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Collectif<br />
ROCOCO<br />
série<br />
Piume è Empiume<br />
ROCOCO SÉRIE<br />
ROMAN COLLECTIF DE LA CORSE<br />
11<br />
<strong>Les</strong> <strong>Salines</strong>,<br />
<strong>la</strong> <strong>salope</strong>,<br />
<strong>la</strong> <strong>mamma</strong><br />
d’après<br />
Karl Boddler dit Boude-l’air<br />
LETTURA<br />
FERME 2 minuti<br />
AL DENTE 3 minuti<br />
FONDANT 6 minuti
642<br />
ROCOCO<br />
série<br />
La soixantaine bien passée,<br />
Ghjuvacchinu Bel<strong>la</strong>ria, un veuf ajaccien<br />
assez opulent, engrosse Elfriede Boddler,<br />
jeune réceptionniste de l’hôtel Helvetica.<br />
Elle donne naissance à Karl, qu’elle élève seule.<br />
Son père, sentant sa fin venir, le reconnaît et trépasse.<br />
À peine sorti de l’adolescence, Karl hérite ainsi – d’un père<br />
qu’il a très peu connu – d’une fortune le mettant à l’abri<br />
du besoin. Il <strong>la</strong> di<strong>la</strong>pide dans une vie frivole et dissolue.<br />
Il porte un regard hautain et désabusé sur son siècle,<br />
sur les autres et sur lui-même. La supériorité n’est jamais<br />
si vive qu’elle semble provenir d’un don du ciel. Quel don,<br />
d’ailleurs ? Qui a tout n’a rien à faire, et a donc du temps<br />
en trop à ne plus savoir qu’en faire. Quelle angoisse !<br />
Qui ne fait rien réussit peu. De quoi peut-il se glorifier ?<br />
De sa déchéance, pourvu qu’elle soit sublime.<br />
Ah ! La vraie révolution que ce retournement !<br />
Paradoxale merveille. « Lindu sia l’affettu foscu. »<br />
KaRl BOddleR dit BOude-l’aiR<br />
<strong>Les</strong> <strong>Salines</strong>, <strong>la</strong> <strong>salope</strong>, <strong>la</strong> <strong>mamma</strong><br />
L’AUTEUR<br />
Ghjuvacchinu Bel<strong>la</strong>ria<br />
n'aimait rien, ce qui, à<br />
Ajaccio et à <strong>la</strong> Belle<br />
époque, restait sans<br />
conséquence puisque<br />
détester en retour qui<br />
n’aime rien c’est lui<br />
donner raison, quand<br />
lui donner tort ne<br />
conduirait qu’à le<br />
détester à raison.<br />
Le fils va passer outre<br />
ce bel équilibre des<br />
ressentiments entre<br />
son père et <strong>la</strong> cité.<br />
Plus que n’aimer rien,<br />
Boddler méprise tout.<br />
Contempteur à <strong>la</strong><br />
mine constipée, aux<br />
idées arrêtées et à <strong>la</strong><br />
critique acerbe, totale,<br />
manifeste, sauvage,<br />
cassante, dogmatique,<br />
radicale, irrévocable,<br />
péremptoire, figée,<br />
ultime et sans appel...<br />
Diampine !<br />
Même pour Ajaccio,<br />
élevé à cet empyrée,<br />
un tel snobisme,<br />
est ahurissant.<br />
Le père avait été<br />
surnommé « Bel-Air »,<br />
ce qui fut pour le fils<br />
décliné en « Boudel’air<br />
» (Va donc faire<br />
un tour à Tattone !)<br />
L’ŒUVRE<br />
• Gros nénés en ptose<br />
• <strong>Les</strong> sœurs du bal<br />
• Mes salons et mes<br />
maisons<br />
• L'ivresse du full<br />
• Traité du goût et de<br />
ceux qui prétendent<br />
Traduction<br />
• <strong>Les</strong> Déboires<br />
extrasanguinaires<br />
(Ed Crapeau)
KaRl BOddleR dit BOude-l’aiR<br />
LES SALINES, LA SALOPE, LA MAMMA<br />
ROCOCO<br />
série<br />
643<br />
les salines<br />
Quand l’évêque bas et lourd annonce <strong>la</strong> débâcle<br />
de mon espoir frétil<strong>la</strong>nt, qui croit à son bon fruit,<br />
et fort gras trublion, insultant le cénacle<br />
ii nous sort un carré plus fort que mes huit ;<br />
Quand l’amer est changé en une boisson timide,<br />
une bibine légère où se prennent les souris,<br />
Qui <strong>la</strong>issent croire dans leur sourire humide<br />
et se tirent au plus vite, en un adieu pourri ;<br />
Quand <strong>la</strong> piste éta<strong>la</strong>nt ses immenses travées<br />
d'une combinaison sûre appelle les bravos,<br />
et qu'un crack annoncé destiné à gagner<br />
Vient soustraire nos billets au fond de nos futaux,<br />
Quand le bar allumé me refuse l’entrée<br />
son patron déplumé me p<strong>la</strong>çant à l’amende,<br />
et qu’un jeune zig ostentatoirement fouraillé<br />
récupère son ardoise en piquant mes allemandes.<br />
des cloches tout à coup sautent avec furie<br />
et <strong>la</strong>ncent vers le ciel un affreux hurlement,<br />
ainsi que des caves puant l’antipathie<br />
Qui exigent de moi un immédiat paiement.<br />
si d’enragés grappil<strong>la</strong>rds, à l’affût de mon fric,<br />
Prétendent longuement mon pognon leur échoir ;<br />
Vaincu, je me retire, épuisé, famélique,<br />
terre brûlée, fauchée, vivant sans arrosoir.
644 ROCOCO série<br />
KaRl BOddleR dit BOude-l’aiR<br />
LES SALINES, LA SALOPE, LA MAMMA<br />
<strong>la</strong> salOPe<br />
ajaccio assourdissante autour de moi hur<strong>la</strong>it.<br />
Grande, brune, junonienne, <strong>la</strong>scive et fastueuse<br />
une femme passa, houle majestueuse,<br />
soulevant, ba<strong>la</strong>nçant haut le téton, le mollet ;<br />
Fière et noble, avec sa cambrure de statue.<br />
Moi, je guettais, tendu comme un priapiste,<br />
<strong>la</strong> promesse subtile d’un dating échangiste<br />
l’amorce d’un projet, d’un p<strong>la</strong>isir, vois-tu.<br />
une main, fort sur mon bras ! – Quasi cruauté<br />
M’arrache à mes idées, me fait soudain mal-être,<br />
Pierre-Paul, à mes côtés, le visage courroucé<br />
tend vers moi un doigt inquisiteur, menaçant, peut-être ?<br />
J'ignore où tu regardes, mais c’est ma cousine !<br />
et toi qui me narguais, riant de ma débine !
KaRl BOddleR dit BOude-l’aiR<br />
LES SALINES, LA SALOPE, LA MAMMA<br />
ROCOCO<br />
série<br />
645<br />
<strong>la</strong> MaMMa<br />
Corse libre, toujours tu chériras ta mère !<br />
ta maman te fait asseoir en premier à table<br />
et elle pourvoit aux besoins de ta fable,<br />
s’il faut un alibi, ou un témoin austère.<br />
tu veilles à garantir l’honneur de son image ;<br />
elle t'embrasse des lèvres et des bras, son sauveur<br />
qui contre le monde entier annihile ses frayeurs<br />
et prend dans <strong>la</strong> colère des accents si sauvages.<br />
Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :<br />
Corse, nul n'a sondé le fond de tes arsenaux ;<br />
Mère, nul ne prévoit tes héritages <strong>la</strong>téraux,<br />
tant vous êtes sûrs de dicter vos décrets!<br />
et pour ce<strong>la</strong>, en des chansons innombrables<br />
Vous vous répondez, par-delà <strong>la</strong> belle-fille,<br />
tant vous préférez à <strong>la</strong> sienne votre famille,<br />
Ô <strong>la</strong>it maternel, ô joies irremp<strong>la</strong>çables!<br />
n Karl Boddler. – <strong>Les</strong> sœurs du bal, œuvres complètes,<br />
édition définitive, précédée d’une notice de Ghjuvanfelice<br />
Cacciamosca et ornée d’un beau portrait du poëte gravé<br />
sur acier. – Paris : À <strong>la</strong> Librairie Nouvelle de Giorgio<br />
Pinzutti Frères Boulevard des Italiens, 1869.