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DES PETITS PLAISIRS #01

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L’édito<br />

des petits<br />

plaisirs<br />

Jean-Claude Kaufmann<br />

Sociologue / Directeur de Recherche au CNRS<br />

Plus que jamais, les petits plaisirs<br />

sont nécessaires<br />

Les petits plaisirs Confiserie, vus par…<br />

Le Syndicat Français de la Confiserie a interrogé<br />

Jean-Claude Kaufmann, sociologue et Thierry Richard,<br />

bloggeur, sur la place des petits plaisirs du quotidien...<br />

Chacun en convient, l’époque est grise et dure à vivre.<br />

Car tel est le prix à payer de la liberté; la société<br />

d’aujourd’hui est mentalement épuisante pour l’individu.<br />

Car celui-ci, de plus en plus informé et maître de son<br />

existence, est sommé de se prendre en charge et de se<br />

questionner dans tous les domaines. Inlassablement,<br />

nous réfléchissons, nous évaluons, nous choisissons,<br />

choisissons et choisissons encore. Vivre est un combat<br />

permanent.<br />

Régulièrement, des pauses sont donc nécessaires, des<br />

petits repos, des respirations. C’est le deuxième<br />

temps de l’existence, celui du réconfort, avant<br />

de se lancer à nouveau dans la mêlée. Parfois une<br />

simple détente des rythmes, voire un léger laisseraller<br />

régressif. Traîner un peu sous la couette. Mais<br />

parfois aussi une quête plus intense, où s’ajoutent des<br />

plaisirs minuscules, une vibration de bien-être.<br />

Enveloppements extérieurs et caressants (un bon bain<br />

parfumé). Ou secrètes délicatesses intérieures. Les<br />

bonbons et autres douceurs changent pour<br />

quelques instants notre vision du monde. Car,<br />

aussi microscopique soit-il, le plaisir devient alors premier<br />

et envahit l’existence, le stress et la fatigue sont renvoyés<br />

au loin.<br />

Il y a les confiseries. Il suffit alors de se laisser prendre,<br />

d’exister sensuellement par l’explosion<br />

secrète et la douce magie qui coule en<br />

nous. Sans que cette jouissance n’ait<br />

rien de coupable. Et puis il y a celles<br />

qui exigent un léger suçotement ou<br />

une franche mastication. La félicité<br />

est alors moins passive, générée par le contact et les<br />

mouvements intimes, particulièrement efficaces dans une<br />

fonction anti-stress. C’est pourquoi ce type de confiserie<br />

ne se limite pas aux moments plaisir et peut aussi être<br />

utilisé quand l’existence se fait dure et pénible, justement<br />

pour contrecarrer cette dureté.<br />

Encore un mot si vous me permettez. Les bonbons sont<br />

associés à l’univers de l’enfance. Bonheur simple et<br />

évident, douceur joyeuse et candeur colorée d’un monde<br />

encore protégé. Dans le petit plaisir de la confiserie<br />

dégustée, il y a cela aussi. Une sorte de cadeau contre la<br />

fuite du temps : cette part de bonheur ingénu et plein qui<br />

nous vient de l’enfance.<br />

Thierry Richard<br />

Créateur du blog «Chroniques du Plaisir»<br />

http://chroniquesduplaisir.typepad.fr<br />

L’art de la fugue<br />

L’époque a ses têtes. Ses lubies et ses obsessions. La bouche<br />

pleine de mots en «isme¿», de mots en « tion », la tête farcie<br />

de modèles, d’héritages et de supposés progrès. Elle nous<br />

balance en pluie d’encre noire à la Une de ses journaux sa<br />

mondialisation, ses compétitions, ses people en promotion et<br />

renifle bruyamment si l’on détourne la tête. Elle nous abreuve<br />

sur écrans plats de ses faits divers, nous remplit l’oreille<br />

de ses engins communicants, elle nous veut mobiles, disponibles,<br />

efficaces, dociles.<br />

Mais on n’est pas tenu de rentrer dans son jeu. On peut<br />

même, assez facilement, en corriger les règles à son<br />

avantage et prendre les lieux communs du moderne à<br />

rebrousse-poil. Développer une fine stratégie d’échappatoire,<br />

remplir ses tonneaux de poudre d’escampette et y allumer<br />

la mèche. Laisser le siècle s’étourdir de sa propre vitesse et<br />

s’extasier devant sa performance. Et doucement prendre<br />

la tangente. Fuguer.<br />

Car rien n’est plus jouissif, plus délicat et plus entier plaisir<br />

que de s’extraire du monde pour, l’espace d’un instant, d’un<br />

jour ou d’une vie, prendre le temps de se la couler douce.<br />

Ce peut être trois fois rien (ça l’est souvent et c’est toute la<br />

beauté de la chose) mais quel bonheur de s’arrêter pour<br />

enfin ouvrir les yeux sur ces menus plaisirs que la vie nous<br />

offre sans demander de monnaie en retour et que les œillères<br />

du vacarme ambiant nous empêchent le plus souvent de<br />

voir.<br />

Marcher pieds nus dans l’herbe, écouter la radio en voiture,<br />

s’arrêter le nez en l’air et contempler longtemps la course<br />

des nuages, déboucher une bonne bouteille pour cet ami<br />

que l’on n’a pas vu depuis des lustres, ouvrir un livre sous<br />

le tilleul d’un jardin public, laisser courir un regard sur les<br />

jambes d’une femme ou les mains d’un homme, rêvasser<br />

au comptoir le temps du petit noir du matin, cuisiner en<br />

bras de chemise et la cravate sous le tablier, écouter un<br />

disque les fenêtres ouvertes sur un ciel de printemps,<br />

prêter l’oreille au silence et à la pluie, dormir tard, se lever<br />

tôt, ne rien faire du tout…<br />

Et pour qui sait en prendre soin, la vie réserve aussi<br />

quelques unes de ses friandises de l’âme qui apaisent<br />

et cajolent, la mémoire comme les sens. Retrouver dans<br />

un caramel mou tout le goût de l’enfance, dérouler le long<br />

ruban d’un rouleau de réglisse et le glisser entre ses lèvres<br />

par petits bouts, sentir rouler entre ses doigts la petite<br />

poudre blanche des chewing-gums déshabillés, s’oublier<br />

devant le kaléidoscope d’un grand bocal de bonbons à<br />

l’ancienne, la liste est longue de ces délicatesses sucrées.<br />

Alors certes, tout ceci n’a rien d’une grande ambition, et<br />

c’est même voir le monde à travers un trou de souris. Mais<br />

c’est sans doute indispensable. Essentiel, comme une<br />

nouvelle hygiène, l’hygiène des petits plaisirs.

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