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Yves Goulm-Galerie de portraits

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Simoni<strong>de</strong> <strong>de</strong> Céos<br />

Manteau, chaussures, déposés à l’entrée, Simoni<strong>de</strong>, maître d’Illusion entre en toge,<br />

s’allonger à sa place assignée. Lorsque son tour vient, après jongleurs, danseuses et autres<br />

citharistes, Scopas, son hôte, d’un petit signe <strong>de</strong> la main, l’enjoint à déclamer. Simoni<strong>de</strong>,<br />

premier poète à exiger une rémunération pour composer, entonne alors une o<strong>de</strong> lyrique en<br />

l’honneur <strong>de</strong> Scopas à l’intérieur duquel il glisse un passage glorifiant Castor et Pollux.<br />

Aux applaudissements <strong>de</strong>s convives, Scopas averti l’hagiographe qu’il le rétribuera <strong>de</strong> la<br />

moitié <strong>de</strong> la somme convenue, lui conseillant <strong>de</strong> solliciter le sol<strong>de</strong> auprès <strong>de</strong>s dieux jumeaux<br />

célébrés dans son panégyrique. Ses hymnes et épinicies étaient fort appréciées, mais <strong>de</strong>s<br />

personnages <strong>de</strong> premier rang le battaient froid <strong>de</strong> cette inédite contrainte à payer pour.<br />

Chafouin, Simoni<strong>de</strong> se tait. Plus tard dans le banquet, les libations se succédant, un esclave<br />

l’avertit qu’on le man<strong>de</strong>. Deux jeunes gens désireux <strong>de</strong> lui parler l’atten<strong>de</strong>nt aux portes.<br />

Dans l’espoir d’une comman<strong>de</strong>, il s’empresse. Las, <strong>de</strong>hors, personne. Il marche quelques pas<br />

dans le parc espérant que ses solliciteurs profitent <strong>de</strong>s abords arborés pour flâner tant le<br />

fond <strong>de</strong> l’air est doux.<br />

Soudain, <strong>de</strong>rrière lui, un gigantesque fracas le fait sursauter. La <strong>de</strong>meure <strong>de</strong> Scopas est en<br />

ruine, effacée <strong>de</strong>rrière un épais ri<strong>de</strong>au <strong>de</strong> fumée âcre. Le toit <strong>de</strong> la salle <strong>de</strong> banquet vient <strong>de</strong><br />

s’écrouler sur les noceurs. Dans les décombres, la plupart <strong>de</strong>s victimes seront ini<strong>de</strong>ntifiables.<br />

Atterrées, les familles en quête du corps chéri d’un parent sont désemparées <strong>de</strong>vant les<br />

cadavres si horriblement mutilés.<br />

C’est grâce à Simoni<strong>de</strong> le survivant miraculé qu’elles y parviendront. Il leur indiquera la place<br />

qu’occupait tel ou tel lorsqu’il les quitta, quelques secon<strong>de</strong>s avant le drame. On le remercie,<br />

le louant <strong>de</strong> ce soulagement permettant les funérailles.<br />

Il en sera d’ailleurs triplement payé. Premier salaire : la vie sauve grâce à l’intercession <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux dieux invisibles l’extirpant hors du banquet avant l’effondrement du toit. Second<br />

salaire : la reconnaissance <strong>de</strong> nombreuses hautes familles <strong>de</strong> la cité qui lui vaudront par suite<br />

forces comman<strong>de</strong>s. Troisième salaire : la prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong> forger une technique<br />

capable d’armer l’esprit d’une acuité mémorielle vive d’où découlera l’invention <strong>de</strong> la<br />

mnémotechnie.<br />

L’on dira, écrira, méditera, glosera beaucoup sur Simoni<strong>de</strong>… Il faut dire qu’un poème payé la<br />

moitié <strong>de</strong> son prix qui rétribue finalement trois fois <strong>de</strong> richesses essentielles, n’est pas donné<br />

à toute plume, fût-elle à l’origine <strong>de</strong> nouvelles lettres à l’alphabet enrichissant la palette <strong>de</strong>s<br />

notations écrites.<br />

Pour la plupart, nos poèmes ne seront jamais payés du moindre sou, si ce n’est, pour une<br />

minuscule partie, d’une postérité à laquelle, sans la connaître jamais, nous pouvons<br />

reprocher sa venue tardive pour fleurir nos tombes lors que nous eûmes, en notre temps,<br />

tant besoin <strong>de</strong> garnir nos tables.

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