09.02.2020 Views

L5R_Esprit-de-Famille_web

Family Stories about the rpg legend of the five rings

Family Stories about the rpg legend of the five rings

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

CHAPITRE 2

La maisonnée silencieuse respirait la tranquillité. Sōgen se

concentra en fermant les yeux tout en modulant sa respiration,

puis questionna son interlocuteur : « Shosuro-sama, vous

m’avez dit tout à l’heure que la vision du sang vous insupportait.

Avez-vous reçu des blessures suite à une agression ou peut-être

lors d’un combat ? ».

Ce dernier porta sa tasse de thé à ses lèvres et but une gorgée

pour mieux réfléchir à la question. Il se racla légèrement la

gorge, avant d’affirmer : « Certes, j’ai été formé à l’art du kenjutsu

28 , mais je n’ai jamais eu à livrer de duels et encore moins à

combattre sur les champs de batailles de l’Empire ». La concentration

de Sōgen faisait rouler quelques gouttes de sueur sur son

crâne lisse : « Étrange. Décrivez-moi votre actuel état de santé et

les symptômes qui l’accompagnent ? ».

Shôta leva brièvement les yeux au ciel comme il en avait l’habitude

pour aller repêcher des souvenirs : « Depuis le mois du

Tigre précédent jusqu’à ce mois du Serpent 29 , je me suis régulièrement

senti mal. J’avais déjà ressenti de pareilles douleurs

il y a douze ans, plusieurs mois après mon gempukku 30 . Ma

souffrance ou mon mal-être, je ne sais comment l’appeler, fut

terrible, surtout pendant le mois du Tigre. Le mal m’a presque

terrassé et empêché de tenir mes obligations sociales tandis que

mon jôruri 31 Saibankan monogatari triomphait au Palais d’Hiver

organisé par la Famille Doji ! »

« Les symptômes récurrents se traduisent par une perte de

l’appétit. Étrangement, certains plats que j’aime depuis ma plus

tendre enfance ne me suscitent au mieux que de la lassitude et

au pire du dégoût. Par exemple, il y a à peine trois jours, je

mangeais de belles brochettes grillées à base de truites marinées

quand, horreur ! j’eus l’impression de mâcher de la chair de

gibier et de voir du sang dégouliner de ma bouche jusque sur

mes vêtements. »

« Mais l’instant d’après, il n’en était rien. Une autre fois, j’ai

presque défailli en humant l’odeur d’un cadavre en décomposition

sur d’excellents sushi de première fraîcheur ! ».

Sōgen entendait la détresse de cet homme. Il percevait aussi

que le Scorpion commençait à se dévoiler peu à peu. Il laissa

cette âme en peine s’épancher :

« Le matin, je me sens fatigué comme si j’avais travaillé toute

la nuit. Je me réveille souvent suite à des cauchemars dont il ne

me reste que quelques bribes indicibles. Je ressens comme une

immense douleur au niveau du ventre. Je me réveille en sursaut

croyant être éventré. Dans le même temps, si mon corps a

accepté de la nourriture, j’ai l’impression que mon nombril me

tire, au point de faire éclater mon ventre ! ».

L’état physique du dignitaire Scorpion était très bas. Une

observation un peu fine montrait que sous le maquillage se

dissimulait un visage émacié. Comme si Shôta avait deviné les

pensées du moine, il retira son demi-masque. Sōgen put à loisir

observer les cernes profondes et sombres qui encerclaient le

visage gracieux et épuisé de son hôte. Un point, au moins, le

rassurait. Ce dernier restait lucide et suffi samment conscient

de son état pour ne pas être diagnostiqué fou ou en passe de

l’être. Sōgen élimina donc intérieurement certains spécimens

de yûrei 32 . Il poursuivit son diagnostic en demandant : « Pour

quels motifs suspectez-vous l’action d’un yûrei ? ». La réponse

fut sans appel : « Je crois parfois entendre un ou des murmures

et ne parviens jamais à en distinguer les propos. Mais ne croyez

pas que ce soit le pire ».

Shôta marqua un arrêt et se recroquevilla légèrement tandis

qu’il prenait sa tête entre ses mains. Il hoqueta puis d’une voix

blanche poursuivit : « Le pire, c’est quand je suis saisi d’une

mélancolie indéfinissable. Je me sens alors vide avec l’impression

que mon cœur m’a été arraché. Regardez-moi bien, Sōgen-san.

Je ne suis qu’un décor de théâtre usé dont les coups de peinture

et les tentures entretiennent encore l’illusion. Mais plus pour

très longtemps, je le sens. Voyez ! Mon vrai visage est celui de la

déréliction ! »

« Comme je l’ai déjà dit tout à l’heure, la vue du sang me

répugne et m’effraie depuis l’année de mes dix-sept ans, peu de

temps après mon gempukku ! Belle ironie, n’est-ce pas ? Je suis

sensé être devenu un homme depuis ce jour mais je ne suis pas

plus viril qu’un fichu onnagata 33 . »

Sōgen n’en crut pas ses yeux. La coqueluche des plus fins

esthètes de l’Empire s’abandonnait littéralement devant lui !

28 Maniement du sabre.

29 Juin.

30 Gempukku. Le son « m » seul n’existe pas en japonais.

« Gempukku » est un aberration des européens et des américains

(transformation du n en m devant p, b, m). C’est « genpuku » en japonais

avec un seul « k ». Mais, pour obtenir un son proche de celui en

japonais, l’orthographe avec un « m » a été conservée.

31 Jōruri (En japonais 浄 瑠 璃 ) : Genre de spectacle traditionnel

japonais apparu au XVI e sous forme de déclamation épique, accompagnée

au shamisen et qui a donné naissance au spectacle de marionnettes

appelé aussi bunraku.

32 Fantômes.

33 L’onnagata (En japonais 女 方 ) ou oyama (En japonais

女 形 ) littéralement « forme féminine » : Onnagata est le terme désignant

un acteur qui interprète un rôle féminin pour exprimer de

manière stylisée le cœur de la femme. Cette technique fut mise au

point au XVII e par l’acteur de kabuki Ukon Genzaemon pour se

conformer à l’interdiction imposée aux femmes de monter sur scène.

Régulièrement utilisée pour des acteurs de théâtre kabuki et de danse

classique japonaise, l’onnagata peut aussi être appliqué à des acteurs du

théâtre nô/noh.

43

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!