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La domination adulte - L'éducationnisme - Yves Bonnardel

Extrait de La Domination adulte. L'oppression des mineurs d'Yves Bonnardel.

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La Domination adulte

de l’éducation, n’hésitait pas au 17 e siècle à affirmer encore clairement l’objectif de

l’éducation : « Nous sommes généralement assez avisés pour commencer l’éducation

des animaux quand ils sont jeunes, pour les discipliner de bonne heure, si nous voulons

les employer à notre usage 1 . » Depuis cette époque, la nécessité de distinguer

entre humains et autres animaux s’est imposée avec force. Le dressage vise à former

l’animal à tel ou tel comportement spécifique, à tirer de lui un avantage, bref à l’instrumentaliser,

en esclave qu’il est. L’éducation « au contraire » viserait désormais à

former l’enfant, non plus à un rôle d’esclave, mais à l’état d’« humain », d’« homme

libre », à considérer son intérêt supérieur, à le former à sa liberté (future) : il s’agirait,

répètent en chœur tous les pédagogues, de former son sens critique, son autonomie,

son indépendance, ses capacités d’initiative, etc. Former sa personnalité.

Effectivement, un enfant ne serait occupé à rien d’autre, « en grandissant »

que… développer sa personnalité ! À qui veut-on faire croire que « développer sa

personnalité » soit un but en soi ? De toute façon, on sait ce qu’il en est : ce but est

si bien atteint par nos dispositifs éducatifs que les enfants et adolescents, dans leurs

tentatives désespérées de se procurer un semblant d’identité et donc (?) de personnalité,

se trouvent mercantilement canalisés vers des consommations massifiantes.

C’est bel et bien en dépit de leur éducation que des enfants ou des adolescents,

puis des adultes, réussissent à développer un certain sens critique et – bien plus

difficile – une certaine capacité à refuser ce qu’on leur « offre », c’est-à-dire, une

capacité à s’insoumettre réellement.

L’humanité se distingue des autres espèces animales par ses capacités cognitives,

et cette distinction doit à tout prix être cultivée : notre spécisme l’exige,

ainsi que le maintien de notre domination humaine sur les autres êtres sensibles,

sentients. Peut-être est-ce pour respecter cette idée que l’éducation est l’humanisation

que l’apprentissage scolaire (français) est tant centré sur le « développement »

des capacités intellectuelles de l’enfant, elles-mêmes appréhendées comme condition

de sa liberté. On invoque d’ailleurs en permanence la liberté de pensée, la

formation du sens critique, pour justifier le programme. Pourtant, déjà Friedrich

W. Hegel en son temps argumentait que c’est par l’action que nous développons

notre conscience de soi et notre liberté. Max Stirner un peu plus tard ne disait pas

non plus autre chose 2 . Vouloir sans pouvoir n’est que ruine de l’âme. La liberté de

conscience, si elle n’est pas une liberté d’action, n’est que le fantôme de la liberté :

si elle ne peut se développer, elle reste si embryonnaire qu’elle ne saurait faire de

l’ombre à quelque pouvoir que ce soit.

1. J. Locke, Quelques pensées sur l’éducation, op. cit.

2. M. Stirner, « Le faux principe de notre éducation », in De l’Éducation, Spartacus, , févr.-mars

1974.

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DA Bonnardel BI.indb 230 04/11/2019 12:34

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