La domination adulte - L'éducationnisme - Yves Bonnardel
Extrait de La Domination adulte. L'oppression des mineurs d'Yves Bonnardel.
Extrait de La Domination adulte. L'oppression des mineurs d'Yves Bonnardel.
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La Domination adulte
Effectivement, l’institution de la psychiatrie a fort à voir avec celle de l’éducation :
dans les deux systèmes idéologiques/pratiques, les victimes se voient dénier toute capacité
de discernement et on analyse pour elles ce qu’elles veulent « vraiment », ce qui
motive leurs comportements présents et vers quel « état » ultérieur et meilleur il faut
les mener « pour leur bien ». Dans les deux cas, on empêche les décharges émotionnelles
et rend donc malaisée toute réévaluation rationnelle de sa situation ; dans les
deux cas, l’enfermement est au centre du dispositif du contrôle total. Foucault établit
un parallèle constant entre l’histoire des rapports à la folie et aux fous, et celle des
rapports à l’enfance et aux enfants 1 , toutes deux perçues « comme constituant, à l’âge
classique, deux faces d’un même processus d’exclusion, animé par le refoulement de la
singularité au nom de la rationalité établie en tant que norme 2 . » La rationalité ayant
été définie à l’encontre des émotions, les manifestations émotives « déchaînées » liées
aux décharges émotionnelles ont été de plus en plus réprimées puis, depuis la seconde
moitié du siècle dernier, empêchées par les divers psychotropes déployés au service
de la paix sociale : or, si l’on empêche le libre cours des émotions, la pensée se fige
dans des automatismes, et des réactions de destruction ou d’auto-destruction, effort
désespéré ou résignation, occupent tout l’espace mental.
Le désir d’éducation, une menace pour tous
Le désir d’éducation constitue une menace pour tous, au-delà même des seuls
mineurs. Il implique fort logiquement le désir de rééducation. Cette dernière
n’ayant plus bonne presse depuis la guerre froide et la dénonciation des camps de
rééducation des Goulags, des laogais chinois ou des camps des Khmers rouges, et
les adultes de nos contrées bénéficiant de quelques droits fondamentaux, le désir
de rééducation se porte donc sur des populations socialement vulnérables – rendues
vulnérables par l’âgisme, le racisme, la relégation sociale, etc. La façon dont
la presse, les hommes politiques et l’ensemble de la population française ont traité
ce qu’on a appelé les « émeutes des banlieues » de fin 2005 montre bien que les
dizaines de milliers de personnes qui se sont soulevées n’avaient aucun droit à la
parole – n’avaient droit qu’au mépris, au déni et à la répression, qui fut féroce. Près
de 5 000 personnes ont été interpellées, la grande majorité d’entre elles ayant été
jugées en comparution immédiate par une justice d’exception et condamnées pour
un oui ou pour un non à des peines sans précédent. Les déclarations dans la presse
au sujet des émeutiers étaient un constant tissu de contre-vérités, de mensonges,
d’omissions, de déformations 3 .
1. A. Farge, M. Foucault, Le Désordre des familles, Galllimard, 1982.
2. A. Renaut, op. cit., p. 62.
3. Cf. Une Révolte en toute logique. Des banlieues en colère, collectif, L’Archipel des pirates, 2006.
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DA Bonnardel BI.indb 254 04/11/2019 12:34