamen semper dicuntur et

cognoscuntur per rationem universalis.» «Mais ces cercles singuliers, ¨quand ils

échappent à l’opération¨, c’est-à-dire quand ils disparaissent de l’examen actuel du

sens quant aux réalités sensibles, et de l’imagination quant aux réalités mathématiques,

nous ne savons plus s’ils existent ou non en tant que singuliers; mais ils peuvent

toujours être définis et connus par la raison universelle.»

23

Les singuliers, tant

sensibles qu’intelligibles, ne sont pas connus de l’intellect autrement que par les notions

universelles réunies dans leur définition, mais prises au singulier grammatical.

Pour la multitude mesurée par l’Un, la mesure par Un s’exprime en termes de fois

comme dans : six fois le Un de l’individu indivis en lui-même dans un multiple

d’individus indivis en eux-mêmes. Donc, dans l’espèce : multitude mesurée par l’un , le

Un n’est pas un singulier, et ce, même s’il est exprimé au singulier grammatical ; ce Un

est un universel (ratio universalis), et ce caractère prendra de l’importance pour se

22 Commentary on the Metaphysics : The reason for this is that matter, which is the principle of

individuation, is unknowable in itself and is known only by means of the form, from which the universal

formula is derived. Therefore when singular things are absent, they are known only by their universals.

Now matter is the principle of individuation not only in singular things but also in the objects of

mathematics; for there are two kinds of matter, one sensible and the other intelligible. And by sensible

matter is meant such things as bronze and wood, or any changeable matter, such as fire and water and

all things of this sort; and singular sensible things are individuated by such matter. But by intelligible

matter is meant what exists in things which are sensible but are not viewed as sensible, as the objects of

mathematics. For just as the form of man exists in such and such matter, which is an organic body, in a

similar way the form of a circle or of a triangle exists in this matter, which is a continuum, whether

surface or solid. : https://archive.org/stream/AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/

Aquinas.CommentaryOnTheMetaphysicsOfAristotleIi#page/n127/mode/2up/search/1496

23

Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

15


saisir de l’Un qui est convertible avec l'étant. Ce Un qui est principe du nombre est pris

comme immobile et séparé de la matière sensible, mais pas séparé de la matière

intelligible.

Matière sensible et matière intelligible

Que convient-il d’entendre par l’expression «matière intelligible» ? Le mot «matière»

vient du latin «materia», mot où est présent «mater», un autre mot latin qui signifie :

mère. De même que la mère peut accoucher de plusieurs enfants, de même la matière

est au principe du multiple : la matière est la mère du multiple. En grec, le mot «μήτηρ»

signifie aussi «mère», et aussi : origine, source, cause première. Le nom «matière» est

souvent confondu avec le mot «corporel». Tout corps est au principe de trois

dimensions, ce pourquoi il est proprement dit matériel ; mais, la composante qu’est sa

matière n’est pas le tout du corps, dont une autre composante est au principe de son

unité, sa forme.

Un exemple géométrique aidera à mieux saisir de quoi il s’agit. On imagine ce cercle en

bois, et ce cercle en fer. Chacun de ces individus partage une même nature universelle,

la nature du cercle, ainsi définie par Euclide : «Figure plane comprise par une seule

ligne qu'on nomme circonférence telle que toutes les droites qui y sont menées à partir

d'un des points placés dans cette figure sont égales entre elles»

24. Cette

définition ne retient que la matière intelligible commune à ce cercle en bois

et à ce cercle en fer, et à tout autre «ce cercle», même à celui qui est tracé

dans la figure ci-contre. C’est ainsi que Thomas d’Aquin écrit :

«1497. Partes enim materiae individuae sunt partes compositi singularis, non autem speciei, nec

formae. Partes autem materiae universalis, sunt partes speciei, sed non formae. Et quia universale

definitur et non singulare, ideo partes materiae individualis non ponuntur in definitione, sed solum

partes materiae communis, simul cum forma vel partibus formae.» 25

«Car les parties de la matière individuelle sont des parties du composé singulier mais pas [les

parties] de l'espèce ou [les parties] de la forme, alors que les parties de la matière universelle sont

24

25

Éléments d’Euclide, définition 15 : http://philoctetes.free.fr/euclide.htm

Commentaire de traité des métaphysiques : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/

commentairemetaphysique.htm

16


des parties de l'espèce mais pas [des parties] de la forme. Et puisque des universaux et non des

singuliers sont définis, les parties de la matière individuelle ne sont donc pas données dans la

définition d'une chose, mais uniquement les parties de la matière commune ainsi que la forme ou

des parties de la forme.» 26

«Les parties de la matière individuelle sont des parties du composé singulier mais pas

[les parties] de l'espèce ou [les parties] de la forme, alors que les parties de la matière

universelle sont des parties de l'espèce mais pas [des parties] de la forme.» Il convient

ici de bien remarquer l’emploi judicieux du mot «singulier»que fait ici l’auteur, un emploi

conforme à la définition donnée plus haut selon laquelle le singulier n’a pas son pareil.

Et, ce qu’il convient d’entendre par «matière intelligible commune», Thomas d’Aquin

l’expose en ces termes :

«1760. Deinde cum dicit est autem solvit praedictam dubitationem in mathematicis: et dicit quod

duplex est materia: scilicet sensibilis et intelligibilis. Sensibilis quidem est, quae concernit qualitates

sensibiles, calidum et frigidum, rarum et densum, et alia huiusmodi, cum qua quidem materia

concreta sunt naturalia, sed ab ea abstrahunt mathematica. Intelligibilis autem materia dicitur, quae

accipitur sine sensibilibus qualitatibus vel differentiis, sicut ipsum continuum. Et ab hac materia non

abstrahunt mathematica.» 27

«Ensuite, il résout le problème ci-dessus en ce qui concerne les objets des mathématiques. Il dit

que la matière est de deux sortes, sensible et intelligible. La matière sensible est ce qui a trait aux

qualités sensibles, chaudes et froides, rares et denses, etc., et, avec cette matière, les corps

naturels sont concrétisés. Maintenant, les objets des mathématiques sont abstraits de ce genre de

matière. Mais la matière intelligible signifie ce qui est compris sans qualités ou différences

sensibles, par exemple ce qui est continu. Et les objets mathématiques ne font pas abstraction de

ce type de matière.» 28

26 Commentary on the Metaphysics : «He therefore concludes that he has explained the relationship of

whole and part, and the sense in which there is priority and posteriority, i.e., how a part is a part of the

whole, and how it is prior and how subsequent. For the parts of individual matter are parts of the singular

composite but not of the species or form, whereas the parts of universal matter are parts of the species

but not of the form. And since universals and not singulars are defined, the parts of individual matter are

therefore not given in a thing's definition, but only the parts of common matter together with the form or

parts of the form.» : https://archive.org/stream/AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/

Aquinas.CommentaryOnTheMetaphysicsOfAristotleIi#page/n127/mode/2up/search/1496

27 Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

28

Commentary on the Metaphysics : « Then he solves the above problem in regard to the objects of

mathematics. He says that matter is of two kinds, sensible and intelligible. Sensible matter is what

pertains to the sensible qualities, hot and cold, rare and dense and the like; and with this matter natural

bodies are concreted. Now the objects of mathematics abstract from this kind of matter. But intelligible

matter means what is understood without sensible qualities or differences, for example, what is

continuous. And the objects of mathematics do not abstract from this kind of matter.» : https://

archive.org/stream/AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/

Aquinas.CommentaryOnTheMetaphysicsOfAristotleIi#page/n225/mode/2up/search/1760

17


«La matière intelligible signifie ce qui est compris sans qualité ou différence sensibles,

par exemple ce qui est continu.» Ce continu, ce ipsum continuum, est de matière

intelligible, dit Thomas d’Aquin, en ce qu’il fait abstraction de la matière sensible. Il en

sera de même du nombre nombrant par rapport au nombre nombré, comme on le verra

plus loin.

Le mot français «continu», venu du latin «continuus» 29, provient d’un verbe latin :

continere. Il se prend en cinq acceptions : 1. maintenir uni, relier ; 2. embrasser,

enfermer ; 3. maintenir, retenir [dans le devoir] ; 4. renfermer en soi, contenir ; 5.

contenir, réprimer. Ce verbe «continere» est voisin du verbe : continuare. Ce dernier se

prend en trois acceptions : 1. faire suivre immédiatement, assurer une continuité,

joindre de manière à former un tout sans interruption ; 2. faire succéder [dans le temps ]

sans interruption ; 3. durer, persister.

Le continu , l’ipsum continuum, qui est de matière intelligible, est ce qui est maintenu

uni, ce qui est joint de manière à former un tout sans interruption. La rupture

qu’implique une interruption en brise l’unité, ce qu’accomplit le nombre ; par exemple,

si une ligne droite, donc une quantité continue qui est une, est divisée en deux

segments divis l’un par rapport à l’autre, alors ces deux segments sont discontinus et

sont nommés en employant le nombre 2, ce pourquoi on dit que le nombre 2 est une

quantité discontinue. Mais, comme on va bientôt le voir, ce nombre 2 présente en luimême

une unité telle qu’il est continu à cet égard.

Avec le cercle, ce qu’il convient d’entendre par matière intelligible commune est devenu

assez clair. Mais, qu’en est-il pour l’Un du nombre dans : pluralité mesurée par l’un ?

Quelle peut bien être la matière intelligible commune aux divers uns d’une pluralité

mesurée par l’Un ? C’est ainsi qu’on vient à la notion de nombre, au numerus.

De même que l’étant s’oppose au non-étant, au néant, l’unique, le numériquement un

(ἀριθμῷ ἕν), s’oppose au non-unique, au non-numériquement-un, ce qui, en latin, se

29

Félix Gaffiot, Dictionnaire latin-français, Hachette, Paris, 1934 : https://www.lexilogos.com/latin/

gaffiot.php?p=419

18


dit : numerus. Le mot latin «merus» se traduit par «unique». Le mot latin «numerus» est

formé du préfixe «nu» qui signifie : non ; il se traduit en français par : nombre. Le mot

latin «numerus» signifie donc, et ce, littéralement, le «non-unique», i.e. le multiple. Le

numériquement un (ἀριθμῷ ἕν) n’est pas et ne peut pas être numerus.

Dans la pluralité mesurée par l’un, aucun de ces Uns n’est unique. Le nom «nombre»

implique donc un Un multiplié, donc un Un multipliable. Mais, le nombre, ainsi entendu,

n’est pas encore un être mathématique. Il s’impose ici de fournir une précision, en

insistant sur ce terme qui, en latin, se dit «præcisio». Cette præcisio n’est autre que le

χωρίζειν (i.e. séparer en pensée) qu’Aristote prononce avec «χωριστὰ τῇ νοήσει

κινήσεώς ἐστι» dans :

«[193b 31] Περὶ τούτων μὲν οὖν πραγματεύεται καὶ ὁ μαθηματικός, ἀλλ' οὐχ ᾗ φυσικοῦ

σώματος πέρας ἕκαστον· οὐδὲ τὰ συμβεβηκότα θεωρεῖ ᾗ τοιούτοις οὖσι συμβέβηκεν· διὸ

καὶ χωρίζει· χωριστὰ γὰρ τῇ νοήσει κινήσεώς ἐστι, καὶ οὐδὲν διαφέρει, οὐδὲ γίγνεται

ψεῦδος χωριζόντων.» 30

«Le mathématicien, quand il étudie les surfaces, les lignes et les points, ne s'en occupe pas en tant

que ce sont là les limites d'un corps naturel, et il ne regarde pas davantage aux propriétés qui

peuvent accidentellement leur appartenir en tant que ces propriétés appartiennent à des êtres

réels : aussi il peut abstraire ces notions, que l'entendement, en effet, sépare sans peine du

mouvement ; et cette abstraction, qui n'amène aucune différence, n'est pas faite pour produire

d’erreur.»

Une præcisio importante

Thomas d’Aquin emploie le mot «præcisio» dans cet autre texte : «Ergo patet quod

natura hominis absolute considerata abstrahit a quolibet esse, ita tamen quod non fiat

praecisio alicuius eorum. Et haec natura sic considerata est quae praedicatur de

individuis omnibus.»

31

Catherine Capelle en propose la traduction suivante : «Il

apparaît donc que la nature de l’homme considérée dans l’absolu [i.e. considérée en

soi] fait abstraction de tout mode d’existence, de telle sorte cependant qu’elle n’en

exclut aucun. Et c’est la nature ainsi considérée qui est attribuée à tous les individus.»

30 Physique, traduction de J. Barthélemy Saint-Hilaire : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/

Aristote/phys22.htm

31

De ente et essentia, Catherine Capelle, éditions Vrin, 1980 : http://docteurangelique.free.fr/

bibliotheque/opuscules/30etreetessence.htm

19


Dans ce texte, l’expression «natura absolute considerata abstrahit a quolibet esse, ita

quod non fiat præcisio alicuius eorum» est importante. Capelle le souligne bien. Il s’agit

d’abord de la prise en considération absolue d’une nature, une nature considérée en

soi. Il s’agit ensuite d’une prise en considération qui fait abstraction de tout mode

d’existence que peut prendre une telle nature ; l’expression latine «quolibet esse» se

traduit littéralement par «n’importe quel être», le verbe à l’infinitif «esse» étant ici rendu

par «mode d’existence», ce qui revient à «mode d’être» (modus essendi). Il s’agit enfin

d’une abstraction de tout mode d’existence qui ne se rend pas (non fiat) jusqu’à la

«præcisio alicuius eorum».

Le nom «præcisio» vient du verbe «præcidere» qui signifie : couper, trancher,

retrancher, séparer en tranches. Le verbe «præcidere» contient le préfixe «præ», qui

signifie «devant», le même préfixe qu’on trouve dans «prædicatum» (prédicat), préfixe

suivi du verbe «cædere»(couper, abattre) qui a engendré le nom «cædes» : action de

couper. C’est cette cædes, cette action de couper, qu’on retrouve en français dans :

inciser, scinder, rescinder. Dans l’expression «præcisio alicuius eorum», le pronom

«eorum» (de ceux-ci) fait entendre que les modes d’existence sont nombreux ; le

pronom «alicujus» est l’adjectif indéfini «quelque» ; l’expression «præcisio alicuius

eorum» se traduit donc littéralement ainsi : scission d’un quelconque de ceux-ci. Et

l’expression complète : «natura absolute considerata abstrahit a quolibet esse, ita quod

non fiat præcisio alicuius eorum» signifie donc : la nature absolument considérée fait

abstraction de n’importe quel mode d’exister, de telle manière qu’elle ne devient pas

une rescision de l’un quelconque de ceux-ci. La traduction de Capelle, avec «n’en

exclut aucun» est plus synthétique, ce qui comporte l’inconvénient d’être moins

explicite.

Or, pour la fin poursuivie dans ce document, l’explicitation est préférable. Pourquoi ?

Parce que la phrase ici prise en considération est une conclusion dont Thomas d’Aquin

donne les prémisses en ces termes :

«Et in singularibus etiam habet multiplex esse secundum singularium diversitatem et tamen ipsi

naturae secundum suam primam considerationem, scilicet absolutam, nullum istorum esse

debetur. Falsum enim est dicere quod essentia hominis in quantum huiusmodi habeat esse in hoc

20


singulari, quia si esse in hoc singulari conveniret homini in quantum est homo, nunquam esset

extra hoc singulare. Similiter etiam si conveniret homini in quantum est homo non esse in hoc

singulari, nunquam esset in eo. Sed verum est dicere quod homo non in quantum est homo habet

quod sit in hoc singulari vel in illo aut in anima.»

«Et, dans les singuliers, [la nature] a un être multiple (habet multiplex esse) selon la diversité des

singuliers ; et cependant, aucun singulier n’a l’être de cette nature du premier point de vue, c’est-àdire

dans l’absolu. Il est faux, en effet, que la nature de l’homme en tant que tel ait l’être dans ce

singulier, parce que si l’être convenait à l’homme en tant qu’homme dans ce singulier, jamais il n’y

aurait pas d’hommes en dehors de lui ; de même s’il ne convenait pas à l’homme en tant

qu’homme d’être dans ce singulier, jamais il ne serait cet individu. Mais il est vrai de dire que

l’homme en tant qu’homme n’a d’être ni dans tel ou tel singulier, ni dans l’âme.»

Ces prémisses étant posées, Thomas d’Aquin conclut qu’il «apparaît donc que la nature

de l’homme considérée dans l’absolu [i.e. considérée en soi] fait abstraction de tout

mode d’existence, de telle sorte cependant qu’elle n’en exclut aucun». Qu’arriverait-il si,

au lieu de «non fiat praecisio alicuius eorum», intervenait un «fiat praecisio», non pas

de «alicuius eorum», mais précisément du «esse in hoc singulari» ? Et la réponse est

que «jamais il ne serait cet individu». C’est pourquoi, alors que l’universel dit concret

«homme» est prédicable de tout individu humain, l’universel dit abstrait «humanité» ne

l’est d’aucun.

Or, en mathématique, la prise en considération du nombre peut se faire de deux

manières : selon la manière du «non fiat praecisio», ou selon la manière du «fiat

praecisio». Et ce qu’Aristote définit comme l’abstraction mathématique typique est

précisément celle qui est faite à la manière du «fiat praecisio», et ce, à propos du «esse

in hoc singulari» pertinent. Cette distinction n’est pas étrangère à l’enseignement que

donne Aristote dans son ouvrage intitulé Physique (τὰ φυσικὰ), qui est une philosophie

de l’être de nature (τὰ φύσις), ouvrage où il distingue le nombre nombré et le nombre

nombrant :

«[219b 5] Ἐπεὶ δ' ἀριθμός ἐστι διχῶς (καὶ γὰρ τὸ ἀριθμούμενον καὶ τὸ ἀριθμητὸν ἀριθμὸν

λέγομεν, καὶ ᾧ ἀριθμοῦμεν), ὁ δὴ χρόνος ἐστὶν τὸ ἀριθμούμενον καὶ οὐχ ᾧ ἀριθμοῦμεν.» 32

32

Remacle, Physique, http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/phys416.htm

21


«Mais nombre s’entend de deux façons: il y a, en effet, le nombre comme nombré et nombrable, et

le nombre comme moyen de nombrer. Or, le temps, c’est le nombré, non le moyen de nombrer. Or

le moyen de nombrer et la chose nombrée sont distincts.» 33

Une ouverture vers l’être en tant qu’être

Lorsqu’il commente ce texte qu’Aristote écrit à 219b 5, Thomas d’Aquin distingue le

«numerus numeratus», le nombre nombré, et le «numerus quo numeramus», le nombre

nombrant, comme suit :

«581. Secundo ibi: quoniam autem numerus etc., manifestat quod dictum est per distinctionem

numeri; et dicit quod numerus dicitur dupliciter. Uno modo id quod numeratur actu, vel quod est

numerabile, ut puta cum dicimus decem homines aut decem equos; qui dicitur numerus

numeratus, quia est numerus applicatus rebus numeratis. Alio modo dicitur numerus quo

numeramus, idest ipse numerus absolute acceptus, ut duo, tria, quatuor. Tempus autem non est

numerus quo numeramus, quia sic sequeretur quod numerus cuiuslibet rei esset tempus: sed est

numerus numeratus, quia ipse numerus prioris et posterioris in motu tempus dicitur; vel etiam ipsa

quae sunt prius et posterius numerata. Et ideo, licet numerus sit quantitas discreta, tempus tamen

est quantitas continua, propter rem numeratam; sicut decem mensurae panni quoddam continuum

est, quamvis denarius numerus sit quantitas discreta.» 34

«581. — Il la manifeste ensuite (219b5) en apportant une distinction à propos du nombre. Le

nombre, dit-il, se dit en deux sens. En un sens, il est ce qu’on compte de fait, ce qui prête à

nombre ; par exemple dix hommes ou dix chevaux. C’est ce qu’on appelle le nombre ‘nombré’,

parce qu’il s’agit d’un nombre appliqué à des choses qu’on compte. En l’autre sens, on appelle

nombre ce avec quoi on compte : le nombre lui-même pris absolument, comme deux, trois, quatre.

Or le temps n’est pas le nombre avec lequel on compte ; le nombre de n’importe quoi serait alors

du temps. C’est au contraire un nombre nombré, car c’est le nombre même des parties

successives du changement qu’on désigne comme temps ; ou encore ces parties successives

elles-mêmes une fois comptées. Voilà pourquoi, bien que le nombre constitue une quantité

discrète, le temps reste une quantité continue : c’est à cause de la réalité comptée. Pareillement,

dix mesures de tissu restent une réalité continue, même si le nombre dix constitue une quantité

discrète.» 35

Le «numerus numeratus», le nombre nombré, donc nombrable (sans quoi il ne pourrait

pas être nombré en acte), est «id quod numeratur», ce qui est nombré, donc

nombrable ; c’est le «numerus applicatus rebus numeratis», le «nombre appliqué à des

choses qu’on compte», des choses dont on prend la mesure du nombre, comme «dix

33 Aristote, La physique, traduction de Henri Carteron : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/

complements/Aristotephysique.htm

34 Corpus thomisticum, Commentaria in octo libros Physicorum, lib. 4 l. 17 n. 11 : http://

www.corpusthomisticum.org/cpy03.html#72112

35

Commentaire de la ‘Physique’ d’Aristote, traduction de Yvan Pelletier, http://docteurangelique.free.fr/

bibliotheque/philosophie/commentairephysiquearistote.htm

22


hommes ou dix chevaux» ; comme ce passage est pris de l’ouvrage concernant l’être

de nature (τὰ φύσις), la Physique (τὰ φυσικὰ), la matière sensible y est présente et y

est signifiée avec «hommes» et «chevaux».

Le nombre nombré, donc nombrable, le «numerus numeratus», possède un paronyme

en : nombreux. Par exemple, un rassemblement de chevaux réunis en un lieu est dit

nombreux parce qu’il fait nombre. Dans un tel rassemblement, aucun de ces nombreux

chevaux n’est considéré comme unique, puisque le cheval unique est seul (merus), ce

qui n’est pas compatible avec un rassemblement. C’est pourquoi, dans un tel

rassemblement, chacun de ces nombreux chevaux est nombrable. Et le comptage de

ces chevaux s’exprime avec le verbe «sont dix chevaux», comme dans : «Ces choses

sont 10 chevaux.» Ici, l’unité de mesure est : un cheval ; comme l’unité de mesure

d’une aire est faite d’une longueur et d’une largeur, l’unité de mesure «un cheval» est

faite de la ressemblance «cheval» et de l’Un qui est principe du nombre. À cet égard,

Aristote écrit :

«[1087b 33] Τὸ δ' ἓν ὅτι μέτρον σημαίνει, φανερόν. Καὶ ἐν παντὶ ἔστι τι ἕτερον ὑποκείμενον,

(…). [1088a 1] Καὶ ἀδιαίρετον τὸ μέτρον, τὸ μὲν κατὰ τὸ εἶδος τὸ δὲ πρὸς τὴν αἴσθησιν, ὡς

οὐκ ὄντος τινὸς τοῦ ἑνὸς καθ' αὑτὸ οὐσίας. Καὶ τοῦτο κατὰ λόγον· σημαίνει γὰρ τὸ ἓν ὅτι

μέτρον [5] πλήθους τινός, καὶ ὁ ἀριθμὸς ὅτι πλῆθος μεμετρημένον καὶ πλῆθος μέτρων (διὸ

καὶ εὐλόγως οὐκ ἔστι τὸ ἓν ἀριθμός·Οὐδὲ γὰρ τὸ μέτρον μέτρα, ἀλλ' ἀρχὴ καὶ τὸ μέτρον

καὶ τὸ ἕν).Δεῖ δὲ ἀεὶ τὸ αὐτό τι ὑπάρχειν πᾶσι τὸ μέτρον, οἷον εἰ ἵπποι, τὸ μέτρον ἵππος, καὶ

εἰ ἄνθρωποι, ἄνθρωπος. [10] Εἰ δ' ἄνθρωπος καὶ ἵππος καὶ θεός, ζῷον ἴσως, καὶ ὁ ἀριθμὸς

αὐτῶν ἔσται ζῷα. Εἰ δ' ἄνθρωπος καὶ λευκὸν καὶ βαδίζον, ἥκιστα μὲν ἀριθμὸς τούτων διὰ τὸ

ταὐτῷ πάντα ὑπάρχειν καὶ ἑνὶ κατὰ ἀριθμόν, ὅμως δὲ γενῶν ἔσται ὁ ἀριθμὸς ὁ τούτων, ἤ

τινος ἄλλης τοιαύτης προσηγορίας.» 36

«Il est, d'ailleurs, de toute évidence que c'est l'unité qui exprime la mesure ; et en toute chose, il y a

toujours quelque chose d'autre qui sert de fondement. (…) La mesure est indivisible, soit par son

espèce même, soit pour nos sens, la mesure adoptée n'étant pas une substance en soi. Du reste,

cela se comprend sans peine, puisque l'unité signifie la mesure [5] d'une certaine pluralité ; que le

nombre est une pluralité mesurée, et une pluralité de mesures. Aussi, n'a-t-on pas moins raison de

dire que l'unité n'est pas un nombre, pas plus que la mesure ne peut être une réunion de mesures ;

mais la mesure n'est qu'un principe, aussi bien que l'unité. De là vient que la mesure doit toujours

rester Une et la même, pour toutes les choses mesurées. Si la mesure est un cheval, elle

s'applique à tous les chevaux ; si c'est l'homme, à tous les hommes. [10] S'il s'agit de l'homme, du

cheval, de Dieu, la mesure est, si l'on veut, l'être animé ; et leur nombre peut encore être un

nombre d'êtres animés. Mais si l'on veut réunir l'homme, le blanc, et la marche, il n'y a plus de

nombre possible pour ces trois termes, en ce sens que toutes ces déterminations se rapporteraient

36

Remacle ; traduction de J. Barthélemy Saint-Hilaire : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/

Aristote/metaphyque14gr.htm#18

23


au même être et à un être qui numériquement est Un. Toutefois dans ce cas même, il peut y avoir

encore un nombre pour les genres de ces déterminations, ou de telle autre dénomination

analogue.»

Le «numerus quo numeramus», le nombre nombrant, est ce avec quoi le nombre

nombrable est nombré. Or, en mathématique, la prise en considération du nombre peut

se faire de deux manières : selon la manière du «non fiat praecisio», ou selon la

manière du «fiat praecisio».

Selon la manière du «non fiat praecisio», le nombre nombrant est, d’abord, séparé en

pensée du nombre nombré pour, ensuite, lui être relié en pensée ; c’est le «ipse

numerus absolute acceptus», le «nombre lui-même pris absolument, comme deux,

trois, quatre» , où cet «absolute» rappelle le «natura absolute considerata» vu

précédemment. Dans la poursuite de son projet de connaître l’être en tant qu’être, ce

qui inclus l’être de nature et l’être mathématique dans la mesure où ils sont l’un et

l’autre être, Aristote vise à connaître l’être en tant qu’être, projet qui se doit de n’exclure

aucun des modes que peut prendre l’être. C’est pourquoi, afin de les comparer, il en

reste à la manière du «non fiat praecisio» pour l’être mathématique en tant qu’être.

Car, selon la manière du «fiat praecisio», le nombre nombrant est, d’abord, séparé en

pensée du nombre nombré pour, ensuite, ne plus lui être relié en pensée ; il est plutôt

maintenu comme tel dans le mode d’existence du séparé en pensée, et ce, avec

exclusion. C’est ainsi que, en mathématique, on peut lire une définition 37 comme :

Cette double précision étant faite, une au sens français du terme «précision» et une

autre au sens latin du terme «præcisio», on revient à cette phrase d’Aristote qu’on a lu

plus haut : «[1057a 1] Τὸ δὲ πλῆθος οἷον γένος ἐστὶ τοῦ ἀριθμοῦ· ἔστι γὰρ ἀριθμὸς

πλῆθος ἑνὶ μετρητόν, (…)»

38

; «Et la pluralité est en quelque sorte le genre du

37 Marie-Pierre Lebaud, Lois de composition internes - Relations, capture d’écran : https://perso.univrennes1.fr/marie-pierre.lebaud/ma2/pdf/relation.pdf

38

Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/metaphyque10gr.htm#1057a

24


nombre, puisque le nombre est une multitude mesurée par l’un.»

39

Mais Aristote

poursuit cette phrase ainsi : «[1057a 5] καὶ ἀντίκειταί πως τὸ ἓν καὶ ἀριθμός, οὐχ ὡς

ἐναντίον ἀλλ' ὥσπερ εἴρηται τῶν πρός τι ἔνια· ᾗ γὰρ μέτρον τὸ δὲ μετρητόν,

ταύτῃ ἀντίκειται, διὸ οὐ πᾶν ὃ ἂν ᾖ ἓν ἀριθμός ἐστιν, οἷον εἴ τι ἀδιαίρετόν ἐστιν.»

Certes, «la pluralité est en quelque sorte le genre du nombre, puisque le nombre est

une multitude mesuré par un…». Mais Aristote poursuit cette phrase ainsi : «…dans un

sens, un et nombre sont opposés, non pas comme des contraires, mais dans la façon

dont nous avons dit que certains termes relatifs sont opposés», «car ils sont opposés

dans la mesure où l’Un est une mesure et l’autre quelque chose de mesurable». À cet

égard, un et nombre sont reliés selon la relation mesure-mesurable. Et ainsi Aristote en

arrive à cet ajout important : «et pour cette raison, tout ce qui est Un n'est pas un

nombre, par exemple tout ce qui est indivisible.»

Thomas d’Aquin écrit :

40

Lorsqu’il commente cet ajout,

«2092. Et non dicit quod sit simpliciter genus; quia sicut ens genus non est, proprie loquendo, ita

nec unum quod convertitur cum ente, nec pluralitas ei opposita. Sed est quasi genus, quia habet

aliquid de ratione generis, inquantum est communis.» 41

«2092. Il ne dit pas qu'il s'agit d'un genre au sens absolu du terme, car, tout comme l'être n'est pas

un genre à proprement parler, il en va de même du un qui est interchangeable avec l'être et de la

pluralité qui lui est opposée. Mais c’est en quelque sorte un genre, car il contient quelque chose

appartenant à la notion de genre en tant qu’il est commun.» 42

39

Commentary on the Metaphysics : «And plurality is in a sense the genus of number, since number is

many measured by one.» :https://archive.org/stream/AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/

Aquinas.CommentaryOnTheMetaphysicsOfAristotleIi#page/n333/mode/2up/search/and+plurality

40 Commentary on the Metaphysics : «And in a sense one and number are opposed, not as contraries

but in the way in which we said that some relative terms are opposed; for they are opposed inasmuch as

the one is a measure and the other something measurable. And for this reason not everything that is one

is a number, for example, anything that is indivisible.» : https://archive.org/stream/

AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/Aquinas.CommentaryOnTheMetaphysicsOfAristotleIi#page/

n333/mode/2up/search/one+and+number+are+opposed%2C

41 Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

42

Commentary on the Metaphysics : «2092. He does not say that it is a genus in an unqualified sense,

because, just as being is not a genus properly speaking, neither is the one which is interchangeable with

being nor the plurality which is opposed to it. But it is in some sense a genus, because it contains

something belonging to the notion of a genus inasmuch as it is common.» : https://archive.org/stream/

AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/Aquinas.CommentaryOnTheMetaphysicsOfAristotleIi#page/

n339/mode/2up/search/2092

25


L’ajout que fait Aristote est important : «Tout ce qui est un», «par exemple tout ce qui

est indivisible», «n’est pas [pour autant] un nombre», bien qu’il arrive que c’en soit un.

Au delà du Un qui concerne l’individu multipliable, de ce principe du nombre, cet ajout

constitue l’ouverture vers une connaissance de l’être en tant qu’être. Et Thomas d’Aquin

le souligne ainsi : «ens genus non est, proprie loquendo, ita nec unum quod convertitur

cum ente, nec pluralitas ei opposita» ; «l'être n'est pas un genre à proprement parler, il

en va de même de l’Un qui est interchangeable avec l'être et de la pluralité qui lui est

opposée».

La relation de tout et de partie

On obtiendra plus de clarté sur la distinction importante ici introduite par Aristote en

revenant à : «1497. la relation de tout et de partie». On est ainsi conduit à considérer la

notion que signifie le mot : entier. Si «la pluralité est en quelque sorte le genre du

nombre, puisque le nombre est une multitude mesurée par l’un», c’est que le nombre

est une multitude mesurée par l’entier. Mais, l’entier ne se limite pas au seul cas du

nombre puisqu’il présente une acception qui traite le cas «de l’Un qui est

interchangeable avec l'étant et de la pluralité qui lui est opposée».

Que faut-il entendre par entier ? Seul le tout est entier, écrit Aristote : «[1023b 25]

Ὅλον λέγεται οὗ τε μηθὲν ἄπεστι μέρος ἐξ ὧν λέγεται ὅλον φύσει, καὶ τὸ

περιέχον τὰ περιεχόμενα ὥστε ἕν τι εἶναι ἐκεῖνα»

43

; «516. Entier se dit de ce à

quoi il ne manque aucune des parties qui sont dites être de sa nature; et de ce qui

contient les parties y contenues de telle manière qu'elles y forment une unité.» 44

En grec «τὸ ὅλον» signifie : le tout, l’entier, l’ensemble

Thomas d’Aquin écrit :

45. Lorsqu’il commente ce texte,

43

Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/metaphysique5gr.htm#262

44 Commentary on the Metaphysics : «Whole means that from which none of the things of which it is said

to consist by nature are missing; and that which contains the things contained in such a way that they

form one thing.» :

45

Émile Pessonnaux ,Dictionnaire grec-français, Librairie classique Eugène Belin, 1953

26


«1098. Primo ponit rationem communem totius, quae consistit in duobus. Primo in hoc quod

perfectio totius integratur ex partibus. Et significat hoc, cum dicit quod totum dicitur cui nulla

suarum partium deest, ex quibus scilicet partibus dicitur totum natura, idest totum secundum suam

naturam constituitur. Secundum est quod partes uniuntur in toto. Et sic dicit quod totum continens

est contenta, scilicet partes, ita quod illa contenta sunt aliquid unum in toto.» 46

«Premièrement, il énonce la signification commune de tout, qui implique deux aspects. (1) La

première est que la perfection d'un tout s’accomplit en intégrant ses parties (integratur ex partibus).

Il le signifie lorsqu'il dit ‘tout signifie ce dont aucune de ses parties ne manque’, ces parties dont il

est dit qu’elles forment un tout par nature, c’est-à-dire que le tout est constitué selon sa nature. (2)

La seconde est que les parties sont unies en un tout. Et ainsi, il dit que le tout ‘contient les

contenues’ (continens est contenta), i.e. les parties, de telle sorte que les [parties] contenues dans

le tout y sont quelque autre (aliquid) un constitué en tout (unum in toto).» 47

Il s’impose ici de bien insister sur les termes qu’emploie Thomas d’Aquin. La notion

commune signifiée par le mot tout (ratio communis totius) présente deux aspects ayant

pour lien entre eux une intégration de parties en un tout qui les intègre :

1. la perfection d'un tout (perfectio totius) résulte de l’intégration de ses parties

(integratur ex partibus), en ce sens que ne lui manque aucune des parties (nulla

suarum partium deest) qui le constituent selon sa nature (secundum suam

naturam constituitur) ;

2. le tout, en reliant ainsi les parties reliées en lui, les constitue en une intégrité

distincte d’elles, un autre que (aliquid) qui est un (unum) en un tout (in toto).

Dans la suite de son exposé (toujours pris du site Remacle), Aristote diversifie cette

notion commune du tout (ratio communis totius). C’est ainsi qu’il ajoute la notion de

universel et la notion de intégral à la notion commune de tout, ce qui donne une

diversification de la notion commune ainsi divisée en tout universel et en tout intégral,

une diversification qui introduit une importante distinction à propos de l’intégration des

parties en un tout qui les intègre, comme suit :

Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

47

Commentary on the Metaphysics : : «First, he states the common meaning of whole, which involves

two things. (1) The first is that the perfection of a whole is derived from its parts. He indicates this when

he says “a whole means that from which none of the things,” i.e., the parts, “of which it is said to consist

by nature,” i.e., of which the whole is composed according to its own nature, “are missing.” (2) The

second is that the parts become one in the whole. Thus he says that a whole is “that which contains the

things contained,” namely, the parts, in such a way that the things contained in the whole are some one

thing.» : https://archive.org/details/AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/page/n465

27


«[1023b 28] Τοῦτο δὲ διχῶς· Ἢ γὰρ ὡς ἕκαστον ἓν ἢ ὡς ἐκ τούτων τὸ ἕν.»

«Mais cela se produit de deux manières : soit dans la mesure où chaque un est un individu, soit

dans la mesure où l’un est constitué de leur tout.» 48

«[1023b 29] Τὸ μὲν γὰρ καθόλου, καὶ τὸ ὅλως λεγόμενον ὡς ὅλον τι ὄν, οὕτως ἐστὶ καθόλου

ὡς πολλὰ περιέχον τῷ κατηγορεῖσθαι καθ' ἑκάστου καὶ ἓν ἅπαντα εἶναι ὡς ἕκαστον, οἷον

ἄνθρωπον ἵππον θεόν, διότι ἅπαντα ζῷα·»

«Ainsi, tout est un universel, et en général ce qui est exprimé comme formant un tout, en ce sens

qu'il renferme plusieurs sujets de chacun desquels il peut être prédiqué, et que tous ces sujets n'en

sont pas moins chacun une unité individuelle: par exemple, un homme, un cheval, un dieu, parce

qu'on peut dire de tous qu'ils sont des êtres animés.» 49

«[1023b 32] Τὸ δὲ συνεχὲς καὶ πεπερασμένον, ὅταν ἕν τι ἐκ πλειόνων ᾖ, ἐνυπαρχόντων

μάλιστα μὲν δυνάμει, εἰ δὲ μή, ἐνεργείᾳ.»

«Et tout s’applique aussi au continu et au fini, quand l’unité résulte de plusieurs parties intégrantes

qui existent tout au moins en puissance dans le continu, lorsqu’elles n’y sont pas absolument en

acte.» 50

«[123b 34] Τούτων δ' αὐτῶν μᾶλλον τὰ φύσει ἢ τέχνῃ τοιαῦτα, ὥσπερ καὶ ἐπὶ τοῦ ἑνὸς

ἐλέγομεν, ὡς οὔσης τῆς ὁλότητος ἑνότητός τινος.»

«Et, pour ceux-ci [le continu et le fini], tout se trouve plutôt dans ce qui est naturel que ce qui vient

de l’art, comme on l’a fait remarquer plus haut à propos de l’Un, quand on a dit que la totalité d’une

chose est une sorte d’unité.» 51

Thomas d’Aquin commente chacun de ces textes. Pour les fins de l’étude en cours, les

commentaires suivants sont retenus des sources nommées au début 52 :

1. le tout universel se prédique entièrement de chacune de ses parties, chacune étant

elle-même entière, alors que le tout intégral ne se prédique aucunement de ses parties,

48 Commentary on the Metaphysics : «But this occurs in two ways : either inasmuch as each is the one

in question or inasmuch as one thing is constituted of them.»

49

Commentary on the Metaphysics : «For a whole is a universal or what is predicated in general as

being some one thing as a universal is one, in the sense that it contains many things, because it is

predicated of each, and all of them taken singly are that one thing, as man, horse and god, because all

are living things.»

50 Commentary on the Metaphysics : «A whole is something continuous and limited when one thing is

constituted of many parts which are present in it, particularly when they are present potentially ; but if

not even when they are present in activity.»

51 Commentary on the Metaphysics : «And of these same things, those which are wholes by nature are

such to a greater degree than those which are wholes by art, as we also say of a thing that is one,

inasmuch as wholeness is a kind of unity.»

52

Pour les textes latins : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/

commentairemetaphysique.htm : pour la traduction anglaise : https://archive.org/details/

AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/page/n465

28


dont aucune n’est elle-même entière puisque chacune n’est qu’une partie du tout

entier :

«1099. Ponit duos modos totius; dicens quod totum dicitur dupliciter; aut ita quod unumquodque

contentorum a toto continente, sit ipsum unum, scilicet ipsum totum continens, quod est in toto

universali de qualibet suarum partium praedicato. Aut ex partibus constituatur unum, ita quod non

quaelibet partium sit unum illud. Et haec est ratio totius integralis, quod de nulla suarum partium

integralium praedicatur.»

«Il pose deux modes de tout, en disant que tout est dit de deux manières. Soit ainsi que chacune

des parties contenues dans le tout les contenant est ‘elle-même une’ , c’est-à-dire que le tout luimême

les contenant est un tout universel prédiqué de l'une quelconque de ses propres parties.

Soit ainsi que l’un est lui-même constitué à partir de ses parties de telle manière qu'aucune des

parties n’est elle-même une. Et ce dernier est la notion de tout intégral, qui n’est prédiqué d’aucune

de ses parties intégrales.» 53

2. dans le tout universel, l’unité universelle du tout et l’unité particulière de l’individu qui

en est partie sont telles que l’intégrité du tout n’est pas divisée par l’intégrité de la

partie ; ainsi, le tout universel, à titre d’indivisible, est le sujet d’une indivision que la

prédication qui en est faite de chacune de ses parties reconnaît en chacune d’elles une

indivision «de telle manière que [chacune d’elles] est ce tout entier» :

«1100. Universale quidem exponit praedictos modos totius; et primo primum, dicens quod

universale et quod totaliter idest quod communiter praedicatur, dicitur quasi sit aliquod unum totum

ex hoc quod praedicatur de unoquoque, sicut universale, quasi multa continens ut partes, in eo

quod praedicatur de unoquoque. Et omnia illa sunt unum in toto universali, ita quod unumquodque

illorum est illud unum totum. Sicut animal continet hominem et equum et Deum, quia omnia sunt

animalia, idest quia animal praedicatur de unoquoque.»

«Il explique les précédents modes du tout. D'abord, il explique le premier mode en disant que

l’universel ou "ce qui se prédique en totalité", c’est-à-dire à titre de prédicat commun, est dit

comme s’il était un certain tout prédiqué de chaque individu, comme si l’universel les contenait

comme parties, en ce qu’il est prédiqué de chacune d’elles. Et tous ces individus sont un dans le

tout universel, de telle manière que chacun d’eux est ce tout entier. Par exemple, animal contient

53

«He notes two ways in which a thing is a whole. He says that a thing is said to be a whole in two ways:

either in the sense that each of the things contained by the containing whole is "the one in question,"

i.e., the containing whole, which is in the universal whole that is predicated of any one of its own parts;

or in the sense that it is one thing composed of parts in such a way that none of the parts are that one

thing. This is the notion of an integral whole, which is not predicated of any of its own integral parts.»

29


homme, un cheval et dieu, parce que "tous sont animal", c’est-à-dire parce que animal est prédiqué

de chacun.» 54

3. dans le tout intégral, l’unité du tout est telle que l’intégrité du tout, parce que divisible,

est divisée par ses parties dont aucune n’est une à part entière puisque c’est l’intégrité

du tout qui les intègre en un tout entier :

«1101. Continuum vero exponit modum secundum totius qui pertinet ad totum integrale; et circa

hoc duo facit. Primo ponit rationem communem huius totius, et praecipue de toto quod dividitur in

partes quantitativas, quod est manifestius; dicens, quod aliquid dicitur continuum et finitum, idest

perfectum et totum. Nam infinitum non habet rationem totius, sed partis, ut dicitur in tertio

physicorum; quando scilicet unum aliquod fit ex pluribus quae insunt toti. Et hoc dicit ad

removendum modum quo aliquid fit ex aliquo sicut ex contrario.»

«Il explique la signification de tout pris au sens de tout intégral; et, à cet égard, il fait deux choses.

Premièrement, il pose la notion commune de ce tout, et en particulier de ce qu’il est divisé en ses

parties quantitatives, ce qui est plus évident pour nous. Il dit qu'un tel tout est "continu et fini", c'està-dire

parfait et entier (car ce qui est infini n'a pas le caractère d'un tout mais celui de partie,

comme il le dit au livre III de Physique ; c’est-à-dire que, puisqu’un tout provient de la pluralité des

parties qui y sont présentes. Et il le dit pour exclure le mode selon lequel une chose vient d’un

autre comme d’un contraire.» 55

4. dans le tout intégral, s’il est continu, ses parties y sont divisées en puissance ; s’il

n’est pas continu, ses parties y sont divisées en acte :

«1102. Partes autem ex quibus constituitur totum dupliciter possunt esse in toto. Uno modo in

potentia, alio modo in actu. Partes quidem sunt in potentia in toto continuo; actu vero in toto non

continuo, sicut lapides actu sunt in acervo. Magis autem est unum, et per consequens magis

totum, continuum, quam non continuum. Et ideo dicit quod oportet partes inesse toti, maxime

quidem in potentia sicut in toto continuo. Et si non in potentia, saltem energia, idest in actu. Dicitur

enim energia, interior actio.»

«Cependant, les parties dont un tout est constitué peuvent y être présentes selon deux modes : le

mode de la puissance et le mode de l’acte. Ainsi, dans un tout continu, les parties y sont en

puissance ; et, dans un tout non continu, elles y son en acte, comme les pierres sont en acte dans

un tas de pierre. Cependant, ce qui est continu est un dans une plus grande mesure, et par

54 «He explains the foregoing senses of whole. First, he explains the first sense. He says that a whole is a

universal "or what is predicated in general," i.e., a common predicate, as being some one thing as a

universal is one, in the sense that it is predicated of each individual just as the universal, which contains

many parts, is predicated of each of its parts. And all of these are one in a universal whole in such a way

that each of them is that one whole; for example, living thing contains man and horse and god, because

"all are living things," i.e., because living thing is predicated of each.»

55

«He explains the meaning of whole in the sense of an integral whole; and in regard to this he does two

things. First, he gives the common meaning of this kind of whole, and particularly of that which is divided

into quantitative parts, which is more evident to us. He says that a whole is something "continuous and

limited," i.e., perfect or complete (for what is unlimited does not have the character of a whole but of a

part, as is said in Book III of the Physics 2 when one thing is composed of many parts which are present

in it. He says this in order to exclude the sense in which one thing comes from another as from a

contrary.»

30


conséquent est tout dans une plus grande mesure que ce qui n'est pas continu. Et c’est pourquoi il

dit qu’il s’impose que les parties en puissance soient présentes dans leur tout de la manière la plus

excellente, comme c’est le cas dans le tout continu. Et, si ce n’est pas en puissance, que ce soit à

tout le moins ‘par énergie’, c’est-à-dire en acte. Car ‘énergie’ est dit de l’action intérieure.» 56

Ainsi, une question formulée plus haut, mais laissée sans réponse, peut maintenant la

recevoir.

Une question laissée sans réponse

Afin de rendre la tâche plus facile, il convient de réunir en une synthèse les cinq

propositions soutenues par Aristote et Thomas d’Aquin, comme suit :

Proposition 1. La notion commune de tout présente une intégration de parties en

un tout qui les intègre de telle manière qu’il ne manque d’aucune des parties qui le

constituent selon sa nature, et qui, en reliant les parties reliées en lui, les constitue

en une intégrité distincte d’elles, un autre que (aliquid) qui est un (unum) en tout

(in toto).

Proposition 2. Le tout dit universel se prédique entièrement de chacune de ses

parties, qui sont elles-mêmes entières, alors que le tout intégral ne se prédique

aucunement de ses parties, dont aucune n’est elle-même entière puisque chacune

n’est qu’une partie du tout entier.

Proposition 3. Dans le tout universel, l’unité universelle du tout et l’unité

particulière de l’individu qui en est partie sont telles que l’intégrité du tout n’est pas

divisée par l’intégrité de la partie ; ainsi, le tout universel est indivisible, et la

prédication qui en est faite de ses parties multiplie en quelque sorte l’unité

considérée en elle-même.

56

«Now the parts of which a whole is cornposed can be present in it in two ways: in one way potentially,

and in another actually. Parts are potentially present in a whole which is continuous, and actually present

in a whole which is not continuous, as stones are actually present in a heap. But that which is

continuous is one to a greater degree, and therefore is a whole to a greater degree, than that which is

not continuous. Hence he says that parts must be present in a whole, especially potential parts, as they

are in a continuous whole; and if not potentially, then at least "in activity," or actually. For "activity"

means interior action.»

31


Proposition 4. Dans le tout intégral, l’unité du tout est telle que l’intégrité du tout,

parce que divisible, est divisée par ses parties dont aucune n’est une à part

entière puisque c’est l’intégrité du tout qui les intègre en un tout entier.

Proposition 5. Dans le tout intégral, s’il est continu, ses parties intégrées y sont

divisées en puissance ; s’il n’est pas continu, ses parties intégrées y sont divisées

en acte.

La question formulée plus haut, et laissée sans réponse, concernait le nombre et le

continu. Dans le continu, l’ipsum continuum fait de matière intelligible, ce qui y est joint

l’est de manière à former un tout sans interruption, fut-il dit. La rupture qu’implique une

interruption brise l’unité du continu, ce qu’accomplit le nombre, fut-il ajouté ; par

exemple, si une ligne droite, donc une quantité continue qui est une, est divisée en

deux segments, alors ces deux segments sont discontinus et sont nommés en

employant le nombre 2, ce pourquoi on dit que le nombre 2 est une quantité

discontinue. Mais, comme on va bientôt le voir, ce nombre 2 présente en lui-même une

unité telle qu’il est continu à cet égard, fut-il précisé. C’est le moment de le voir.

Pour reprendre l’exemple déjà donné plus haut, le nombre entier 6, à titre d’espèce, se

prend comme tout universel, et alors il se prédique de tous les nombres nombrés

entiers particuliers 6 qui se présente à la connaissance : ce tout de 6 chevaux, ce tout

de 6 érables, etc. Mais, le nombre entier 6 se prend aussi à titre de tout intégral de six

parties nommées respectivement 1, comme pluralité de 1, et 1, et 1, et 1, et 1, et 1, et

alors il ne se prédique d’aucune de ces parties nommées respectivement 1.

Pourquoi ne s’en prédique-t-il pas ? Parce qu’aucune de ses parties, dont chacune est

un individu indivis en lui-même, n’est le nombre 6 pris comme tout intégral qui, à titre

d’intégral, est l’entier intégrant ses parties. Dans le tout intégral qu’est le multiple 6,

l’intégrité de ses parties s’estompe devant celle du tout puisque chacune n’est que : un

individu indivis en lui-même sur six individus indivis en eux-mêmes. Lorsqu’on parle

d’un sixième, de 1/6, l’unité à laquelle ce sixième appartient n’est pas celle de l’individu

indivis en lui-même qui est le principe du nombre, mais l’unité du multiple qu’est le

32


nombre entier 6, et ce, au sens où, comme on le lira bientôt, Aristote écrit : «double

correspond à la moitié en tant que nombre défini». Bref, ce sixième, ce 1/6, n’est pas un

sixième de cheval (dont l’être cesserait avec la coupure), mais un sixième du

rassemblement de 6 chevaux (dont l’être d’aucun ne cesse avec la coupure).

Dans le cas des parties du tout universel qu’est l’espèce 6, l’intégrité de ses parties, des

touts de 6 particuliers, ne s’estompe pas ; au contraire, elle résulte de l’intégrité du tout

universel, du fait que ce dernier en est prédiqué. L’unité de mesure qu’est l’espèce 6

mesure l’intégrité de chaque tout de 6 particulier qui appartient à l’espèce, espèce qui

en est le tout universel ; l’unité de mesure qu’est l’entier comme partie du tout intégral 6

mesure les parties du nombre nombrant pris absolument qu’il est.

Cependant, le nombre 6 est bien lui-même une unité, et ce, tant à titre de tout universel

qu’à titre de tout intégral. Pourquoi ? Parce que la notion commune de tout présentée

dans la Proposition 1 n’exige que l’intégration des parties en un tout qui les intègre de

telle manière qu’il ne manque d’aucune des parties qui le constituent selon sa nature, et

qui, en reliant les parties reliées en lui, les constitue en une intégrité distincte d’elles, un

autre que (aliquid) qui est un (unum) en un tout (in toto). Ainsi, le nombre 6 présente en

lui-même une unité telle qu’il est continu à cet égard.

Le nombre pris comme relatif

On a vu plus haut que le «numerus quo numeramus», le nombre nombrant, est ce avec

quoi le nombre nombrable est nombré, ce pourquoi il est, d’abord séparé en pensée de

ce dernier, et ensuite ainsi relié en pensée à ce dernier ; comme séparé en pensée de

ce dernier, c’est le «ipse numerus absolute acceptus», le «nombre lui-même pris

absolument, comme deux, trois, quatre». Or, à cet égard, Aristote écrit :

«[1020a 35] Λέγεται δὲ τὰ μὲν πρῶτα κατ᾽ ἀριθμὸν ἢ ἁπλῶς ἢ ὡρισμένως, πρὸς αὐτοὺς ἢ

πρὸς ἕν (οἷον τὸ μὲν διπλάσιον πρὸς ἓν ἀριθμὸς ὡρισμένος, τὸ δὲ πολλαπλάσιον κατ᾽

ἀριθμὸν πρὸς ἕν, οὐχ ὡρισμένον δέ, οἷον τόνδε ἢ τόνδε: [1021α] [1] τὸ δὲ ἡμιόλιον πρὸς τὸ

ὑφημιόλιον κατ᾽ ἀριθμὸν πρὸς ἀριθμὸν ὡρισμένον: τὸ δ᾽ ἐπιμόριον πρὸς τὸ ὑπεπιμόριον

κατὰ ἀόριστον, ὥσπερ τὸ πολλαπλάσιον πρὸς τὸ ἕν: τὸ δ᾽ ὑπερέχον πρὸς τὸ ὑπερεχόμενον

33


ὅλως ἀόριστον κατ᾽ ἀριθμόν: (…) ταῦτά τε οὖν τὰ πρός τι πάντα κατ᾽ ἀριθμὸν λέγεται καὶ

ἀριθμοῦ πάθη.» 57

«Les premiers dits numériquement relatifs sont dits tels, soit sans qualification, soit dans un rapport

défini entre eux, soit dans un rapport défini avec l’unité ; double correspond à la moitié en tant que

nombre défini. Et le multiple est numériquement lié à l'unité, mais pas dans une relation numérique

définie comme telle ou telle. Mais ce qui est une fois et demie plus grand que quelque chose

d'autre y est lié dans un rapport numérique défini à un nombre ; (…) Par conséquent, toutes ces

relations sont dites numériques et sont des propriétés du nombre.» 58

Le nombre, le «ipse numerus absolute acceptus», possède des «propriétés» (ἀριθμοῦ

πάθη), parmi lesquelles sont les «relations dites numériques» ; il devient alors

«numerus relative acceptus».

C’est pourquoi, lorsqu’on parla du sixième, du 1/6, il fut dit que l’unité à laquelle ce

sixième appartient n’est pas celle de l’individu indivis en lui-même qui est le principe du

nombre, mais l’unité du multiple qu’est le nombre entier 6, et ce, au sens où Aristote

écrit : «double correspond à la moitié en tant que nombre défini». Lorsqu’il commente

ce texte, Thomas d’Aquin écrit :

«1006. Dicit ergo, quod primus modus relationum, qui est secundum numerum, distinguitur hoc

modo: quia vel est secundum comparationem numeri ad numerum, vel numeri ad unum. Et

secundum comparationem ad utrumque dupliciter: quia vel est secundum comparationem numeri

indeterminate ad numerum, aut ad unum determinate. Et hoc est quod dicit, quod prima, quae

dicuntur ad aliquid secundum numerum, aut dicuntur simpliciter, idest universaliter, vel

indeterminate, aut determinate. Et utrolibet modo ad eos, scilicet numeros. Aut ad unum, idest ad

unitatem.» 59

«1006. Il dit, premièrement (493), que le premier mode des relatifs, qui est selon le nombre, est

distingué de cette manière : ou bien selon une comparaison de nombre à nombre, ou bien selon

une comparaison de nombre à l’unité. Et, dans les deux cas, on peut le prendre de deux manières,

car le nombre qui est référé à un autre nombre ou à l'unité , dans le rapport sur lequel la relation

est basée, est ou défini ou indéfini. Et c’est ce qu’il dit, à savoir que les premiers, dont on dit qu’ils

sont relatifs selon le nombre, le sont soit ¨absolument¨, c’est-à-dire universellement ou

57

Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/metaphysique5gr.htm#154

58

«493. The first things which are said to be relative numerically are such, either without qualification, or

in some definite relation to them, or to unity; as double is related to half as a definite number. And the

multiple is related numerically to the unit, but not in a definite numerical relation such as this or that. But

what is one and a half times as great as something else is related to it in a definite numerical relation to a

number. (…) Therefore all these relations are said to be numerical and are properties of number.» :

https://archive.org/details/AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/page/n433

59

Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

34


indéterminément, soit déterminément. Et, dans les deux manières, ils le sont ¨par rapport à eux¨,

c’est-à-dire aux nombres, ou ¨par rapport à l’un¨, c’est-à-dire à l’unité.» 60

«1007. Sciendum est autem, quod omnis mensuratio, quae est in quantitatibus continuis, aliquo

modo derivatur a numero. Et ideo relationes, quae sunt secundum quantitatem continuam, etiam

attribuuntur numero.» 61

«1007. Il faut maintenant garder à l’esprit que toute mesure qui est dans les quantités continues

est dérivée de quelque manière du nombre. Et c’est pourquoi les relations qui sont selon la

quantité continue sont aussi attribuées au nombre.» 62

Dans le texte 1006 donné plus haut, Thomas d’Aquin écrit : «Le premier mode des

relatifs, qui est selon le nombre, est distingué de cette manière : ou bien selon une

comparaison de nombre à nombre, ou bien selon une comparaison de nombre à

l’unité.» Dans le mot «comparaison» (comparatio), ici employé à deux reprises, apparaît

la notion (ratio) de parité qu’on a déjà rencontrée.

Le nombre nombrant, ce avec quoi le nombre nombrable est nombré, ce pourquoi il est,

d’abord, séparé en pensée de ce dernier pour, ensuite, être relié en pensée à ce

dernier, est ainsi situé «dans un rapport défini avec l’unité», comme le dit Aristote, en

ajoutant cet exemple : «double correspond à la moitié en tant que nombre défini». Le

rassemblement de six chevaux, qui est six fois plus grand qu’un (1) cheval, est le

sextuple qui correspond au sixième en tant que nombre défini. Chaque cheval, qui est

un individu indivis en lui-même nommé au numérateur, est un sixième du sextuple

nommé au dénominateur, qui se réduit à l’unité du tout intégral pertinent :

1 + 1 + 1 + 1 + 1 +1

________________ = 6/6 = 1

6

60 Commentary on the Metaphysics : «He says, first (493), that the first way in which things are relative,

which is numerical, is divided inasmuch as the relation is based on the ratio of one number to another or

on that of a number to unity. And in either case it may be taken in two ways, for the number which is

referred to another number or to unity in the ratio on which the relation is based is either definite or

indefinite. This is his meaning in saying that the first things which are said to be relative numerically are

said to be such "without qualification," i.e., in general or indefinitely, "or else definitely." And in both ways

"to them," namely, to numbers, "or to unity," i.e., to the unit.» : https://archive.org/details/

AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/page/n435

61 Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

62

Commentary on the Metaphysics : «Now it should be borne in mind that every measure which is found

in continuous quantities is derived in some way from number. Hence relations which are based on

continuous quantity are also attributed to number.» : https://archive.org/details/

AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/page/n435

35


C’est ainsi que le nombre (ἀριθμὸς) est défini : multitude (πλῆθος) mesurée par l’un

(ἑνὶ μετρητόν) ; «ἔστι ἀριθμὸς πλῆθος ἑνὶ μετρητόν». Cet Un, ce «τὸ ἓν», c’est lui

le Un qui est principe du nombre, en ce sens que, si ce Un n’existait pas à titre

d’individu indivis en lui-même, aucune multitude d’individus indivis en eux-même ne

pourrait exister. Et, il est ainsi principe du nombre sans en être un lui-même, à tel point

qu’Aristote écrit : «[1056b 25] Deux est la première pluralité.»

63

Deux est un double,

non pas en relation à un individu indivis en lui-même, mais en relation la moitié de deux.

Pourtant, en mathématiques, n’apprend-on pas que l’ensemble des nombres naturels

est : N = {0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, …} ? Oui ! En mathématiques, 1 est un nombre

naturel, et même 0. Ce qui fut dit plus haut sur le nombre, à titre de «numerus» ou de

non-unique, serait-il différent de ce que les mathématiques enseignent ? Oui et non !

Oui ! en ce sens que ce que ce qui fut dit plus haut concerne l’être mathématique en

tant qu’être, alors que ce qui est dit en mathématiques concerne l’être mathématique en

tant que mathématique et les algorithmes qui s’y rapportent. Parmi les acceptions du

nom «algorithme», on trouve celle-ci qui ressemble fort à la logique dont s’occupent la

machine de Turing et ses créateurs, dont Pierre Lescanne : «Par extension [Du

domaine mathématique au domaine du raisonnement et de la logique] — Mécanisme

réglant le fonctionnement de la pensée organisée et s'explicitant par des

représentations analogues à celles des mathématiciens». Quiconque utilise une

calculatrice emploie une machine de Turing qui pense à la manière d’un algorithme.

Mais non ! en ce sens que le 1 qui est un nombre naturel n’est pas le Un qui est

principe du nombre. Si six fois un est identique à la substance de 6 à tel point qu’il est

ainsi défini en sa quiddité de nombre naturel, une fois un est identique à la substance

de 1 à tel point qu’il est ainsi défini en sa quiddité de nombre naturel, mais pas en sa

quiddité d’individu, indivis en lui-même et divis par rapport aux autres individus ; c’est

comme dans le cas de l’homme, animal doué de raison, et bipède sans plume. Le

symbole 0 «correspond à une valeur nulle, à un ensemble vide»

64, dit le Centre

63

64

Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/metaphyque10.htm#65

CNRTL : https://www.cnrtl.fr/definition/zéro

36


National de ressources Textuelles et lexicales, le CNRTL. Cette définition est-elle

justifiable en mathématiques ? Elle l’est, et ce, à la manière que l’est la règle des

signes

65

selon laquelle il est mathématiquement vrai, donc selon l’algorithme pertinent,

d’affirmer que : - 3 x -3 =.+ 9. Une autre justification de la règle des signes

66, plus

familière, est celle de la dette, qui est un moins dans le patrimoine du débiteur, ayant

comme contrepartie une créance, qui est un plus dans le patrimoine du créancier. Le

paiement, qui est un moins, d’une dette, qui est un moins, résulte en un plus dans le

patrimoine du débiteur qui se libère de sa dette en la payant.

Comme on ne peut entrer ici dans une discussion dont la prolongation excéderait les

limites de l’objectif visé dans ce document, il convient néanmoins de rappeler cette

phrase d’Aristote où il parle de «de ce qui constitue des négations de toutes ces

nuances de l'Être, ou des négations de l'Être lui-même», à tel point qu’il dit : «C'est

même en ce dernier sens que l'on peut dire du non-être qu'il est le non-être.», alors que

le non-être n’est pas :

«[1003b 5] Οὕτω δὲ καὶ τὸ ὂν λέγεται πολλαχῶς μὲν ἀλλ' ἅπαν πρὸς μίαν ἀρχήν· τὰ μὲν γὰρ

ὅτι οὐσίαι, ὄντα λέγεται, τὰ δ' ὅτι πάθη οὐσίας, τὰ δ' ὅτι ὁδὸς εἰς οὐσίαν ἢ φθοραὶ ἢ

στερήσεις ἢ ποιότητες ἢ ποιητικὰ ἢ γεννητικὰ οὐσίας ἢ τῶν πρὸς τὴν οὐσίαν λεγομένων, ἢ

τούτων τινὸς ἀποφάσεις ἢ οὐσίας· διὸ καὶ τὸ μὴ ὂν εἶναι μὴ ὄν φαμεν.» 67

«C'est absolument de cette façon que le mot d'Être peut recevoir des acceptions multiples, qui

toutes cependant se rapportent à un seul et unique principe. Ainsi, Être se dit tantôt de ce qui est

une substance réelle, tantôt de ce qui n'est qu'un attribut de la substance, tantôt de ce qui tend à

devenir une réalité substantielle, tantôt des destructions, des négations, des propriétés de la

substance, tantôt de ce qui la fait ou la produit, tantôt de ce qui est en rapport purement verbal

avec elle, ou enfin de ce qui constitue des négations de toutes ces nuances de l'Être, ou des

négations de l'Être lui-même. C'est même en ce dernier sens que l'on peut dire du Non-être qu'il

Est le Non-être.»

Il est intéressant de prolonger le propos tenu au sujet «des négations de l'Être luimême»

jusqu’au Un, sa propriété. Que signifie le mot «aucun», mot où Un est

65 André Boileau et Louis Charbonneau , Sur quelles bases aborder la règle des signes : http://

profmath.uqam.ca/~boileau/Fichiers/RegleSignes/Regle_signes.pdf

66 Gérard Villemin, Nombres : Curiosités - Théorie - Usage : http://villemin.gerard.free.fr/Calcul/Operatio/

mmegplus.htm

67

Remacle, traduction de J. Berthélemy Saint-Hilaire : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/

Aristote/metaphyque4gr.htm#12

37


manifestement visible ? Cet Un peut être pris comme principe du nombre. ;Le signifié

du mot «aucun» ressemble beaucoup à ce que signifie le «symbole 0» en

mathématique ; mais il peut aussi servir de syncatégorème dans une proposition

universelle négative où il est uni à un catégorème, comme l’exige le préfixe «syn» :

«Aucun cercle n’est rectangulaire.» Le syncatégorème de la logique qui occupe

Aristote, comme tout, quelque, aucun, ne doit pas être confondu avec le quantificateur

de la logique qui occupe une machine de Turing, tel que ∀, ∃, ∄. Le syncatégorème

accompagne toujours un catégorème qui, signifié par un nom défini dans un modus

prædicandi tel que «Τὸ ὂν ὑπάρχει…» ou «Τὸ ἓν ὑπάρχει…» est un prédicat

68, ce

implique que : «Car, un homme, étant humain et homme sont la même chose; et rien de

différent ne s'exprime en répétant les termes quand nous disons : "Ceci est un être

humain, un certain homme et un (1) homme."»

section.

69

On y revient dans la prochaine

Au moment de clore cette section

Le moment est venu de clore cette première section. Comme on l’a vu plus haut, après

avoir défini le nombre, Aristote fait un ajout important qu’il exprime ainsi : «Tout ce qui

est un», «par exemple tout ce qui est indivisible», «n’est pas [pour autant] un nombre».

Au delà du Un qui concerne l’être mathématique en tant qu’être, cet ajout constitue

l’ouverture vers la connaissance de l’être en tant qu’être, fut-il dit. Et, fut-il ajouté,

Thomas d’Aquin le souligne : «ens genus non est, proprie loquendo, ita nec unum quod

convertitur cum ente, nec pluralitas ei opposita» ; «l'être n'est pas un genre à

68

Gilles Plante, Problème dialectique L’acte de ce qui est, Grand Portail Thomas d’Aquin, 2019

69

Commentary on the Metaphysics : «Now although being and unity are the same and are a single

nature in the sense that they are associated like principle and cause, they are not the same in the sense

that they are expressed by a single concept. Yet it makes no difference even if we consider them to be

the same ; in fact this will rather support our undertaking. For one man and human being and man are

the same thing; and nothing different is expressed by repeating the terms when we say, "This is a human

being, a man, and one man." And it is evident that they are not separated either in generation or in

corruption. The same holds true of what is one. Hence it is evident that any addition to these expresses

the same thing, and that unity is nothing else than being.» : https://archive.org/details/

AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/page/n257

38


proprement parler, il en va de même du un qui est interchangeable avec l'être et de la

pluralité qui lui est opposée».

L’objectif de ce document est d’explorer la distinction ainsi énoncée : «l’Un qui est

convertible avec l’Étant se distingue de l’Un qui est principe du nombre», et ce, à titre

de critère pour une distinction à faire entre une logique qui convient à un projet qui

embrasse l’être en tant qu’être, ce qui inclus l’être de nature et l’être mathématique, et

ce, en tant qu’ils sont l’un et l’autre être, et une autre logique, celle qui occupe Pierre

Lescanne qui écrit : «Au début, seuls les entiers sont des êtres mathématiques. Puis les

Anciens acceptent les rationnels.»

Ce qu’il convient d’entendre par «entier» et par «rationnel» en mathématiques

appartient à cette discipline et à ses algorithmes. Mais, ce qu’il convient d’entendre par

être mathématique en tant qu’être a motivé une recherche portant sur la distinction

importante qu’Aristote introduisait lors d’un retour à : «1497. la relation de tout et de

partie» et à la notion de «τὸ ὅλον» : le tout, l’entier, l’ensemble.

Est-ce que le résultat obtenu fut concluant ? Il le fut parce que c’est à cette occasion

qu’on a découvert l’ajout important dont on vient de faire état, et ce, en explorant la

notion de «τὸ ὅλον» : le tout, l’entier, l’ensemble. Et, elle le fut encore puisque cette

notion de «τὸ ὅλον» a permis l’exposé d’une autre théorie sur le prédicat qu’est le tout

universel entièrement prédicable de ses parties et sur le non-prédicat qu’est le tout

intégral puisqu’il n’est aucunement prédicable de ses parties bien qu’il le soit de leur

tout lorsqu’elles sont prises ensemble, et qu’il soit aussi sujet de prédication pour ses

propriétés comme tout. Par exemple, il est correct et vrai de dire en Felapton que :

Aucun tout intégral ne se prédique de ses parties prises une à une.

Tout tout intégral se prédique de ses parties prises ensemble.

Donc, quelque prédicat d’une collection de colligés ne l’est pas

de ses colligés pris un à un.

Le Centre National de ressources Textuelles et lexicales, le CNRTL, présente la

mathématisation, l’action de mathématiser, comme suit : «Introduire des principes et

des méthodes propres aux sciences mathématiques dans un domaine de connaissance

39


qui n'en relevait pas.»

70

Pour l’auteur de cette définition, «mathématiser la nature» eut

pour effet ce qu’il décrit en ces termes : «Galilée, Kepler, Descartes, Leibniz, Newton,

les vrais grands hommes du XVII e siècle. Parce qu'ils ont eu l'idée de mathématiser le

monde, ils ont été, et demeurent les constructeurs du monde moderne (Le Monde, 24

sept. 1966, p.13, col. 4).» Pour qui connaît la philosophie de l’être de nature en tant que

nature, cette phrase du CNRTL nécessite des éclaircissements puisqu’une

mathématisation de la nature n’était pas ignorée d’Aristote

dans ce document ne l’exige pas.

71

; mais, le projet poursuivi

Car, au début de cette entreprise, fut-il dit, il convenait de s’arrêter à ce que sont l’être

mathématique et la mathématisation, et ce, dans la perspective d’Aristote et de Thomas

d’Aquin. Cette tâche fut accomplie dans une mesure suffisante pour saisir que, si «les

mathématiques sont devenues, pour les modernes, toute la Philosophie, quoiqu’ils

disent qu’on ne devrait les cultiver qu’en vue du reste», les textes qui furent lus ont fait

apparaître une ouverture pour un projet de connaître l’être en tant qu’être, d’une part, et

un projet de connaître la méthode pour ce faire, d’autre part.

Une fin à atteindre peut être un bien à poursuivre ou un mal à éviter. En matière

militaire, par exemple, le corps d’armée engagé dans une bataille contre un autre corps

d’armée s’efforce de poursuivre la victoire comme un bien à rechercher et s’efforce en

même temps d’éviter la défaite comme un mal à fuir. Le moyen qui convient à l’atteinte

d’une telle fin, qui satisfait ainsi à l’action de convenir, est une convention ; le moyen qui

contrevient à l’atteinte d’une fin, qui satisfait ainsi à l’action de contrevenir, est une

contravention.

La prochaine section ne va pas décrire l’ouverture pour le projet d’une ἐπιστήμη qu’est

la connaissance de l’être en tant qu’être, mais va plutôt décrire l’ouverture pour le projet

de connaître le «τρόπος», la méthode, qui convient pour traiter l’information pertinente

70

CNRTL : https://www.cnrtl.fr/definition/mathématisation

71

Voir : Physique, livre II, chapitre 2 : «C'est bien là encore ce que prouvent les parties des

mathématiques qui se rapprochent le plus de la physique ; l'optique, l'harmonie et l’astronomie.» : http://

remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/phys22.htm

40


au projet d’une telle ἐπιστήμη, et ce, en se consacrant à l’Un qui est convertible avec

l’étant à titre de principe de cette convention.

41



L’UN COMME PROPRIÉTÉ DE L’ÉTANT

Selon la distinction individu-singulier, ce qui est un individu est indivis en lui-même, et

ce qui est singulier est divis par rapport à d’autres singuliers. L’individu, à titre

d’indivisible, est un ; l’unité de cet Un le constitue en sa qualité d’individu. Ce qui

possède cette unité pour qualité est multipliable ; il a son pareil en tout autre individu.

Par contre, l’unique n’est pas multipliable puisqu’il est singulier ; un singulier n’a pas

son pareil. Il s’ensuit que l’unité de l’individu, qui admet une parité, n’est pas l’unicité du

singulier, qui n’admet aucune parité ou n’admet qu’une disparité ; c’est ainsi que

l’individu est comparable à un autre, alors que le singulier est incomparable à tout autre.

Chaque homme individuel est indivisible ; il ne survit pas à une coupure en deux. Par

contre, deux hommes individuels, du fait de leur commune qualité d’être indivis, forment

un doublet d’indivis qui est Un malgré leur division, en faisant abstraction de leur

singularité. Ce doublet est-il indivisible, ou pas ? Le doublet, considéré comme tel,

cesse d’exister s’il est divisé, bien qu’aucun des deux individus le composant n’en

meure. L’individu est ainsi associé à la multiplication de l’individu en un multiple

d’individus, alors que le singulier est associé à la division d’un multiple d’individus sans

atteindre l’indivision de l’individu ; ainsi, la division présuppose un multipliable multiplié

en acte qui, lui, n’est pas encore divisé et qui est donc un divisible.

Dans la section précédente, à propos du «numerus relative acceptus», on a lu cette

phrase de Thomas d’Aquin où il emploie le mot «comparaison» : «Le premier mode des

relatifs, qui est selon le nombre, est distingué de cette manière : ou bien selon une

comparaison de nombre à nombre, ou bien selon une comparaison de nombre à

l’unité.» Dans le mot «comparaison», on distingue : com, par, et raison. La raison est un

ratio ; il implique deux termes dont l’un est rapporté à un autre à titre de pareil. Le par

signifie, une parité ; toute parité implique des pareils, qui se ressemblent selon une

même ressemblance. Quant à com, qui vient du latin cum (avec), il signifie l’unité ; on le

trouve dans le «com» de «composé». En grec, «avec» se dit «σύν» ; c’est ce « σύν»

qui se trouve dans «syllogisme», sous la forme de «syl» ; on le trouve aussi dans le

«sim» de «simple», le «syn» de «synthèse».

43


Thomas d’Aquin s’intéresse à la parité qui implique des pareils, ces ressemblants qui se

ressemblent selon une même ressemblance et qui sont ainsi les termes d’une relation

de ressemblance, lorsqu’il écrit :

«Ad secundum dicendum, quod philosophus, in I Topic. [cap. 17 (108 a 7)], ponit duplicem modum

similitudinis. Unum qui invenitur in diversis generibus ; et hic attenditur secundum proportionem vel

proportionalitatem, ut quando alterum se habet ad alterum sicut aliud ad aliud, ut ipse ibidem dicit.

Alium modum in his quae sunt eiusdem generis, ut quando idem diversis inest.» 72

«2° Au premier livre des Topiques, le Philosophe [il s’agit d’Aristote, l’auteur de Topiques] expose

deux modes de ressemblance : l’un, que l’on trouve en des genres différents, et qui se prend de la

proportion ou, mieux, de la proportionnalité, comme quand une chose est à une autre ce qu’une

troisième est à une quatrième, comme il le dit au même endroit ; l’autre mode, que l’on trouve dans

les choses qui sont du même genre, comme lorsqu’un même est en divers [d’entre eux]. »

Comme point de départ

Ce commentaire sur les modes de ressemblance conduit à un rappel de ce qui fut dit à

la fin de la section précédente. La présente section ne consiste pas en un exposé de la

thèse que l’Un est convertible avec l’étant, thèse qui relève de l’ἐπιστήμη prenant pour

objectif la connaissance de l’être en tant qu’être. Elle se donne plutôt pour objectif

d’exposer comment l’Un qui est convertible avec l’étant est en quelque sorte au principe

du «τρόπος», de la méthode qui convient au traitement de l’information pertinente à la

connaissance de l’être en tant qu’être. Et, comme point de départ, il s’impose de citer

ces trois textes d’Aristote

73

parce qu’il y emploie justement l’expression «σχῆμα τῆς

κατηγορίας» qui caractérise le «τρόπος», la méthode, la logique à laquelle on

s’intéresse :

«[1016b 31] Ἔτι δὲ τὰ μὲν κατ' ἀριθμόν ἐστιν ἕν, τὰ δὲ κατ' εἶδος, τὰ δὲ κατὰ γένος, τὰ δὲ

κατ' ἀναλογίαν, ἀριθμῷ μὲν ὧν ἡ ὕλη μία, εἴδει δ' ὧν ὁ λόγος εἷς, γένει δ' ὧν τὸ αὐτὸ σχῆμα

τῆς κατηγορίας, κατ' ἀναλογίαν δὲ ὅσα ἔχει ὡς [35] ἄλλο πρὸς ἄλλο.»

«De plus, certaines choses sont un en nombre, certaines en espèce, certaines en genre et

certaines proportionnellement. Ces choses sont une en nombre qui ont une seule matière ; en

espèce, qui ont une même forme ; en genre, qui ont une même figure de prédication; et

72 De veritate, q. 2 a. 11 ad 2, traduction par les moines de l’Abbaye Abbaye sainte Madeleine du

Barroux, légèrement modifiée : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/questionsdisputees/

questionsdisputeessurlaverite.htm#_Toc333932579

73

Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/metaphysique5gr.htm#617

44


proportionnellement, qui sont liées l’une à l’autre comme une troisième chose l’est à une

quatrième.» 74

«[1016b 35] Ἀεὶ δὲ τὰ ὕστερα τοῖς ἔμπροσθεν ἀκολουθεῖ, οἷον ὅσα ἀριθμῷ καὶ εἴδει ἕν, ὅσα

δ' εἴδει οὐ πάντα ἀριθμῷ· Ἀλλὰ γένει πάντα ἓν ὅσαπερ καὶ εἴδει, ὅσα δὲ γένει οὐ πάντα εἴδει

ἀλλ' ἀναλογίᾳ· ὅσα δὲ ἀνολογίᾳ οὐ πάντα γένει.»

«Et les derniers types d'unité suivent toujours des premiers. Ainsi, les choses qui sont une en

nombre sont une en espèce, mais toutes celles qui sont une en espèce ne sont pas toutes une en

nombre ; et toutes celles qui sont une dans l'espèce sont une en genre, mais tous celles qui sont

une en genre ne sont pas une en espèce, bien qu'elles soient toutes une proportionnellement. Et

toutes celles qui sont une proportionnellement ne sont pas une en genre.» 75

«[1017a 3] Φανερὸν δὲ καὶ ὅτι τὰ πολλὰ ἀντικειμένως λεχθήσεται τῷ ἑνί· τὰ μὲν γὰρ τῷ μὴ

συνεχῆ εἶναι, τὰ δὲ τῷ διαιρετὴν [5] ἔχειν τὴν ὕλην κατὰ τὸ εἶδος, ἢ τὴν πρώτην ἢ τὴν

τελευταίαν, τὰ δὲ τῷ τοὺς λόγους πλείους τοὺς τί ἦν εἶναι λέγοντας.»

«De plus, il est évident que les choses sont dites nombreuses d'une manière opposée à celle dans

laquelle elles ne font qu'un. Pour certaines choses premières ou ultimes, leur unité est divisible en

espèces ; et pour d’autres, parce qu'elles ont de nombreuses conceptions exprimant leur

essence.» 76

Lorsque Thomas d’Aquin commente ces textes, il ne manque pas de relever

l’expression «σχῆμα τῆς κατηγορίας», «figure de prédication», «modus praedicandi»,

et il l’exprime explicitement en parlant d’une «division qui est plutôt prise du point de

vue de la logique» (au numéro 876), parce que cette logique s’occupe des modes du

prédiquer (modus prædicandi). C’est pourquoi ces textes se proposent comme point de

départ avec éminence. Cette division en un par le nombre, un par l’espèce, un par le

genre, et enfin un par la proportion, présente un caractère important que mentionne

Aristote : le mode postérieur suit toujours du mode antérieur, mais il n’en est pas de

même dans l’autre direction. Thomas d’Aquin le relève en ces termes :

74 «Further, some things are one in number, some in species, some in genus, and some analogically or

proportionally. Those things are one in number which have one matter; in species, which have one

intelligible structure; in genus, which have the same figure of predication; and proportionally, which are

related to each other as some third thing is to a fourth.»

75 «And the latter types of unity always follow the former. Thus things which are one in number are one in

species, but not all which are one in species are one in number; and all which are one in species are one

in genus, but not all which are one in genus are one in species, although they are all one proportionally.

And not all which are one proportionally are one in genus.»

76

«Moreover, it is evident that things are said to be many in a way opposite to that in which they are one.

For some things first or ultimate, is divisible in species; and others because they have many conceptions

expressing their essence.»

45


«880. In istis autem modis unius, semper posterius sequitur ad praecedens et non convertitur.

Quaecumque enim sunt unum numero, sunt specie unum et non convertitur. Et idem patet in aliis.»

77

«880. Or, en ce qui concerne les modes selon lesquels les choses sont une, le mode postérieur

suit toujours du mode antérieur, mais sans se convertir. Car, ces choses qui sont une en nombre

sont une en espèce, mais ne se convertissent pas. La même chose est patente dans les autres

cas.» 78

Ce caractère est important puisque, si le mode postérieur suit toujours du mode

antérieur, sans réciprocité, on ne va pas au Un qui se convertit avec l’étant en partant

du Un comme principe du nombre, bien que le Un qui se convertit avec l’étant suive du

Un comme principe du nombre. Cette suite offre donc une matière à comparaison qui,

on le pressent, sera proportionnelle. On y viendra dès après avoir cité ces sept autres

commentaires de Thomas d’Aquin, tant en latin 79 qu’en traduction française 80 :

1. une chose qui est une selon le nombre est indivise en elle-même et divise par rapport

à une autre :

«876. Deinde cum dicit amplius autem ponit aliam divisionem unius, quae est magis logica ;

dicens, quod quaedam sunt unum numero, quaedam specie, quaedam genere, quaedam analogia.

Numero quidem sunt unum, quorum materia est una. Materia enim, secundum quod stat sub

dimensionibus signatis, est principium individuationis formae. Et propter hoc ex materia habet

singulare quod sit unum numero ab aliis divisum.»

«Puis il donne une autre façon de diviser l'unité, et cette division est plutôt du point de vue de la

logique. Il dit que certaines choses sont une en nombre, certaines en espèce, certaines en genre

et certaines analogiquement. Ces choses sont une en nombre dont la matière est une; car, dans la

mesure où la matière a certaines dimensions désignées, c'est le principe par lequel une forme est

individualisée. Et, pour cette raison, une chose singulière est numériquement une et divisée des

autres par la matière.» 81

77 Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

78

Commentary of the Metaphysics : «880. Now with regard to the ways in which things are one, the

latter types of unity always follow the former, and not the reverse; for those things which are one in

number are one in species, but not the other way about. The same thing is clear in the other cases.» :

https://archive.org/details/AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/page/n387

79 Commentaire du traité des métaphysique : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/

commentairemetaphysique.htm

80 Commentary of the Metaphysics : https://archive.org/details/AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/

page/n387

81

«Then he gives another way of dividing unity, and this division is rather from the viewpoint of logic. He

says that some things are one in number, some in species, some in genus, and some analogically. Those

things are one in number whose matter is one; for insofar as ,natter has certain designated dimensions it

is the principle by which a form is individuated. And for this reason a singular thing is numerically one

and divided from other things as a result of matter.»

46


2. une chose est dite une selon l’espèce à cause de l’unité de sa notion, i.e. de sa

définition construite en termes de genre et différence spécifique et prédicable de choses

qui sont une selon le nombre :

«877. Specie autem dicuntur unum, quorum una est ratio, idest definitio. Nam nihil proprie definitur

nisi species, cum omnis definitio ex genere et differentia constet. Et si aliquod genus definitur, hoc

est inquantum est species.»

«On dit que sont une par l’espèce les choses dont la notion ou la définition est une, i.e. leur

définition, car la seule chose qui est définie au sens propre est l'espèce, puisque chaque définition

est composée d'un genre et d'une différence. Et le cas échéant genre est défini, cela se produit

dans la mesure où il s'agit d'une espèce.» 82

3. une chose est dite une selon le genre à cause du mode univoque du prédiquer

propre au genre :

«878.Unum vero genere sunt, quae conveniunt in figura praedicationis, idest quae habent unum

modum praedicandi. Alius enim est modus quo praedicatur substantia, et quo praedicatur qualitas

vel actio; sed omnes substantiae habent unum modum praedicandi, inquantum praedicantur non ut

in subiecto existentes.»

«Sont une en genre ces choses auxquelles convient une même figure de prédication, c'est-à-dire

qui ont un même mode de prédiquer. Car, autres sont le mode par lequel la substance est

prédiquée, et le mode par lequel la qualité ou l'action sont prédiquées ; mais toutes les substances

ont un même mode d'être prédiquées dans la mesure où elles ne le sont pas comme étant dans un

sujet.» 83

4. une chose est dite une selon la proportion à cause de son mode analogue du

prédiquer :

«879. Proportione vero vel analogia sunt unum quaecumque in hoc conveniunt, quod hoc se habet

ad illud sicut aliud ad aliud. Et hoc quidem potest accipi duobus modis, vel in eo quod aliqua duo

habent diversas habitudines ad unum ; sicut sanativum de urina dictum habitudinem significat signi

sanitatis; de medicina vero, quia significat habitudinem causae respectu eiusdem. Vel in eo quod

est eadem proportio duorum ad diversa, sicut tranquillitatis ad mare et serenitatis ad aerem.

Tranquillitas enim est quies maris et serenitas aeris.»

«Sont une selon la proportion ou l’analogie ces choses qui se rencontrent en ceci que celle-ci se

rapporte à celle-là comme cette autre à cette autre. Et cela peut être pris selon deux modes : soit

82 «Those things are said to be one in species which have one "intelligible structure », or definition; for

the only thing that is defined in a proper sense is the species, since every definition is composed of a

genus and a difference. And if any genus is defined, this happens insofar as it is a species.»

83

«Those things are one in genus which have in common one of the "figures of predication," i.e., which

have one way of being predicated. For the way in which substance is predicated and that in which

quality or action is predicated are different; but all substances have one way of being predicated

inasmuch as they are not predicated as something which is present in a subject.»

47


celui selon lequel deux choses présentent des rapports différents à une même, comme sain est dit

de l'urine pour signifier le rapport d'un signe de santé [à la santé elle-même], [et est dit] d’un

médicament pour signifier le rapport d'une cause à la même santé ; soit en ce que la proportion de

deux choses à deux autres choses est la même, comme celle de la tranquillité de la mer et la

sérénité de l’air ; car, la tranquillité est un état de repos dans la mer, et la sérénité est un état de

repos dans l'air. » 84

5. chacun de ces modes de l’Un, le mode par le nombre, le mode par l’espèce, le mode

par le genre, et enfin le mode par la proportion, possède un mode du Multiple qui y

correspond ; ainsi, l’opposé à l’Un par le nombre est le Multiple venant de ce que des

individus indivis en eux-mêmes sont aussi divis l’un par rapport à l’autre selon leur

singularité :

«881. Deinde cum dicit palam autem ex modis unius accipit modos multorum; et dicit, quod multa

dicuntur per oppositum ad unum. Et ideo quot modis dicitur unum, tot modis dicuntur multa; quia

quoties dicitur unum oppositorum, toties dicitur et reliquum. Unde aliqua dicuntur multa propter hoc,

quod non sunt continua. Quod est per oppositum ad primum modum unius.»

«Ensuite lorsqu’il dit [434] : ¨ Mais il est manifeste ¨. Il reçoit les modes du multiple des modes de

l’un ; et il dit que le multiple se dit par opposition à l’un. Et c’est pourquoi il y a autant de modes de

l’un que de modes du multiple ; parce que autant de fois se dit l’un des opposés, autant de fois se

dit l’autre. De là, certaines choses sont dites multiples pour cette raison qu’elles ne sont pas

continues. Ce qui se dit par opposition au premier mode de l’un.» 85

6. l’opposé à l’Un par l’espèce vient de la matière divisible en plusieurs espèces, et

l’opposé à l’Un par le genre vient de la matière divisible en plusieurs genres :

«882. Alia dicuntur multa propter hoc quod materiam habent divisam secundum speciem, sive

intelligamus de materia prima, idest proxima, aut de finali sive ultima, in quam ultimo fit resolutio.

(…) Et si materia accipiatur tam pro materia naturae quam pro materia rationis, scilicet pro genere

quod habet similitudinem materiae, hic modus multitudinis sumitur per oppositum ad secundum et

tertium modum unius.»

84 «And those things are proportionally or analogically one which agree in this respect that one is related

to another as some third thing is to a fourth. Now this can be taken in two ways: either in the sense that

any two things are related in different ways to one third thing (for example, the term healthy is predicated

of urine because it signifies the relationship of a sign of health [to health itself]; and of medicine because

it signifies the relationship of a cause to the same health); or it may be taken in the sense that the

proportion of two things to two other things is the same (for example, tranquillity to the sea and serenity

to the air; for tranquility is a state of rest in the sea, and serenity is a state of rest in the air.»

85

«From the ways in which things are said to be one he now derives the ways in which things are said to

be many. He says that things are said to be many in just as many ways as they are said to be one,

because in the case of opposite terms one is used in as many ways as the other. Hence some things are

said to be many because they are not continuous, which is the opposite of the first way in which things

are one.»

48


«On dit que d'autres choses sont multiples parce que leur matière est divisible en espèces, soit

qu’on entende par matière ¨la matière première¨, c’est-à-dire la matière prochaine, soit la matière

finale ou ultime dans laquelle se fait ultimement la résolution. (…) Et si matière est pris à la fois

pour la matière de nature et pour la matière de raison, c'est-à-dire pour le genre qui est à la

ressemblance de la matière naturelle, ce mode de la multitude est pris par opposition au second et

au troisième mode de l’un.» 86

7. l’opposé à l’Un par proportion vient de ce que les notions expriment des quiddités qui

sont elles-même multiples :

«883. Alia vero dicuntur multa quae habent rationes, quod quid est esse dicentes, plures. Et hoc

sumitur per oppositum ad quartum modum.»

«D’un autre côté, on dit d’autres choses qu’elles sont multiples parce qu’elles ont des définitions

qui expriment des quiddités qui sont multiples. Et ce mode du multiple se dit par opposition au

quatrième mode de l’un.» 87

La comparaison annoncée

C’est après avoir cité ces sept commentaires de Thomas d’Aquin qu’on peut en arriver

à accomplir la comparaison annoncée auparavant pour saisir ce en quoi consiste la

suite selon laquelle le Un qui se convertit avec l’étant suit du Un comme principe du

nombre, mais pas l’inverse. Et, Thomas d’Aquin fournit les termes de cette comparaison

comme suit :

«875. Sciendum est autem quod esse mensuram est propria ratio unius secundum quod est

principium numeri. Hoc autem non est idem cum uno quod convertitur cum ente, ut in quarto

dictum est. Ratio enim illius unius in sola indivisione consistit: huiusmodi autem unius in

mensuratione. Sed tamen haec ratio mensurae, licet primo conveniat uni quod est principium

numeri, tamen per quamdam similitudinem derivatur ad unum in aliis generibus, ut in decimo huius

philosophus ostendet. Et secundum hoc ratio mensurae invenitur in quolibet genere. Haec autem

ratio mensurae consequitur rationem indivisionis, sicut habitum est. Et ideo unum non omnino

aequivoce dicitur de eo quod convertitur cum ente, et de eo quod est principium numeri; sed

secundum prius et posterius.»

« Il faut cependant savoir que d’être une mesure fait partie de la notion propre de l’un selon qu’il

est principe du nombre. Mais ce un n'est pas le même que celui qui se convertit avec l'étant,

86 «Other things are said to be many because their matter is divisible in species, whether we understand

by matter "the first," i.e., their proximate matter, or the final or ultimate matter into which they are

ultimately dissolved. (…) And if matter be taken both for real matter and for conceptual matter, i.e., for a

genus, which resembles matter, many in this sense is taken as the opposite of the second and third

ways in which things are said to be one.»

87

«And still other things are said to be many when the conceptions which express their essence are

many. And many in this sense is taken as the opposite of the fourth way in which things are said to be

one.»

49


comme cela a été dit au livre IV [précisément au numéro 560]. Car la notion de ce un [celui qui est

convertible] consiste en la seule indivision : mais celui de l’autre mode [celui qui est principe du

nombre] consiste en une prise de mesure. Mais, bien qu’elle convienne à l'un qui est principe du

nombre, toujours par une sorte de ressemblance, cette notion de mesure est dérivée vers l’un

trouvée dans les autres genres en vertu d’une certaine similitude, comme le philosophe [il s’agit

d’Aristote] le montrera au livre X ( 814: C 1921). Et selon cela, la notion de mesure se trouve en

n’importe quel genre. Cependant, cette notion de mesure suit de la notion d'indivision, comme ce

fut établi (432: C 872). Et c’est pourquoi le terme un n'est pas dit en un sens totalement équivoque

de celui qui se convertit avec l'étant et de celui qui est principe du nombre, mais selon qu’un

postérieur suit un antérieur.» 88

Dans ce texte, Thomas d’Aquin énonce trois propositions, qui seront examinées une à

une, dans cet ordre, en les référant à un autre passage de son ouvrage :

a) le Un qui est principe du nombre n’est pas le Un qui se convertit avec l’étant (voir

numéro 560) ;

b) la notion de mesure suit de la notion d’indivision (voir numéro 872) ;

c) bien qu’elle convienne à l'Un qui est principe du nombre, la notion de mesure est

dérivée vers l’Un trouvée dans les autres genres en vertu d’une certaine

similitude (voir numéros 1921 et suivants).

Aristote déclare que les termes «étant» et «un» désigne une même nature (φύσις),

puisqu’ils «ne sont séparés ni en génération ni en corruption». Ils sont «associés

comme principe et cause», mais leur notion respective en signifie un aspect très voisin,

comme suit :

«[1003b 22] Εἰ δὴ τὸ ὂν καὶ τὸ ἓν ταὐτὸν καὶ μία φύσις τῷ ἀκολουθεῖν ἀλλήλοις ὥσπερ ἀρχὴ

καὶ αἴτιον, ἀλλ' οὐχ ὡς ἑνὶ λόγῳ δηλούμενα (διαφέρει δὲ οὐθὲν οὐδ' ἂν ὁμοίως

ὑπολάβωμεν, ἀλλὰ καὶ πρὸ ἔργου μᾶλλον)· Ταὐτὸ γὰρ εἷς ἄνθρωπος καὶ ἄνθρωπος, καὶ ὢν

88

«Again, it must be noted that being a measure is the distinctive characteristic of unity insofar as it is

the principle of number. But this unity or one is not the same as that which is interchangeable with being,

as has been stated in Book IV (303 :C 557). For the concept of the latter kind of unity involves only being

undivided, but that of the latter kind involves being a measure. But even though this character of a

measure belongs to the unity which is the principle of number, still by a kind of likeness it is transferred

to the unity found in other classes of things, as the Philosopher will show in Book X of this work (814:C

1921). And according to this the character of a measure is found in any class of things. But this

character of a measure is a natural consequence of the note of undividedness, as has been explained

(432:C 872). Hence the term one is not predicated in a totally equivocal sense of the unity which is

interchangeable with being and of that which is the principle of number, but it is predicated of one

primarily and of the other secondarily.»

50


ἄνθρωπος καὶ ἄνθρωπος, καὶ οὐχ ἕτερόν τι δηλοῖ κατὰ τὴν λέξιν ἐπαναδιπλούμενον τὸ εἷς

ἄνθρωπος καὶ εἷς ὢν ἄνθρωπος.» 89

«Or, si l'étant et l'unité sont les mêmes et sont une seule nature au sens où ils sont associés

comme principe et cause, ils ne sont pas les mêmes au sens où ils s'expriment par un concept

unique. Pourtant, cela ne fait aucune différence même si nous les considérons comme identiques;

en fait, cela soutiendra plutôt notre entreprise. Car, un homme, étant humain et homme sont la

même chose; et rien de différent ne s'exprime en répétant les termes quand nous disons: "Ceci est

un être humain, un certain homme et un (1) homme." Et il est évident qu'ils ne sont séparés ni en

génération ni en corruption. Il en va de même pour ce qui est un. Il est donc évident que tout ajout

à ceux-ci exprime la même chose, et que l'unité n'est rien d'autre que l’être.» 90

Le commentaire que fait de ce texte Thomas d’Aquin reprend la thèse d’Aristote qui

affirme que l’Un qui se convertit avec l’étant n’ajoute rien d’autre que l’indivision à ce

dernier, alors que, au contraire, l’Un qui est principe du nombre ajoute la notion de

mesure, cette propriété de la quantité, à la substance :

«560. Unum igitur quod est principium numeri, aliud est ab eo quod cum ente convertitur. Unum

enim quod cum ente convertitur, ipsum ens designat, superaddens indivisionis rationem, quae,

cum sit negatio vel privatio, non ponit aliquam naturam enti additam. Et sic in nullo differt ab ente

secundum rem, sed solum ratione. Nam negatio vel privatio non est ens naturae, sed rationis, sicut

dictum est. Unum vero quod est principium numeri addit supra substantiam, rationem mensurae,

quae est propria passio quantitatis, et primo invenitur in unitate. Et dicitur per privationem vel

negationem divisionis, quae est secundum quantitatem continuam. Nam numerus ex divisione

continui causatur. Et ideo numerus ad scientiam mathematicam pertinet, cuius subiectum extra

materiam esse non potest, quamvis sine materia sensibili consideretur.» 91

«560. Donc, l’un qui est le principe du nombre est autre que celui qui se convertit avec l’étant. Car,

l'un qui se convertit avec l’étant désigne l'étant lui-même, en y ajoutant la notion d'indivision qui,

puisqu'il s'agit d'une négation ou d'une privation, ne pose aucune réalité ajoutée à l'étant. Ainsi, l'un

ne diffère nullement de l'étant selon la réalité, mais seulement selon la notion. Car, une négation ou

une privation n'est pas un étant de nature mais un être de raison, comme on l'a dit (297: C 540).

Cependant, le un qui est le principe du nombre ajoute à la substance la notion de mesure, qui est

une passion propre de la quantité, et se trouve d'abord dans l'un. Et il est décrit comme la privation

ou la négation de la division qui se rapporte à la quantité continue. Car le nombre résulte de la

division du continu. Le nombre appartient donc à la science mathématique, dont le sujet ne peut

89

Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/metaphyque4gr.htm#26

90 Commentary on the Metaphysics : «Now although being and unity are the same and are a single

nature in the sense that they are associated like principle and cause, they are not the same in the sense

that they are expressed by a single concept. Yet it makes no difference even if we consider them to be

the same ; in fact this will rather support our undertaking. For one man and human being and man are

the same thing; and nothing different is expressed by repeating the terms when we say, "This is a human

being, a man, and one man." And it is evident that they are not separated either in generation or in

corruption. The same holds true of what is one. Hence it is evident that any addition to these expresses

the same thing, and that unity is nothing else than being.» : https://archive.org/details/

AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/page/n257

91

Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

51


exister en dehors de la matière sensible, mais peut être considéré comme en dehors de la matière

sensible.» 92

La référence au numéro 540 , à propos de l’être de raison (ens rationis), explique cette

dernière notion en ces termes : «540. (…) Car la première de ces formes est la plus

faible parce qu’elle n’existe que dans la raison, à savoir la négation et la privation, que

nous appelons des êtres de raison parce que la raison les traite comme si elles étaient

des êtres alors qu’elle affirme ou nie quelque chose à leur sujet. Cependant la négation

diffère de la privation selon un certain rapport qui sera expliqué plus loin.» 93

L’explication courte est que la privation exige que le sujet soit une réalité, ce sans quoi il

ne peut pas être privé de quoi que ce soit, ce qui implique que cette réalité est en

relation avec une privation qui, ainsi, n’est pas absolue ; par contre, la négation

concerne un sujet qui peut ne pas être une réalité.

Comme l’Un qui est principe du nombre ajoute au sujet dont il est prédiqué la notion

positive de mesure, cette propriété de la quantité qui se trouve dans cet Un, alors que

l’Un qui se convertit avec l’étant n’ajoute rien de positif à ce dernier puisqu’il n’y ajoute

que l’indivision, le premier Un et le second Un présentent une diversité, ce qui implique

qu’ils sont divis : l’Un qui est principe du nombre n’est pas l’Un qui se convertit avec

l’étant, et réciproquement ; ils ne sont pas pareils à cet égard. Mais, comme la notion de

mesure suit de la notion d’indivision, indivision qui est commune au premier Un et au

second Un, ces deux Uns sont pareils à cet égard. À ce propos, Aristote écrit :

«[1016b 17] Τὸ δὲ ἑνὶ εἶναι ἀρχῇ τινί ἐστιν ἀριθμοῦ εἶναι· τὸ γὰρ πρῶτον μέτρον ἀρχή, ᾧ γὰρ

πρώτῳ γνωρίζομεν, τοῦτο πρῶτον μέτρον ἑκάστου γένους· ἀρχὴ οὖν τοῦ γνωστοῦ περὶ

92 Commentary of the Metaphysics : «Therefore the kind of unity which is the principle of number differs

from that which is interchangeable with being; for the unity which is interchangeable with being signifies

being itself, adding to it the notion of undividedness, which, since it is a negation or a privation, does not

posit any reality added to being. Thus unity differs from being in no way numerically but only

conceptually; for a negation or a privation is not a real being but a being of reason, as has been stated

(297: C 540). However, the kind of unity which is the principle of number adds to substance the note of a

measure, which is a special property of quantity and is found first in the unit. And it is described as the

privation or negation of division which pertains to continuous quantity; for number is produced by

dividing the continuous. Hence number belongs to mathematical science, whose subject cannot exist

apart from sensible matter but can be considered apart from sensible matter.» : https://archive.org/

details/AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/page/n261

93

Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

52


ἕκαστον τὸ ἕν. Οὐ ταὐτὸ δὲ ἐν πᾶσι τοῖς γένεσι τὸ ἕν. Ἔνθα μὲν γὰρ δίεσις ἔνθα δὲ τὸ

φωνῆεν ἢ ἄφωνον· βάρους δὲ ἕτερον καὶ κινήσεως ἄλλο. Πανταχοῦ δὲ τὸ ἓν ἢ τῷ ποσῷ ἢ

τῷ εἴδει ἀδιαίρετον. Τὸ μὲν οὖν κατὰ τὸ ποσὸν ἀδιαίρετον, τὸ μὲν πάντῃ καὶ ἄθετον λέγεται

μονάς, τὸ δὲ πάντῃ καὶ θέσιν ἔχον στιγμή, τὸ δὲ μοναχῇ γραμμή, τὸ δὲ διχῇ ἐπίπεδον, τὸ δὲ

πάντῃ καὶ τριχῇ διαιρετὸν κατὰ [30] τὸ ποσὸν σῶμα· καὶ ἀντιστρέψαντι δὴ τὸ μὲν διχῇ

διαιρετὸν ἐπίπεδον, τὸ δὲ μοναχῇ γραμμή, τὸ δὲ μηδαμῇ διαιρετὸν κατὰ τὸ ποσὸν στιγμὴ

καὶ μονάς, ἡ μὲν ἄθετος μονὰς ἡ δὲ θετὸς στιγμή.» 94

«Mais l’essence de l’unité est d’être le principe du nombre ; car, la mesure première est un

principe, parce que c’est par elle que nous en venons à connaître la mesure première de ce genre

[la quantité]. Alors, l’unité est le premier principe de ce qui est connaissable dans chaque genre.

Mais, cette unité n’est pas la même dans tous les genres ; car, dans un c’est le quart de ton, dans

un autre c’est la voyelle ou la consonne,; et dans le cas du poids, l’unité est différente ; et encore

dans le mouvement. Mais, dans tous les cas, ce qui est un est indivisible soit en quantité soit en

espèce. Alors une unité est indivisible en quantité, comme quantité, et l’est en tous sens et n’a pas

de position. Une ligne est divisible en une dimension ; une surface, en deux ; et un corps, en trois.

Et, inversement, ce qui est divisible en deux dimensions est une surface ; en une, la ligne ; et

quantitativement indivisible en tous sens, le point et l’un. S’il n’a pas de position, c’est l’un ; et s’il a

une position, c’est le point.» 95

La thèse est donc que «l’essence de l’unité est d’être le principe du nombre» ; elle est

dite principe «parce que c’est par elle que nous en venons à connaître la mesure

première de ce genre» qu’est la quantité. Et, par extension, «l’unité est le premier

principe de ce qui est connaissable dans chaque genre», bien que «cette unité [ne soit]

pas la même dans tous les genres».

Ici, le mot «connaissance» ne nomme pas la faculté de connaître, la puissance

cognitive ; il s’agit plutôt de la connaissance d’un connaissable considérée du point de

vue de la relation pertinente.

Lorsqu’il commente cette thèse, Thomas d’Aquin ne manque pas de le souligner en

affirmant que «l’Un est principe du connu [en acte] ou du connaissable [en puissance]

94

Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/metaphysique5gr.htm#615

95

Commentary on the Metaphysics : «But the essence of oneness is to be a principle of some number;

for the first measure is a principle, because that by which we first come to know each class of things is

its first measure. Unity, then, is the first principle of what is knowable about each class. But this unity or

unit is not the same in all classes; for in one it is the lesser half tone, and in another it is the vowel or

consonant; and in the case of weight the unit is different; and in that of motion different still. But in all

cases what is one is indivisible either in quantity or in species. Thus a unit is indivisible in quantity as

quantity in every way and has no position; and a point is indivisible in every way and has position. A line

is divisible in one dimension; a surface, in two; and a body, in three. And conversely, that which is

divisible in two dimensions is a surface; in one, a line; and quantitatively indivisible in every way, a point

and a unit. If it has no position, it is a unit; and if it has position, it is a point.» : https://archive.org/details/

AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/page/n383

53


pour n’importe quoi, et qu’il est principe du connaître en tout», en insistant sur le

caractère commun qu’offre l’«indivisible selon la quantité ou selon l’espèce», ce qui

annonce les développements qui viennent au numéro 875, là où il introduit la division

en Un par le nombre, Un par l’espèce, Un par le genre, et enfin Un par la proportion,

avec ce qui s’ensuit (de 876 à 883) tel qu’on l’a vu plus haut. C’est ainsi qu’il écrit :

«872. Deinde cum dicit uni vero ponit quamdam proprietatem consequentem unum; et dicit, quod

ratio unius est in hoc, quod sit principium alicuius numeri. Quod ex hoc patet, quia unum est prima

mensura numeri, quo omnis numerus mensuratur: mensura autem habet rationem principii, quia

per mensuram res mensuratae cognoscuntur, res autem cognoscuntur per sua propria principia. Et

ex hoc patet, quod unum est principium noti vel cognoscibilis circa quodlibet, et est in omnibus

principium cognoscendi. 873. Hoc autem unum, quod est principium cognoscendi, non est idem in

omnibus generibus. (…) 874. In omnibus tamen istis hoc est commune, quod illud, quod est prima

mensura, est indivisibile secundum quantitatem, vel secundum speciem. (…)» 96

«872. Ensuite, lorsqu’Il dit ‘uni vero’. Alors, il indique une propriété qui vient de l’un. Et il dit que la

notion de l’un consiste à être le principe du nombre. C’est évident , parce que l’un est la mesure

première du nombre, par laquelle tout nombre est mesuré : mais, la mesure a raison de principe,

parce que les réalités mesurées sont connues par leur mesure, et que par ailleurs les réalités sont

connues par leurs propres principes. Et c’est ce qui appert de ce que l’un est principe du connu ou

du connaissable pour n’importe quoi, et qu’il est principe du connaître en tout. 873. Mais, cet un qui

est principe du connaître n’est pas le même en tous les genres. (…) 874. Cependant, ce qui est

commun en tous ces cas, c’est que la mesure première est indivisible selon la quantité ou selon

l’espèce.» 97

Rendu à cette étape, on a examiné deux des trois propositions répertoriées plus haut :

a) le un qui est principe du nombre n’est pas le un qui se convertit avec l’étant ; b) la

notion de mesure suit de la notion d’indivision. Il reste à accomplir l’examen de la

proposition : c) bien qu’elle convienne à l'un qui est principe du nombre, cette notion de

mesure est dérivée vers l’Un trouvée dans les autres genres en vertu d’une certaine

similitude, soit l’indivision, «comme le philosophe le montrera au livre X», dit Thomas

d’Aquin.

96 Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

97

Commentary on the Metaphysics : «872. But the essence (432). Then he indicates a property which

flows from oneness or unity. He says that the essence of one consists in being the principle of some

number. This is clear from the fact that the unit is the primary numerical measure by which every number

is measured. Now a measure has the character of a principle, because measured things are known by

their measure, and things are known by their proper principles. And it is clear from this that unity is the

first principle of what is known or knowable about each thing, and that it is the principle of knowing in all

classes. 873. But this unity which is the principle of knowing is not the same in all classes of things. 874.

Yet all of these have this feature in common that the first measure is indivisible in quantity or in

species.» : https://archive.org/details/AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/page/n385

54


Instruire une solution à un problème

Au début de ce document, il fut dit qu’Aristote conçoit l’organon qu’il emploie dans

Métaphysique, l’ouvrage où il expose sa découverte de l’être en tant qu’être, comme un

τρόπος destiné au traitement de l’information pertinente à l’ἐπιστήμη qu’est la

connaissance de l’être en tant qu’être, et ce, par un intellect-investigateur. Cet organon

est parfois désigné avec le terme «instrument», mot qui vient du latin «instrumentum»,

lui-même dérivé du verbe «instruere». Ce verbe «instruere» est composé du préfixe

«in», qui signifie «dans», et du verbe «struere» qui se prend en plusieurs acceptions,

dont celle de : disposer avec ordre ; c’est de «struere» que vient le nom «structura»,

que le français recevra en «structure».

Le verbe «instruere» se prend aussi en plusieurs acceptions, dont celle de : assembler

dans, insérer. L’action d’instruere (instruire) consiste alors à insérer dans une structura

(structure) ce qui exige d’être ainsi disposé avec ordre. Qu’est-ce qui exige d’être ainsi

disposé avec ordre dans une structure (structura) ? Et, en quoi consiste cette structure

(structura) ? Au début de ce document, il fut aussi dit qu’Aristote qualifie «la recherche

de la science, et celle de sa méthode» comme «deux choses dont l’acquisition présente

de grandes difficultés» 98.

La connaissance de l’être en tant qu’être est difficile ; elle pose un problème qu’on peut

résoudre grâce à un τρόπος adéquat. Résoudre un problème exige, de la part d’un

intellect-investigateur, d’abord de rassembler les éléments d’une solution et ensuite de

les assembler en les insérant dans une structure où ils sont disposés avec mesure dans

un certain ordre, ce qui se dit avec l’expression : instruire une solution à un problème.

Dans le même sens, on dit d’un juge qu’il instruit la solution qui tranchera un litige au

cours d’un procès où il entend avec impartialité les parties qui, elles, s’opposent l’une à

l’autre. Toute investigation consiste à instruire une solution à un problème, et ce, selon

un τρόπος, une méthode, qui convient à la nature du problème.

98

Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/metaphysique2pierron.htm ; la traduction

est de Alexis Pierron et Charles Zevort.

55


C’est ce qu’Aristote «montre au livre X» : instruire une solution à la difficulté de

connaître l’être en tant qu’être ; et le τρόπος qu’il emploie pour ce faire est ce en quoi

consiste sa logique. Ce τρόπος est une structure où sont insérés des éléments de

solution, d’abord rassemblés puis assemblés en elle en se conformant à un ordre à

suivre. Et cette structure n’est autre que l’ordre selon lequel il devient évident que l’Un

pertinent à l’être en tant qu’être est celui qui se convertit avec l’étant. C’est ce que la

suite va montrer en commençant avec ce texte d’Aristote où le mot-clef est

«indivisible» :

«[1052a 34] Λέγεται μὲν οὖν τὸ ἓν τοσαυταχῶς, τό τεσυνεχὲς φύσει καὶ τὸ ὅλον, καὶ τὸ καθ'

ἕκαστον καὶ τὸ καθόλου, πάντα δὲ ταῦτα ἓν τῷ ἀδιαίρετον εἶναι τῶν μὲν τὴν κίνησιν τῶν δὲ

τὴν νόησιν ἢ τὸν λόγον. [1052b 1] Δεῖ δὲ κατανοεῖν ὅτι οὐχ ὡσαύτως ληπτέον λέγεσθαι ποῖά

τε ἓν λέγεται, καὶ τί ἐστι τὸ ἑνὶ εἶναι καὶ τίς αὐτοῦ λόγος. Λέγεται μὲν γὰρ τὸ ἓν

τοσαυταχῶς, καὶ ἕκαστον ἔσται ἓν τούτων, ᾧ ἂν ὑπάρχῃ τις τούτων τῶν τρόπων· Τὸ δὲ ἑνὶ

εἶναι ὁτὲ μὲν τούτων τινὶ ἔσται, ὁτὲ δὲ ἄλλῳ ὃ καὶ μᾶλλον ἐγγὺς τῷ ὀνόματί ἐστι, τῇ

δυνάμει δ' ἐκεῖνα.» 99

«818. Alors le terme un est utilisé à propos de toutes ces choses, nommément à propos de ce qui

est continu par nature, à propos d'un tout, à propos du singulier et à propos de l'universel. Et toutes

sont une car elles sont indivisibles. Et certaines sont indivisibles selon le mouvement, et d'autres

selon leur concept ou selon leur structure intelligible. 819. Il faut maintenant garder à l'esprit que la

question de savoir quelle sorte de choses sont une et la question de savoir quelle est l'essence de

l'unité, quelle est sa structure intelligible, ne doivent pas être prises l’une pour l’autre ; car ce à quoi

un de ces modes du terme un s’applique sera dit un. Mais l'essence de l'unité s'appliquera tantôt

selon un de ces modes, tantôt à quelque chose d'autre qui sera plus proche du sens littéral du mot

un ; tandis que d’autres ne seront un qu’en puissance.» 100

Le commentaire que fait de ce texte Thomas d’Aquin est exposé en trois articles,

comme suit :

1. les quatre modes selon lesquelles une chose est dite une présentent un aspect

commun, soit l’indivision :

99

Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/metaphyque10gr.htm#17

100

Commentary on the Metaphysics : «818. The term one, then, is used of all these things, namely, of

what is continuous by nature, of a whole, of the singular thing, and of the universal. And all these are one

because they are indivisible. And some are indivisible in motion, and others in their concept or intelligible

structure. 819. Now it must be borne in mind that the questions as to what sort of things are one, and

what the essence of oneness is, and what its intelligible structure is, should not be assumed to be the

same; for the one of these senses applies will be one. But the essence of oneness will apply sometimes

to one of these senses, and sometimes to something else, which is nearer to the meaning of the word;

but the others are potentially one.» : https://archive.org/stream/AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/

Aquinas.CommentaryOnTheMetaphysicsOfAristotleIi#page/n285/mode/2up/search/287

56


«1932. Deinde cum dicit dicitur quidem reducit modos unius supra positos ad unam rationem,

colligendo quae supra dixerat. Dicit ergo quod unum dicitur quatuor modis. Primo quidem

continuum secundum naturam. Secundo totum. Tertio singulare. Quarto, universale ut species. Et

omnia haec dicuntur unum per rationem unam, scilicet per hoc quod est esse indivisibile. Nam

proprie unum est ens indivisibile. Sed in primis duobus dicitur unum, quia est motus indivisibilis; in

aliis autem duobus, quia est intelligentia, aut ratio indivisibilis; ut sub hoc etiam comprehendatur

apprehensio rei particularis.» 101

«1932. Ensuite, lorsqu’il dit ‘Le terme un’ (818). Ici, il ramène les sens d'un donnés plus haut à un

seul sens en rassemblant ce qu'il avait dit ci-dessus. Il dit que le terme un est utilisé à propos de

quatre choses : premièrement, de ce qui est continu par nature; deuxièmement, d'un tout;

troisièmement, d'une chose singulière; et quatrièmement, de l'universel, par exemple, une espèce.

Et tous ces choses sont dites une en raison d'un aspect commun, à savoir, être indivis ; car, à

proprement parler, l’un est l’étant indivis. Mais le terme un est utilisé dans les deux premiers sens

en raison d'un mouvement indivis, et dans les deux derniers sens en raison d'une appréhension ou

d’une notion indivises, y compris la notion d'une chose particulière.» 102

2. l’Un est un prédicat dit d’un sujet qui est un, non pas au sens où ce sujet est l’Un luimême,

l’indivision, mais au sens où il lui arrive d’être un, indivis :

«1933. Deinde cum dicit oportet enim ostendit quo modo unum praedicetur de his quae dicuntur

unum; dicens, quod oportet intelligere quod non similiter sumendum est unum, cum aliqua res

dicitur una, et cum dicitur quod quid est unum, quod est ratio unitatis. Sicut etiam non hoc modo

dicitur lignum esse album, quia lignum sit hoc ipsum quod est album; sed quia album accidit ei.»

«1933. Ensuite lorsqu’il dit [819] : ¨ Il faut maintenant ¨. Ici, il montre comment le terme un est

prédiqué de choses qui sont dites être une ; en disant qu'il faut garder à l'esprit que le terme un ne

doit pas être pris pour signifier la même chose quand une chose est dite être une et quand

quelqu'un exprime la notion de l’unité. Tout comme le bois n'est pas non plus dit blanc dans le sens

où la blancheur est l'essence du bois, mais dans le sens où il lui arrive d’être blanc.» 103

101 Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

102 Commentary on the Metaphysics : «1932. The term one (818). Here he reduces the senses of one

given above to a single meaning by summarizing what he had said above. He says that the term one is

used of four things: first, of what is continuous by nature; second, of a whole; third, of a singular thing;

and fourth, of the universal, for example, a species. And all of these are said to be one because of one

common aspect, namely, being indivisible; for properly speaking, a one is an undivided being. But the

term one is used in the first two senses because a motion is undivided, and in the latter two senses

because an intelligible structure or concept is undivided, inasmuch as the apprehension of a particular

thing is also included under this.» : https://archive.org/stream/AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/

Aquinas.CommentaryOnTheMetaphysicsOfAristotleIi#page/n289/mode/2up/search/287

103

«1933. Now it must (819). Here he shows how the term one is predicated of things which are said to

be one. He says that it must be borne in mind that the term one should not be taken to mean the same

thing when a thing is said to be one and when someone expresses the essence of oneness, which is its

intelligible structure; just as wood too is not said to be white in the sense that whiteness is the essence

of wood, but in the sense that it is an accident of it.»

57


3. ce qui est indivisible en ce qui concerne le mouvement est un continu et un tout, et ce

qui est indivisible selon la notion est ou singulier ou universel :

«1934. Hoc autem quod dixerat sic manifestat. Quia unum dicitur multis modis, ut dictum est,

quaelibet res dicitur esse una ex eo, quod inest ei aliquis istorum modorum; puta vel continuum, vel

totum, vel species, vel singulare. Sed hoc ipsum quod est unum, quandoque quidem accipitur

secundum quod inest alicui dictorum modorum, puta ut dicam quod unum secundum quod est

continuum, unum est. Et similiter de aliis. Quandoque autem hoc ipsum quod est unum, attribuitur

ei quod est magis propinquum naturae unius, sicut indivisibili, quod tamen secundum se potestate

continet praedictos modos: quia indivisibile secundum motum, est continuum et totum. Indivisibile

autem secundum rationem, est singulare et universale.»

«1934. Ensuite, il manifeste ce qu’il vient de dire ainsi. Parce que le terme un est dit selon

plusieurs modes, comme il fut dit, une réalité quelconque est dite être une de ce que l’un de ces

modes s’y applique, celui du continu, du tout, de l’espèce ou du singulier. Mais, ce qu’est l’un en

lui-même s'applique parfois à quelque chose qui est un dans l'un des sens précédents, comme

quand je dis que ce qui est un dans la continuité est un (et il en va de même pour les autres); et

parfois il est attribué à quelque chose qui est plus proche de la nature de l'un, par exemple,

l’indivisible, qui cependant contient en puissance les modes précédents : parce que ce qui est

indivisible en ce qui concerne le mouvement est un continu et un tout. Mais, ce qui est indivisible

selon la notion est ou singulier ou universel.» 104

L’Un pris en son sens le plus strict

C’est ainsi qu’Aristote en vient à énoncer ce qu’est l’Un pris en son sens le plus strict,

celui de μέτρον, celui de mesure : «ce qui est Un est indivisible soit dans un sens non

qualifié, soit en tant qu'il est un». Il l’exprime comme suit :

«[1053b 4] Ὅτι μὲν οὖν τὸ ἑνὶ εἶναι μάλιστά ἐστι κατὰ τὸ ὄνομα ἀφορίζοντι μέτρον τι, καὶ

κυριώτατα τοῦ ποσοῦ, εἶτα τοῦ ποιοῦ, φανερόν· ἔσται δὲ τοιοῦτον τὸ μὲν ἂν ᾖ ἀδιαίρετον

κατὰ τὸ ποσόν, τὸ δὲ ἂν κατὰ τὸ ποιόν· διόπερ ἀδιαίρετον τὸ ἓν ἢ ἁπλῶς ἢ ᾗ ἕν.» 105

«828. Il est alors évident que l'un au sens le plus strict, selon la définition du terme, est une

mesure, et surtout de la quantité puis de la qualité. Et certaines choses seront telles si elles sont

104 «1934. Then he gives the following explanation of a statement which he had made, saying that, since

the term one is used in many senses (as has been stated), a thing is said to be one because some one of

these senses applies to it, i.e., continuous, whole, species, or singular thing. But the essence of oneness

sometimes applies to something that is one in some one of the foregoing senses, as when I say that

what is one in continuity is one (and the same holds true of the others); and sometimes it is attributed to

something which is nearer to the nature of one, for example, what is undivided but contains within itself

potentially the senses of one given above; because what is undivided as regards motion is continuous

and whole, and what is undivided in meaning is singular or universal.»

105

Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/metaphyque10gr.htm#117

58


indivisibles en quantité, et d'autres si elles sont indivisibles en qualité. Par conséquent, ce qui est

un est indivisible soit dans un sens non qualifié, soit en tant qu'il est un.» 106

Et Thomas d’Aquin commente ce texte en disant que «la notion d'unité implique d'être

une mesure, "soit dans un sens non qualifié" comme l’unité qui est la base du nombre,

soit "dans un sens qualifié", c'est-à-dire dans la mesure où elle est une» puisque «la

notion de mesure suit de la notion d’indivision», en ces termes :

«1960. Deinde cum dicit quod quidem epilogat quae dicta sunt; scilicet quod de ratione unius est,

quod sit mensura. Et hoc maxime proprium est, prout est in quantitate; deinde in qualitate, et in

aliis generibus; quia id quod est mensura, debet esse indivisibile, aut secundum quantitatem, aut

secundum qualitatem. Et ita sequitur, quod unum sit indivisibile, aut simpliciter, sicut unitas, quae

est principium numeri, aut secundum quid, idest inquantum est unum, ut dictum est in aliis

mensuris.» 107

«1960. Ensuite lorsqu’il dit [828] : ¨ Il est alors évident ¨. Il résume ensuite les points discutés, à

savoir que la notion d'unité implique d'être une mesure ; et cela vaut le plus proprement pour la

quantité, puis pour la qualité et pour les autres genres, car tout ce qui est une mesure doit être

indivisible soit en quantité, soit en qualité. Il s'ensuit donc que l'unité est indivisible, "soit dans un

sens non qualifié" comme l’unité qui est la base du nombre, soit "dans un sens qualifié", c'est-àdire

dans la mesure où elle est une, comme cela a été établi pour les autres mesures. » 108

Si l’Un selon la définition du terme pris au sens le plus strict est μέτρον, est mesure,

selon sa nature indivise, il est, avec l’étant, le prédicat le plus universel, dit encore

Aristote :

«[1053b 9] Κατὰ δὲ τὴν οὐσίαν καὶ τὴν φύσιν ζητητέον ποτέρως [10] ἔχει, καθάπερ ἐν τοῖς

διαπορήμασιν ἐπήλθομεν τί τὸ ἕν ἐστι καὶ πῶς δεῖ περὶ αὐτοῦ λαβεῖν, πότερον ὡς οὐσίας

τινὸς οὔσης αὐτοῦ τοῦ ἑνός, καθάπερ οἵ τε Πυθαγόρειοί φασι πρότερον καὶ Πλάτων

ὕστερον, ἢ μᾶλλον ὑπόκειταί τις φύσις καὶ [πῶς] δεῖ γνωριμωτέρως λεχθῆναι καὶ μᾶλλον

106 Commentary on the Metaphysics : «828. It is evident, then, that unity in the strictest sense, according

to the definition of the term, is a measure, and particularly of quantity and then of quality. And some

things will be such if they are indivisible in quantity, and others if they are indivisible in quality. Therefore

what is one is indivisible either in an unqualified sense or inasmuch as it is one.» : https://archive.org/

s t r e a m / A q u i n a s C o m m e n t a r y O n T h e M e t a p h y s i c s /

Aquinas.CommentaryOnTheMetaphysicsOfAristotleIi#page/n293/mode/2up/search/287

107 Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

108

Commentary on the Metaphysics : «1960. It is evident (828). Then he sums up the points discussed,

namely, that the notion of unity involves being a measure; and this applies most properly to quantity, and

then to quality and to the other genera, because anything that is a measure should be indivisible either in

quantity or in quality. Thus it follows that unity is indivisible, "either in an unqualified sense" as the unit

which is the basis of number, or "in a qualified sense," i.e., to the extent that it is one, as was stated with

regard to the other measures.» : https://archive.org/stream/AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/

Aquinas.CommentaryOnTheMetaphysicsOfAristotleIi#page/n299/mode/2up

59


ὥσπερ οἱ [15] περὶ φύσεως· ἐκείνων γὰρ ὁ μέν τις φιλίαν εἶναί φησι τὸ ἓν ὁ δ' ἀέρα ὁ δὲ τὸ

ἄπειρον.» 109

«829. Il est nécessaire de rechercher comment l'unité est liée à la substance et à la nature des

choses. En un sens, c'est un problème que nous avons examiné (266) dans les questions

concernant la nature de l'unité et comment elle doit être prise: si elle doit être considérée comme

une substance, comme l'ont d'abord prétendu les Pythagoriciens, puis Platon, ou plutôt s'il y a une

nature qui la sous-tend, et il est nécessaire de la décrire de manière plus significative et plus en

termes de ceux qui parlent de la nature; car l'un d'eux a dit que l'unité est l'amitié, un autre l’air et

un autre l’indéterminé.» 110

«[1053b 16] Εἰ δὴ μηδὲν τῶν καθόλου δυνατὸν οὐσίαν εἶναι, καθάπερ ἐν τοῖς περὶ οὐσίας

καὶ περὶ τοῦ ὄντος εἴρηται λόγοις, οὐδ' αὐτὸ τοῦτο οὐσίαν ὡς ἕν τι παρὰ τὰ πολλὰ δυνατὸν

εἶναι κοινὸν γάῤ ἀλλ' ἢ κατηγόρημα [20] μόνον, δῆλον ὡς οὐδὲ τὸ ἕν· τὸ γὰρ ὂν καὶ τὸ ἓν

καθόλου κατηγορεῖται μάλιστα πάντων.» 111

«830. Si alors il est impossible pour un universel d'être une substance, comme cela a été dit dans

notre traitement de la substance et de l'être (651), et que l'être lui-même ne peut pas être une

substance au sens d'une chose qui existe en dehors de plusieurs (car, il est commun à tous), mais

qu’il n'est qu'un prédicat, il est évident que l'unité ne peut pas être une substance; car l'être et

l'unité sont les prédicats les plus universels de tous. Par conséquent, les genres ne sont pas

certaines natures et substances qui peuvent être séparées d'autres choses ; et l'unité ne peut pas

être un genre, pour les mêmes raisons que l'être et la substance ne peuvent pas être tels

(229).» 112

Aristote considère donc l’Un, l’unité, selon qu’il «y a une nature qui la sous-tend», et

juge qu’il «est nécessaire de la décrire de manière plus significative et plus en termes

de ceux qui parlent de la nature», ce qui situe la méthode de recherche (τρόπος

ἐπιστήμης) propre à la philosophie première (σοφία πρώτη) comme étant plus proche

109

Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/metaphyque10gr.htm#21

110 Commentary on the Metaphysics : «829. It is necessary to inquire how unity is related to the

substance and nature of things. In a sense this is a problem which we have examined (266) in the

questions regarding the nature of unity, and how it must be taken: whether it must be taken to be a

substance, as the Pythagoreans first claimed, and later Plato, or rather whether there is some nature that

underlies it, and it is necessary to describe it more meaningfully and more in the terms of those who

speak of nature; for one of them said that unity is friendship, another air, and another the

indeterminate.»: https://archive.org/stream/AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/

Aquinas.CommentaryOnTheMetaphysicsOfAristotleIi#page/n299/mode/2up

111

Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/metaphyque10gr.htm#21

112

Commentary on the Metaphysics : «830. If, then, it is impossible for a universal to be a substance, as

has been stated in our treatment of substance and being (651), and being itself cannot be a substance in

the sense of one thing existing apart from the many (for it is common to all of them), but it is only a

predicate, it is evident that unity cannot be a substance; for being and unity are the most universal of all

predicates. Hence genera are not certain natures and substances which are separable from other things;

and unity cannot be a genus, for the same reasons that being and substance cannot be such (229).» :

https://archive.org/stream/AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/

Aquinas.CommentaryOnTheMetaphysicsOfAristotleIi#page/n299/mode/2up

60


de celle qu’emploie la philosophie de l’être de nature que de celle qu’emploie la

philosophie de l’être mathématique.

On se rappelle du texte cité plus haut où il déclare que les termes «étant» et «un»

désigne une même nature (φύσις), mais que leur notion respective en signifie un

aspect très voisin, comme suit :

«[1003b 22] Εἰ δὴ τὸ ὂν καὶ τὸ ἓν ταὐτὸν καὶ μία φύσις τῷ ἀκολουθεῖν ἀλλήλοις ὥσπερ ἀρχὴ

καὶ αἴτιον, ἀλλ' οὐχ ὡς ἑνὶ λόγῳ δηλούμενα (διαφέρει δὲ οὐθὲν οὐδ' ἂν ὁμοίως

ὑπολάβωμεν, ἀλλὰ καὶ πρὸ ἔργου μᾶλλον)· Ταὐτὸ γὰρ εἷς ἄνθρωπος καὶ ἄνθρωπος, καὶ ὢν

ἄνθρωπος καὶ ἄνθρωπος, καὶ οὐχ ἕτερόν τι δηλοῖ κατὰ τὴν λέξιν ἐπαναδιπλούμενον τὸ εἷς

ἄνθρωπος καὶ εἷς ὢν ἄνθρωπος.» 113

«Or, si l'étant et l'unité sont les mêmes et sont une seule nature au sens où ils sont associés

comme principe et cause, ils ne sont pas les mêmes au sens où ils s'expriment par un concept

unique. Pourtant, cela ne fait aucune différence même si nous les considérons comme identiques;

en fait, cela soutiendra plutôt notre entreprise. Car, un homme, étant humain et homme sont la

même chose; et rien de différent ne s'exprime en répétant les termes quand nous disons: "Ceci est

un être humain, un certain homme et un (1) homme." Et il est évident qu'ils ne sont séparés ni en

génération ni en corruption. Il en va de même pour ce qui est un. Il est donc évident que tout ajout

à ceux-ci exprime la même chose, et que l'unité n'est rien d'autre que l’être.» 114

Ce voisinage très étroit, on l’a lu plus haut, fit dire à Thomas d’Aquin que l’Un se

convertit avec l’étant puisque l’Un désigne l'étant lui-même, en y ajoutant la notion

d'indivision de telle manière que l’étant est intrinsèquement indivis : «560. Donc, l’un qui

est le principe du nombre est autre que celui qui se convertit avec l’étant. Car, l'un qui

se convertit avec l’étant désigne l'étant lui-même, en y ajoutant la notion d'indivision qui,

puisqu'il s'agit d'une négation ou d'une privation, ne pose aucune réalité ajoutée à

113

Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/metaphyque4gr.htm#26

114

Commentary on the Metaphysics : «Now although being and unity are the same and are a single

nature in the sense that they are associated like principle and cause, they are not the same in the sense

that they are expressed by a single concept. Yet it makes no difference even if we consider them to be

the same ; in fact this will rather support our undertaking. For one man and human being and man are

the same thing; and nothing different is expressed by repeating the terms when we say, "This is a human

being, a man, and one man." And it is evident that they are not separated either in generation or in

corruption. The same holds true of what is one. Hence it is evident that any addition to these expresses

the same thing, and that unity is nothing else than being.» : https://archive.org/details/

AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/page/n257

61


l'étant. Ainsi, l'un ne diffère nullement de l'étant selon la réalité, mais seulement selon la

notion.» 115

Il en résulte donc que : «Τὸ ὂν καὶ τὸ ἓν καθόλου κατηγορεῖται μάλιστα πάντων.» ;

«L'étant (τὸ ὂν) et l’un (τὸ ἓν) sont les prédicats (κατηγορεῖται) les plus universels de

tous (καθόλου μάλιστα πάντων).» Et, compte tenu de ce que l’étant est

intrinsèquement indivis, il s’impose de conclure que l’étant indivis est le prédicat le plus

universel de tous.

Thomas d’Aquin commente le texte écrit par Aristote à 1053b 16 (830 chez Rowan) en

quatre paragraphes :

1. aucun universel ne peut être une substance subsistante par elle-même parce qu’il lui

faudrait alors être quelque singulier existant en dehors de la multitude dont il est la

ressemblance commune à chacun des ressemblants ; ainsi, l’universel pomme n’est

pas une pomme, mais il est en chacune (chaque une) comme une mesure l’est dans le

mesurable qu’elle mesure :

«1963. Deinde cum dicit si itaque determinat propositam quaestionem; dicens, quod unum non est

substantia subsistens, de qua dicitur quod sit unum. Probat autem hoc dupliciter. Primo ratione.

Secundo similitudine, ibi, adhuc autem similiter. Dicit ergo, quod probatum est superius, in septimo

scilicet in quo agebat de ente et praecipue de substantia, quod nullum universalium esse potest

substantia, quae scilicet per se sit subsistens; quia omne universale commune est multis. Nec

possibile est universale esse substantiam subsistentem; quia sic oporteret quod esset unum

praeter multa, et ita non esset commune, sed esset quoddam singulare in se.» 116

«1963. Si, alors (830). Ici, il répond à la question qui a été soulevée. Il dit que l'unité n'est pas une

substance subsistante, dont on peut dire qu’elle est une. Il le prouve de deux manières. D'abord

115 Commentary of the Metaphysics : «Therefore the kind of unity which is the principle of number differs

from that which is interchangeable with being; for the unity which is interchangeable with being signifies

being itself, adding to it the notion of undividedness, which, since it is a negation or a privation, does not

posit any reality added to being. Thus unity differs from being in no way numerically but only

conceptually; for a negation or a privation is not a real being but a being of reason, as has been stated

(297: C 540). However, the kind of unity which is the principle of number adds to substance the note of a

measure, which is a special property of quantity and is found first in the unit. And it is described as the

privation or negation of division which pertains to continuous quantity; for number is produced by

dividing the continuous. Hence number belongs to mathematical science, whose subject cannot exist

apart from sensible matter but can be considered apart from sensible matter.» : https://archive.org/

details/AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/page/n261

116

Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

62


(830: C 1963), par un argument; et deuxièmement (831: C 1967), par une comparaison ("En outre,

le même"). Il dit donc que cela a été prouvé plus haut au livre VII (651: C 1572), où il traite de l'être,

et surtout de la substance, qu'aucun universel ne peut être une substance qui subsiste d'elle-même

parce que tout universel est commun à une multitude. Un universel ne peut pas non plus être une

substance subsistante, parce que sinon il faudrait qu'il soit une chose en dehors de la multitude, et

alors il ne pourrait pas être commun, mais serait en soi quelque singulier. » 117

2. l’Un, l’unité, comme prédicat prédiqué de plusieurs, est un existant en plusieurs,

comme tout universel l’est, et il ne peut donc pas être un subsistant existant à part

d’eux :

«1964. Nisi forte diceretur commune per modum causae. Sed alia est communitas universalis et

causae. Nam causa non praedicatur de suis effectibus, quia non est idem causa suiipsius. Sed

universale est commune, quasi aliquid praedicatum de multis; et sic oportet quod aliquo modo sit

unum in multis, et non seorsum subsistens ab eis.» 118

«1964. L’unité pourrait, il est vrai, être dite commune par mode de cause. Mais l'aspect commun

d'un universel diffère de celui d'une cause ; car, une cause n'est pas prédiquée de ses effets,

puisqu’elle n'est pas cause d'elle-même. Mais un universel est commun comme un prédicat

prédiqué de plusieurs; et ainsi il s’impose qu’il soit en quelque sorte un existant en plusieurs, et

non quelque chose subsistant existant à part d’eux.» 119

3. l'étant et l'unité sont prédiqués de tout ce qui est, et ce, de la manière la plus

universelle et la plus commune :

«1965. Sed oportet ens et unum magis universaliter et communiter de omnibus praedicari. Non

ergo sunt ipsa substantia subsistens, quae dicitur ens vel unum, sicut Plato posuit.» 120

117

«1963. If, then (830). Here he answers the question which was raised. He says that unity is not a

subsisting substance, of which one may predicate the term one. He proves this in two ways. First (830:C

1963), by an argument; and second (831 :C 1967), by a comparison ("Further, the same"). He says, then,

that it was proved above in Book VII (651:C 1572), where he treats of being, and especially of substance,

that no universal can be a substance which subsists of itself because every universal is common to

many. A universal also cannot be a subsisting substance because otherwise it would have to be one

thing apart from the many, and then it could not be common but would be in itself a singular thing.»

118 Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

119 «1964. Unity might, it is true, be said to be common as a cause is. But the common aspect of a

universal differs from that of a cause; for a cause is not predicated of its effects, since the same thing is

not the cause of itself. But a universal is common in the sense of something predicated of many things;

and thus it must be in some way a one-in-many, and not something subsisting apart from them.»

120

Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

63


«1965. Mais l'étant et l'unité doivent être prédiqués de toutes choses de la manière la plus

universelle et la plus commune. Par conséquent, ceux qu'on dit étant et un ne sont pas eux-mêmes

des substances subsistantes, comme Platon l'a soutenu. » 121

4. l'un et l’étant se prédiquent proportionnellement, et non univoquement, de tout ce qui

est :

«1966. Per hanc rationem concluditur, quod nulla genera sunt aliquae naturae et substantiae per

se subsistentes, quasi separabiles ab aliis, de quibus dicuntur. Quod etiam superius inter

quaestiones fuit dubitatum. Nec tamen hoc pro tanto dicitur, quod unum sit genus. Eadem enim

ratione unum non potest esse genus, qua nec ens, quia nec univoce praedicatur, et propter alia

quae superius in tertio tacta sunt. Et ex eadem ratione unum et ens non potest esse substantia

subsistens.» 122

«1966. De cet argument, il conclut qu'aucun genre n'est une nature et une substance qui

subsistent comme séparables des choses dont ils sont dits. C'était aussi l'une des questions

débattues ci-dessus (229: C 432). Pourtant, cela n'est pas dit dans le sens où l'unité est un genre;

car l'unité ne peut pas être un genre pour la même raison que l'étant ne le peut pas, parce qu’il

n'est pas prédiqué univoquement, et à cause des autres raisons données dans le livre III (269-74:

C 493-501). Et pour la même raison, l'un et l'étant ne peuvent pas être des substances

subsistantes.» 123

L’étant intrinsèquement indivis (τὸ ἑνὶ ὂν), fait de deux notions très voisines que sont la

notion d’étant et la notion d’un, est donc le prédicat le plus universel et le plus commun

de tous les prédicats. Aristote écrit : «[1052b 15] Διὸ καὶ τὸ ἑνὶ εἶναι τὸ ἀδιαιρέτῳ

ἐστὶν εἶναι, ὅπερ τόδε ὄντι καὶ ἰδίᾳ χωριστῷ ἢ τόπῳ ἢ εἴδει ἢ διανοίᾳ, ἢ καὶ τὸ

ὅλῳ καὶ ἀδιαιρέτῳ.» ; «C'est là ce qui fait qu'on peut dire qu'être essentiellement Un,

c'est être indivisible, c'est être un objet réel, inséparable, soit à l'égard du lieu, soit à

l'égard de la forme, soit par la pensée, soit même comme formant un tout et un être

défini.» 124

121

«1965. But being and unity must be predicated of all things in the most universal and common way.

Hence those things which are called being and unity are not themselves subsisting substances, as Plato

maintained.»

122 Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

123 «1966. From this argument he concludes that no genera are natures and substances which subsist of

themselves as though separable from the things of which they are predicated. This too was one of the

questions debated above (229:C 432). Yet this is not said in the sense that unity is a genus; for unity

cannot be a genus for the very same reason that being cannot, since it is not predicated univocally. This

is also true in the light of the other reasons given in Book Ill (269-74:C 493-501). And for the same

reason unity and being cannot be subsisting substances.»

124

Remacle, traduction de J. Barthélemy Saint-Hilaire : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/

Aristote/metaphyque10gr.htm#18

64


Il semble donc vrai que rien n’échappe à l’étant intrinsèquement indivis (τὸ ἑνὶ ὂν), et

ce, de telle manière qu’il semble que rien ne s’en divise si ce n’est le non-étant. L’étant

indivis, semble-t-il, n’est strictement divis que du rien, que du non-étant. Et, il semble

vrai que c’est là la racine du principe selon lequel l’affirmation de l’étant indivis et la

négation de l’étant indivis n’admettent aucun intermédiaire entre elles ; et que c’est

aussi la racine du principe selon lequel, si l’une est vraie, l’autre est fausse, et ce, sans

intermédiaire possible, puisque tout tiers entre le vrai et le faux est exclu lorsqu’ils sont

appliqués soit à l’affirmation de l’étant indivis soit à la négation de l’étant indivis.

C’est ainsi que s’introduit le problème qui concerne l’opposition de l’Un (τὸ ἓν) et du

Multiple (τὰ πολλὰ), opposition à laquelle Aristote consacre deux chapitres du Livre 10

de Métaphysique : le chapitre 3 et le chapitre 6. Thomas d’Aquin les commente au Livre

10, Leçon 4 pour le chapitre 3, et Leçon 8 pour le chapitre 4.

Et, on va alors apprendre que, s’il semble vrai que rien n’échappe à l’étant

intrinsèquement indivis (τὸ ἑνὶ ὂν), et ce, de telle manière qu’il semble que rien ne s’en

divise si ce n’est le non-étant, ce n’est pas de ‘ telle manière ’ que se pose le problème

de l’opposition entre l’Un (τὸ ἓν) et le Multiple (τὰ πολλὰ), mais d’une autre manière.

Car, de ‘ telle manière ’, il s’imposerait d’admettre que le Multiple (τὰ πολλὰ) n’est rien.

On verra plus loin que Thomas d’Aquin écrit : «1987. Non ens enim neque unum neque

multa est.»

125 ; «1987. Car, le non-étant n'est ni un ni plusieurs.» 126

L’opposition de l’Un et du Multiple

Dans la Leçon 4, Thomas d’Aquin expose que, au chapitre 3, Aristote «montre dans

quelle espèce d’opposition se range l’opposition de l’un et du multiple ; il explique aussi

les différents sens des notions qui découlent de l’Un et du Multiple, à savoir du même,

du semblable et de l’égal (lesquels découlent de l’un), d’une part, du divers, du

125

Même source que 1984

126

Même source que 1984 : «1987. That they are not opposed as contradictories is evident because

neither of them applies to non-being, for non-being is neither one nor many. But the second member of

the contradiction would have to apply to being as well as to non-being. That they are not opposed as

relative terms is likewise evident, for the terms one and many are used in an absolute sense.»

65


dissemblable et de l’inégal (lesquels découlent du multiple), d’autre part». Dans la

Leçon 8, Thomas d’Aquin expose que, au chapitre 4, Aristote explique «comment l’Un

et le Multiple s’opposent». 127

Dans son traité intitulé Catégories, Aristote présente quatre genres d’opposition :

l’opposition des relatifs, l’opposition des contraires, l’opposition de la privation à la

possession et l’opposition de l’affirmation à la négation. «[11b 16] L’opposition, dans

chacun de ces cas, peut s’exprimer schématiquement de la façon suivante : celle des

relatifs, comme le double à la moitié ; celle des contraires, comme le mal au bien ; celle

de la privation à la possession, comme la cécité à la vue ; celle de l’affirmation à la

négation, comme il est assis, il n’est pas assis.» 128

L’opposition de l’Un (τὸ ἓν) et du Multiple (τὰ πολλὰ), selon qu’il s’agit de l’Un pris

comme principe du nombre, d’une part, ou selon qu’il s’agit de l’Un pris comme

propriété de l’étant, d’autre part, entre dans lequel de ces quatre genres d’opposition ?

L’Un pris comme principe du nombre s’oppose à ce dernier, le nombre, qui est alors pris

comme un multiple d’Uns selon une relation de mesure à mesurable. C’est ce qu’on a

appris dans la première section en lisant Aristote :

«[1057a 1] Τὸ δὲ πλῆθος οἷον γένος ἐστὶ τοῦ ἀριθμοῦ· ἔστι γὰρ ἀριθμὸς πλῆθος ἑνὶ

μετρητόν, [1057a 5] καὶ ἀντίκειταί πως τὸ ἓν καὶ ἀριθμός, οὐχ ὡς ἐναντίον ἀλλ' ὥσπερ

εἴρηται τῶν πρός τι ἔνια· ᾗ γὰρ μέτρον τὸ δὲ μετρητόν, ταύτῃ ἀντίκειται, διὸ οὐ πᾶν ὃ ἂν ᾖ

ἓν ἀριθμός ἐστιν, οἷον εἴ τι ἀδιαίρετόν ἐστιν.»

«Et la pluralité est en quelque sorte le genre du nombre, puisque le nombre est une multitude

mesurée par l’un. Dans un sens, un et nombre sont opposés, non pas comme des contraires, mais

dans la façon dont nous avons dit que certains termes relatifs sont opposés, car ils sont opposés

dans la mesure où l’Un est une mesure et l’autre quelque chose de mesurable.»

À la Leçon 8 du Livre 10, Thomas d’Aquin commente cette thèse en faisant remarquer

qu’Aristote «manifeste comment l’un s’oppose au multiple comme à un mesurable», et il

ajoute que, «dans la mesure où la pluralité ou multitude signifie des étants divisés, elle

n'est pas déterminée à un genre» :

127

128

Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost, page 936 et page 941

Catégories, traduction de Pascale-Dominique Nau : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/

complements/AristoteCategories.htm

66


«2090. Sciendum vero est, quod pluralitas sive multitudo absoluta, quae opponitur uni quod

convertitur cum ente, est quasi genus numeri; quia numerus nihil aliud est quam pluralitas et

multitudo mensurabilis uno. Sic igitur unum, secundum quod simpliciter dicitur ens indivisibile,

convertitur cum ente. Secundum autem quod accipit rationem mensurae, sic determinatur ad

aliquod genus quantitatis, in quo proprie invenitur ratio mensurae.» 129

Maintenant, il faut noter que la pluralité ou multitude prise absolument, qui s'oppose à celle qui se

convertit avec l’étant, est en quelque sorte le genre du nombre ; car un nombre n'est rien d'autre

qu'une pluralité et une multitude mesurables par l’un. Ainsi, dans la mesure où il signifie

absolument un étant indivisible, l’un se convertit avec l’étant. Cependant, selon qu’il reçoit la notion

de mesure, il est ainsi déterminé au genre de la quantité, en lequel la notion de mesure se trouve

proprement.» 130

«2091. Et similiter pluralitas vel multitudo, secundum quod significat entia divisa, non determinatur

ad aliquod genus. Secundum autem quod significat aliquid mensuratum, determinatur ad genus

quantitatis, cuius species est numerus. Et ideo dicit quod numerus est pluralitas mensurata uno, et

quod pluralitas est quasi genus numeri.» 131

«Et de la même manière, dans la mesure où la pluralité ou multitude signifie des étants divisés,

elle n'est pas déterminée à un genre. Mais, dans la mesure où elle signifie quelque chose de

mesuré, il est déterminée au genre de la quantité, dont le nombre est une espèce. Et c’est

pourquoi il dit que le nombre est une pluralité mesurée par l’un, et que la pluralité est en quelque

sorte le genre du nombre.» 132

Or, rendu à cette étape de l’étude en cours, on s’intéresse à la pluralité ou multitude qui

n'est pas déterminée au genre du nombre, donc à celle qui signifie des êtres divisés. Et,

à cet égard, il s’impose de rappeler que l’individu est ainsi associé à la multiplication de

l’individu en un multiple d’individus, alors que le singulier est associé à la division d’un

multiple d’individus sans atteindre l’indivision de l’individu.

129

Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

130 Commentary on the Metaphysics : «2090. Now it must be noted that plurality or multitude taken

absolutely, which is opposed to the one which is interchangeable with being, is in a sense the genus of

number; for a number is nothing else than a plurality or multitude of things measured by one. Hence one,

insofar as it means an indivisible being absolutely, is interchangeable with being; but insofar as it has the

character of a measure, in this respect it is limited to some particular category, that of quantity, in which

t h e c h a r a c t e r o f a m e a s u r e i s p r o p e r l y f o u n d . » : https://archive.org/stream/

AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/Aquinas.CommentaryOnTheMetaphysicsOfAristotleIi#page/

n339/mode/2up

131 Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

132

Commentary on the Metaphysics : : «2091. And in a similar way insofar as plurality or multitude

signifies beings which are divided, it is not limited to any particular genus. But insofar as it signifies

something measured, it is limited to the genus of quantity, of which number is a species. Hence he says

that number is plurality measured by one, and that plurality is in a sense the genus of number.» : https://

archive.org/stream/AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/

Aquinas.CommentaryOnTheMetaphysicsOfAristotleIi#page/n339/mode/2up

67


Ainsi, la division présuppose un multipliable multiplié en acte qui, lui, n’est pas encore

divisé et qui est donc un divisible. Ce sujet est traité au chapitre 3, par Aristote, et à la

Leçon 4, par Thomas d’Aquin. C’est ainsi qu’Aristote écrit :

«[1054a 20] Ἀντίκειται δὲ τὸ ἓν καὶ τὰ πολλὰ κατὰ πλείους τρόπους, ὧν ἕνα τὸ ἓν καὶ τὸ

πλῆθος ὡς ἀδιαίρετον καὶ διαιρετόν· τὸ μὲν γὰρ ἢ διῃρημένον ἢ διαιρετὸν πλῆθός τι

λέγεται, τὸ δὲ ἀδιαίρετον ἢ μὴ διῃρημένον ἕν. Ἐπεὶ οὖν αἱ ἀντιθέσεις τετραχῶς, καὶ

τούτων κατὰ στέρησιν λέγεται θάτερον, [25] ἐναντία ἂν εἴη καὶ οὔτε ὡς ἀντίφασις οὔτε ὡς

τὰ πρός τι λεγόμενα. Λέγεται δὲ ἐκ τοῦ ἐναντίου καὶ δηλοῦται τὸ ἕν, ἐκ τοῦ διαιρετοῦ τὸ

ἀδιαίρετον, διὰ τὸ μᾶλλον αἰσθητὸν τὸ πλῆθος εἶναι καὶ τὸ διαιρετὸν ἢ τὸ ἀδιαίρετον, ὥστε

τῷ λόγῳ πρότερον τὸ πλῆθος τοῦ ἀδιαιρέτου διὰ τὴν αἴσθησιν.» 133

«833. Un (τὸ ἓν) et plusieurs (τὰ πολλὰ) s’opposent de plusieurs manières, et l'une d'elles est

l'opposition entre un et plusieurs comme entre quelque chose d'indivisible (ἀδιαίρετον) et quelque

chose de divisible (διαιρετόν) ; car plusieurs signifie soit ce qui est divisé ou ce qui est divisible, et

l'un signifie soit ce qui est indivis, soit ce qui est indivisible. 834. Par conséquent, puisque nous

parlons de quatre modes d'opposition et que l'un de ces deux opposés s'exprime par mode de

privation, ils seront des contraires et non des contradictoires ou des termes relatifs. 835. Et ce qui

est un est décrit et connu en référence à son contraire, et ce qui est indivisible par rapport à ce qui

est divisible ; car, ce qui est multiple et divisible est mieux connu des sens que ce qui est

indivisible. Ce qui est multiple est donc antérieur en intelligibilité à ce qui est indivisible, à cause de

la perception sensorielle.» 134

Ce qui est divisé en acte (διαιρετόν) est divisible, ce sans quoi il ne pourrait pas être

divisé en acte ; le mot «divisible» signifie donc un divisé en puissance qui, en cet état,

n’est pas encore divisé en acte, ou est encore non divisé en acte, mais qui peut le

devenir. Par contre, est indivisible ce qui n’est pas divisé et ne peut pas l’être ; il est

nécessairement indivisé (ἀδιαίρετον). Thomas d’Aquin commente le texte qu’Aristote

écrit au numéro 833 en disant que «la notion même d’Un consiste en ce qu’elle est

indivisible, ou qu’elle n’est pas divisée», en ces termes :

«1984. Ratio enim multitudinis consistit in hoc quod est esse divisa ab invicem, aut divisibilia. Dicit

autem divisa, propter ea quae actu a seinvicem separata sunt, et propter hoc multa dicuntur.

133

Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/metaphyque10gr.htm#32

134

Commentaty of the Metaphysics : «833. One and many are opposed in many ways, and one of these

is the opposition between one and many as between something indivisible and something divisible ; for

many means either what is divided or what is divisible, and one means either what is undivided or what

is indivisible. 834. Hence, since we speak of four modes of opposition, and one of these two opposites

is expressed privatively, they will be contraries and not contradictories or relative terms (313). 835. And

what is one is described and made known in reference to its contrary, and what is indivisible in reference

to what is divisible; for what is many and is divisible is better known to the senses than what is

indivisible. Hence what is many is prior in intelligibility to what is indivisible, because of sensory

perception.» : https://archive.org/stream/AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/

Aquinas.CommentaryOnTheMetaphysicsOfAristotleIi#page/n305/mode/2up

68


Divisibilia autem, propter ea quae non sunt actu separata, sed appropinquant separationi, sicut

humida, ut aer et aqua, et alia his similia, in quibus propter facilitatem divisionis, multitudinem

dicimus. Dicitur enim multa aqua et multus aer.» 135

«Car, la notion de plusieurs consiste en ce qu’ils sont divisés ou divisibles les uns des autres.

Cependant, il dit "divisé" à cause qu’ils sont séparés en acte les uns des autres, et que, pour cette

raison, ils sont dit plusieurs. Mais, il dit "divisible" à cause qu’ils ne sont pas séparés en acte, mais

qu’ils sont près de l’être, par exemple, les humides, comme l’air et l’eau, et leurs semblables, en

lesquels nous disons qu’ils sont plusieurs à cause de la facilité de la division. Car, on parle de

beaucoup d'eau et de beaucoup d'air. on dit de l’eau et d’une grande quantité d’air qu’ils sont

multiples.» 136

«1985. Ratio vero unius consistit in hoc, quod est esse indivisibile, aut non esse divisum. Dicitur

enim et continuum unum, quia non et actu divisum, licet sit divisibile.» 137

«1985. Mais la notion même d’un consiste en ce qu’elle est indivisible, ou qu’elle n’est pas divisée.

Car, le continu est dit un parce qu’il n’est pas divisé en acte, bien qu’il soit divisible.» 138

Si Aristote «dit "divisé" à cause qu’ils sont séparés en acte les uns des autres, et que,

pour cette raison, ils sont dit plusieurs», c’est que ceux qui sont ainsi «séparés en acte

les uns des autres», donc singularisés en singuliers, ont subi la division d’un multiple

d’individus, et ce, sans atteinte à l’indivision de l’individu multiplié, puisque «la notion

même d’Un consiste en ce qu’elle est indivisible, ou qu’elle n’est pas divisée».

Une opposition de contraires

Thomas d’Aquin en vient ainsi au texte écrit au numéro 834 qu’il commente en trois

paragraphes où il affirme que l’opposition de l’Un (τὸ ἓν) et du Multiple (τὰ πολλὰ) en

est une de contraires, en excluant explicitement l’opposition de contradiction. En effet,

135 Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

136 Commentary of the Metaphysics : «1984. For the essential note of plurality consists in things being

divided from each other or in being divisible. He says "divided" because of the things which are actually

separated from each other and which are for this reason said to be many. He says "divisible" because of

the things which are not actually separated from each other but come close to being separated, for

example, moist things such as air and water and the like, of which we use the term much because they

are easily divided; thus we speak of much water and much air.» : https://archive.org/stream/

AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/Aquinas.CommentaryOnTheMetaphysicsOfAristotleIi#page/

n307/mode/2up

137

Même source que pour 1984

138

Même source que pour 1984 : «1985. But the formal constituent of unity or oneness consists in being

indivisible or in being undivided; for the continuous is said to be one because it is not actually divided,

although it is divisible.»

69


l’opposition de contradiction impliquerait une privation absolue (privatio pura) generatio ;

or, «unum non significat privationem puram, non enim significat ipsam indivisionem, sed

ipsum ens indivisum», «l’Un ne signifie pas une privation pure, parce qu’il ne signifie

pas l’indivision elle-même, mais l’étant indivis lui-même», «étant indivis lui-même» qui

n’en est pas moins multipliable en plusieurs. Il exprime sa thèse comme suit :

«1986. Secundo ibi, quoniam ergo ostendit ad quod genus oppositionis praedictus modus

oppositionis reducatur; dicens, quod cum quatuor sint oppositionis genera, quorum unum est

oppositio, quae dicitur secundum privationem; manifestum est quod unum et multa non opponuntur

ut contradictio, neque ad aliquid, quae sunt duo genera oppositionis, sed opponuntur ut contraria.»

139

«1986. En deuxième lieu, là où il dit : ¨ Donc, puisque ¨. Il montre à quel genre d'opposition se

réduit le mode susmentionné, en disant que, comme les genres d’opposition sont au nombre de

quatre, dont l’un est l’opposition dite de privation, il est manifeste que l’Un (τὸ ἓν) et le Multiple (τὰ

πολλὰ) ne s’opposent pas comme des contradictoires, ni comme des relatifs, qui sont deux genres

d’opposition, mais s’opposent comme des contraires.» 140

«1987. Et quidem quod non opponantur secundum contradictionem, manifestum est, quia neutrum

eorum verificatur de non ente. Non ens enim neque unum neque multa est. Oporteret autem

alteram partem contradictionis verificari tam de ente quam de non ente. Similiter etiam manifestum

est, quod non opponuntur ut ad aliquid dicta. Nam unum et multitudo dicuntur absolute.» 141

«1987. Et, qu’ils ne soient pas opposés comme des contradictoires est évident, puisqu'aucun d'eux

ne s'applique au non-étant. Car, le non-étant n'est ni un ni plusieurs. Mais, il faudrait que l’une et

l’autre membre de la contradiction soient vérifiés tant de l’étant que du non-étant.Et, de la même

manière, il est aussi évident qu’ils ne sont pas opposés comme des relatifs. En effet, Un et Multiple

sont dits dans un sens absolu (absolute).» 142

«1988. Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile, quae

videntur opponi secundum privationem et habitum, concludit tamen quod unum et multitudo

opponuntur ut contraria. Oppositio enim quae est secundum privationem et habitum, est principium

oppositionis quae est secundum contrarietatem, ut infra patebit. Alterum enim contrariorum semper

est privatio, sed non privatio pura. Sic enim non participaret naturam generis, cum contraria sint in

eodem genere. Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam, licet alterum eorum

participet naturam generis cum quodam defectu, sicut nigrum se habet ad album, ut supra dictum

est. Quia igitur unum non significat privationem puram, non enim significat ipsam indivisionem, sed

139

Même source que pour 1984

140 Même source que pour 1984 : «1986. Hence, since (834). Second, he makes clear to what kind of

opposition the aforesaid manner of being opposed is ultimately reduced. He says that, since there are

four kinds of opposition, one of which is based on privation, it is evident that one and many are not

opposed as contradictories or as relative terms, which are two kinds of opposition, but as contraries.»

141

Même source que 1984

142

Même source que 1984 : «1987. That they are not opposed as contradictories is evident because

neither of them applies to non-being, for non-being is neither one nor many. But the second member of

the contradiction would have to apply to being as well as to non-being. That they are not opposed as

relative terms is likewise evident, for the terms one and many are used in an absolute sense.»

70


ipsum ens indivisum, manifestum est quod unum et multitudo non opponuntur secundum

privationem puram et habitum, sed sicut contraria.» 143

«1988. Et, bien qu'il ait dit qu'un et plusieurs sont opposés comme ce qui est indivisible et ce qui

est divisible, et que ceux-ci semblent être opposés comme privation et possession, il conclut

néanmoins que un et plusieurs sont opposés comme des contraires ; car l'opposition entre

privation et possession est au principe de l'opposition entre contraires, comme cela sera expliqué

plus loin (848: C 2036). Car, l'un des deux contraires est toujours une privation, mais pas une pure

privation; sinon, il ne partagerait pas la nature du genre, parce que les contraires appartiennent au

même genre. Il s’impose donc que chacun des deux contraires soit une certaine nature, même si

l'un d'eux partage la nature du genre avec une certaine déficience, comme le noir et le blanc,

comme cela a été dit plus haut (831: C 1967). Par conséquent, puisque l’Un ne signifie pas une

privation pure, parce qu’il ne signifie pas l’indivision elle-même, mais l’étant indivisé lui-même, il est

évident qu'un et plusieurs s’opposent, non pas comme pure privation et possession, mais comme

contraires.» 144

Enfin, Thomas d’Aquin en vient au texte écrit au numéro 835 qu’il commente en dix

paragraphes. Au paragraphe 1989, il soulève une question ; aux paragraphes 1990 et

1991, il répond à la question soulevée au paragraphe 1989. Mais, surgissent deux

difficultés remettant cette réponse en question ; aux paragraphes 1992, 1993 et 1994, il

énonce et résout la première difficulté ; puis, aux paragraphes 1995, et 1996, il énonce

et résout la seconde difficulté. Puis, aux paragraphes 1997 et 1998, il conclut son

raisonnement sur l’opposition de l’Un (τὸ ἓν) et du Multiple (τὰ πολλὰ) avec la thèse

qu’élabora Aristote pour résoudre le problème qu’il rencontra au cours de sa recherche

sur l’être en tant qu’être, celui d’un être mathématique placé au fondement de «toute la

philosophie» :

«[992a 30,] Ἀλλὰ γέγονε τὰ μαθήματα τοῖς νῦν ἡ φιλοσοφία, φασκόντων ἄλλων χάριν αὐτὰ

δεῖν πραγματεύεσθαι.» 145

143

Même source que 1984

144 Même source que 1984 : «1988. And although he had said that one and many are opposed as what is

indivisible and what is divisible, and these appear to be opposed as privation and possession, none the

less he concludes that one and many are opposed as contraries; for the opposition between privation

and possession is the basis of the opposition between contraries, as will be made clear below (848:C

2036). For one of the two contraries is always a privation, but not a pure privation; otherwise it would not

share in the nature of the genus, since contraries belong to the same genus. Each of the two contraries,

then, must be a positive reality, even though one of them shares in the nature of the genus with a certain

deficiency, as black in relation to white, as has been stated above (831 :C 1967). Therefore, since unity

does not signify a pure privation, for it does not designate the mere lack of division but the very being

which is undivided, it is evident that one and many are opposed not as pure privation and possession

but as contraries.»

145

Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/metaphysique1.htm

71


«Mais, les mathématiques sont devenues, pour les modernes, toute la Philosophie, quoiqu’ils

disent qu’on ne devrait les cultiver qu’en vue du reste.» 146

Quant à nous et quant à la nature

Au paragraphe 1989, Thomas d’Aquin soulève une question qui plonge sa racine dans

les Seconds analytiques, là où Aristote écrit qu’il «n’y a pas identité entre ce qui est

antérieur par nature et ce qui est antérieur pour nous, ni entre ce qui est plus connu par

nature et plus connu pour nous» :

«[71b 35] Πρότερα δ´ ἐστὶ καὶ γνωριμώτερα διχῶς· οὐ γὰρ ταὐτὸν πρότερον τῇ φύσει καὶ

πρὸς ἡμᾶς πρότερον, οὐδὲ γνωριμώτερον καὶ ἡμῖν γνωριμώτερον. Λέγω δὲ πρὸς ἡμᾶς μὲν

πρότερα καὶ γνωριμώτερα τὰ ἐγγύτερον τῆς αἰσθήσεως, ἁπλῶς δὲ πρότερα καὶ

γνωριμώτερα τὰ πορρώτερον. Ἔστι δὲ πορρωτάτω μὲν τὰ καθόλου μάλιστα, ἐγγυτάτω δὲ

τὰ καθ´ ἕκαστα· καὶ ἀντίκειται ταῦτ´ ἀλλήλοις.» 147

«[71b 35] Au surplus, antérieur et plus connu ont une double signification, car il n’y a pas identité

entre ce qui est antérieur par nature et ce qui est antérieur pour nous, ni entre ce qui est plus

connu par nature et plus connu pour nous. [72a] J’appelle antérieurs et plus connus pour nous les

objets les plus rapprochés de la sensation, et antérieurs et plus connus d’une manière absolue les

objets les plus éloignés des sens. Et les causes les plus universelles sont les plus éloignées des

sens, tandis que les causes particulières sont les plus rapprochées, et ces notions sont ainsi

opposées les unes aux autres.» 148

Lorsqu’il commente ce texte, Thomas d’Aquin reprend la thèse d’Aristote en disant que

«l’antérieur et le plus connu se disent de deux manières, à savoir quant à nous et quant

à la nature» :

«Et quia prius et notius dicitur dupliciter, scilicet quoad nos, et secundum naturam ; dicit

consequenter quod ea, ex quibus procedit demonstratio, sunt priora et notiora simpliciter et

secundum naturam, et non quoad nos. Et ad huius expositionem dicit quod priora et notiora

simpliciter sunt illa, quae sunt remota a sensu ut universalia. Priora autem et notiora quoad nos

sunt proxima sensui, scilicet singularia, quae opponuntur universalibus, sive oppositione prioris et

posterioris, sive oppositione propinqui et remoti.» 149

146

Métaphysique, traduction de Pascale-Dominique Nau : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/

complements/Aristotemetaphysiquepascalenau2008.htm — Ces «modernes» sont les platoniciens de

l’Académie, dont Sceucippe est devenu le scolarque après la mort de Platon, le fondateur. Les livres 13

et 14 de Métaphysique contiennent les arguments qu’Aristote élabore à ce propos.

147 Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/analyt2gr.htm#211

148 Seconds analytiques, traduction de Pascale-Dominique Nau : http://docteurangelique.free.fr/

bibliotheque/complements/Aristotesecondsanalystiques.htm

149

Expositio Posteriorum, lib. 1 l. 4 n. 15 : http://docteurangelique.free.fr/livresformatweb/philosophie/

commentaireSecondsAnalytiquesSP.htm

72


«42. Et parce que l’antérieur et le plus connu se disent de deux manières, à savoir quant à nous et

quant à la nature, il dit par la suite que les propositions d’où procède la démonstration sont

antérieures et plus connues absolument et quant à la nature et non quant à nous. Et pour expliquer

cela il dit qu’est antérieur et plus connu absolument ce qui, comme l’universel, est éloigné des

sens. Mais ce qui est antérieur et plus connu quant à nous est ce qui est rapproché des sens,

c’est-à-dire le singulier qui s’oppose à l’universel soit par une opposition de l’antérieur au

postérieur, soit par une opposition du rapproché à l’éloigné.» 150

La question précise qui est soulevée au numéro 1989 concerne ce qui est antérieur ou

postérieur de l’Un ou du Multiple, en ces termes :

«1989. Tertio ibi, dicitur autem. Respondet tacitae quaestioni. Quia enim dixerat quod unum se

habet ad multitudinem ut divisibile ad indivisibile, indivisibile autem videtur privatio esse

divisibilis, cum privatio sit posterior habitu et forma, videtur sequi, quod unum sit posterius

multitudine: cum tamen supra dixerit, quod unum est principium multitudinis, ex quo

cognoscitur.» 151

«1989. Et quel est l’Un (835). Troisièmement, il répond à une question implicite. Parce qu'il avait dit

que l'Un est relié au multiple comme ce qui est indivisible à ce qui est divisible, et que ce qui est

indivisible semble être une privation de ce qui est divisible puisque la privation est postérieure à

la possession ou à la forme, il semble s'ensuivre que l'Un est postérieur au multiple, bien qu'il

ait dit plus haut (821: C 1939) que l'Un est le principe du multiple, à partir duquel ce dernier

devient connu.» 152

Il est évident que, si «l'Un est le principe du multiple, à partir duquel ce dernier devient

connu», alors il est difficile d’admettre que : «l'Un est postérieur au multiple». Thomas

d’Aquin donne la solution en deux paragraphes où il expose que, quant à la nature, l’Un

est antérieur au Multiple, comme l’universel est un en plusieurs, mais que, quand à

nous, il est postérieur au Multiple, puisque c’est de plusieurs ressemblants que

l’intellect dégage une ressemblance :

«1990. Ad huius igitur obiectionis solutionem videndam, considerandum est, quod ea quae sunt

priora secundum naturam et magis nota, sunt posteriora et minus nota quo ad nos, eo quod rerum

150 Commentaire de Saint-Thomas d’Aquin aux Seconds Analytiques d’Aristote, traduction de Serge

P r o n o v o s t : http://docteurangelique.free.fr/livresformatweb/philosophie/

commentaireSecondsAnalytiquesSP.htm

151 Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

152

Commentary of the Metaphysics : «1989. And what is one (835). Third, he answers an implied

question. Because he had said that one is related to many as what is indivisible to what is divisible, and

what is indivisible seems to be the privation of what is divisible since privation is subsequent to

possession or form, it seems to follow that one is subsequent to many, although he had said above

(821:C 1939) that one is the principle of many, from which it becomes known.» : https://archive.org/

s t r e a m / A q u i n a s C o m m e n t a r y O n T h e M e t a p h y s i c s /

Aquinas.CommentaryOnTheMetaphysicsOfAristotleIi#page/n309/mode/2up

73


notitiam per sensum accipimus. Composita autem et confusa prius cadunt in sensu, ut dicitur in

primo physicorum. Et inde est, quod composita prius cadunt in nostram cognitionem. Simpliciora

autem quae sunt priora et notiora secundum naturam, cadunt in cognitionem nostram per

posterius. Inde est quod prima rerum principia non definimus nisi per negationes posteriorum; sicut

dicimus quod punctum est, cuius pars non est; et Deum cognoscimus per negationes, inquantum

dicimus Deum incorporeum esse, immobilem, infinitum.» 153

«1990. Donc, pour bien voir la solution de cette objection, il faut considérer que les choses qui sont

antérieures selon la nature et plus connues en elles- mêmes, sont postérieures et moins connues

quant à nous du fait que c’est par les sens que nous parvenons à la connaissance des choses.

Mais ce sont les réalités composées et mélangées qui tombent en premier sous le sens ainsi

qu’on le dit au premier livre des Physiques. Et c’est ce qui explique que ce sont d’abord les réalités

composées qui viennent à être connues de nous. Et les réalités qui sont simples, qui sont pourtant

antérieures et plus connues selon la nature, ne viennent à être connues de nous que par après. Il

suit de là que nous ne définissons les premiers principes des choses que par les négations de ce

qui est comme secondaire. Par exemple, nous disons du point qu’il est ce qui n’a pas de parties et

nous connaissons Dieu à travers des négations, dans la mesure où nous disons qu’il est

incorporel, immobile et infini.» 154

«1991. Sic igitur licet unum prius secundum naturam sit multitudine, tamen secundum cognitionem

nostram definitur et nominatur ex privatione divisionis. Et propter hoc philosophus dicit quod ipsum

unum dicitur, idest nominatur et ostenditur, idest cognoscitur ex suo contrario, sicut indivisibile ex

divisibili: propter hoc quod multitudo est magis sensibilis quam unum, et divisibile magis quam

indivisibile. Unde multitudo ratione prius est quam indivisibile, non quidem secundum ordinem

naturae, sed propter sensum qui est principium nostrae cognitionis.» 155

«1991. Ainsi donc, bien que l’un soit antérieur au multiple selon la nature, cependant quant à notre

connaissance il est défini et nommé à partir de la privation de la division. Et c’est pour cette raison

que le Philosophe dit que ¨l’un lui-même se dit¨, c’est-à-dire qu’il est nommé, ¨et qu’il est

manifesté¨, c’est-à-dire qu’il est connu à partir de son contraire, le multiple, comme l’indivisible est

connu à partir du divisible : il en est ainsi parce que le multiple est davantage accessible à la

perception que ne l’est l’un, tout comme le divisible l’est davantage que l’indivisible. C’est pourquoi

153 Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

154 Même source que la note précédente, traduction du texte latin de Serge Pronovost ; J. P. Rowan

traduit : «1990. In order to see the solution of this difficulty, then, it must be borne in mind that things

which are prior and better known by nature are subsequent and less well known to us, because we

derive our knowledge of things from the senses. Now the first things to be perceived by us are

composite and confused things, as is said in Book T of the Physics 1, and this is why the first things to

be known by us are composite things. But simpler things, which are prior and more intelligible by nature,

are known by us only derivatively; and this is why we define the first principles of things only by the

negations of subsequent things; for example, we say that the point is what has no parts; and we know

God by way of negations inasmuch as we say that God is incorporeal, unchangeable and infinite.» :

https://archive.org/stream/AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/

Aquinas.CommentaryOnTheMetaphysicsOfAristotleIi#page/n309/mode/2up

155

Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

74


le multiple est antérieur à l’indivisible selon la raison et non selon l’ordre de la nature mais en

raison principe de notre connaissance.» 156

Cependant, cette solution se heurte à deux difficultés, dit Thomas d’Aquin. La première

de ces difficultés vient de ce que, si l’Un et le Multiple s’opposent comme des

contraires, alors il est impossible que l’un des termes de l’opposition serve à la

constitution de l’autre terme, ce que Thomas d’Aquin formule ainsi :

«1992. Sed contra ea quae hic philosophus determinat, duplex dubitatio consurgit. Prima quidem

circa hoc quod dicit, quod unum et multa opponuntur ut contraria. Hoc enim videtur impossibile,

quia unum constituit multitudinem. Unum autem contrariorum non constituit aliud, sed magis

destruit.»

«1992. Mais en opposition à ce qu’établit ici le Philosophe, deux difficultés surgissent. Et la

première se rapporte à ce qu’il dit ici, à savoir que l’un et le multiple s’opposent comme des

contraires. Cela en effet semble impossible, puisque l’un contribue à la constitution du multiple

alors que l’un des contraires ne contribue pas à constituer l’autre, mais plutôt à le détruire.» 157

La solution que Thomas d’Aquin propose pour cette première difficulté est intéressante

parce que le nombre y intervient, à titre de non-unique, pris comme tout universel et

pris comme tout intégral ; un tout intégral en voie de devenir parfait ne possède pas

encore sa forme parfaite, forme qui le constitue en une espèce. Et le principe de cette

solution est que, en comparant les deux termes d’une opposition de contraires, il

s’impose de «prendre chacun d’eux selon qu’il possède une forme et non selon qu’il est

une partie de ce qui possède une forme», ce qui exprimé ainsi en deux paragraphes :

156 Même source que la note précédente, traduction du texte latin de Serge Pronovost ; J. P. Rowan

traduit : «1991. Accordingly, even though what is one is prior by nature to what is many, yet in our

knowledge it is defined and gets its na1ne from the privation of division. This is why the Philosopher

says that "what is one is described", i.e., named, "and made known," i.e., understood, "in reference to

its contrary," just as the indivisible is known from the divisible. And for this reason many things are able

to be perceived more easily than one thing; and what is divisible is able to be perceived more easily than

what is indivisible, not in the order of nature but because of sensory perception, which is the foundation

of our knowledge.» : https://archive.org/stream/AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/

Aquinas.CommentaryOnTheMetaphysicsOfAristotleIi#page/n309/mode/2up

157

Même source que la note précédente, traduction du texte latin de Serge Pronovost ; J. P. Rowan

traduit : 1992. But a twofold difficulty arises with regard to those things which the Philosopher is

expounding. The first concerns his statement that one and many are opposed as contraries. For this

appears to be impossible, because unity is the basis of plurality, whereas one of two contraries does not

g r o u n d t h e o t h e r b u t r a t h e r d e s t r o y s i t . https://archive.org/stream/

AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/Aquinas.CommentaryOnTheMetaphysicsOfAristotleIi#page/

n309/mode/2up

75


«1993. Sciendum igitur est, quod cum contraria differant secundum formam, ut infra dicetur, cum

dicimus aliqua esse contraria, accipiendum est utrumque eorum secundum quod habet formam,

non autem secundum quod est pars habentis formam. Corpus enim secundum quod absque anima

accipitur ut formam habens, opponitur animali ut inanimatum animato. Secundum vero quod

accipitur non quasi aliquod perfectum et formatum, non opponitur animali, sed est pars materialis

ipsius. Et sic etiam videmus in numeris. Nam binarius secundum quod est quoddam totum,

speciem et formam determinatam habens, est diversum specie a ternario; si vero consideretur

absque hoc quod sit perfectum per formam, est pars ternarii.» 158

«1993. Il faut donc savoir que, comme les contraires diffèrent selon la forme comme il sera dit plus

loin, lorsque nous disons être en présence de contraires, il s’impose de prendre chacun d’eux

selon qu’il possède une forme et non selon qu’il est une partie de ce qui possède une forme. En

effet, le corps, selon qu’il est pris comme étant sans âme et possédant une forme, s’oppose à

l’animal comme l’inanimé à l’animé. D’un autre côté, selon qu’il s’entend comme n’étant pas

quelque chose de parfait et de formé, alors le corps ne s’oppose pas à l’animal mais il en est

comme une partie matérielle. Et nous observons encore la même chose dans les nombres. Car le

nombre deux, selon qu’il est un certain tout possédant une espèce et une forme déterminée, diffère

par l’espèce du nombre trois ; si par ailleurs on le considère indépendamment de la perfection qu’il

possède par sa forme, alors il est une partie du nombre trois.» 159

«1994. Sic igitur et ipsum unum secundum quod consideratur ut in se perfectum et speciem

quamdam habens, opponitur multitudini; quia quod est unum, non est multa neque e contra. Prout

vero consideratur ut non completum secundum speciem et formam, sic non opponitur multitudini,

sed est pars eius.» 160

«Ainsi donc, l’Un lui-même, selon qu’il est considéré comme parfait en soi et comme ayant une

certaine espèce, est opposé au Multiple ; parce que ce qui est un n’est pas plusieurs, et

réciproquement. Mais, dans la mesure où il est considéré comme n’étant pas complet selon

l’espèce et la forme, alors il ne s’oppose plus à la multitude, mais est une partie de celle-ci.» 161

158

Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

159 Commentary on the Metaphysics : «1993. Hence it must be noted that, since contraries differ

formally, as is said below (888:C 2120), when we say that things are contraries, each of them is to be

taken insofar as it has a form, but not insofar as it is a part of something having a form. For insofar as

body is taken without the soul, as something having a form, it is opposed to animal as the non-living is

opposed to the living. But insofar as it is not taken as something complete and informed, it is not

opposed to animal but is a material part of it. We see that this is likewise true of numbers; for insofar as

the number two is a kind of whole having a determinate species and form, it differs specifically from the

number three; but if it is taken insofar as it is not made complete by a form, it is a part of the number

t h r e e . » : https://archive.org/stream/AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/

Aquinas.CommentaryOnTheMetaphysicsOfAristotleIi#page/n309/mode/2up

160 Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

161

Commentary on the Metaphysics : «1994. Therefore insofar as unity itself is considered to be

complete in itself and to have a certain species, it is opposed to plurality; because what is one is not

many, nor is the reverse true. But insofar as it is considered to be incomplete as regards form and

species, it is not opposed to plurality but is a part of it.» : https://archive.org/stream/

AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/Aquinas.CommentaryOnTheMetaphysicsOfAristotleIi#page/

n309/mode/2up

76


Le principe de cette solution, lorsqu’il concerne «l’Un lui-même» qui est convertible

avec l’étant qui, lui, n’est pas un genre, se prend strictement en une acception selon

laquelle «ce qui est Un n’est pas Plusieurs, et réciproquement». Et, le principe de cette

solution, lorsqu’il concerne «l’Un lui-même» qui est convertible avec l’étant qui, lui, est

multiplié en un multiple d’individus dont chacun d’eux est divisé des autres sans

atteinte à leur indivision respective, se prend en une acception selon laquelle ces

individus ont une espèce.

Thomas d’Aquin aborde ensuite la seconde difficulté, celle qui concerne un cercle dans

la définition de l’Un et du Multiple, cercle qui la vicierait. Ce cercle vicieux rendrait ainsi

impossible de situer l’Un et le Multiple comme termes d’une opposition selon la

contrariété. L’énoncé du problème est donné dans ce paragraphe :

«1995. Secunda autem dubitatio oritur circa hoc quod dicit, quod multitudo est prior ratione quam

unum. Cum enim unum sit de ratione multitudinis, eo quod multitudo non est aliud quam aggregatio

unitatum, si ipsum unum est posterius ratione quam multitudo, sequitur quod in ratione unius et

multitudinis, est quidam circulus; ita quod necesse sit per multitudinem intelligi unitatem, et e

converso. Circulus autem in rationibus rerum non suscipitur, quia esset idem eodem notius et

minus notum, quod est impossibile.» 162

«1995. La deuxième difficulté vient du doute qui naît de ce qu’il dit à propos de la Multitude dont la

notion serait première par rapport à celle de l’Un. Car, comme l’Un fait partie de la notion de

Multitude, puisque la multitude n’est rien d’autre que l’addition d’unités, si l’Un lui-même est

postérieur en notion à la Multitude, il s’ensuit qu’un certain cercle est introduit dans la notion d’Un

et de Multitude , de telle manière qu’il est nécessaire que l’Un soit intelligiblement connu par la

multitude, et réciproquement. Mais, un cercle dans une définition de réalités est insupportable,

parce qu’une même réalité serait à la fois plus connue et moins connue par rapport à une même

autre, ce qui est impossible.» 163

La solution pose que, «dans une multitude, il est possible de considérer soit sa

multiplicité, soit sa division elles-mêmes». Alors, «du point de vue de la division, la

162 Commentaire du traité des métaphysique, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

163

Commentary of the Metaphysics : «1995. The second difficulty has to do with the statement that

plurality is prior in intelligibility to unity; for, since the concept of plurality or multitude involves unity,

because a plurality is nothing else than an aggregate of units, if unity is subsequent in intelligibility to

plurality, it follows that the notions of unity and plurality involve circularity, i.e., in the sense that unity is

intelligible in terms of plurality and vice versa. But circularity of definition is not admissible in designating

the intelligible structures of things, because the same thing would then be known both to a greater and

t o a l e s s e r d e g r e e . T h i s i s i m p o s s i b l e . » : https://archive.org/stream/

AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/Aquinas.CommentaryOnTheMetaphysicsOfAristotleIi#page/

n309/mode/2up

77


Multitude est antérieure en intelligibilité à l’Un ; car, c'est celui qui est indivis» ; mais,

«du point de vue de la multitude, la multitude est subséquemment intelligible à l'Un,

puisque Multitude signifie une addition d’Uns» dont chaque Un est indivis. Et cette

solution est donnée dans ce paragraphe :

«1996. Dicendum igitur quod nihil prohibet aliquid esse prius et posterius eodem secundum

rationem, secundum diversa in eo considerata. In multitudine enim considerari potest, et quod

multitudo est, et ipsa divisio. Ratione igitur divisionis prior est quam unum secundum rationem.

Nam unum est quod non dividitur. Secundum autem quod est multitudo, posterius est uno

secundum rationem, cum multitudo dicatur aggregatio unitatum.» 164

«1996. Il faut donc dire que rien ne prohibe qu’une chose soit considérée comme antérieure et

postérieure à une même autre, mais selon des aspects intelligibles différents considérés dans cette

même chose. Car, dans une multitude, il est possible de considérer soit sa multiplicité, soit sa

division elles-mêmes. Donc, du point de vue de la division, la Multitude est antérieure en

intelligibilité à l’Un ; car, c'est celui qui est indivis. Mais, selon que la Multitude est considérée du

point de vue de la multitude, la multitude est subséquemment intelligible à l'Un, puisque Multitude

signifie une addition d’Uns.» 165

La solution de ces deux difficultés projette d’abord une nouvelle lumière sur la définition

du nombre, pris comme non-unique. Et, elle projette ensuite une nouvelle lumière sur le

τρόπος, sur la logique qu’Aristote emploie pour instruire une solution à la difficulté de

connaître l’être en tant qu’être.

Cette logique, ce τρόπος, est une structure où sont insérés des éléments de solution,

d’abord rassemblés puis assemblés en elle en se conformant à un ordre à suivre, ordre

qui va se révéler être celui-ci : «l’étant est ce qui tombe en premier dans l’intellect, et

ensuite c’est la division ; et après cela, c’est l’Un privé de division, et enfin le Multiple

164 Commentaire du traité des métaphysique, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

165

Commentary of the Metaphysics : «1996. The answer to this difficulty, then, must be that nothing

prevents one and the same thing from being prior and subsequent in intelligibility according to different

traits which are considered in it. For in multitude it is possible to consider both multitude as such and

division itself. Thus from the viewpoint of division multitude is prior in intelligibility to unity; for that is one

which is undivided. But multitude as multitude is subsequent in intelligibility to unity, since a multitude

m e a n s a n a g g r e g a t e o f u n i t s o r o n e s . » : https://archive.org/stream/

AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/Aquinas.CommentaryOnTheMetaphysicsOfAristotleIi#page/

n309/mode/2up

78


qui est constitué d’Uns. Cet ordre, Thomas d’Aquin va le parfaire au De veritate

prolongeant l’affirmation de l’étant jusqu’à l’essence de la quiddité qui exerce l’acte

d’être, ce qui déplace la division du second au troisième rang.

166

en

En arriver à connaître cet ordre est précisément l’objectif qui fut poursuivi dans cette

seconde section, soit celui de saisir comment l’Un qui est convertible avec l’étant est en

quelque sorte au principe du «τρόπος», de la méthode qui convient au traitement de

l’information pertinente à la connaissance de l’être en tant qu’être.

Structure pour l’assemblage des éléments de la solution

À propos du nombre, il convient de rappeler ce qu’Aristote écrit : «[1057a 1] Τὸ δὲ

πλῆθος οἷον γένος ἐστὶ τοῦ ἀριθμοῦ· ἔστι γὰρ ἀριθμὸς πλῆθος ἑνὶ

μετρητόν·»

167

; «Et la pluralité est en quelque sorte le genre du nombre, puisque le

nombre est une multitude mesurée par un.»

168

Ainsi, «ἔστι ἀριθμὸς πλῆθος ἑνὶ

166 Q. 1 Art. 1, traduction par les moines de l’Abbaye Abbaye sainte Madeleine du Barroux : «Or ce que

l’intelligence conçoit en premier comme le plus connu et en quoi il résout toutes les conceptions, est

l’étant, comme dit Avicenne au début de sa Métaphysique. Par conséquent, il est nécessaire que toutes

les autres conceptions de l’intelligence s’entendent par addition à l’étant. (…) Or cela se produit de deux

façons. D’abord, en sorte que le mode exprimé soit un mode spécial de l’étant (…) Ensuite, en sorte que

le mode exprimé soit un mode général accompagnant tout étant ; et ce mode peut être entendu de deux

façons : d’abord comme accompagnant chaque étant en soi, ensuite comme accompagnant un étant

relativement à un autre. (…) Si on l’entend de la première façon, on distingue selon qu’une chose est

exprimée dans l’étant affirmativement ou négativement. Or, on ne trouve rien qui, dit affirmativement et

dans l’absolu, puisse être conçu en tout étant, si ce n’est son essence, d’après laquelle il est dit être ; et

c’est ainsi qu’est donné le nom de « réalité », lequel (…) diffère de ‘étant’ en ce que ‘étant’ est pris de

l’acte d’être, au lieu que le nom de ‘réalité’ exprime la quiddité ou l’essence de l’étant. Quant à la

négation accompagnant tout étant dans l’absolu, c’est l’absence de division, laquelle est exprimée par

le nom de ‘un’ ; l’un n’est rien d’autre, en effet, que l’étant sans division. (…) Si l’on entend le mode de

l’étant de la seconde façon, c’est-à-dire suivant une relation d’une chose à l’autre, alors il peut y avoir

deux cas. Ce peut être d’abord suivant une distinction entre l’une et l’autre ; et c’est ce qu’exprime le

mot aliquid (quelque chose), car on dit aliquid comme si l’on disait aliud quid (quelque autre chose) ;

donc, de même que l’étant est appelé ‘un’ en tant qu’il est indivis en soi, de même il est appelé aliquid

en tant qu’il est distingué des autres. Ce peut être ensuite suivant une convenance d’un étant à un autre

(…) La convenance de l’étant avec l’appétit est donc exprimée par le nom de ‘bien’ – ainsi est-il dit au

début de l’Éthique que ‘le bien est ce que toute chose recherche’. La convenance de l’étant avec

l’intelligence est exprimée, quant à elle, par le nom de ‘vrai’.» : http://docteurangelique.free.fr/

bibliotheque/questionsdisputees/questionsdisputeessurlaverite.htm#_Toc333932555

167

Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/metaphyque10gr.htm#1057a

168

Commentary on the Metaphysics : «And plurality is in a sense the genus of number, since number is

many measured by one.» :https://archive.org/stream/AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/

Aquinas.CommentaryOnTheMetaphysicsOfAristotleIi#page/n333/mode/2up/search/and+plurality

79


μετρητόν» ; le nombre (ἀριθμὸς) est ainsi défini : multitude (πλῆθος) mesurée par l’un

(ἑνὶ μετρητόν).

La solution de la première difficulté explique pourquoi le tout intégral qu’est le nombre

n’acquiert l’être qu’à partir du moment où il atteint la perfection de sa forme comme

espèce, donc sans la praecisio ou avec le «non fiat praecisio». Et, de ce point de vue,

l’Un mesure les étapes de son perfectionnement progressif jusqu’à son

accomplissement spécifique comme être mathématique en tant qu’être. C’est alors que

peut commencer sa considération comme être mathématique en tant que

mathématique, donc avec la praecisio ou avec le «fiat praecisio».

La solution de la seconde difficulté explique pourquoi et en quoi l’Un peut être et est le

principe du nombre. Du point de vue de la division, donc du point de vue du «quant à

nous», la Multitude est antérieure en intelligibilité à l’Un puisqu’on va alors du divis par

rapport à un autre à l’indivis en soi-même. Mais, du point de vue de la multiplicité, donc

du point de vue du «quant à la nature», c’est le Multiple qui suit de l’Un puisque

Multitude signifie une addition d’Uns. Et c’est de ce second point de vue que l’Un est le

principe du nombre.

Il s’ensuit que, du point de vue du «quant à la nature», c’est l’Un comme propriété de

l’étant qui explique ce pourquoi et ce en quoi l’Un est le principe du nombre. Bref, c’est

la métaphysique qui est la philosophie première, et non la mathématique.

Cependant, on se heurte à un nouvelle difficulté qui naît de ce que l’Un et le Multiple

ainsi considérés sont les termes d’une opposition de contrariété. Il existe deux modes

distincts de contraires, ceux qui n’admettent pas d’intermédiaires et ceux qui en

admettent, comme le souligne Aristote dans son traité Catégories :

«[12a 1] Ὅσα δὲ τῶν ἐναντίων τοιαῦτά ἐστιν [13b] ὥστε ἐν οἷς πέφυκε γίγνεσθαι ἢ ὧν

κατηγορεῖται ἀναγκαῖον αὐτῶν θάτερον ὑπάρχειν, τούτων οὐδέν ἐστιν ἀνὰ μέσον· Ὧν δέ

γε μὴ ἀναγκαῖον θάτερον ὑπάρχειν, τούτων ἔστι τι ἀνὰ μέσον πάντως.» 169

169

Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/categories.htm#XI

80


«Toutes les fois que les contraires sont tels que les sujets dans lesquels ils sont naturellement

présents, ou dont ils sont affirmés, doivent nécessairement contenir l’un ou l’autre, il n’y a pas

d’intermédiaire entre eux ; mais s’il s’agit de contraires qui ne sont pas nécessairement contenus

l’un ou l’autre dans le sujet, il y a, dans tous les cas, quelque intermédiaire.» 170

Des contraires exigent l’existence d’un sujet de prédication dont ils peuvent être

prédiqués. Deux situations se présentent : ou bien le sujet doit nécessairement recevoir

l’un des deux contraires, et alors il n’existe aucun intermédiaire entre ces contraires ; ou

bien le sujet ne doit pas nécessairement recevoir l’un des deux contraires, et alors il

existe quelque intermédiaire entre ces contraires. Dans le cas auquel on s’intéresse, les

deux contraires sont l’Un et le Multiple, et le sujet de prédication est l’étant. Or, plus

haut, on a appris que l’étant intrinsèquement indivis (τὸ ἑνὶ ὂν) est fait de deux notions

très voisines que sont la notion d’étant et la notion d’un, et ce, au point où Aristote écrit :

«[1052b 15] Διὸ καὶ τὸ ἑνὶ εἶναι τὸ ἀδιαιρέτῳ ἐστὶν εἶναι, ὅπερ τόδε ὄντι καὶ ἰδίᾳ χωριστῷ ἢ

τόπῳ ἢ εἴδει ἢ διανοίᾳ, ἢ καὶ τὸ ὅλῳ καὶ ἀδιαιρέτῳ.» ;

«C'est là ce qui fait qu'on peut dire qu'être essentiellement Un, c'est être indivisible, c'est être un

objet réel, inséparable, soit à l'égard du lieu, soit à l'égard de la forme, soit par la pensée, soit

même comme formant un tout et un être défini.» 171

Alors, comment un tel étant intrinsèquement indivis (τὸ ἑνὶ ὂν), un tel être indivisible

essentiellement un (τὸ ἑνὶ εἶναι τὸ ἀδιαιρέτῳ ἐστὶν εἶναι) pourrait-il recevoir le

contraire de l’Un, nommé Multiple ? Et, comme on connaît d’expérience l’existence de

plusieurs étants divisés, comment de tels étants divisés pourraient-ils recevoir le

contraire du Multiple, nommé Un ? Il semble donc que la thèse selon laquelle l’Un et le

Multiple sont des contraires prédicables alternativement de l’étant soit en difficulté.

Thomas d’Aquin a bien vu le problème, et il le résout en deux paragraphes.

Dans le premier de ces deux paragraphes, il distingue deux divisions ; d’abord, celle qui

est présupposée connue à l’Un qui est principe du nombre, la division de la quantité

continue, laquelle est une d’un Un dont la rupture donne le nombre ; ensuite, celle qui

est présupposée connue à l’Un qui se convertit avec l’étant, la division que cause la

170 Traduction de Pascale-Dominique Nau : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/complements/

AristoteCategories.htm

171

Remacle, traduction de J. Barthélemy Saint-Hilaire : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/

Aristote/metaphyque10gr.htm#18

81


contradiction, laquelle ne peut venir qu’après l’affirmation de l’étant commun indivis

multiplié en plusieurs étants, une division qui présuppose un Un multipliable multiplié en

acte en un multiple qui, lui, n’est pas encore divisé et qui est un divisible :

«1997. Divisio autem quae praesupponitur ad rationem unius, secundum quod convertitur cum

ente, non est divisio quantitatis continuae, quae praeintelligitur uni quod est principium numeri. Sed

est divisio quam causat contradictio, prout hoc ens et illud, dicuntur divisa, ex eo quod hoc non est

illud.» 172

«1997. Cependant, la division qui est présupposée à la notion de l’Un selon qu’il se convertit avec

l’être n’est pas la division de la quantité continue qui est présupposée connue à l’Un qui est

principe du nombre. Mais il s’agit plutôt de la division que cause la contradiction, dans la mesure

où on dit de cet étant-ci et de cet étant-là qu’ils sont divisés du fait que celui-ci n’est pas celuilà.»

173

Pour bien saisir ce Thomas d’Aquin entend par cette division que cause la

contradiction, laquelle ne peut venir qu’après l’affirmation de l’étant commun indivis

multiplié en plusieurs étants, il convient de lire ce qu’il écrit en deux autres textes.

On se rappelle qu’Aristote déclare que les termes «étant» et «un» désigne une même

nature (φύσις), qu’ils «ne sont séparés ni en génération ni en corruption», qu’ils sont

«associés comme principe et cause», mais que leur notion respective en signifie un

aspect très voisin : «si l'étant et l'unité sont les mêmes et sont une seule nature au sens

où ils sont associés comme principe et cause, ils ne sont pas les mêmes au sens où ils

s'expriment par un concept unique» 174.

172 Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

173 Commentary of the Metaphysics : «1997. Now the division which is implied in the notion of that kind

of unity which is interchangeable with being is not the division of continuous quantity, which is

understood prior to that kind of unity which is the basis of number, but is the division which is caused by

contradiction, inasmuch as two particular beings are said to be divided by reason of the fact that this

being is not that being.» : https://archive.org/stream/AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/

Aquinas.CommentaryOnTheMetaphysicsOfAristotleIi#page/n309/mode/2up

174

Commentary on the Metaphysics : «Now although being and unity are the same and are a single

nature in the sense that they are associated like principle and cause, they are not the same in the sense

that they are expressed by a single concept. Yet it makes no difference even if we consider them to be

the same ; in fact this will rather support our undertaking. For one man and human being and man are

the same thing; and nothing different is expressed by repeating the terms when we say, "This is a human

being, a man, and one man." And it is evident that they are not separated either in generation or in

corruption. The same holds true of what is one. Hence it is evident that any addition to these expresses

the same thing, and that unity is nothing else than being.» : https://archive.org/details/

AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/page/n257

82


Or, Thomas d’Aquin se rappelle de cette thèse lorsqu’il situe l’assertion affirmative

d’une nature commune immédiatement avant l’assertion qu’elle peut se trouver en

plusieurs comme un universel l’est : «Natura communis (…) non potest esse nisi una :

quamvis habentes naturam illam plures possint inveniri.»

175

; «La nature commune (…)

ne peut être qu'une, bien qu'il puisse s'en trouver plusieurs qui possèdent cette

nature.»

176

C’est ainsi que la nature commune qui ne peut être qu’une procure la

mesure selon laquelle «on dit de cet étant-ci et de cet étant-là qu’ils sont divisés du fait

que celui-ci n’est pas celui-là», puisque : «Esse autem, inquantum est esse, non potest

esse diversum : potest autem diversificari per aliquid quod est praeter esse; sicut esse

lapidis est aliud ab esse hominis.»

177

; «Or l'acte d'être, en tant qu'acte d'être, ne peut

être divers, mais il peut être diversifié par quelque chose qui est en dehors de lui. Ainsi

l'acte d'être de la pierre est autre que celui de l’homme.»

178

La connaissance de ces

deux textes, venant du Contra Gentiles, facilite la compréhension du second des deux

paragraphes actuellement sous examen.

Dans le second de ces deux paragraphes, Thomas d’Aquin explique que la division qui

est présupposée connue à l’Un qui se convertit avec l’étant, celle que cause la

contradiction, intervient en second dans l’ordre suivant : l’affirmation de «l’étant

[commun indivis] est ce qui tombe en premier dans l’intellect, et ensuite c’est la

division» qui procure la «mesure» selon laquelle «on dit de cet étant-ci et de cet étant-là

qu’ils sont divisés du fait que celui-ci n’est pas celui-là», ce qui constitue bien une

assertion négative opposée à l’affirmation de «la nature commune» qui «ne peut être

qu’une, bien qu'il puisse s'en trouver plusieurs qui possèdent cette nature». Et, «après

cela, c’est l’Un privé de division, et enfin le Multiple qui est constitué d’Uns» qui

interviennent parce que, «bien que ceux qui sont divisées [en cet étant-ci et en cet

étant-là] soient [ainsi] multipliés en plusieurs, ils n’ont cependant la notion formelle de

175

Contra Gentiles, lib. 2 cap. 52 n. 3 : http://www.corpusthomisticum.org/scg2046.html#24909

176 Somme contre les gentils, traduction des Éditions du Cerf : http://docteurangelique.free.fr/

bibliotheque/sommes/contragentiles.htm

177

178

Contra Gentiles, lib. 2 cap. 52 n. 2 : http://www.corpusthomisticum.org/scg2046.html#24908

Somme contre les gentils, traduction des Éditions du Cerf : http://docteurangelique.free.fr/

bibliotheque/sommes/contragentiles.htm

83


Multiple qu’après que l’Un ait été attribué à celui-ci et à celui-là» ; il s’agit de cet Un

qui, lui, est l’indivis multipliable de «l’étant [affirmé] qui tombe en premier dans

l’intellect» ; et, «après cela», on peut encore «dire que la définition du Multiple dépend

de l’Un selon qu’il est mesurée par l’Un, ce qui appartient déjà à la définition du

nombre» :

«1998. Sic ergo primo in intellectu nostro cadit ens, et deinde divisio; et post hoc unum quod

divisionem privat, et ultimo multitudo quae ex unitatibus constituitur. Nam licet ea quae sunt divisa,

multa sint, non habent tamen rationem multorum, nisi postquam huic et illi attribuitur quod sit unum.

Quamvis etiam nihil prohiberet dici rationem multitudinis dependere ex uno, secundum quod est

mensurata per unum, quod iam ad rationem numeri pertinet.» 179

«1998. Ainsi donc, l’étant est ce qui tombe en premier dans l’intellect, et ensuite c’est la division ; et

après cela, c’est l’Un privé de division, et enfin le Multiple qui est constitué d’Uns. Car, bien que

ceux qui sont divisées soient multiples, ils n’ont cependant la notion formelle de Multiple qu’après

que l’Un ait été attribué à celui-ci et à celui-là. Bien qu’encore rien n’empêcherait de dire que la

définition du multiple dépende de l’un selon qu’elle est mesurée par l’un, ce qui appartient déjà à la

définition du nombre.» 180

Mais, en ce qui concerne la division que «cause la contradiction», ne fut-il pas lu au

numéro 1987 que Thomas d’Aquin disait que l’Un et le Multiple ne sont pas «opposés

comme des contradictoires», ce qui «est évident, puisqu'aucun d'eux ne s'applique au

non-étant», étant donné que «le non-étant n'est ni un ni plusieurs» ? Oui ! Mais, «le

non-étant [qui] n’est ni un ni plusieurs» est le pur non-étant, le simpliciter non ens

non-étant absolu.

181, le

Et l’ordre qui vient d’être révélé, cet ordre à suivre qui tient à la structure, au τρόπος, où

sont insérés des éléments de solution, d’abord rassemblés puis assemblés en elle,

vient de confirmer que : a) l’affirmation de «l’étant est ce qui tombe en premier dans

179 Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de Serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

180 Commentary of the Metaphysics : «1998. Therefore what we first understand is being, and then

division, and next unity, which is the privation of division, and lastly multitude, which is a composite of

units. For even though things which are divided are many, they do not have the formal note of a many

until the fact of being one is attributed to each of the particular things concerned. Yet nothing prevents

us from also saying that the notion of multitude depends on that of unity insofar as multitude is

measured by one; and this already involves the notion of number.» : https://archive.org/stream/

AquinasCommentaryOnTheMetaphysics/Aquinas.CommentaryOnTheMetaphysicsOfAristotleIi#page/

n311/mode/2up

181

In De generatione, lib. 1 l. 8 n. 3 : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/

commentairedelagenerationpret1.htm

84


l’intellect» ; b) vient ensuite «la division» qui résulte, non pas de la négation de «l’étant

qui tombe en premier dans l’intellect», la négation de l’ens commune universel, mais

d’une négation selon laquelle cet étant-ci n’est pas cet étant-là. Et l’explication qui fut

alors donnée tient encore mieux : a) l’étant intrinsèquement indivis (τὸ ἑνὶ ὂν)

n’implique pas une privation absolue (privatio pura) puisque «unum non significat

privationem puram, non enim significat ipsam indivisionem, sed ipsum ens indivisum» ;

b) «l’Un ne signifie pas une privation pure, parce qu’il ne signifie pas l’indivision ellemême,

mais l’étant indivis lui-même». C’est ainsi que l’Un qui est affirmé de l’étant

confirme que l’étant est indivis en lui-même, et ce, malgré la division en plusieurs.

C’est également de cette autre manière qu’on remonte à la racine du principe selon

lequel l’affirmation de l’étant et la négation de l’étant n’admettent aucun intermédiaire

entre elles, principe dit de contradiction, et qu’on remonte à la racine du principe selon

lequel, si l’une est vraie, l’autre est fausse, et ce, sans intermédiaire possible, principe

dit du tiers exclu. En employant le mot «racine», on entend ici signifier le mot «ratio»

que Thomas d’Aquin utilise lorsqu’il écrit :

«720. Circa primum ponit septem rationes: dicens primo, quod sicut contradictoria non possunt

simul esse vera, ita nec potest esse medium inter contradictionem; sed de unoquoque

necessarium est aut affirmare aut negare.» 182

«720. Au sujet du premier point il présente sept raisonnements en disant en premier lieu que, tout

comme les contradictoires ne peuvent être simultanément vraies, de même il ne peut exister un

intermédiaire entre elles; au contraire, sur tout sujet, il est nécessaire soit d’affirmer soit de nier.»

Et c’est enfin et surtout ce pourquoi, selon Aristote, la philosophie de l’être

mathématique n’est pas «toute la philosophie». Il découvre ainsi une philosophie de

l’être en tant qu’être, qui traite aussi de l’être mathématique en tant qu’être, alors que la

mathématique s’occupe de l’être mathématique en tant que mathématique, une

mathématique qui prend son autonomie du fait de la réimposition signifiée avec «en tant

que mathématique». C’est ainsi que, par exemple, on peut lire les définitions suivantes

dans un lexique de mathématique 183 :

182 Commentaire du traité des métaphysiques, traduction de serge Pronovost : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

183

Paul Patenaude et Pierre Mathieu, Scolab Inc. : https://lexique.netmath.ca

85


a) ensemble : collection d’objets distincts ayant une caractéristique commune

(propriété définissante) et appelés éléments de cet ensemble ;

b) élément d’un ensemble : chacun des objets qui constituent un ensemble

donné ;

c) relation d’appartenance : relation entre un objet, appelé élément, et un

ensemble donné ; la relation d’appartenance s’écrit avec un symbole positif ou

négatif, comme suit :

c1) le symbole « ∈ » se lit : «est un élément de» ou «appartient à» ;

c2) le symbole « ∉ » se lit : «n’est pas un élément de» ou «n’appartient

pas à ».

Une comparaison avec ce qui fut écrit plus haut, notamment à propos de la notion de

«τὸ ὅλον» qui signifie le tout, l’entier, l’ensemble, suffit pour entrevoir la diversité que

présente un traitement de l’être mathématique en tant qu’être et un traitement de l’être

mathématique en tant que mathématique.

Si, selon l’être mathématique en tant que mathématique, un ensemble est défini ainsi :

1. collection d’éléments

1.1. caractérisés par une propriété définissante commune,

1.2. tout en étant distincts l’un de l’autre,

1.3. de telle manière qu’ils la constituent par leur commune appartenance,

2. selon l’être mathématique en tant qu’être, on s’interroge :

2.1. sur l’Un que signifie le «sem» dans «ensemble»,

2.1.1. Un qui s’oppose au Multiple signifié par «distincts», et

2.1.2. Un qui est la propriété d’un Étant pertinent, et

2.2. sur cet Étant qui est attribué :

2.2.1. aux éléments selon leur commune appartenance, et

2.2.2. à la collection qui les réunit selon une propriété définissante

commune.

86


CONCLUSION

Dans l’histoire qui fut racontée au point de départ de ce document, il fut évoqué que, au

cours du développement de sa thèse sur l’être en tant qu’être, Aristote entra en

discussion avec ceux qui, déjà à son époque, soutenaient une si radicale

mathématisation qu’ils situaient l’être mathématique au fondement même de tout le

reste : «[992a 30,] Ἀλλὰ γέγονε τὰ μαθήματα τοῖς νῦν ἡ φιλοσοφία, φασκόντων

ἄλλων χάριν αὐτὰ δεῖν πραγματεύεσθαι.»

184; «Mais, les mathématiques sont

devenues, pour les modernes, toute la Philosophie, quoiqu’ils disent qu’on ne devrait

les cultiver qu’en vue du reste.» 185

C’est dans cette conjoncture, fut-il dit, qu’Aristote conçut l’organon qu’il employa dans

Métaphysique, l’ouvrage où il exposa sa découverte de l’être en tant qu’être.

Cet organon , qu’il appelle «τρόπος», était en quelque sorte une méthode pour traiter

l’information pertinente à l’ἐπιστήμη d’une connaissance de l’être en tant qu’être, et ce,

par un intellect-investigateur, soit la raison humaine dont l’autonomie propre est de

chercher à découvrir des raisons (au sens de principe d’explication) :

«Διὸ δεῖ πεπαιδεῦσθαι πῶς ἕκαστα ἀποδεκτέον, ὡς ἄτοπον ἅμα ζητεῖν ἐπιστήμην καὶ

τρόπον ἐπιστήμης· ἔστι δ᾽ οὐδὲ θάτερον ῥᾴδιον λαβεῖν.»

«Il faut donc que nous apprenions avant tout quelle sorte de démonstration (ἀποδεκτέον) convient

à chaque objet particulier ; car il serait absurde de mêler ensemble et la recherche de la science

(ζητεῖν ἐπιστήμην), et celle de sa méthode (τρόπον ἐπιστήμης) : deux choses dont l’acquisition

présente de grandes difficultés.» 186

Rendu au terme de ce document, il s’impose d’admettre que la recherche de la

méthode (τρόπον ἐπιστήμης) pertinente à la recherche de la science (ζητεῖν

ἐπιστήμην) de l’être en tant qu’être est bien une logique «dont l’acquisition présente de

grandes difficultés».

184

Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/metaphysique1.htm

185 Métaphysique, traduction de Pascale-Dominique Nau : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/

complements/Aristotemetaphysiquepascalenau2008.htm — Ces «modernes» sont les platoniciens de

l’Académie, dont Sceucippe est devenu le scolarque après la mort de Platon, le fondateur. Les livres 13

et 14 de Métaphysique contiennent les arguments qu’Aristote élabore à ce propos.

186

Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/metaphysique2pierron.htm ; la

traduction est de Alexis Pierron et Charles Zevort.

87


Il en fut de même pour la production de ce document où il ne s’agissait que de

présenter ce qui caractérise cette logique, à titre de τρόπος adéquat pour résoudre le

difficile problème qui fait obstacle à la connaissance de l’être en tant qu’être. C’est

pourquoi on n’hésitera pas à rappeler cette phrase d’Aristote :

«Ὥσπερ γὰρ τὰ τῶν νυκτερίδων ὄμματα πρὸς τὸ [10] φέγγος ἔχει τὸ μεθ᾽ ἡμέραν, οὕτω καὶ

τῆς ἡμετέρας ψυχῆς ὁ νοῦς πρὸς τὰ τῇ φύσει φανερώτατα πάντων.»

«En effet, de même que les yeux des chauves-souris sont offusqués par la lumière du jour, de

même l'intelligence de notre âme est offusquée par les choses qui portent en elles la plus éclatante

évidence» 187 — # —

187

Métaphysique, traduction de Alexis Pierron et Charles Zevort : http://remacle.org/bloodwolf/

philosophes/Aristote/metaphysique2pierron.htm#02

88



Au cours de la seconde moitié du 4 e siècle avant Jésus-Christ, Aristote découvre l’être

en tant qu’être, qu’il distingue de l’être mathématique et aussi de l’être de nature, l’être

mathématique étant aussi distinct de l’être de nature.

Au cours du développement de sa thèse sur l’être en tant qu’être, Aristote entre en

discussion avec ceux qui, déjà à son époque, soutenaient une si radicale

mathématisation qu’ils situaient l’être mathématique au fondement même de tout le

reste: «[992a 30,] Ἀλλὰ γέγονε τὰ μαθήματα τοῖς νῦν ἡ φιλοσοφία, φασκόντων

ἄλλων χάριν αὐτὰ δεῖν πραγματεύεσθαι.» ; «Mais, les mathématiques sont

devenues, pour les modernes, toute la Philosophie, quoiqu’ils disent qu’on ne devrait

les cultiver qu’en vue du reste.»

C’est dans cette conjoncture qu’Aristote conçoit l’organon qu’il emploie dans

Métaphysique, l’ouvrage où il expose sa découverte de l’être en tant qu’être. Si cette

logique convient à un projet qui embrasse l’être en tant qu’être, ce qui inclus l’être de

nature et l’être mathématique, et ce, dans la mesure où ils sont l’un et l’autre être, en

quoi cette logique se distingue-t-elle, et en quoi consiste ce caractère distinctif ?

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