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La domination adulte - L'éducationnisme - Yves Bonnardel

Extrait de La Domination adulte. L'oppression des mineurs d'Yves Bonnardel.

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L’éducationnisme

L’instrumentalisation ici est clairement admise et définie : l’éducation vise à la

reproduction de l’ordre social et du « milieu spécial auquel [l’enfant] est particulièrement

destiné ».

Qu’est-ce donc qui est si attachant dans notre ordre social, qu’on souhaite si

aveuglément sacrifier les petits sur son autel ?

En fait, dans la plupart des sociétés, les enfants vivent au milieu des adultes,

avec eux, et intègrent au fil du temps les façons de faire, les normes et les hiérarchies,

à force de simplement partager le quotidien de tous. L’éducation existe bel et

bien, et elle est sans doute aussi fondamentalement critiquable que celle qui sévit

dans nos contrées, mais elle est loin d’avoir pris la dimension totalitaire qui lui a été

donnée dans nos sociétés, et « passe » le plus souvent par les pratiques informelles

de la vie quotidienne. Les interactions entre adultes et enfants restent diversifiées

et ne sont pas tout entières conçues pour réaffirmer l’enfant dans son rôle d’enfant

à éduquer et l’adulte dans son rôle de maître et d’éducateur. Dans nos sociétés, par

contre, « les théoriciens du développement de l’enfant savent depuis longtemps

que la première relation sociale consiste à reconnaître les suggestions de l’autorité

et à s’y plier 1 . » Je l’avais déjà mentionné : une étude de psychologie sociale a mis à

jour qu’au sein d’une famille moyenne, 70 % des adresses verbales d’un adulte vers

un enfant consistent en des ordres ou des requêtes (qui sont les versions édulcorées

de l’ordre). Un tel bombardement autoritaire incessant, des années durant, ne peut

laisser quiconque indemne.

Le contenu fondamental de l’éducation, celui dont on parle le moins, vise à

faire ingurgiter tout le reste : ce n’est rien moins que la soumission. Ci-dessous,

Catherine Baker parle de l’école, mais son propos est extensible sans effort à l’éducation

en soi :

Quels que soient les contenus des programmes, l’enseignement donné répond

à des besoins précis qui n’ont rien à voir avec ce qui semble à première vue « de

notre temps » ou non. On peut bien supprimer un peu plus tôt ou un peu plus

tard l’enseignement de la philosophie, pour ce qu’on en fait ! Car la seule chose

qui importe, c’est ce qui passe à travers n’importe quel programme. Illich dit que

le meilleur enseignant du monde ne peut protéger efficacement ses élèves contre

ce qu’il appelle le « programme occulte de la scolarité ». Ce qui est en cause dans

l’école, c’est ce qu’il y a par exemple de commun entre un cours de physique en première,

et une leçon de gymnastique en classe de C.P. Par ses quatre caractéristiques

(l’enseignement est obligatoire et prend un maximum de temps ; il est donné par

des enseignants patentés ; à une classe d’âge spécifique ; il suit un programme établi),

l’école remplit sa fonction qui est de « conserver », par la sélection, les normes

1. B. Dantier, Textes de méthodologie en sciences sociales, « Organisation sociale et dépendance

hiérarchique : Stanley Milgram, Soumission à l’autorité », http://classiques.uqac.ca/collection_

methodologie/milgram_stanley/org_soc_dependance_hierarchique/texte.html.

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DA Bonnardel BI.indb 243 04/11/2019 12:34

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