La domination adulte - L'éducationnisme - Yves Bonnardel
Extrait de La Domination adulte. L'oppression des mineurs d'Yves Bonnardel.
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L’éducationnisme
tion ? La loi, de quel droit 1 ? L’éducation, de quel droit ? La réponse que donnait
Tolstoï s’appliquait bien évidemment tout autant à l’idée d’éducation qu’à celle de
rééducation :
Le droit de donner l’éducation n’existe pas. Par quoi prouvez-vous ce droit ? Vous
supposez le nouveau droit d’un homme à faire des autres hommes ce qu’il veut
qu’ils soient, droit qui pour nous n’existe pas. Prouvez ce droit, mais non par cela
seul que l’abus de pouvoir existe depuis longtemps déjà. La question est ainsi posée
: un homme a-t-il ou non le droit d’éduquer les autres 2 ?
De fait, on n’ose plus guère parler de rééducation, en France, en ce qui concerne
les majeurs. On en parle par contre sans ambages en ce qui concerne les enfants
en « difficulté scolaire » ; cette rééducation, pour le coup, n’est pas censée être
exercée par une violence explicite, parce qu’elle vise à réussir justement là où l’éducation
normale a échoué. C’est qu’il s’agit – au niveau des discours – à la fois de
« restaurer l’estime de soi » (que l’éducation a brisée trop profondément) et de
« rendre l’enfant acteur de ses apprentissages 3 ». De fait, il s’avère que « restaurer
l’estime de soi » de l’enfant n’est qu’un moyen, le but de cette rééducation étant
fondamentalement l’adaptation et l’intégration scolaire : « Une rééducation est un
travail psychique qui s’effectue dans la réalité mentale des enfants. Quel que soit le
problème de l’enfant, il doit pouvoir être résolu pour que l’enfant revienne vers la
norme scolaire 4 . »
Dans les faits, ce qu’on appelle alors rééducation se fonde sur « une gestion
stricte et “non complaisante” des élèves ». Il est certainement fallacieux d’opposer
éducation et rééducation comme le fait ci-dessous Laurent Ott, alors qu’il y a une
continuité de l’une à l’autre ; il n’empêche qu’il a raison de souligner que les différences
de connotations de l’une et de l’autre font sens :
On est ainsi passés d’un registre d’une logique éducative à une logique rééducative
: le régime disciplinaire auquel on soumet l’enfant est aujourd’hui censé
corriger les défauts de son milieu social et de son éducation familiale, et plus particulièrement
pour les pauvres de la société.
L’objectif est assumé de fixer comme objectif prioritaire aux institutions éducatives,
de fournir des « repères » et des « limites » aux enfants de milieux populaires,
des quartiers, issus de l’immigration, au motif supposé que leurs parents ou leur
1. Cf. L. Sala-Molins, La Loi, de quel droit ?, Flammarion, 1993.
2. L. Tolstoï, Œuvres complètes, XIII, Articles pédagogiques, p. 158. Cité par par J.-P. Lepri,
La Fin de l’éducation ?, op. cit., p. 66.
3. C. Busquet, Groupe et rééducation, CAPA-SH option G, session 2005.
4. A. Malik, cité par C. Busquet, op. cit. On peut gager que « restaurer » une trop grande
estime de soi ne mènerait peut-être pas précisément l’enfant « vers la norme scolaire »...
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DA Bonnardel BI.indb 251 04/11/2019 12:34