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La domination adulte - L'éducationnisme - Yves Bonnardel

Extrait de La Domination adulte. L'oppression des mineurs d'Yves Bonnardel.

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La Domination adulte

règles, que l’éduqué sera amené « de lui-même » à se donner en toute liberté

éducative et pédagogique.

L’insistance sur la définition de l’autonomie héritée de Kant, entendue comme

« capacité à vivre en suivant les règles qu’on s’est fixées » paraît bien étonnante.

Pourquoi définir l’autonomie par le rapport à des règles ? En quoi l’aptitude à se

fixer des règles et les suivre signifie-t-il être « autonome » ? Une plus grande souplesse

de réactions, non enfermées a priori dans un cadre de règles préconçues, ne

pourrait-elle pas par exemple apparaître comme un effet d’une plus grande maturité,

d’une plus grande assurance, d’une plus grande adéquation aux situations,

et finalement d’une plus grande capacité à réagir en intelligence avec son environnement

? Être autonome, ne pourrait-ce pas simplement signifier qu’on sait ce

qu’on veut, indépendamment de quelque règle que ce soit ? Qu’on est simplement

en capacité de dire oui ou non, d’accepter ou de refuser, et, troisième voie plus

essentielle encore, de décider de construire de toutes pièces ce dont on rêve et qui

n’existe pas encore ? En revanche, référer à des règles censées être fixées par chacun,

pose un problème lorsque la société dans son ensemble (c’est-à-dire, relayée par

l’ensemble des sociétaires qui s’en font volontiers les ardents zélateurs) souhaite

« par ailleurs » elle aussi nous faire respecter des règles, nous soumettre à des lois,

nous fixer des limites et des interdits. Après quelque dix-huit ans d’une éducation

sans trêve, il est évident que les règles qu’on est susceptible de se fixer « soi-même »

risquent fort d’avoir beaucoup de liens de parenté avec les règles sociales en vigueur,

fussent-elles les plus imbéciles, les plus immorales et les plus dangereuses. Et

l’expérience quotidienne de la vie sociale la plus commune montre bien par contre

que des capacités qui devraient être la moindre des choses pour s’autoriser à parler

de vie « autonome », comme celle de savoir dire oui ou non de façon raisonnée,

manquent en fait cruellement.

Ainsi, l’« être libre » rêvé par Alain Renaut sera tout à fait capable, une fois passé

sous les fourches caudines de l’éducation, de vivre selon les règles de la société, qu’il

se sera donc lui-même données. Dit autrement : l’« être libre » de Renaut sera tout

à fait incapable, une fois passé sous les fourches caudines de l’éducation, de vivre

selon ses désirs et volontés propres. Dix-huit ans de privation de liberté n’auront

pas été de trop pour faire accepter l’auto-amputation et pour intégrer les réquisits

sociaux comme autant de béquilles existentielles.

Cette notion d’autonomie, si centrale dans la définition de soi de l’adulte,

et si centrale par conséquent dans la notion d’éducation contemporaine, mérite

qu’on s’y attarde un peu : « Pousser les enfants à “devenir autonomes” est l’objectif

principal (qui paraît être des plus légitimes) des institutions de socialisation ou

d’éducation, depuis la propreté jusqu’au premier salaire. La notion d’autonomie

est associée au libre arbitre et à la formation de la personnalité : elle est une étape

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DA Bonnardel BI.indb 246 04/11/2019 12:34

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