La domination adulte - L'éducationnisme - Yves Bonnardel

Extrait de La Domination adulte. L'oppression des mineurs d'Yves Bonnardel. Extrait de La Domination adulte. L'oppression des mineurs d'Yves Bonnardel.

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L’éducationnismeun objectif. Dans l’éducation on trouve toujours un sujet d’éducation et un objetd’éducation, un tirant et un tiré, l’éducateur et l’élève, un haut et un bas.Il souligne que l’éducation est nécessairement une violence : elle définit un« bien de l’enfant » indépendamment de l’enfant lui-même, ce qui en soi constituedéjà une première violence. Elle l’impose ensuite à l’enfant, le cas échéant contresa volonté :L’éducation ne respecte pas les jeunes personnes. Elle se donne le droit de changerles gens. L’éducateur essaie de réprimer des qualités de l’élève qu’il regarde commenégatives, pendant qu’il veut renforcer les qualités « positives ». Il veut décider ceavec quoi l’enfant est en contact. L’éducateur croit qu’il agit dans l’intérêt de l’enfant,de même que les seigneurs coloniaux autrefois aussi croyaient ou affirmaientagir dans l’intérêt des colonisés. [...]Deux moyens d’éducation essentiellement sont à la disposition de l’éducateur : laséduction d’une part (le détournement, la duperie, la corruption, etc.) et le chantaged’autre part, donc l’intimidation par la menace et le fait de causer du tort.L’éducation va à l’encontre de toute forme de relation égalitaire :L’éducation et son arrière-plan théorique « pédagogique » regardent les enfantscomme des objets, comme un matériel humain à former. Cependant les enfantsne sont pas des objets. Les enfants sont des sujets, des êtres vivants autonomescomme toutes les personnes – et cela dès le début. [...] Le fait que des capacitésdéterminées leur fassent encore défaut (la prétendue capacité d’exécution), neconstitue pas un problème fondamental. Si elles sont dans l’incapacité de fairequelque chose, les personnes âgées ne sont pas « élevées » pour autant, mais aucontraire justement on les aide. L’éducation est caractérisée par la manipulation.Dans la pratique, l’éducation signifie souvent que des enfants doivent aller se coucherà un moment choisi par l’éducateur, ne peuvent peut-être pas rencontrercertains amis, doivent dire « merci » et « s’il vous plaît », ne peuvent parler quesur invitation, doivent rendre visite à la grand-mère ; ils doivent manger ensembleavec les parents ou au contraire s’en voient interdits pour des raisons éducatives,ils doivent ranger leur chambre d’après les souhaits de leurs parents, se coiffer,s’habiller d’après le goût des parents et se conduire ainsi que les parents le veulent,afin qu’ils fassent bonne impression à la famille et aux connaissances (le symbolede standing que constitue l’enfant bien élevé). Cette énumération peut être continuéeà volonté. Ce qui est ici décisif, ce n’est pas si ces actions sont rationnelles ounon, mais le fait qu’aucun choix n’est laissé à l’enfant. D’adultes égaux en droitson n’exige pas tout cela, et cela ne viendrait pas à l’idée de l’exiger.Mais pourquoi les parents font-ils tout cela ? Est-ce qu’une vie commune égalitaire,libre d’éducation, ne serait pas pour les deux côtés fondamentalement plusagréable ? La folie éducative conforme de beaucoup de parents trouve son origine237DA Bonnardel BI.indb 237 04/11/2019 12:34

La Domination adulte238dans la supposition que les enfants ont besoin d’’éducation. Aussi répandue cettesupposition soit-elle, elle est fausse. Beaucoup de gens confondent éducation etapprentissage. L’éducation est organisée par l’éducateur. L’apprentissage est aucontraire une activité de l’enfant. Il explore son environnement, prend des informations.L’enfant est le sujet de son apprentissage. Les enfants apprennent – etcela sans qu’on les y contraigne. On ne peut même pas empêcher l’apprentissage,tout au plus peut-on le restreindre, par l’éducation par exemple. Les enfants n’ontpas besoin d’éducation, ils ont besoin d’apprendre ; et ils apprennent aussi sanséducation. Que cela ne soit pas seulement théorique, c’est ce que nous indique lapratique de plusieurs familles, dans lesquelles dès le début les enfants ont grandisans être éduqués.Toute personne laissée libre apprend en faisant – parfois certes en lisant ouen regardant la télévision, mais généralement plutôt simplement en vivant. Ainsi,des enfants auxquels on n’a pas mis la pression pour apprendre à lire, et qu’on n’adonc ni dégoûtés ni découragés, apprendront-ils d’eux-mêmes, sans effort, i-névi-ta-ble-ment1 . Il en va de même de la musique, de la nage, et plus généralementde quoi que ce soit d’utile. Je rappelle ici qu’un très bel ouvrage de John Holt estconsacré à détailler et expliciter les processus d’apprentissage spontané, aussi diverssoient-ils (cela concerne également les apprentissages de type scolaire) 2 . Ces modesd’apprentissages étaient la règle avant que ne s’impose l’éducation.Non seulement l’éducation nuit à un réel apprentissage, mais la principale inculcationqui en résulte, outre la soumission... est justement l’idée que l’éducationest nécessaire :Naturellement des enfants apprennent aussi avec l’éducation. Ce qu’ils apprennentainsi avant toute autre chose, ce sont les règles de l’éducation : que les enfantsdoivent faire ce qu’on leur dit. Qu’en cas de conflit, ce qui compte ce n’est pasce que l’enfant veut ou pense, mais ce que les éducateurs décident. Les enfants« apprennent » en fin de compte à croire que l’éducation est indispensable. […]Ainsi, génération après génération on élève ses enfants – bien que la vie communerecèle la possibilité de relations égalitaires qui renoncent à la tutelle et à la violence.[…] Pour éviter encore un malentendu possible : renoncer à l’éducation, ne signifiepas de négliger l’enfant et de ne plus du tout se soucier de lui. Les enfantsjustement petits ne peuvent pas faire encore beaucoup de choses et sont dépendantsdu soutien des autres. Mais son impuissance et sa dépendance doivent-elles1. Dans le film En Rachâchant (1982) que Jean-Marie Straub et Danièle Huillet ont tiré d’unconte de Marguerite Duras, le petit Ernesto décide de ne plus aller à l’école. Sommé de s’expliquer,il déclare : « C’est pas la peine d’apprendre ce que l’on ne sait pas encore », « Je sauraii-né-vi-ta-ble-ment », « Vous n’y pouvez rien, calmez-vous ». Montparnasse, 2009, format :1.37, coffret Straub-Huillet, vol. 4.2. J. Holt, Apprendre sans l’école, op. cit.DA Bonnardel BI.indb 238 04/11/2019 12:34

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dans la supposition que les enfants ont besoin d’’éducation. Aussi répandue cette

supposition soit-elle, elle est fausse. Beaucoup de gens confondent éducation et

apprentissage. L’éducation est organisée par l’éducateur. L’apprentissage est au

contraire une activité de l’enfant. Il explore son environnement, prend des informations.

L’enfant est le sujet de son apprentissage. Les enfants apprennent – et

cela sans qu’on les y contraigne. On ne peut même pas empêcher l’apprentissage,

tout au plus peut-on le restreindre, par l’éducation par exemple. Les enfants n’ont

pas besoin d’éducation, ils ont besoin d’apprendre ; et ils apprennent aussi sans

éducation. Que cela ne soit pas seulement théorique, c’est ce que nous indique la

pratique de plusieurs familles, dans lesquelles dès le début les enfants ont grandi

sans être éduqués.

Toute personne laissée libre apprend en faisant – parfois certes en lisant ou

en regardant la télévision, mais généralement plutôt simplement en vivant. Ainsi,

des enfants auxquels on n’a pas mis la pression pour apprendre à lire, et qu’on n’a

donc ni dégoûtés ni découragés, apprendront-ils d’eux-mêmes, sans effort, i-névi-ta-ble-ment

1 . Il en va de même de la musique, de la nage, et plus généralement

de quoi que ce soit d’utile. Je rappelle ici qu’un très bel ouvrage de John Holt est

consacré à détailler et expliciter les processus d’apprentissage spontané, aussi divers

soient-ils (cela concerne également les apprentissages de type scolaire) 2 . Ces modes

d’apprentissages étaient la règle avant que ne s’impose l’éducation.

Non seulement l’éducation nuit à un réel apprentissage, mais la principale inculcation

qui en résulte, outre la soumission... est justement l’idée que l’éducation

est nécessaire :

Naturellement des enfants apprennent aussi avec l’éducation. Ce qu’ils apprennent

ainsi avant toute autre chose, ce sont les règles de l’éducation : que les enfants

doivent faire ce qu’on leur dit. Qu’en cas de conflit, ce qui compte ce n’est pas

ce que l’enfant veut ou pense, mais ce que les éducateurs décident. Les enfants

« apprennent » en fin de compte à croire que l’éducation est indispensable. […]

Ainsi, génération après génération on élève ses enfants – bien que la vie commune

recèle la possibilité de relations égalitaires qui renoncent à la tutelle et à la violence.

[…] Pour éviter encore un malentendu possible : renoncer à l’éducation, ne signifie

pas de négliger l’enfant et de ne plus du tout se soucier de lui. Les enfants

justement petits ne peuvent pas faire encore beaucoup de choses et sont dépendants

du soutien des autres. Mais son impuissance et sa dépendance doivent-elles

1. Dans le film En Rachâchant (1982) que Jean-Marie Straub et Danièle Huillet ont tiré d’un

conte de Marguerite Duras, le petit Ernesto décide de ne plus aller à l’école. Sommé de s’expliquer,

il déclare : « C’est pas la peine d’apprendre ce que l’on ne sait pas encore », « Je saurai

i-né-vi-ta-ble-ment », « Vous n’y pouvez rien, calmez-vous ». Montparnasse, 2009, format :

1.37, coffret Straub-Huillet, vol. 4.

2. J. Holt, Apprendre sans l’école, op. cit.

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