La domination adulte - L'éducationnisme - Yves Bonnardel
Extrait de La Domination adulte. L'oppression des mineurs d'Yves Bonnardel.
Extrait de La Domination adulte. L'oppression des mineurs d'Yves Bonnardel.
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La Domination adulte
faire confiance, et faire confiance en l’amour réciproque qui peut se développer
entre deux êtres qui tentent de se laisser libres ? De fait, si peu de gens finalement
théorisent leurs pratiques, un certain nombre de personnes tout de même refusent
le rapport éducatif avec le(ur)s enfants, et plus généralement avec quiconque : elles
n’ont pas de tels rapports avec leurs amis, pourquoi en auraient-elles spécifiquement
avec des petits, qui justement ne peuvent pas se défendre ? Ce sont souvent
des personnes libertaires de cœur, qui refusent l’institution scolaire comme elles
refusent pareillement pour elles-mêmes et pour les autres toutes les oppressions, et
qui se souhaitent « un monde dans les grandes largeurs 1 ».
C’est que l’éducation n’est pas un rapport égalitaire. « Pas de pédagogie possible
sans trafic ni manigance (puisque la pédagogie repose sur l’idée que l’adulte
est dans le vrai et qu’il faut amener par tous les moyens l’enfant à cette vérité) 2 . »
Alain Renaut ne dit pas autre chose lorsqu’il demande sérieusement : « Comment,
dans une société des égaux, limiter suffisamment l’accès de l’enfant à l’égalité pour
préserver les conditions de possibilité d’une relation éducative 3 » ?
L’éducation signe une absence de confiance envers la personne qui la subit, à
qui elle adresse un discours implicite de négation : « Tu n’es pas comme il faudrait
que tu sois et je veux que tu deviennes autre que ce que tu es ; pour que je t’aime
et pour que tu aies plein droit à exister, le “toi” que tu es devra mourir et céder la
place à “mieux”. » Le mépris est fondamentalement contenu dans cette idée qu’il
faut amener chacun quelque part ailleurs que là où il (en) est, que ce qui compte
n’est pas ce qu’il est (qui est ce qu’il ressent, ce qu’il aime, ce qu’il veut, ce qu’il
refuse…), mais ce qu’il doit devenir. Éduquer vient du latin ex-ducere : conduire
hors de… Éloigner de soi-même ? 4 Une relation d’éducation est définie par le but
que l’un a sur l’autre, c’est une relation où l’éduqué n’est plus que le futur être
que l’éducateur veut qu’il devienne, n’est plus regardé qu’à l’aune de ce projet qui
scrute l’avenir en piétinant le présent. C’est-à-dire que l’éduqué ne vaut pas en
lui-même, ne vaut pas par lui-même ; il ne vaut pas au présent, ni n’apparaît plus
à lui-même suffisant. Mépris : étymologiquement mes-prix, mauvais prix, peu de
1. Lire à ce propos C. Baker, Les Cahiers au feu, op. cit. Une longue et passionnante enquête y
est consacrée à ces insoumis sociaux. On parle parfois aujourd’hui d’unschooling pour désigner
le mouvement désormais international de refus de l’éducation et de la scolarisation des mœurs.
2. C. Baker, Insoumission à l’école obligatoire, op. cit., p. 93.
3. C’est par cette question qu’il fait débuter un chapitre intitulé « Déclarer les droits de l’enfant
» ! A. Renaut, La Libération des enfants, op. cit., p. 376.
4. Qu’est-ce par ailleurs que « soi-même » ? Sans entrer ici dans des considérations complexes
sur cette notion de « soi », je veux souligner que l’éducation vise à identifier chacun avec des
intérêts qui ne deviendraient sans cela jamais spontanément les siens. Elle vise à lui faire intégrer,
internaliser, des intérêts qui lui seraient même sans cela antagoniques.
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DA Bonnardel BI.indb 234 04/11/2019 12:34