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La domination adulte - L'éducationnisme - Yves Bonnardel

Extrait de La Domination adulte. L'oppression des mineurs d'Yves Bonnardel.

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L’éducationnisme

« Bien réussir l’éducation dispense d’autant plus de tout attendre du politique

et de son pouvoir », affirme Alain Renaut, qui ajoute : « l’État pourra être d’autant

plus libéral (il pourra d’autant plus se limiter par la reconnaissance de l’indépendance

des individus) que les parents et les maîtres rempliront avec talent leurs

métiers de parents et de maîtres 1 . » Formulé de façon moins positive, on retrouve

la conviction de Michel Foucault selon laquelle plus le projet d’éducation est une

réussite, plus l’éducation parvient à canaliser les désirs et à normaliser les individus,

plus le pouvoir peut se permettre d’être « libéral » ou « démocratique ». La liberté

politique peut être octroyée sans risques à des citoyens formés à ne pas outrepasser

les limites admises. Cela explique fort bien que nos sociétés démocratiques, à la

liberté formelle étendue, reposent sur quelques dix-huit ans de formation en régime

dictatorial et disciplinaire, mâtiné parfois de permissivité libérale. En temps

d’abondance et de paix sociale (les Trente glorieuses, par exemple), l’État pouvait

se permettre d’être d’autant plus libéral que l’emprise éducative s’étendait à tous les

domaines de la vie des mineurs, et même bien au-delà avec le développement des

études post-bac. L’époque actuelle voit se généraliser la mainmise des classes possédantes

sur l’ensemble des ressources mondiales et sur le monde du travail, et nécessite

sans doute de retrouver une éducation plus violente et plus répressive qu’elle

n’était ces dernières décennies. L’éducation aujourd’hui se fonde de nouveau de

plus en plus sur des évaluations et discriminations, de façon à briser dans l’œuf et

à stigmatiser précocement les conduites de rupture, et à tenter en contrepoint de

normaliser la masse des élèves de façon plus contrôlée et approfondie.

Vivre sans éducation

Qu’il s’agisse d’en faire un rouage social, ou bien un « être libre », l’éducation

consiste toujours en un projet sur l’individu. Que ne peut-on laisser les êtres tranquilles,

et refuser de les instrumentaliser, quels que soient les bons projets qu’on

peut nourrir à leur égard ? L’enfer est pavé de bonnes intentions, dit-on. L’éducation

se justifie par le bien de l’éduqué, sa liberté, son autonomie, son humanité, ou que

sais-je encore. Mais en étant un projet sur l’autre, elle ne peut qu’être contraignante,

manipulatoire, instrumentalisante, et du coup méprisante et autoritaire.

Sans domination, il n’y a pas d’éducation. Il y a vie, accompagnements, conflits,

oppositions, convergences, amitiés ou amours, etc. Pas d’éducation.

1. Certes Renaut commente ici Locke, mais il ne fait guère de doute qu’il partage cet objectif.

A. Renaut, op. cit., p. 255.

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DA Bonnardel BI.indb 259 04/11/2019 12:34

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