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La domination adulte - L'éducationnisme - Yves Bonnardel

Extrait de La Domination adulte. L'oppression des mineurs d'Yves Bonnardel.

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La Domination adulte

Jusqu’alors l’éducation était simplement comprise comme « former à un métier

» ; à partir de la Renaissance, il s’agit d’« éduquer à l’Humanité ». Le terme

même « éduquer » apparaît à cette époque.

Alain Renaut récapitule ainsi le fantastique programme éducatif exposé par

Érasme, qui révèle bien l’essence du projet humaniste :

Parce qu’aucune essence ni aucun héritage ne prédéterminent l’homme de façon

irréversible, l’avenir est ouvert et les hommes n’adviennent à l’humanité que par

un travail sur eux-mêmes dont la mise en œuvre requiert triplement l’éducation :

1. Au niveau du corps, l’éducation vise l’affirmation de notre liberté par rapport

à la tyrannie des impulsions non maîtrisées : la discipline, comme éducation du

corps, prévient ainsi l’esclavagisation de l’homme par ses désirs.

2. Au niveau des sentiments, l’institution de l’humain consiste dans l’éducation

de la sensibilité aux arts et aux lettres, à ce que nous appelons la culture, qui nous

libère de l’immédiateté possessive du besoin.

3. Au niveau de l’intelligence enfin, l’instruction, comme éducation au savoir,

libère des opinions et des croyances aveugles qui conduisent au dogmatisme et qui

menacent la raison elle-même, sous la forme illusionnée que stigmatise l’Éloge de

la folie en montrant de quels fanatismes elle peut être la proie.

Dans les trois registres, c’est donc l’éducation qui arrache l’homme à une séduction

de l’immédiateté (du désir, du besoin, de la croyance) qu’Érasme identifie à

la bestialité 1 .

Il s’agit déjà du programme qui sera repris quelques siècles plus tard par les

Lumières avec le succès que l’on sait. Érasme disait : « L’homme ne peut devenir

homme que par l’éducation » ; Kant affirmera plus tard : « Il n’est que ce que l’éducation

fait de lui 2 ». À sa suite, Fichte exposera que « le seul caractère propre de

l’humanité » qui puisse être tenu pour « donné » sera « la capacité d’être formé 3 »,

son éducabilité ou, comme l’aura également souligné Rousseau, « sa perfectibilité ».

Au cours des 17 e et 18 e siècles, on a donc commencé à isoler l’enfant de la vie

commune : pour préserver sa moralité, pour l’éduquer, en lui interdisant telle ou

telle attitude, en lui en prescrivant d’autres. L’optique de l’époque était celle du

redressement, en relation avec le projet constitutif de la modernité : celui d’une

raison soucieuse de maîtriser et de redresser la nature en la soumettant aux normes

1. A. Renaut, op. cit., pp. 195-196.

2. Érasme, De l’éducation des enfants, éd. Klincksieck, p. 41 ; E. Kant, Réflexions sur l’éducation,

(1804), Vrin, 2 e éd., 1974, p. 73 ; cités par A. Renaut, op. cit., p. 192.

3. J. G. Fichte, Fondements du droit naturel, PUF, 1985, p. 55.

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DA Bonnardel BI.indb 224 04/11/2019 12:34

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