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Ou bien encore un masque d’Ôbeshimi 39 représentant un roi
des enfers ? S’il porte des cornes et un visage grimaçant, c’est
peut-être un masque du démon féminin Hannya 40 . Ah ! je sais !
Le visage ne serait-il pas celui d’un yase-otoko 41 , avec son teint
terne, ses pommettes saillantes et la mine d’un homme qui subit
les affres de l’enfer ? ».
Une ombre démesurée s’étirait depuis la silhouette lumineuse
du moine. Elle avait englobé la pièce du sol au plafond et
dansait en riant. Un inquiétant jeu d’ombres et de lumières se
jouait dans l’espace confiné et mal défini d’une pièce qui avait
totalement disparu. La réponse de la voix cingla aux oreilles
de Shôta : « Non, Scorpion ! Tu es dans l’erreur ! Ces masques
ne font que refléter tes soucis présents, tu devrais te retourner
sur ton passé ! En cet instant, tu n’es ni un marionnettiste de
Cour, ni un manipulateur de rumeurs et encore moins un dramaturge.
Toi et ton fantôme êtes des acteurs devant les kamis au
regard impitoyable et attentif. Ce soir, joue ton plus grand rôle,
montre vraiment qui tu es ! Le nômen porté par ton fantôme
présente un visage ovale régulier, lisse et avec des traits presque
effacés. Sa fine bouche est ouverte et ses lèvres sont soulignées
de rouge. Ses sourcils relevés, légèrement froncés, expriment
une profonde tristesse. Ton fantôme se tourne vers moi et me
fixe ».
À ces mots le cœur de Shôta s’emballa. Sa voix trahissait une
vive émotion prête à exploser : « Le teint du masque chûjô 42
est-il bien d’un beau bistre clair ? Au sommet de son crâne,
39 Ôbeshimi : Démon particulièrement maléfique qui se présente
comme une menace pour l’ensemble du genre humain. De tous les
masques nô, c’est celui dont les traits ont été les plus outrés afin d’exprimer
l’âpre brutalité de cette créature. Son visage de démon en colère
est en forme de poire avec sa longue bouche serrée, hermétiquement
fermée, creusant les joues. Son menton est crispé, remontant son nez
dilaté aux narines retroussées. Ses gros yeux sont globuleux, rapprochés
et abrités sous d’épais sourcils noirs froncés. Le front du masque est
étroit et lisse.
40 Hannya (En japonais 般 若 の 面 ) : est, dans les légendes
japonaises, l’esprit d’une femme revenue sur terre pour assouvir sa vengeance.
Sa haine et sa rancune sont si tenaces qu’elle est devenue un
démon. Les masques représentant Hannya sont parmi les plus célèbres
dans le monde. Ce type de masque est souvent peint en rouge ou en
vert. Hannya porte des cornes et sa bouche est aussi ornée de quatre
crocs acérés.
41 Yase-otoko (En japonais 痩 男 ) où l’homme émacié. Le masque
représente un homme au visage très amaigri et au teint terne avec ses
pommettes saillantes. Il personnifie l’esprit de l’homme mort qui subit
les affres de l’enfer à cause de ses pêchés passés. Le masque yase-otoko
entre dans la catégorie des esprits. Ses traits anguleux renforcent le
caractère fantomatique du masque, expriment l’angoisse et suggèrent la
grande détresse du personnage.
42 Chûjô (En japonais 中 将 ) : Ce modèle de masque représente
un jeune homme de l’aristocratie de l’époque classique Heian (VIIIe
– XIIe). On le reconnaît à la position de ses sourcils qui indique par
convention son appartenance à la noblesse et exprime aussi une impression
de mélancolie ou de tristesse.
porte-t-il un tate-eboshi 43 à la mode de la Cour Impériale ?
Revêt-il aussi un sokutai 44 , dont la base noire est rehaussée de
rouge ? Je vous en supplie, est-ce bien ce masque ? »
La voix d’outre-tombe confi rma : « La description est parfaitement
juste. Son sokutai est à dominante noire mais cette
couleur est comme transcendée par l’effet moiré du brocart. Le
rouge ne fait que rehausser et contraster l’habit. »
« Ton fantôme se tient à tes côtés. Il a cessé de me regarder
et pose son regard dans ta direction. Il est en position seiza et
plus digne que tu ne l’es en cet instant. Hoho ! devant lui se
43 Tate-eboshi ou eboshi « droit » : est une variante appartenant
à une famille de couvre-chefs appelés eboshi. Ce type de coiffe masculine
est apparu à l’époque Heian et était à l’origine destiné aux nobles
et aux fonctionnaires. Ces coiffes sont devenues par la suite l’apanage
des prêtres Shinto. L’eboshi se présentait sous la forme d’une sorte de
toque souple fabriquée en fin tissu de soie. Plus tardivement, certains
modèles furent conçus en papier renforcé d’une couche de laque noire.
La hauteur, l’aspect « dressé » du tate-eboshi s’explique par le style de
coiffure porté par l’aristocratie de la période Heian. Les hommes portaient
les cheveux longs qui étaient tressés en nattes droites attachées
pour être dissimulées dans la coiffe.
44 Sokutai : Signifie littéralement « nouer la ceinture ». Plus qu’un
vêtement, ce terme désigne à l’origine une façon de s’habiller et désigne
dans son acceptation courante le costume de cour (en particulier
durant la période Heian) porté par les hauts dignitaires et par les fonctionnaires
civils ou militaires. Cette tenue comportait environ huit à
neuf couches de vêtements dont un pantalon de dessous (ôgushi) et un
pantalon de dessus (ue no hakama), ainsi que six ou sept vestes assez
courtes dont le shitagasame s’achevait par derrière en traîne. Sur le tout,
on rajoutait une tunique à très larges manches (hoeki no hô) fermée
sur le côté pour les civils et ouverte pour les militaires. Enfin pour la
touche fi nale, le port d’une ceinture, souvent ornée de pierres, d’un
baudrier avec son sabre et d’une coiffure comme le tate-eboshi.
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Ill. Carmen De Murga Miralles