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La colo - Sophie Luciani

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<strong>La</strong> <strong>colo</strong><br />

Chapitre 1<br />

Pourquoi m’arrive-t-il toujours une tuile avant de partir en <strong>colo</strong> ?<br />

L’année dernière, la veille du départ, j’ai accepté que ma grande sœur Noémie me coupe les<br />

cheveux… Elle voulait me donner un genre plus « stylé ». On a dû filer en douce chez le<br />

coiffeur pour réparer les dégâts et j’ai porté ma casquette toute la première semaine.<br />

Celle d’avant, Marcel, mon vieux chat siamois, est venu marquer son territoire dans ma<br />

valise ouverte. On a dû relaver toutes mes affaires et trouver un nouveau sac en<br />

catastrophe…<br />

Aujourd’hui, rien à signaler. J’ai passé toute la journée chez Marie-Lou Bordier, ma meilleure<br />

amie depuis le CP. J’adore son caractère, elle est toujours de bonne humeur. Comme les<br />

fraises et la crème chantilly, nous sommes différentes mais faites pour être ensemble.<br />

Heureusement, l’année prochaine, nous serons en 6 e dans le même collège.<br />

L’appartement de Marie-Lou se situe juste au-dessus de la boutique dans laquelle travaillent<br />

ses parents. On peut lire sur la belle enseigne dorée « Bordier, charcutiers traiteurs depuis<br />

1936. » J’aimerais rajouter qu’ils sont accueillants, super chaleureux et tous excellents<br />

musiciens. Marie-Lou joue de la harpe et ses frères jumeaux de la trompette. Quant à ses<br />

parents, ils jouent du clairon dans l’orchestre de la fanfare municipale. Dans cette famille, on<br />

écoute de l’opéra toute la journée, on fait claquer les portes et on mange des plats délicieux<br />

comme la choucroute ou la blanquette de veau !<br />

Aucun rapport avec l’atmosphère dans laquelle je vis.<br />

Chez mes parents zen et bio, on boit du thé vert en écoutant le silence ou les bruits d’eau<br />

des fontaines d’intérieur : l’idéal de vie de Marie-Lou.<br />

Je sais bien que j’ai de la chance de pouvoir partir en vacances si tôt ! Mais j’ai toujours le<br />

cœur en vrac de quitter ma meilleure amie.<br />

« On se revoit dans 360 heures… lui dis-je avec une toute petite voix.<br />

- Tu vas tellement me manquer… Heureusement que ta mère m’a demandé de<br />

m’occuper de Marcel ! Grâce à lui, je vais pouvoir me ressourcer chez toi et le temps<br />

passera plus vite. »<br />

Pour en profiter jusqu’au dernier moment, Marie-Lou me raccompagne toujours jusqu’à<br />

chez moi. Pour la remercier et lui tenir compagnie, je la raccompagne ensuite devant chez<br />

elle… Après quinze allers et retours et une dizaine de derniers selfies, on se serre dans les<br />

bras et je rentre seule chez moi.


Dans notre quartier, la plupart des maisons ont les volets clos et les jardins sont remplis de<br />

tables pliantes et de chaises <strong>colo</strong>rées : les vacances viennent à peine de commencer. Demain<br />

à cette heure-ci, je serai arrivée à Ispagnac pour mes deux semaines de <strong>colo</strong>.<br />

Je vais retrouver cet endroit que j’aime tant. Les dortoirs qui sentent le vieux livre, le<br />

réfectoire avec vue sur le grand parc, Paulette, la fabuleuse cuisinière, et Yassine mon mono<br />

préféré. Je devrais être surexcitée mais ça m’ennuie que Noémie ne vienne pas avec moi<br />

cette année. Ma sœur a 13 ans et elle part en immersion dans une famille anglaise : elle<br />

passe ses journées devant son ordinateur et suit un programme pour devenir bilingue.<br />

« Amazing ! Wonderful ! » Madame fait genre elle rêve en anglais… Quelle crâneuse !<br />

Pas le temps de me mettre la rate au court-bouillon comme dirait mamie, j’ai encore des tas<br />

de trucs à faire avant demain.<br />

Je file à toute allure. Mes affaires dansent la zumba dans mon sac-à-dos. Malheureusement,<br />

j’ai laissé la fermeture éclair ouverte… Alors que je saute les trois marches du perron, mon<br />

vieux téléphone s’échappe, s’envole et s’écrase avec fracas sur la dalle en béton.<br />

Son écran est fissuré, on dirait une toile d’araignée, il ne s’allume plus.<br />

Ma sœur qui a tout entendu, ouvre la porte d’entrée et s’accroupit à côté de moi. En voyant<br />

mon visage dépité, elle s’empêche de rire :<br />

« Oh my God, ma pauvre Gabi ! C’est pas demain que tu pars en <strong>colo</strong> ? »<br />

Chapitre 2<br />

« Je vais trouver une solution, t’inquiète. Eclipse-toi discrètement si tu ne veux pas te<br />

faire passer le savon du siècle. »<br />

Noémie, elle travaillera dans la diplomatie internationale. Elle m’aide souvent à me sortir<br />

des situations difficiles.<br />

Pas une minute à perdre, je me faufile dans ma chambre et rassemble les affaires que j’avais<br />

mises de côté pour les quinze prochains jours. « Penser à l’essentiel : mes trois jeans, ma<br />

nouvelle paire de baskets avec les bandes fluo, mon gilet noir et le beige avec des longs<br />

poils, ma trousse de toilette avec mon brillant à lèvres pour la boum… »<br />

Mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir dire à mes parents ? Je n’ai pas voulu le casser, ce<br />

téléphone préhistorique… Eux qui me l’avaient conservé si précieusement… D’un air grave,<br />

ils avaient dit :<br />

« Gabrielle, tu pars seule, sans ta sœur, en <strong>colo</strong>nie. Tu as besoin d’un téléphone pour nous<br />

appeler à tout moment »<br />

C’est clair, mes parents ont oublié qu’ils ont eu mon âge. Comme si ma mère à 11 ans en<br />

pleine veillée, aurait aimé répondre :<br />

« Allo ?! ma cocotte, c’est papa ! tu t’amuses bien ? Les moniteurs sont gentils avec<br />

toi ? Tu t’es fait des copines ? N’oublie pas de bien te laver les dents !


Ridicule.<br />

Pour ce soir, j’enfile mon tee-shirt gris avec les hiéroglyphes, celui que Marie-Lou m’a<br />

rapporté du Caire.<br />

« Papyrus, j’ai trouvé un tee-shirt fait pour toi », m’avait-elle dit.<br />

Mes copines m’ont donné ce surnom à cause de mon teint mat et de mes cheveux bruns,<br />

raides et brillants. « Papyrus », j’adore, c’est exotique ; tout comme moi qui détonne dans<br />

cette famille de vikings. D’ailleurs, mon grand- père me taquine souvent : « Mais d’où sors-tu<br />

toi, petite noisette aux yeux noirs ? Tu es mon échantillon. »<br />

Je me trouve plutôt jolie avec mes deux grains de beauté sur la pommette droite. Faudrait<br />

juste que je prenne quelques centimètres pour avoir l’allure d’une vraie collégienne.<br />

Alors que je boucle ma valise, j’entends la voix chaude de ma tante Martine. Une odeur de<br />

pommes de terre sautées me chatouille les narines. Deux heures sont passées depuis mon<br />

accident de portable et j’en avais presque oublié le fameux dîner, celui que je ne dois louper<br />

sous aucun prétexte.<br />

Le menu, élaboré par ma sœur et moi, ne change jamais : poulet rôti avec ses petites<br />

pommes de terre aux herbes, plateau de fromages et gâteau fondant au chocolat.<br />

Uniquement pour nous faire plaisir, ma mère accepte de faire une terrible exception à son<br />

règlement intérieur.<br />

Ma maman est la meilleure de toutes, je n’en voudrais pas d’autre. Mais elle est<br />

naturopathe et professeur de Qi Quong par-dessus le marché.<br />

Chaque soir, et même pire, deux fois par jour le week-end, ma mère s’extasie sur ses<br />

recettes à base de tofu soyeux, de graines germées, de pain sans gluten et de soupes<br />

vitaminées. Un véritable supplice pour moi qui raffole des saucisses, des pizzas quatre<br />

fromages et des pâtés en croute de Chez Bordier traiteur. Je ne lui avouerai jamais, je ne<br />

veux surtout pas lui faire de la peine.<br />

Elle est tellement joyeuse de prendre soin de nous avec ses repas bonne-santé ; alors je fais<br />

comme si je me régalais. Heureusement pour notre survie, j’ai eu l’idée d’une réserve<br />

secrète pour ma sœur et moi. Avec notre cagnotte réservée à l’achat de gâteaux, de biscuits<br />

apéritif et de chocolats, nous arrivons à manger à notre faim. Je pense que notre père a le<br />

même secret que nous… Il disparaît tous les soirs après avoir fait la vaisselle… Bizarre,<br />

bizarre…<br />

En douce, j’entrouvre la porte de la cuisine. Ma sœur, mes parents et ma tante chuchotent<br />

mais s’interrompent dès qu’ils m’aperçoivent. Ma mère fourre un objet sous un torchon.<br />

Mon père propose un apéritif-maison. Noémie me lance un clin d’œil complice et ma tante<br />

m’ouvre ses bras avec un grand sourire. Bref, quelque chose se trame derrière mon dos…<br />

Le dîner est délicieux et très animé. On se raconte nos projets de l’été : Martine part en Inde<br />

pour un stage de yoga, Noémie présente les membres de sa nouvelle famille anglaise. Mes<br />

parents détaillent les travaux de la maison… Quant à moi, je suis contrariée ; je n’ai pas le<br />

courage d’aborder le sujet du téléphone et Noémie n’en n’a pas touché un mot.


Au dessert, ma tante glisse un paquet rectangulaire près de mon assiette et se penche vers<br />

moi :<br />

« J’ai appris que le talkie-walkie de tes parents avait sauté de ton sac. Tu as de la<br />

chance, j’avais justement un smartphone dont je ne me servais plus.<br />

- Amazing !!! Gabi a un téléphone de l’espace !!! », s’exclame Noémie avec un sourire<br />

malicieux.<br />

Je me sens à la fois excitée et désemparée devant cet objet lisse, sombre et léger. Mes<br />

parents le regardent comme une chose étrange et Noémie les traite de has been.<br />

« Et si on se créait un groupe Whatsoupe ? On pourrait s’envoyer des messages et des<br />

photos de vacances ! S’écrie ma tante avec enthousiasme<br />

- Excellente idée ! s’exclame mon père qui fait genre qu’il s’y connait.<br />

- Hors de question que je trempe mes photos dans la soupe », plaisante ma mère.<br />

Avec ma sœur, on se donne des coups de genoux sous la table pour ne pas éclater de rire.<br />

« Une formation parentale s’impose ! » déclare Noémie avec autorité.<br />

Avant de partir, ma tante me promet de m’envoyer une photo d’elle devant le Taj Mahal et<br />

me glisse à l’oreille :<br />

« J’aimerais être une petite souris pour me cacher dans ta valise et partir avec toi.<br />

J’adorais les <strong>colo</strong>nies de vacances quand j’étais petite ».<br />

Dans mon lit, je fixe le plafond les yeux ouverts. Tout se mélange dans ma tête. Mon départ<br />

en <strong>colo</strong> sans Noémie et ce smartphone super classe…. Terminées les moqueries sur les<br />

grosses touches ou l’antenne radio…. Peut-être même un compte Snap Choute… Faut<br />

absolument que je prévienne Marie-Lou...<br />

Imperturbable, mon gros Marcel enfonce doucement ses pattes dans ma couverture et se<br />

met à ronronner. Cette musique rassurante me berce et dissipe mes pensées. Exactement ce<br />

qu’il me fallait pour m’endormir.<br />

Chapitre 3<br />

Depuis notre rencontre dans le train, nous passons nos journées et nos nuits à rigoler<br />

comme des baleines en folie.<br />

« C’est pas bientôt fini ce bazar ? Si ça continue, je vous change de chambre !! »<br />

Caro la mono pointe sa lampe vers nous. Raides comme des momies de l’Ancienne Égypte,<br />

Anouck et moi osons à peine respirer. Paloma a enfilé son masque de nuit qui ressemble à<br />

une cacahuète aplatie et Fatou, trop peur de glousser, préfère enfouir sa tête sous l’oreiller.<br />

Que l’une d’entre nous se mette à ricaner et c’était parti pour la spirale infernale d’un de nos<br />

fous rires habituels.


Alors ce matin, devant nos tartines beurrées, les yeux gonflés de sommeil, on essaie de se<br />

faire oublier.<br />

Dans ma poche, je sens la vibration de mon téléphone… Quelle nouille ! J’ai oublié de le<br />

laisser dans la chambre. Les téléphones sont confisqués si on les utilise pendant les repas.<br />

Discrètement, je le sors sous la table : je viens de recevoir deux photos de mon groupe<br />

Whatsoupe.<br />

Sur la première, Martine se tient en équilibre sur la tête. Elle a l’air de s’éclater parmi ses<br />

amis yogis. Sur l’autre, ma sœur louche en contemplant son assiette remplie de saucisses et<br />

de petits pois verts fluo. Anouck, qui regarde par-dessus mon épaule, me souffle :<br />

« Je connais Whatssoupe ! Dans ma classe, en 6 e l’année dernière, on s’en servait<br />

pour les devoirs. On devrait se créer un groupe avec les copains de la <strong>colo</strong> !! »<br />

Anouck est en 5 e , elle a un an de plus que moi. Elle en connait un rayon, comme dirait ma<br />

grand-mère. Passionnée d’informatique, c’est une vraie geek : lunaire et un peu foldingue.<br />

Elle pourrait jouer dans un film de science-fiction.<br />

Un grand gaillard aux cheveux noirs bouclés s’arrête devant notre table et se plante en face<br />

de moi :<br />

« Gabounette a oublié de dire bonjour à tonton Yaya !! »<br />

Je connais Yassine l’animateur, depuis que j’ai huit ans. Pour lui, je suis celle qui ne grandira<br />

jamais ; c’est un peu comme si j’avais un grand frère idéal, juste pour la <strong>colo</strong>. Mais quelle<br />

idée de me parler comme ça devant tout le monde… Une chance que nous soyons les<br />

dernières au petit-déjeuner.<br />

Je lui fais un grand et doux sourire pour ne pas le vexer :<br />

« Salut Yassine, si tu ne l’as toujours pas remarqué, je ne suis plus un bébé … Et puis<br />

« Gabounette », c’est pas ouf comme petit nom.<br />

- Tu as raison, tu es une A-D-O maintenant !!! J’ai du mal à m’y faire… Mais tu seras<br />

toujours ma Gabou… Heu, Excuse-moi, ma petite Gabi. »<br />

Chapitre 4<br />

Parfois, les choses arrivent plus facilement qu’on ne se l’imagine.<br />

Il me fallait absolument une photo de Grégoire, je l’avais promis à Marie-Lou. Bien plus facile<br />

à dire qu’à faire… J’ai donc envie de crier de joie quand je découvre la photo tout juste<br />

diffusée sur le groupe <strong>colo</strong> de Whatsoupe !!<br />

Au premier plan, sa canne-à-pêche sous le bras, Grégoire présente son trophée : une<br />

magnifique truite aux écailles brillantes. <strong>La</strong> troupe des pêcheurs l’entoure, ils sont<br />

admiratifs. Grégoire sourit tellement qu’on ne voit plus ses beaux yeux verts dorés.<br />

L’idée d’Anouck est un succès : depuis quelques jours, toute la <strong>colo</strong> partage ses exploits en<br />

photo ou sur de courtes vidéos.


« Beau gosse mais pauvre truite !!… » Marie-Lou a reçu ma précieuse photo.<br />

Quant à moi, je ne me lasse pas de le contempler… À 12 ans, la pêche n’a plus de secret pour<br />

Grégoire. Chaque matin, gonflé d’espoir, muni de sa mallette aux petits casiers remplis<br />

d’hameçons et de montages en tous genres, il part à la rivière avec l’animateur et d’autres<br />

mordus de pêche. Or, depuis une semaine, il revenait bredouille, la mine déconfite… Nous<br />

sommes si contentes pour lui que Fatou s’écrie en se tournant vers moi :<br />

« Faut prévenir Paulette ! Elle préparera un court-bouillon pour ce soir ! »<br />

Je trouverais tous les prétextes pour aller rendre visite à notre cuisinière. Je la connais<br />

depuis ma première <strong>colo</strong>, celle où j’ai découvert ma vocation : devenir Chef ! Au menu du<br />

dîner de bienvenue, resté gravé dans ma mémoire : minestrone, beignets de courgettes et<br />

savarin à la crème fouettée. Un choc, une explosion de saveurs. Ma révélation pour la<br />

cuisine.<br />

Paulette, elle n’est pas commode. D’apparence revêche, l’allure massive et les cheveux gris<br />

coupés courts, elle déambule à chaque repas entre les tables, les mains derrière le dos<br />

: « Quel est le nom de ce légume ? » « Quels épices dans la soupe ? », « Malheur !!<br />

Confondre l’endive et le poireau… Toute une éducation à faire… »<br />

« Je n’ai jamais aussi bien mangé de toute ma vie. » avais-je osé lui dire.<br />

Depuis ce jour, elle me transmet son savoir-faire, « ses tuyaux » et me fait même parfois<br />

mettre la main à la pâte.<br />

Je me faufile dans la cuisine à travers les fourneaux et les armoires métalliques. Sur les<br />

tables, des cagettes pleines de pêches duveteuses et de cerises brillantes. Une odeur<br />

savoureuse d’épices et de crème de vanille me monte au nez. Les étagères débordent de<br />

bocaux de légumes, de boîtes <strong>colo</strong>rées et de paquets de gâteaux de toutes sortes. C’est un<br />

paradis, je pourrais m’y installer.<br />

« Tu tombes à point ! J’avais besoin d’une petite main pour les clafoutis, me dit<br />

Paulette qui sort la tête de sa réserve.<br />

- Oui, oui, bien sûr, je vais t’aider mais j’ai une petite faveur à te demander », lui dis-je<br />

en lui montrant ma photo.<br />

Paulette s’essuie les mains sur son tablier et enfile ses lunettes.<br />

« Voilà, Grégoire a enfin réussi à pêcher une truite et…<br />

- Et toi, tu es un vrai cœur d’artichaut, rétorque-t-elle en souriant.<br />

Elle exagère, je tombe amoureuse facilement c’est vrai, mais cette fois c’est différent.<br />

- Allez s’il-te-plaît Paulette, je dénoyaute toutes les cerises et tu prépares un courtbouillon<br />

comme tu sais faire ?<br />

- Marché conclu », me dit-elle en sortant sa plus grosse marmite.<br />

Quatre kilos de fruits plus tard, je rejoins les copines avec les doigts qui sentent encore la<br />

cerise et le sentiment du devoir accompli.


Chapitre 5<br />

Nos journées sont de véritables tourbillons. Le matin, c’est activités manuelles ou<br />

éducatives. L’après-midi, c’est pour les grands jeux collectifs et le soir, on a veillée. Sans<br />

compter les services que nous devons rendre à tour de rôle à la cuisine ou au réfectoire.<br />

<strong>La</strong> liberté c’est pour le dimanche. On a le droit de se réveiller et de déjeuner à l’heure qu’on<br />

veut. C’est aussi la journée de la distribution des colis reçus pendant la semaine. On se<br />

retrouve tous dans l’herbe pour manger des bonbons et faire des concours de bulles de<br />

chewing-gums. Personnellement, je trouve que mes colis ne font pas rêver. J’y trouve, sans<br />

surprise, de la pâte de datte et des noisettes décortiquées, biologiques bien entendu. Ma<br />

mère pense toujours à moi mais elle oublie que la variété est essentielle dans la vie.<br />

Martin, un bon copain qui n’y connait rien en pâte de datte, a trouvé original que je reçoive<br />

un bloc d’argile marron. Après lui avoir fait goûter, il a tellement aimé que je lui ai échangé<br />

contre deux plaquettes de chocolat fourré au praliné.<br />

Tous les autres matins, je m’entraîne au club échecs. Quant à mes copines, Anouck et Fatou,<br />

elles, ont choisi de s’inscrire au Fablab pour créer des jeux vidéo.<br />

Paloma, c’est différent : elle est amoureuse.<br />

Depuis qu’Alexandre l’a aidée à porter sa valise dans le train, elle passe ses journées à<br />

inventer des stratagèmes pour se rapprocher de lui. Avec son allure de basketteur et sa<br />

grande mèche blonde, Alex est un ado du groupe des 12/14 ans. D’ailleurs, on lui a toutes<br />

dit :<br />

« Arrête de rêver, il a mille ans de plus que toi.<br />

- L’amour n’a rien à voir avec l’âge », avait-elle rétorqué.<br />

Ce matin, Paloma a un nouveau plan :<br />

« Gabrielle, aide-moi ! Supplie-t-elle en se prenant le visage à deux mains. Écoute :<br />

Alex s’est inscrit dans ton groupe pour participer au tournoi d’échecs. Ce qu’on va<br />

faire, c’est que je vais venir avec toi et tu vas m’apprendre à jouer. Enfin… On va faire<br />

comme si ! »<br />

Je ne laisserai jamais tomber une copine en détresse. Même cette foutraque de Paloma… En<br />

fait, j’adore les plans dans lesquels j’ai un rôle majeur à jouer.<br />

J’essaie de la détendre et je lui dis :<br />

« Pas de panique Monique, je gère ! <strong>La</strong>isse-moi partir en éclaireuse, je t’envoie<br />

discrètement un texto dès qu’Alex arrive ».<br />

Je fonce pour arriver bien en avance et choisir le meilleur emplacement.<br />

<strong>La</strong> salle d’échecs sent la librairie et le bois ciré. L’espace y est scrupuleusement organisé : les<br />

petites tables attendent sagement les joueurs et les échiquiers sont déjà prêts. Partout sur<br />

les murs, les photos des grands maîtres nous observent…. J’aime cette ambiance rassurante<br />

et chaleureuse où tout le monde chuchote.


De dos, absorbé dans un exercice de combinaison tactique, Pierre, le prof, sursaute quand je<br />

lui demande :<br />

« Dis Pierre, tu crois que j’ai mes chances pour le tournoi ? »<br />

Avec la chasse au trésor et la boum, le tournoi d’échecs est sur le podium de mes moments<br />

préférés de la <strong>colo</strong>. Rien que d’y penser, j’en ai des frissons.<br />

Avec un petit rire malicieux, Pierre répond :<br />

« Respecte la règle d’or : ne lâche jamais le centre sans te battre comme une lionne et<br />

mets ton roi à l’abri… Et qui sait ? Tu pourrais bien gagner ! »<br />

J’essaierai de m’en rappeler mais pour l’instant, je suis concentrée sur mon opération<br />

espionnage.<br />

Les joueurs emplissent progressivement la salle. Alex arrive enfin, et s’installe face à Pierre,<br />

l’air déterminé. J’attendais ce moment pour choisir la table idéale. Ni trop près, ni trop loin<br />

du basketteur : la discrétion avant tout.<br />

J’envoie mon texto à Paloma : « Tout est sous contrôle. Tu peux venir.»<br />

Quelques minutes plus tard, je l’aperçois qui me cherche du regard. Elle porte un chemisier<br />

blanc à motifs sur un short bleu turquoise. Une vraie publicité pour de la lessive ! Son visage<br />

angélique, ses cheveux lissés… Impossible de se douter qu’il s’agit d’une dingo toujours<br />

partante pour les folies… Elle paraît si sage en terrain inconnu, presque désemparée !<br />

Pour l’instant, elle semble hésiter et observe en avançant prudemment entre les tables de la<br />

salle d’échecs : Quelle comédienne ! Elle cache bien son jeu.<br />

Paloma s’installe en face de moi :<br />

« Ça ne rigole pas ici… Ils ont l’air tellement coincé ! On se marre plus au club<br />

théâtre.<br />

Très impliquée, je lui réponds :<br />

- Notre emplacement est canon ! Tu es pile dans le champ de vision d’Alex !! Il faudrait<br />

juste qu’il relève la tête de l’échiquier…<br />

- Et si je faisais sonner mon téléphone !! Ensuite je ferai celle qui est toute désolée...<br />

- T’es folle! On n’a pas le droit… Pierre confisque tous les portables qui sonnent<br />

pendant les entraînements.<br />

- Je ne savais pas que nous étions en prison… On ne peut même pas se faire un petit<br />

selfie en mode « J’apprends les échecs » ?<br />

Je la trouve vraiment désinvolte et je lui réponds sans cacher mon agacement :<br />

- Tu voulais que je t’apprenne à jouer ? Tu dois faire un petit effort pour te fondre<br />

dans le décor.<br />

- Très bien chef ! me répond Paloma en saluant comme au karaté. Mais je te préviens,<br />

c’est pour de faux !<br />

- Bon, OK. Allons-y. Alors… Les échecs, c’est une bataille entre deux armées : la<br />

blanche et la noire. Le but du jeu, c’est de prendre le Roi de l’autre en respectant<br />

certaines règles.


Paloma n’écoute rien de ce que je lui dis.<br />

- Pour jouer, tu dois toujours placer l’échiquier de la même manière : chaque joueur<br />

doit avoir une case blanche à sa droite.<br />

- Hmm, hmm… Attends, Alex vient de tourner la tête vers moi, c’est bon signe !<br />

chuchote-t-elle.<br />

- Aux échecs, la Dame est la pièce maîtresse : elle fait ce qui lui plaît et peut avancer en<br />

diagonale, tout droit ou sur les côtés…<br />

- Gab, regarde ! » Paloma hoche la tête en direction de la table du prof : on dirait qu’ils<br />

viennent vers nous !<br />

Paloma bat des cils à la vitesse de la lumière. Pierre arrive et prend un ton solennel :<br />

« Gabrielle, voici Alexandre, c’est un adversaire à ta hauteur ! Vous devriez vous<br />

entraîner ensemble avant le tournoi. »<br />

Paloma ouvre des yeux ronds : cette réplique ne faisait pas du tout partie de son script.<br />

« On se retrouve demain matin ? me demande Alex en souriant.<br />

- Heu… bah… ok, d’accord… Bonne idée », je réponds mal à l’aise.<br />

Dès qu’ils se sont éloignés, Paloma se lève à son tour :<br />

« Merci pour la leçon ! Tu as pris mon roi en deux coups ! Toi, en tous cas, tu ne fais<br />

pas semblant », me lance-t-elle en jouant la diva offensée. Puis, elle tourne les talons<br />

et me plante comme une potiche.<br />

« Elle est complètement siphonnée celle-là… Je n’ai rien demandé à personne et je me fiche<br />

complètement de son grand dadais blond…»<br />

Par chance, mon téléphone en silencieux se met à vibrer et j’en profite pour quitter la salle.<br />

« Gabi !! c’est maman, tu vas bien ma jolie ?<br />

- Oui, je suis en pleine forme, on s’éclate bien ici et vous ?<br />

- <strong>La</strong> maison est bien vide sans toi et Noémie… Et puis ta petite voix me manquait !<br />

- Mamounette ! Profite du calme, je rentre dans 10 jours !<br />

- Ne te fais pas de soucis, je tiens le coup ! J’ai terminé mon stage de relaxation avec<br />

les bols tibétains! Une réussite !!! Les participants ont été enchantés par ma<br />

pratique.<br />

- Super ! Et Marcel, il survit sans moi ?<br />

- Il miaule un peu devant ton lit chaque soir, mais il ne fait pas la grève de la faim cette<br />

année !! Tu pourras remercier Marie-Lou qui vient tous les jours lui jouer de la harpe<br />

et lui donner ses croquettes… Tu m’appelles quand tu veux !! Des bisous ma<br />

poulette ! »<br />

Ma mère est une fusée, elle raccroche plus vite que son ombre… Elle sait bien que ce n’est<br />

pas mon truc de raconter mes journées par téléphone.<br />

Après Paloma la tornade, ça me réconforte d’imaginer mon gros Marcel mélomane sur les<br />

genoux de ma meilleure amie, sa cat-sitter.<br />

Marie-Lou mérite bien un rapport détaillé sur l’épisode « plantage aux échecs » et je<br />

m’empresse de lui écrire un long message comme je sais si bien le faire.


Chapitre 6<br />

Cet après-midi, c’est le grand jeu. Avec les filles, nous paressons dans l’herbe en attendant le<br />

signal du départ.<br />

À plat ventre, le menton sur ses mains, Fatou scrute les allers et venues des moniteurs.<br />

« Romance à l’horizon ! Le prof d’échecs s’est discrètement rapproché de Caro. Il lui<br />

sourit avec les yeux doux ! Je savais qu’ils étaient faits l’un pour l’autre… Qui c’est<br />

l’experte ?… »<br />

Fatou se passionne pour l’invention d’histoires d’amour entre animateurs.<br />

Je me demande si elle a repéré le petit manège de Martin, l’intello rigolo qui mange mes<br />

dattes. Il passe ses journées à fixer Anouck qui ne remarque jamais rien.<br />

Pendant ce temps, Paloma se lance ses propres défis. Elle essaie de bronzer les yeux fermés<br />

tout en suivant l’actualité des notifications qu’elle reçoit toutes les secondes.<br />

« Mon secret est de savoir faire plusieurs choses en même temps », nous dit-elle en<br />

gloussant.<br />

Elle a rapidement oublié notre petite fâcherie. Il faut dire qu’elle a bien d’autres chats à<br />

fouetter avec son million d’amis sur Snap choute et ses tutos Touk-Touk.<br />

« Qu’est-ce-que j’y peux, moi, si je suis populaire ? » nous dit-elle en envoyant son<br />

vingtième selfie de la journée sur sa story.<br />

Et hop ! C’est une Paloma embellie, filtrée, bronzée qui surgit sur des centaines d’écrans<br />

d’amis plus ou moins connus.<br />

Quant à moi, je ne lâche plus Anouck d’une semelle depuis que Grégoire est venu lui parler.<br />

« Je t’en supplie Anouck, une dernière fois !! Refais le moi ! Répète- moi ce qu’il t’a<br />

dit !<br />

Anouck lève les yeux au ciel :<br />

- Alors, pour la 154 e et dernière fois : Gabrielle est géniale. Remercie-la pour moi. »<br />

Ses paroles ressemblent au paradis.<br />

Paloma vient mettre son grain de sel :<br />

« Écoute Gabi, je sais que tu ne m’as rien demandé mais tu as vraiment besoin d’un<br />

coach. Le poisson et l’amour, ça ne va pas ensemble… Tu dois être plus glamour, tu<br />

comprends ?<br />

Je me méfie du glamour de Paloma… et j’essaie de me passer de ses services sans la vexer :<br />

- C’est vraiment sympa mais je préfère me débrouiller toute seule ! »<br />

Fatou commence à s’ennuyer ; les moniteurs ont déserté la pelouse pour s’occuper des<br />

derniers préparatifs de la chasse au trésor.<br />

« T’as du bol Paloma ! Tu fais ce que tu veux avec ton portable toi…. Mes parents<br />

sont toujours derrière mon dos avec leur contrôle parental, se lamente-t-elle.<br />

- Te plains pas, je n’ai même pas le droit d’avoir un compte Snap Choute… Ma mère<br />

est terrifiée. Elle m’a dit qu’on pouvait capturer tes photos privées et les publier sur<br />

tous les réseaux sociaux…, ajoute Anouck.


- Ils sont complètement rassis vos parents ou quoi ? Les miens, ils passent presque<br />

plus de temps sur leur téléphone que moi… Alors, ils me laissent une paix royale…. !!!<br />

Moi, ce qui m’intrigue, c’est de savoir comment elle se débrouille pour être aussi populaire :<br />

« Tu les connais vraiment tous tes amis sur Snap ?<br />

- Ma pauvre Gabi, faut sortir le dimanche ! Je n’ai pas envie de les connaître, je veux<br />

seulement en avoir un max pour être encore plus populaire ! Tu sais grâce à mes<br />

tutos, je vais franchir le cap des 12000 abonnés et je serai bientôt influenceuse !<br />

- Tu as de l’ambition dans la vie, plaisante Anouck. Tu ne préfères pas partager des<br />

moments réels avec tes vrais amis ?<br />

- C’est ça, moque-toi… Tous mes abonnés kiffent mes tranches de vie ! Je suis proche<br />

d’eux, je partage mes émotions avec eux… Bientôt les grandes marques me<br />

supplieront de leur faire de la pub.<br />

- Moi aussi je veux plein de flammes et des tonnes d’amis sur Snapchoute ! Montremoi<br />

comment faire !!! », supplie Fatou.<br />

Enfin, les trois coups de sifflets sonnent le rassemblement au pied du châtaignier centenaire.<br />

Nous filons comme Usain Bolt : pas question de louper le top départ de la chasse au trésor !<br />

Je m’approche de la liste punaisée au tronc du vieil arbre. Yassine m’interpelle et me<br />

chuchote : « Tu ne seras pas déçue, c’est moi qui ai constitué les groupes… »<br />

C’est comme si j’étais montée dans un grand huit : Paloma, Anouck, Martin, Grégoire et moi<br />

sommes dans la même équipe.<br />

Chapitre 7<br />

Perché dans l’arbre, un animateur déguisé en archéologue déroule un rouleau de papier<br />

jauni :<br />

« Cette année, vous êtes les aventuriers de la grotte perdue. Par équipe de 5, vous<br />

allez affronter plusieurs épreuves physiques et résoudre des énigmes. Donnez le<br />

meilleur de vous-mêmes, ça en vaudra la peine ! Le trésor est une sortie nocturne<br />

chez le glacier : glaces multi boules et chantilly à volonté. Pour gagner, vous devrez<br />

arriver les premiers de l’autre côté de la rivière. Je vous invite maintenant à prendre<br />

connaissance de vos équipes et lancez-vous dans l’aventure sans plus tarder ! »<br />

Paloma est aux anges. Elle espère gagner de nouveaux abonnés avec son tuto « mon guide<br />

de survie en <strong>colo</strong> ». Chaque jour, elle publie des vidéos et donne des conseils variés du genre<br />

« Comment se faire des amies ultra rapidement ? », « Mes meilleures astuces pour gagner à<br />

la course-en-sac », « Tutos pour être au top à la boum du dernier soir ».<br />

Malheureusement pour les réseaux sociaux, elle fait partie de notre équipe et pour nous,<br />

seule la victoire compte ; on n’a pas l’intention de lui laisser le temps de se mettre en scène.<br />

« Moulte me tarde ! », crions- nous, tous en chœur face à nos adversaires, comme les<br />

chevaliers de Philippe le Hardi.


C’est Martin, le fortiche en histoire du groupe, qui a proposé ce cri de guerre moyenâgeux<br />

pour nous donner du courage. Cette année, on en a bien besoin car les monos ont confondu<br />

chasse au trésor et camp d’entraînement des forces spéciales.<br />

On a d’abord eu droit à un grimpé de corde comme celui pour l’examen des pompiers.<br />

Martin et moi on a souffert, mais Grégoire a assuré - J’ai demandé à Paloma de prendre<br />

quelques photos sans se faire voir. À la course-en-sac et à l’épreuve du garçon de café, on<br />

était au coude-à-coude avec nos poursuivants. C’est quand Anouck nous a sortis du<br />

labyrinthe végétal en un temps record qu’on a commencé à se démarquer !<br />

En sueur, rouges écarlates, nous arrivons en tête pour notre avant-dernière épreuve mais la<br />

deuxième équipe est proche. Maintenant, il s’agit de culture générale. Grégoire déchire<br />

l’enveloppe :<br />

« Trouver l’époque et les auteurs des messages suivants : « Nancy a un torticolis, Les<br />

dés sont sur le tapis, Alex va se coucher dans l’herbe. »<br />

On se regarde tous avec un air ahuri. Ça ne va pas du tout, notre première place est en jeu, il<br />

nous faut vite trouver quelque chose.<br />

« On dirait des répliques dans une série américaine des années 80, suggère Anouck<br />

qui est fan de cette période. Dallas ? Dynastie ? »<br />

Romain, l’animateur, fait une moue expressive.<br />

« Alex va se coucher dans l’herbe ? », répète Paloma les yeux dans le vague.<br />

Voyant notre désarroi, Romain précise :<br />

« En indice supplémentaire, je pourrais ajouter « les carottes sont cuites » à la liste.<br />

Martin bondit sur ses pieds les index pointés vers le ciel :<br />

- Je sais ! Ce sont les messages codés que les résistants s’envoyaient sur la BBC<br />

pendant la deuxième guerre mondiale ! s’écrie-t-il en regardant Anouck droit dans les<br />

yeux.<br />

- Moulte me tarde !!! crions-nous tous le poing sur la poitrine.<br />

- Bravo à vous, répond Romain, je dois reconnaître que vous êtes fortiches. Vous allez<br />

maintenant rejoindre la rivière pour votre dernière épreuve… Bonne chance !<br />

Anouck, qui aime bien me provoquer, s’écrie :<br />

- Plus qu’une épreuve ! Gabi, t’es pas cap de monter à l’arbre et de redescendre en<br />

moins de trois minutes ! Vidéo succès sur Whatsoupe si ça gagne !<br />

- On parie ! Tu sais que j’adore les défis », lui dis-je, sûre de moi.<br />

Mauvais calcul… Je me retrouve perchée sur la 3 e branche du chêne avec un vertige terrible<br />

et je mets un temps infini pour redescendre… Mais je n’ai pas tout perdu ! Grégoire n’a pas<br />

cessé de m’encourager et il m’a même réconforté quand j’ai mis le pied à terre…<br />

Un pont de singe est installé au-dessus de la rivière. On doit marcher en équilibre sur la<br />

corde du dessous et se tenir à celle du dessus pour traverser le cours d’eau d’un bout à<br />

l’autre.<br />

« <strong>La</strong>issez-moi passer la première, j’ai gagné le championnat de slack-line du collège »,<br />

annonce Paloma, plus persuasive que jamais.


En prenant soin de confier son téléphone à Anouck, elle lui demande de filmer sa<br />

performance :<br />

« Cadre bien, et n’hésite pas à zoomer ! C’est de l’adrénaline en barre ! Je vais<br />

encore gagner des dizaines d’abonnés avec ma nouvelle vidéo, dit-elle en s’agrippant<br />

à la corde supérieure. J’entends déjà la musique « jungle » que je vais y coller. »<br />

« Moulte- me tarde !!! », hurlons-nous comme des dingues.<br />

Avec prudence, Paloma commence à progresser au-dessus de la rivière. Je passe derrière<br />

Martin qui n’en mène pas large. Il a tellement peur de tomber qu’il pousse des petits cris<br />

nerveux et ses gesticulations font osciller les cordes. Finalement, personne ne tombe à l’eau<br />

et notre équipe réussit à franchir le cours d’eau. Euphoriques, on se saute tous dans les bras.<br />

Nos poursuivants sont restés empêtrés dans leur dernière épreuve et nous allons décrocher<br />

le gros lot !<br />

Je nous y vois…. Sous le tilleul, en terrasse, tous les cinq attablés devant des coupes en verre<br />

<strong>colo</strong>ré. On savoure des chocolats liégeois, des banana split ou des pêches melba et Grégoire<br />

s’est assis à côté de moi.<br />

Chapitre 8<br />

« Faut que ça balance Gabi, tu vas danser sur Mickael ! », ricane Fatou.<br />

Voilà, j’ai perdu mon pari pendant le grand jeu et je dois inventer une chorégraphie devant<br />

mes trois copines déjà mortes de rire…<br />

Un bonnet de douche enfoncé jusqu’aux sourcils, des charentaises et une vieille chemise de<br />

nuit verte à pois… <strong>La</strong> grande classe.<br />

« Vous êtes sûres que la porte est bien fermée ? Si quelqu’un entre, je meurs d’une<br />

honte intersidérale…, je demande un peu inquiète.<br />

- Te fais pas de bile, la situation est sous contrôle, s’impatiente Anouck<br />

- Silence on tourne !! crie Paloma en braquant son téléphone sur moi.<br />

J’y mets tout mon cœur, je me trémousse en rythme. Je me donne à fond et quand la<br />

musique s’arrête, j’ai oublié ma tenue ridicule.<br />

- C’est dans la boîte ! Tu as été parfaite Gabi, une vraie pro !, s’exclame Fatou.<br />

- On se regarde la vidéo ? C’est encore mieux qu’en vrai !! », se réjouit Paloma.<br />

Elles sont pliées en deux, de vraies hyènes en folie… Je préfère ne pas me regarder : c’est un<br />

supplice de me voir filmée et d’entendre ma voix.<br />

« Bon maintenant ça va ! Paloma, tu supprimes cette vidéo ! ! dis-je agacée.<br />

- Minute papillon, c’est comme si c’était fait… Ce n’est pas mon style de conserver ce<br />

genre de dossier », répond-elle.


Chapitre 9<br />

Je ne pourrai jamais comprendre le proverbe « Le grand plaisir de la vie est dans l’attente »<br />

Celui qui l’a inventé ne sait pas ce que c’est d’attendre le soir de la boum.<br />

Pour mes copines et moi, c’est un véritable supplice et les derniers moments nous semblent<br />

interminables.<br />

Dans une heure, la boum aura commencé et toute cette pression retombera comme un<br />

soufflet. Mais pour l’instant les préparatifs n’en finissent pas… Une longue file d’attente<br />

s’étire devant la salle de bain de notre étage.<br />

Prête parmi les premières, allongée sur mon lit, j’échange des messages avec Marie-Lou :<br />

« Papyrus, tu vas au bal ce soir ?<br />

- Dans une heure… Je suis stressée et j’aimerais que tu sois là… »<br />

Mon écran devient subitement noir. Je n’ai plus de batterie. Conversation terminée. Je suis<br />

en PLS… Je n’aurais jamais le temps de le recharger pour la boum…<br />

« Je mets ma salopette ou ma jupe en jean ? me demande Anouck<br />

- Peu importe, tu vas faire fondre Martin comme neige au soleil…<br />

- Quoi ?? Le petit Martin qui sait tout ?? Tu rigoles, j’espère !!<br />

- Il est transi d’amour pour toi et tu n’as rien remarqué depuis le premier jour!!<br />

- Arrête ! Je ne vais plus oser lui adresser la parole…. Ça m’angoisse…<br />

- Dis Anouck, t’imagine si Grégoire invite à danser une autre fille que moi ?<br />

- T’es sérieuse ? Il était aux petits soins pour toi pendant tout le grand jeu… C’est dans<br />

la poche, Grégoire viendra te chercher dès le premier slow.<br />

- <strong>La</strong> gênance !!!!! Je ne sais pas danser et j’ai peur d’avoir les mains moites.<br />

- Allez ! Pas besoin d’entraînement pour un slow… Les bras autour de son cou, la tête<br />

penchée, les yeux fermés et hop c’est parti sur une musique romantique », me ditelle<br />

en mimant la scène.<br />

Mon cœur s’envole rien que d’y penser.<br />

Les monos n’ont pas lésiné sur la décoration. Le réfectoire est transformé en boîte de nuit,<br />

exactement comme celles des films. Une boule à facettes au plafond, des spots <strong>colo</strong>rés avec<br />

leurs jeux de lumières, une immense piste de danse et un vrai DJ. Derrière sa table de<br />

mixage, Yassine, un casque sur les oreilles, balance la tête en rythme en faisant monter et<br />

descendre les boutons de réglage. Caro, en robe noire, met une touche finale à la<br />

décoration. « Tout est dans la présentation ! », dit-elle en retournant chaque verre dans une<br />

assiette de sucre.<br />

Mes copines et moi avons pris aussi les choses très au sérieux. Nous avons fait l’inventaire<br />

de nos habits pour procéder aux meilleurs échanges. Fatou m’a aidée à faire mon chignon et<br />

Anouck m’a prêté son tee-shirt noir avec écrit « Free and Wild » en lettres dorées.<br />

« Libre et Sauvage ! C’est tout toi Gabi !! dit-elle en rigolant.<br />

Enfin, là tout de suite, je me sens plutôt « stressée et timide » avec des loopings dans le<br />

ventre.


Paloma, pimpante et maquillée, semble comme un poisson dans l’eau. Elle a tout mis par<br />

devant comme dirait ma grand-mère. Sans hésiter, la voilà qui se dirige vers Alex et ses amis.<br />

Personne ne danse pour le moment. Les filles ont plus de mal à cacher leur excitation… Elles<br />

se prennent en photo ou se rassemblent autour du buffet.<br />

« Bonjour la mixité ! commente Anouck en balayant la salle des yeux. Va falloir<br />

envoyer du son pour faire bouger tout ça !! »<br />

Grégoire me fait un petit signe mais ne se déplace pas jusqu’à nous.<br />

Peu à peu, j’ai l’impression désagréable qu’on me regarde par en dessous, qu’on chuchote<br />

en ricanant sur mon passage.<br />

J’essaie de me raisonner quand j’entends :<br />

« Gabi, Gabi !! Fais pas ta timide, on sait que tu es la reine du dance-floor !! », crient<br />

les filles du club théâtre.<br />

Je ne comprends pas tout de suite mais Anouck, l’air désolé, me tend son téléphone. Paloma<br />

a diffusé la vidéo de ma chorégraphie du pari perdu sur le groupe Whatsoupe de la <strong>colo</strong>.<br />

« C’est une blague ? Je suis en train de rêver… Elle n’a pas pu me faire ça… »<br />

Au même moment, sur le fameux morceau de Mickaël Jackson, une bande se lance sur la<br />

piste et m’imite en dansant avec des bonnets de bain. « Fais pas ta timide, viens nous<br />

apprendre à danser Gabrielle ! »<br />

J’observe Paloma. Elle est en train de rire, son téléphone dans la poche arrière. Elle fait<br />

comme si de rien n’était. Je ne peux pas y croire, c’est un cauchemar et je vais me réveiller.<br />

Mais qu’est-ce que je lui ai fait ? Ma colère monte peu à peu et mon cœur se serre de plus<br />

en plus. J’aimerais lui arracher les yeux. Lui casser son téléphone. Mais je reste tétanisée.<br />

Tout le monde me dévisage, je ne me suis jamais sentie autant humiliée. Imaginer Grégoire<br />

devant cette vidéo me fait l’effet d’une décharge d’électrique : je me mets à courir pour<br />

quitter cette salle de malheur. Je fonce tête baissée pour éviter les regards. Je traverse la<br />

piste de danse et bouscule Caro la mono sur mon passage.<br />

J’ai le souffle court, je suis blessée, trahie. Mon cœur va exploser, mes yeux sont baignés de<br />

larmes qui ruissellent sur mes joues. J’ai tellement honte. Je n’ai plus qu’une seule idée :<br />

faire ma valise et prendre le premier train du matin pour Paris.<br />

Dans le couloir obscur qui mène aux chambres, je tombe nez à nez avec Paulette. Je manque<br />

lui rentrer dedans mais elle me barre la route.


Chapitre 10<br />

« Mais qu’est-ce que tu fiches ici dans cet état ? me demande-t-elle en retirant ses<br />

bouchons d’oreilles. Tout ce tapage, ce n’est plus de mon âge…<br />

Je la supplie :<br />

- S’il te plaît, laisse-moi passer, je m’en vais… dis-je en sanglotant.<br />

- Excès de vitesse et délit de fuite par-dessus le marché ! Vous êtes en état<br />

d’arrestation, suivez-moi ! », ordonne Paulette qui joue l’agent de police.<br />

Désemparée, je ne trouve pas la force de lui résister.<br />

<strong>La</strong> Chef m’entraîne dans sa cuisine, ferme la porte à double tours et m’installe à une table<br />

couverte d’une toile cirée à carreaux. En un rien de temps, elle dépose devant moi une<br />

théière fumante de tisane à la fleur d’oranger ainsi qu’une assiette de biscuits aux amandes.<br />

Paulette s’assoit en face de moi et m’enveloppe de son regard si doux.<br />

« Tu étais poursuivie par une horde de loups, c’est bien ça ? me demande-t-elle en<br />

souriant<br />

- Ha, ha ! Très drôle… J’aurais préféré les loups, même des tigres », lui dis-je le nez<br />

dans ma tasse.<br />

<strong>La</strong> cuisinière se rapproche de moi et pose sa grande main chaude et calleuse sur la mienne.<br />

Attendrie par sa gentillesse, je lui raconte tout d’un trait : Paloma, le pari perdu, la vidéo de<br />

ma danse ridicule, la trahison, l’humiliation…<br />

« Tout est fichu, j’aimerais ne plus exister. De toute façon, Grégoire ne voudra plus<br />

jamais me parler.<br />

Ma confidente m’écoute, bouche bée, puis soupire profondément :<br />

- À ton âge, je lui aurais flanqué une bonne rouste à cette Paloma. Rien de tel que de<br />

se crêper le chignon pour remettre les choses à leur place.<br />

- Ok d’accord facile à dire… Je n’aime pas me battre.<br />

- Je te comprends, excuse-moi, c’est toujours si simple de dire ce que l’on aurait fait<br />

après coup. Mais ça ne va pas se passer comme ça, elle va se faire remonter les<br />

bretelles.<br />

- Ça me fait une belle jambe !! Ce que je sais c’est que Paloma fait la star avec<br />

Alexandre au milieu de tous ses amis et moi je vais partir d’ici.<br />

- Sois tranquille, elle ne s’en tirera pas comme ça ! Elle va supprimer la vidéo et te<br />

fournir des excuses.<br />

- Mais c’est trop tard, je m’en contrefiche de ses excuses ! Ce que je veux c’est revenir<br />

en arrière…. Je n’aurais jamais dû accepter ce film. Tout est allé si vite, je n’ai rien<br />

maîtrisé… Je suis au bout de ma vie…<br />

- Au bout de ta vie ?? C’est la meilleure celle-là ! Qu’est-ce que je devrais dire avec<br />

mes 60 ans bien tassés ?


- Mais Paulette, c’est juste une expression… Tu dis ça quand tu te sens vraiment mal.<br />

- Allez, arrête de te monter le bourrichon ma jolie, je viens d’avoir une idée d’enfer ! »<br />

s’enthousiasme Paulette.<br />

Je renifle un grand coup et me fourre un biscuit dans la bouche.<br />

- Cette nuit, tu dors dans ma réserve ! Ce sera ta cachette. Hors de question de te<br />

laisser filer avec ta valise ».<br />

Ni une ni deux, Paulette me fabrique un petit lit de fortune. Elle déplie un lit de camp et file,<br />

en sifflotant, chercher des couvertures dans sa chambre. Elle rafraichit l’oreiller en tapant<br />

dessus et me borde affectueusement.<br />

« J’ai un plan », me glisse-t-elle à l’oreille.<br />

J’entends la clef dans la serrure et la porte qui claque. Je suis désormais toute seule au<br />

milieu des bocaux de petits pois, des sacs de farine et des conserves de pêches au sirop. Je<br />

suis comme dans une cellule, sans portable, complétement coupée du monde extérieur.<br />

L’abondance de nourriture est la seule chose qui me rassure : « Aucun risque de mourir de<br />

faim, parfait pour attendre ici jusqu’au jour du départ ».<br />

Chapitre 11<br />

« Pas mal ta planque ! Mais… Pouah !! Ça sent le vieux poireau ! Allez debout làdedans<br />

! »<br />

Anouck m’apporte mes vêtements, mon téléphone, ma brosse à dents et me tend une<br />

enveloppe avec mon prénom écrit en grosses lettres.<br />

- « Grégoire m’a pris pour le facteur… Il a cru qu’on était au Moyen-âge.<br />

Un peu fébrile, je déchire le papier et y trouve un mot minuscule :<br />

« Je t’ai cherchée partout pour danser avec toi mais je ne t’ai pas trouvée. Grégoire. »<br />

Je relis plusieurs fois. Je me pince en douce pour y croire ! Son écriture…. C’est mille fois<br />

mieux qu’un texto et tellement plus romantique !<br />

Anouck trépigne d’impatience et s’enflamme :<br />

« Tu ne peux pas imaginer tout ce qui s’est passé hier ! Des rebondissements comme<br />

dans les meilleurs films et je m’y connais en cinéma. Alors d’abord, Grégoire et Martin<br />

ont voulu aller casser la gueule de Paloma. « L’honneur de notre amie est en jeu. »<br />

m’ont-ils dit. Je leur ai fait remarquer qu’ils étaient en supériorité numérique et que la<br />

violence ne résoudrait rien.<br />

Anouck reprend sa respiration :<br />

- Nous voilà donc face-à-face avec Paloma qui, sans gêne nous balance « Lâchez- moi<br />

les mioches avec vos histoires de cours de récré ! Moi-même en ce moment, je suis<br />

diffusée sur des millions d’écrans… » Et là tiens-toi bien ! Elle ose : « Gabrielle n’avait<br />

qu’à refuser de se faire filmer. N’empêche que tout le monde s’est marré, vous ne<br />

trouvez pas ? ».<br />

- Mais elle est cinglée ! Elle ment !! Dis-je en serrant les poings.


- Calme- toi… Devine qui a joué les super-héros ?<br />

J’écarquille les yeux, je me creuse la tête.<br />

- <strong>La</strong>isse-tomber, tu ne trouveras jamais : Alexandre le Grand en personne !!! Son<br />

surfeur à la mèche !!! Il s’est pointé devant elle et lui a dit « Trop naze de trahir son amie…<br />

En fait, t’es hyper décevante comme fille… ». Puis il l’a plantée comme ça. Paloma s’est<br />

ratatinée. »<br />

Ce n’est pas mon habitude de me réjouir du malheur des autres… Mais pour une fois, je<br />

savoure.<br />

« Paloma nous a foudroyés du regard. Elle nous a demandé si on voulait sa photo.<br />

Ensuite, elle s'est volatilisée. Elle est partie se coucher et on ne l’a plus revue de<br />

toute la soirée ! s’excite Anouck. Elle se rapproche de moi. T’en fais pas, tout le<br />

monde s’est inquiété pour toi… Sauf les monos et moi !! Grâce au plan de Paulette,<br />

nous étions les seuls au courant de ta cachette ! Il fallait que Paloma et ses amis<br />

soient persuadés de ta disparition. »<br />

Je bouillonne à l’intérieur, je pourrais déplacer des montagnes et je m’écrie :<br />

- J’ai suffisamment moisi ici ! Il est grand temps que j’aille régler mes comptes moimême<br />

!<br />

- Attends ! Je n’ai pas fini !! me retient Anouck. Depuis ce matin, Paloma est<br />

complétement amnésique. Elle s’est réveillée gaie comme un pinson et semble avoir<br />

tout oublié.<br />

- T’inquiète, je vais lui rafraîchir la mémoire ! »<br />

Chapitre 12<br />

J’étais prête. Mes arguments percutants, mes phrases parfaites. J’avais répété et je<br />

connaissais tout par cœur.<br />

Les yeux mouillés, honteuse et silencieuse, Paloma aurait même tenté, dans un timide<br />

murmure : « Je n’aurais pas dû, je suis vraiment désolée... »<br />

Sauf que rien ne s’est passé comme prévu….<br />

Yassine nous a convoquées :<br />

« Gabrielle et Paloma, j’aimerais avoir une petite discussion avec chacune de vous. »<br />

C’est la première fois que je me trouve dans le bureau du directeur. Je m’étais imaginée une<br />

grande pièce solennelle couverte de tapis et garnie de fauteuils confortables…. Je me<br />

retrouve dans une petite salle toute vieillotte et mansardée. Des dossiers poussiéreux<br />

s’entassent sur les étagères, une lucarne laisse timidement pénétrer les rayons du soleil.<br />

Yassine, qui remplace le directeur absent pour quelques jours, s’est enfoncé dans le fauteuil<br />

en cuir marron. Il s’amuse à le faire tourner en regardant son téléphone.<br />

« Mais… C’est que tu as un bon look de vainqueur ! Elles ne t’ont pas loupée tes<br />

copines, dit Yassine en rigolant.<br />

- Merci pour la compassion… Tu pourrais au moins essayer de te mettre à ma place…<br />

- Aucune chance, je ne supporte pas le ridicule, je suis fier comme un coq.<br />

- Si tu m’as convoquée pour te moquer de moi, je n’ai rien à faire ici !<br />

- Je ne plaisante pas Gabou. On ne t’a jamais dit qu’on ne maîtrise plus son image dès<br />

qu’elle se retrouve sur les réseaux sociaux ??!!


- Alors c’est de ma faute si une amie me trahit en balançant ce genre de vidéo à toute<br />

la <strong>colo</strong> ? C’est ça que tu veux dire ?<br />

- Bien sûr que non… Tu dois seulement te poser la question avant « Si ce film est<br />

diffusé, est-ce que ça me gênerait ? ». Dès que tu acceptes d’être filmée avec un<br />

téléphone, tu prends ta part de responsabilité. Tu dois être consciente du risque : ton<br />

film peut se retrouver sur plusieurs réseaux et …<br />

- Et la question de mon humiliation ? À quel moment on la pose ?<br />

- C’est justement mon prochain sujet de discussion avec Paloma. Je vais également lui<br />

apprendre quelques règles de droit. Mais, je trouve vraiment dommage de devoir<br />

supprimer votre compte Whatssoupe de la <strong>colo</strong>… C’était une super bonne idée…<br />

Encore faut-il que tous les utilisateurs se respectent. Dis à Paloma de rentrer dans<br />

quelques minutes.<br />

- Encore merci pour le réconfort », lui dis-je en refermant la porte derrière moi.<br />

Assise sur le banc en face du bureau, Paloma sourit d’un air béat comme si elle était tombée<br />

sur la tête. En me voyant, elle se précipite sur moi et m’attrape par les épaules :<br />

« Gab ! Tu as eu une idée fantastique !! Une fugue ! Ça fait de toi la vedette de la<br />

<strong>colo</strong>. Tu peux me remercier, c’est grâce à moi tout ça !, s’enflamme-t-elle. Mais pourquoi astu<br />

l’air si renfrogné ? Heureusement que je ne suis pas rancunière…<br />

- Rancunière ? J’espère que tu plaisantes ? Tu m’as trahie Paloma.<br />

- Ça va ! Ne monte pas sur ses grands chevaux ! C’était juste pour rire, je suis<br />

vraiment désolée si je t’ai blessée, je ne voulais vraiment pas…. Et puis, je te rappelle que tu<br />

es responsable de ma rupture avec Alex ! »<br />

« Respirer et surtout rester calme. Keep cool Gabrielle ! Paloma est en pleine crise de folie<br />

amnésique. Mieux vaut ne pas la contredire ». C’est ce que dirait ma tante Martine qui a<br />

travaillé à l’hôpital psychiatrique.<br />

Paloma reprend de plus belle :<br />

- « Est-ce que je t’en veux moi ?? C’est de l’histoire ancienne… Je suis passée à autre<br />

chose de bien plus sérieux, me dit-elle en pointant du doigt l’écran de son portable :<br />

le plus beau 3 e de mon collège a pris contact avec moi sur Snapchoute !!!<br />

Elle me met l’écran sous le nez pour que je voie la photo de son nouvel admirateur.<br />

- C’est pour aujourd’hui ou pour demain ? » demande Yassine en ouvrant la porte du<br />

bureau.


Chapitre 13<br />

Ce qui est bien, quand on traverse une épreuve, c’est qu’on en sort plus fort. Je reconnais<br />

que j’ai eu de la chance d’être si bien entourée… J’ai la sensation d’avoir grandi, d’être moins<br />

naïve. Mais surtout Grégoire me regarde toujours avec les mêmes yeux…<br />

Grâce à mes amis, je me sens confiante, prête à remporter la victoire au tournoi d’échecs.<br />

Mais je ne dois pas me reposer sur mes lauriers… Je dois affronter Alexandre le Grand en<br />

finale, et il s’agit d’un redoutable adversaire.<br />

« Papyrus ! Sois prudente ! Ce macédonien est dangereux », m’a écrit Marie-Lou dans<br />

son dernier message.<br />

Celle- là, je l’adore mais elle veut toujours m’en mettre plein la vue avec ses connaissances<br />

historiques… Il faut tout de même reconnaître qu’elle n’a pas tort : Alex réfléchit vite et<br />

maîtrise plusieurs bons coups.<br />

Et puis, j’ai toujours cette question en tête : Pourquoi avait-il pris ma défense le soir de la<br />

boum ? On ne se connait même pas… Je mourrais d’envie de le savoir.<br />

« Ça va ? Pas trop stressée ? me demande-t-il en s’asseyant en face de moi.<br />

- T’inquiète, j’ai l’habitude de gérer la pression. Au fait, merci d’avoir parlé à Paloma<br />

l’autre soir…<br />

- Ah oui… Je ne pouvais pas faire autrement. Un de mes amis a été victime de cyber<br />

harcèlement et il ne peut plus venir au collège… Je n’ai rien fait pour l’aider et je<br />

m’en veux toujours. Désormais, je ne veux plus laisser faire ce genre de choses ».<br />

Tous mes préjugés s’envolent en fumée. Ce garçon, que je prenais pour un crâneur<br />

ordinaire, est sensible, empathique et super fort aux échecs. Le surnom d’Anouck lui va<br />

comme un gant.<br />

Dès le début de la partie, ses paroles résonnent dans ma tête ; je me perds dans mes<br />

pensées... J’imagine l’ami d’Alexandre, seul et cloitré chez lui, je pense à la sortie chez le<br />

glacier ce soir, à la fin de la <strong>colo</strong> et à Grégoire que je vais bientôt quitter…<br />

Alors, quand le tournoi se termine, je suis soulagée et heureuse pour mon adversaire :<br />

Alexandre a remporté le tournoi ! En lui serrant la main, je me dis que, finalement, je lui dois<br />

bien ça !<br />

Je rallume immédiatement mon téléphone pour avertir Marie-Lou et je découvre une photo<br />

envoyée par ma sœur. Noémie, tout sourire, pose dans les bras d’un jeune homme roux en<br />

chemise à carreaux. Comme si ce n’était pas assez clair, une petite légende précise : « Je<br />

vous présente Andrew, mon scottish boy-friend. » On dirait une photo des magazines des<br />

gens royaux qu’on trouve chez les coiffeurs… Ma sœur me manque et j’apprécie de faire la<br />

connaissance d’Andrew le bucheron. En fait, je suis toujours heureuse quand Noémie nage<br />

dans le bonheur. Mais ce que je ne comprends pas, c’est son besoin vital de tout partager<br />

avec nous, sa famille !!<br />

C’est invraisemblable pour moi qui collectionne les secrets. D’ailleurs, la clef du cadenas de<br />

mon journal intime serait encore à mon cou si Marie-Lou ne m’avait pas fait remarquer :<br />

« Papyrus, on rentre au collège maintenant… »<br />

Elle a souvent raison Marie-Lou.<br />

Je suis devenue une vraie ado capable de gérer mes problèmes de <strong>colo</strong> sans Noémie !!


Chapitre 14<br />

J’aime les longues soirées d’été. L’air est doux, la lumière dorée.<br />

Pour notre grand soir, j’ai suivi les conseils de Marie-Lou « Rester soi-même » et « miser sur<br />

des valeurs sûres ». J’ai choisi une chemise rouge qui va bien avec mon teint mat et mon<br />

jean bleu foncé.<br />

Nous partons tous à pieds pour rejoindre le village. Sur le chemin, Martin me retient pour<br />

me parler « en privé ». Je remarque qu’il a forcé sur le parfum et je me moque gentiment de<br />

lui.<br />

- T’as pris une douche à l’eau de Cologne ou quoi ?<br />

- Aaaah, arrête Gabi ! Dis- moi franchement : tu me trouves comment ? », demande-til<br />

l’air inquiet.<br />

Martin porte un pantalon gris et une chemise bleue à fines rayures. Il a sans doute choisi sa<br />

plus belle, celle qu’on met pour une occasion. Il a peigné ses cheveux en arrière avec du gel,<br />

on dirait qu’il se rend à un mariage….<br />

Je le regarde avec des yeux ronds.<br />

« Gabrielle, j’ai besoin d’un conseil.<br />

Ça a l’air sérieux, Martin m’appelle par mon prénom.<br />

- En fait… Est-ce que tu penses que je vais plaire à Anouck ? »<br />

Il est émouvant Martin. Drôle, super cultivé, gentil mais pas le genre d’Anouck. J’essaie de<br />

garder mon sérieux et je le complimente sans trop en faire :<br />

« Elle est cool ta coiffure et… j’adore ta chemise ! Tu devrais juste retrousser les<br />

manches pour faire moins…<br />

- Ouf, je savais que tu avais du goût. Tu sais, Grégoire s’est foutu de moi et m’a dit que<br />

je m’étais habillé pour l’anniversaire de ma grand-mère… Il n’y connait rien celui-là.<br />

Tu peux me rendre un dernier service ?<br />

J’ai envie de rire… Vivement que je m’échappe de ce guet-apens…<br />

- Oui bien sûr, un service rapide, les autres sont déjà loin devant…<br />

- Peux-tu discrètement dire à Anouck que je la trouve plus belle qu’une actrice de<br />

cinéma ?<br />

- Tu peux compter sur moi !<br />

- Je savais que tu ne me laisserais pas tomber ! » se réjouit Martin.<br />

En arrivant dans le centre du village, je remarque que la place de la mairie est bien plus<br />

séduisante qu’en pleine journée. Les terrasses de café ont remplacé le marché, les platanes<br />

sont décorés avec des lampions et un groupe de musiciens installe une batterie et prépare<br />

les instruments. Tout me paraît merveilleux tellement je suis heureuse. Sur le chemin,<br />

Grégoire m’a dit : « Elles sont classes tes baskets, Gabi. »


<strong>La</strong> sortie chez le glacier est une idée de Paulette. Elle habite le village et connait les meilleurs<br />

endroits. Le marchand de glaces, un monsieur jovial et moustachu nous accueille :<br />

« Voilà la fine équipe ! Paulette m’a beaucoup parlé de vous ! Je me présente : moi<br />

c’est Gérard, dit Gégé, le roi des glaciers. Ici vous trouverez tous les parfums de vos<br />

rêves ! Tout est fait maison, vous m’en direz des nouvelles… Faites pas les timides, il y<br />

en a pour tous les goûts, nous dit-il en déposant des cartes géantes sur la table.<br />

Gérard a l’air de drôlement bien apprécier Paulette.<br />

- C’est tout vieux ici… <strong>La</strong> déco est périmée… Même pas de milk-shake… que des<br />

parfums chelou : plombières, malaga…, ronchonne Paloma.<br />

- Ma petite, c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes ! plaisante<br />

Paulette qui a tout entendu. Sache que la plombière est une crème glacée délicieuse<br />

à l’amande et aux fruits confits dans du kirsch… »<br />

Gérard revient avec son petit carnet pour prendre les commandes. Tout le monde a fait son<br />

choix sauf moi.<br />

- « Gabi, il ne reste plus que toi ! Tu as choisi ? demande Yassine<br />

Je ne suis pas dans mon état normal, l’amour ça me coupe l’appétit…<br />

- Ce sera deux boules chocolat noir de Madagascar, s’il-vous-plaît !<br />

- Je vois que mademoiselle Gabi est une connaisseuse… Et pour madame la cuisinière,<br />

une poire belle Pau… heu… Hélène comme d’habitude ?<br />

Paulette, le rose aux joues, lui lance un regard complice.<br />

Les musiciens ont commencé à jouer et Martin ne sait plus quoi dire pour se rendre<br />

intéressant aux yeux d’Anouck :<br />

« Django Reinhartdt !! Du jazz manouche comme j’aime ! Tu viens danser ? »<br />

Anouck est sauvée par les glaces qui viennent juste d’arriver… On dirait des œuvres d’art et<br />

même Paloma s’extasie en frappant des mains :<br />

« Waouh, j’ai bien fait de choisir la coupe Hollywood ! Le top pour mon nouvel<br />

épisode « Comment se trouver dans les meilleurs plans de la <strong>colo</strong> ».<br />

Pendant ce temps, Grégoire a changé de place pour venir s’assoir à côté de moi.<br />

« Tu ne voudrais pas apprendre à pêcher avec moi l’été prochain ? me demande-t-il<br />

avec un sourire dévastateur.<br />

Vais-je réussir à aligner les mots pour lui répondre ?<br />

- Oui… la pêche… bonne idée ! »<br />

Je suis sur le point de m’étrangler avec ma gaufrette mais je ne montre rien.<br />

J’ai vraiment bien fait de croiser les doigts sous la table. D’un coup, me vient une idée pour<br />

immortaliser ce moment magique. Je m’approche de l’amoureux de Paulette et lui tends<br />

mon téléphone.<br />

« Monsieur Gérard, pourriez-vous, s’il-vous-plaît, prendre une photo de notre<br />

groupe ?<br />

- Avec plaisir jeune fille ! J’appuie où ?, demande le patron complètement perdu.<br />

- Je vais vous expliquer », propose Paloma toujours partante pour les multi-médias.


Quelques explications plus tard, Gérard, opérationnel, nous donne des consignes bien<br />

précises.<br />

« Le petit jeune homme bien peigné n’est pas dans le cadre ! », crie Gégé qui prend<br />

son rôle de photographe très au sérieux.<br />

Martin ne se fait pas prier et se rapproche d’Anouck. Il en profite pour lui offrir le petit<br />

parasol en papier de son orange givrée.<br />

« Arrêtez de gesticuler dans tous les sens, je ne vais pas y arriver !, se fâche<br />

gentiment le photographe.<br />

- Paulette ne change rien, tu es magnifique, comme toujours ! »<br />

Soudain, un grand chien aux poils longs très emmêlés surgit entre les jambes de Gérard et<br />

manque de le faire tomber.<br />

« D’Artagnan !! Tu n’as rien à faire ici pendant le service !! Retourne dans ta niche ! »,<br />

gronde Gégé avec autorité.<br />

Le chien baisse ses oreilles et gémit d’un air triste.<br />

« Tu es trop chou toi ! Viens me voir mon bébé! » dit Paloma qui s’accroupit pour se<br />

mettre à sa hauteur.<br />

D’un gigantesque coup de langue affectueux, D’Artagnan inonde le visage de Paloma.<br />

« Mais Ahhh c’est dégoutant ! De la salive de chien !!!!! Pouah !! Au secours ! Je vais<br />

avoir des pustules partout… Vite du désinfectant !! »<br />

Penaud, le pauvre d’Artagnan préfère se réfugier sous la table.<br />

« J’abandonne, je n’en peux plus! Je ne sais même pas s’il y aura une photo<br />

convenable… Je tiens à vous dire que gagner le concours régional de la meilleure<br />

glace est plus facile que vous prendre en photo !! »<br />

Je suis embêtée pour Gérard qui s’est donné tellement de mal.<br />

« Merci beaucoup monsieur Gérard, l’essentiel est d’avoir un souvenir », lui dis-je en<br />

reprenant mon téléphone.<br />

Pauvre Gérard ! Il n’a pris aucune photo mais il a filmé toute la scène avec le baiser de<br />

d’Artagnan….<br />

Grégoire, Anouck et moi ricanons comme des fous. On se repasse en boucle la scène où<br />

notre amie se retrouve les quatre fers en l’air…<br />

Martin ne s’y intéresse pas du tout et cherche à attirer notre attention. Il soupire, tape du<br />

pied en rythme avec la musique et finit par nous secouer par les épaules :<br />

« Je ne vous comprends pas les gars... Perso, je me contrefiche des vidéos sur<br />

Paloma, l’amie des chiens ! C’est notre dernière soirée… et puis j’ai une furieuse<br />

envie de danser… surtout avec toi Anouck !! »<br />

Il a raison Martin. J’ai déjà loupé la boum, ce n’est pas pour passer à côté du bal du village.<br />

Mais avant de les rejoindre sur la piste de danse, je fais un petit détour pour rejoindre<br />

Paloma.<br />

Je la retrouve, désespérée, au milieu d’une montagne de mouchoirs usagés. Elle continue à<br />

se frotter énergiquement les joues et marmonne rageusement devant la glace :<br />

« <strong>La</strong> gale !! Je vais attraper la gale !! C’est dégoutant !! Personne ne l’a dressée cette<br />

bête ? »<br />

En remarquant mon reflet dans le miroir, Paloma me demande :<br />

« Dis-moi franchement, est-ce que je sens encore l’odeur de salive de chien ?<br />

- Pour être franche, tu sens surtout le savon pour les mains. Tiens regarde, j’ai<br />

quelque-chose pour toi. »


Je lui montre la vidéo en entier. Le visage de Paloma se décompose.<br />

- C’est marrant pourtant ? Je ne comprends pas, je croyais que tu avais le sens de<br />

l’humour…<br />

Sans attendre sa réponse, j’appuie sur « supprimer la vidéo » et je confirme mon choix.<br />

Je n’ai plus de temps à perdre et en fonçant retrouver les autres, je lui lance : « Viens danser,<br />

ça fait partie des meilleurs plans de la <strong>colo</strong> !! »<br />

Fin

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