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Family Stories about the rpg legend of the five rings

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Ill. Anna « Tasia » Demarchi

cès face aux applaudissements enthousiastes. Hélas, ce temps ne dura

pas. Un éminent samouraï du Clan visé hurla que ce drame était une

insulte ! Joignant alors le geste à la parole, il blessa sérieusement l’acteur

principal. Le Clan organisateur du Palais d’Hiver avait une position

neutre dans l’affaire entre mon Clan et notre cible. Il empêcha l’incident

de tourner au massacre ! »

« Mais le Clan offensé exigea d’abord ma tête, avant celles des

daimyos des Familles Bayushi et Shosuro. Franchement, je ne pouvais

pas le blâmer. Ma mort était méritée car j’avais complètement sublimé

subtilités et insultes en un véritable chef-d’œuvre maudit. Je m’étais

finalement trop éloigné du but initialement fixé. À cause de ma vanité

et de supérieurs dépassés, je plaçais directement mon Clan dans une

position très délicate. »

« Par tous les kamis ! On m’avait confi é un matériau d’une exceptionnelle

richesse, pleine de vérités tragiques et fulgurantes, et je l’avais

transformé en un horrible drame aux répercussions désastreuses. Je

m’attendais à un immense succès et je me retrouvais à l’origine d’une

guerre avec mon nom effacé des Archives Impériales à tout jamais ! »

« Ce fût l’unique représentation de cette pièce. »

« On me rapatria directement à Kyuden Bayushi et l’on me mit au

secret pendant quelques semaines. Les diplomates du Clan réussirent à

rattraper mon impardonnable faute. Le prix du compromis, pour éviter

une guerre, était modique : je devais m’excuser auprès de tous ceux

que ma folle attitude avait blessés et faire seppuku. Le jour de ma mort

était fixé et la préparation du rituel funéraire, prête. Tout aurait dû finir

ainsi, c’eût été juste. »

« Mais le destin, cet incroyable metteur en scène, avait prévu un

retournement de situation des plus tragiques. La veille de mon seppuku

fut le pire moment de mon existence car mon daimyo de Famille

daigna me visiter pour m’apprendre qu’en accord avec son homologue

de la Famille Bayushi, je vivrai ! Tous deux estimaient qu’en dépit de

mon impardonnable faute, je possédais un don créatif hors du commun.

Dès lors, les deux Familles les plus puissantes du Scorpion

avaient élaboré un plan ou un mensonge de plus, appelez-le comme

vous le souhaitez, pour me sauver de mon seppuku. »

48

« Pour donner le change à la partie offensée, un autre devait se sacrifier.

Etant jumeaux, mon doux frère Shôta se soumit à cette obligation.

Aux yeux du Clan du Scorpion, la loyauté passe avant tout. Le lendemain,

mon jumeau s’ouvrit le ventre à ma place et moi je pris la sienne

en tant qu’acteur. Pour parfaire le plan, les Bayushi et les Shosuro me

faisaient passer de dramaturge prometteur au statut d’auteur maudit.

Au regard de la société, il était donc logique que le frère du coupable,

subisse une baisse de son talent. La tromperie était facile puisque mon

frère et moi avions été formés à la même école. Parallèlement, rumeurs

et pressions orchestrées par les agents du Clan firent le reste pour entretenir

la supercherie. Mes parents faisaient partie des rares à connaître

la vérité. »

« Le jour où le pauvre Shôta prit ma place, je vis mes parents pour la

dernière fois. Non seulement mon attitude immature les avait humiliés

mais, pire que tout, je leur retirais le seul être digne d’être considéré

comme leur fils ! ».

Shosuro Katsuo, alias Shosuro Shôta en public, s’arrêta de parler,

la voix étranglée par le chagrin et le remords. Ses sanglots étaient les

seuls bruits dans cette bulle de ténèbres. Katsuo désirait sincèrement

se racheter. Il puisa dans ses dernières forces pour achever sa confession

: « Quand je revis Shôta-chan avant la cérémonie du seppuku, je

ne perçus chez lui nul ressentiment. Il écrivit le haïku funèbre que vous

avez récité tout à l’heure. Depuis, j’ai réfléchi à la raison pour laquelle

le spectre de mon frère ne porte pas la couleur blanche du deuil. C’est

parce qu’au fond, il se moquait bien des conventions. Il savait que

même par-delà la mort, il resterait toujours quelque chose de lui en

moi. »

« Plus j’y pense et plus je me dis qu’il a considéré le seppuku comme

la grande scène finale d’une pièce. Sa mort a été mise en scène et c’était

une duperie, un rôle de plus. Alors, je comprends que la seule chose

qui ait été sincère dans toute cette mascarade fut son poème funèbre et

tout ce qu’il n’a pu me dire la veille avant de partir. Faites comprendre

à mon frère, s’il vous plaît, que je ne l’ai jamais oublié et que j’accomplirai

tout ce qu’il jugera bon de me demander ».

La silhouette de Sōgen commençait à perdre en carrure et la lumière

qui en émanait se mettait à faiblir. La voix répondit toujours avec ce

ton d’essence surnaturelle : « Shosuro Katsuo, ton frère Shôta te sourit

et s’incline pour saluer ton authentique sincérité ! Il écrit de nouveau

avec son sang » : « Katsuo-chan écrit notre tragique et édifiante histoire,

mais reste vigilant car je ne veux pas ta mort. Ne me retiens plus par

tes sentiments de honte et de culpabilité. Tu dois assumer ta culpabilité

comme ta gloire légitime. Libère-nous en créant une nouvelle

pièce, que nous puissions nous retrouver en d’autres réincarnations.

Transmets mon dernier haïku à nos parents, qu’ils puissent eux aussi

être en paix avec leurs deux fils :

Jumeaux réfléchis

Nuages blancs sur l’étang

Frères du ciel 47 ».

L’ombre se rétrécit et redevint le prolongement naturel de Sōgen.

La pièce retrouvait ses proportions avec le faible éclairage de la bougie.

Dehors, il faisait encore nuit. Shosuro Katsuo lâcha un long soupir de

soulagement et d’épuisement. Face à lui gisait Sōgen qui s’était effondré

sur le sol, complètement vidé sous l’effet du rituel. Le Scorpion, au

comble de la fatigue, se laissa également choir. Il s’endormit immédiatement

sur le tatami. Cette nuit-là, ni d’horribles cauchemars ni

d’incompréhensibles murmures ne vinrent le hanter. Il n’y eut rien que

le silence d’une nuit apaisée par le pardon.

47 Ce haïku a été écrit par Nicolas LEMARIN in Ploc la revue

du haïku n°47 de novembre 2013 Association pour la promotion du

haïku.

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