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Family Stories about the rpg legend of the five rings Family Stories about the rpg legend of the five rings

jefferson.frias
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09.02.2020 Views

à l’Ordre du Repos Paisible avait été un premier pas. A présent, ildevait directement s’exposer pour faire le deuxième. D’une voix plusfaible qu’il n’aurait voulu, le Scorpion rassura le moine : « Hôshi 26 ,ne vous méprenez pas. Il n’était nullement dans mes intentions decauser du tort à vous ou à votre ordre. Vos paroles de vérité m’onttouché. Au risque de vous surprendre, un membre du Clan duScorpion digne de ce nom sait apprécier la vérité quand il la rencontre.Car, plus que tout autre, il en connaît la valeur ! ».Le moine demeurait silencieux. Shôta s’arrêta un instant. Il inspira,cligna longuement des yeux comme pour retrouver un peude concentration et reprit : « Sōgen-san, vous êtes effectivement legenre d’homme qui s’astreint à cheminer sur la Voie de l’Illuminationen toute circonstance… au risque de froisser l’amour-propre devotre hôte. Soit. »« Puisque je sens chez vous la volonté de m’aider, soyez assuré queje ne vous cacherai rien de ce qui est en rapport avec mon affaire. Jevous le redis également, ni vous ni votre Ordre ne mettrez vos viesen jeu en acceptant de m’aider. Je n’emploierai contre vous aucunedes ruses ou artifices de mon Clan, ni n’ordonnerai d’assassinats.D’ailleurs, la vision du sang m’insupporte ».Sōgen remercia son hôte par une grande inclination : « Dōmoarigatō gozaimasu Shosuro-sama. On vous dit grand dramaturgeet excellent acteur. Pourtant, je décèle chez vous l’accent de la26 Hôshi (En japonais 法 師 ) : Terme désignant un moine bouddhiste/ bonze.vérité. C’est entendu, j’accomplirai mon sacerdoce et vous porteraiassistance ».Sur ces mots, Sōgen se replaça en position zazen. Shôta tenta del’imiter en lui demandant si le rituel d’invocation pouvait commencer,ce à quoi le religieux répondit avec un sourire détendu : « Maisnous avons commencé depuis longtemps déjà. Prenez une postureconfortable. Soyez simplement attentif et répondez à mes questions.Si vous désirez boire du thé, je vous saurais gré de bien vouloir lefaire maintenant afin de ne pas perturber le rituel. Je ne vous accompagneraipas car j’ai bu à mon arrivée un matcha 27 spécialementélaboré pour m’aider dans mon office ».Shosuro Shôta appela Naoki resté à portée de voix. Le jeune discipleapparut sur le seuil de la pièce, servit son maître puis, sur songeste, laissa la théière en fonte toute chaude. Au moment de quitterla pièce, son sensei l’autorisa à rejoindre les autres pour profiter desfestivités. Le disciple interpréta cette permission comme un ordre. Ils’assura que la maison était sûre et pris congé de son maître.27 Matcha (En japonais 抹 茶 ) : Thé vert en poudre finementmoulu et broyé entre deux meules en pierre. Il est employé pour lacérémonie du thé japonaise et comme colorant ou arôme naturel avecdes aliments tels que le mochi (gâteaux à base de riz gluant), les soba,(pâtes de sarrasin), la crème glacée au thé vert, etc. L’orthograhe « matcha» a été retenue pour conserver un son proche de la prononciationà avoir. La transcription Hepburn est en réalité «maccha» ou la doubleconsonne « c » se prononce « tch ».Ill. Carmen De Murga Miralles42

CHAPITRE 2La maisonnée silencieuse respirait la tranquillité. Sōgen seconcentra en fermant les yeux tout en modulant sa respiration,puis questionna son interlocuteur : « Shosuro-sama, vousm’avez dit tout à l’heure que la vision du sang vous insupportait.Avez-vous reçu des blessures suite à une agression ou peut-êtrelors d’un combat ? ».Ce dernier porta sa tasse de thé à ses lèvres et but une gorgéepour mieux réfléchir à la question. Il se racla légèrement lagorge, avant d’affirmer : « Certes, j’ai été formé à l’art du kenjutsu28 , mais je n’ai jamais eu à livrer de duels et encore moins àcombattre sur les champs de batailles de l’Empire ». La concentrationde Sōgen faisait rouler quelques gouttes de sueur sur soncrâne lisse : « Étrange. Décrivez-moi votre actuel état de santé etles symptômes qui l’accompagnent ? ».Shôta leva brièvement les yeux au ciel comme il en avait l’habitudepour aller repêcher des souvenirs : « Depuis le mois duTigre précédent jusqu’à ce mois du Serpent 29 , je me suis régulièrementsenti mal. J’avais déjà ressenti de pareilles douleursil y a douze ans, plusieurs mois après mon gempukku 30 . Masouffrance ou mon mal-être, je ne sais comment l’appeler, futterrible, surtout pendant le mois du Tigre. Le mal m’a presqueterrassé et empêché de tenir mes obligations sociales tandis quemon jôruri 31 Saibankan monogatari triomphait au Palais d’Hiverorganisé par la Famille Doji ! »« Les symptômes récurrents se traduisent par une perte del’appétit. Étrangement, certains plats que j’aime depuis ma plustendre enfance ne me suscitent au mieux que de la lassitude etau pire du dégoût. Par exemple, il y a à peine trois jours, jemangeais de belles brochettes grillées à base de truites marinéesquand, horreur ! j’eus l’impression de mâcher de la chair degibier et de voir du sang dégouliner de ma bouche jusque surmes vêtements. »« Mais l’instant d’après, il n’en était rien. Une autre fois, j’aipresque défailli en humant l’odeur d’un cadavre en décompositionsur d’excellents sushi de première fraîcheur ! ».Sōgen entendait la détresse de cet homme. Il percevait aussique le Scorpion commençait à se dévoiler peu à peu. Il laissacette âme en peine s’épancher :« Le matin, je me sens fatigué comme si j’avais travaillé toutela nuit. Je me réveille souvent suite à des cauchemars dont il neme reste que quelques bribes indicibles. Je ressens comme uneimmense douleur au niveau du ventre. Je me réveille en sursautcroyant être éventré. Dans le même temps, si mon corps aaccepté de la nourriture, j’ai l’impression que mon nombril metire, au point de faire éclater mon ventre ! ».L’état physique du dignitaire Scorpion était très bas. Uneobservation un peu fine montrait que sous le maquillage sedissimulait un visage émacié. Comme si Shôta avait deviné lespensées du moine, il retira son demi-masque. Sōgen put à loisirobserver les cernes profondes et sombres qui encerclaient levisage gracieux et épuisé de son hôte. Un point, au moins, lerassurait. Ce dernier restait lucide et suffi samment conscientde son état pour ne pas être diagnostiqué fou ou en passe del’être. Sōgen élimina donc intérieurement certains spécimensde yûrei 32 . Il poursuivit son diagnostic en demandant : « Pourquels motifs suspectez-vous l’action d’un yûrei ? ». La réponsefut sans appel : « Je crois parfois entendre un ou des murmureset ne parviens jamais à en distinguer les propos. Mais ne croyezpas que ce soit le pire ».Shôta marqua un arrêt et se recroquevilla légèrement tandisqu’il prenait sa tête entre ses mains. Il hoqueta puis d’une voixblanche poursuivit : « Le pire, c’est quand je suis saisi d’unemélancolie indéfinissable. Je me sens alors vide avec l’impressionque mon cœur m’a été arraché. Regardez-moi bien, Sōgen-san.Je ne suis qu’un décor de théâtre usé dont les coups de peintureet les tentures entretiennent encore l’illusion. Mais plus pourtrès longtemps, je le sens. Voyez ! Mon vrai visage est celui de ladéréliction ! »« Comme je l’ai déjà dit tout à l’heure, la vue du sang merépugne et m’effraie depuis l’année de mes dix-sept ans, peu detemps après mon gempukku ! Belle ironie, n’est-ce pas ? Je suissensé être devenu un homme depuis ce jour mais je ne suis pasplus viril qu’un fichu onnagata 33 . »Sōgen n’en crut pas ses yeux. La coqueluche des plus finsesthètes de l’Empire s’abandonnait littéralement devant lui !28 Maniement du sabre.29 Juin.30 Gempukku. Le son « m » seul n’existe pas en japonais.« Gempukku » est un aberration des européens et des américains(transformation du n en m devant p, b, m). C’est « genpuku » en japonaisavec un seul « k ». Mais, pour obtenir un son proche de celui enjaponais, l’orthographe avec un « m » a été conservée.31 Jōruri (En japonais 浄 瑠 璃 ) : Genre de spectacle traditionneljaponais apparu au XVI e sous forme de déclamation épique, accompagnéeau shamisen et qui a donné naissance au spectacle de marionnettesappelé aussi bunraku.32 Fantômes.33 L’onnagata (En japonais 女 方 ) ou oyama (En japonais女 形 ) littéralement « forme féminine » : Onnagata est le terme désignantun acteur qui interprète un rôle féminin pour exprimer demanière stylisée le cœur de la femme. Cette technique fut mise aupoint au XVII e par l’acteur de kabuki Ukon Genzaemon pour seconformer à l’interdiction imposée aux femmes de monter sur scène.Régulièrement utilisée pour des acteurs de théâtre kabuki et de danseclassique japonaise, l’onnagata peut aussi être appliqué à des acteurs duthéâtre nô/noh.43

à l’Ordre du Repos Paisible avait été un premier pas. A présent, il

devait directement s’exposer pour faire le deuxième. D’une voix plus

faible qu’il n’aurait voulu, le Scorpion rassura le moine : « Hôshi 26 ,

ne vous méprenez pas. Il n’était nullement dans mes intentions de

causer du tort à vous ou à votre ordre. Vos paroles de vérité m’ont

touché. Au risque de vous surprendre, un membre du Clan du

Scorpion digne de ce nom sait apprécier la vérité quand il la rencontre.

Car, plus que tout autre, il en connaît la valeur ! ».

Le moine demeurait silencieux. Shôta s’arrêta un instant. Il inspira,

cligna longuement des yeux comme pour retrouver un peu

de concentration et reprit : « Sōgen-san, vous êtes effectivement le

genre d’homme qui s’astreint à cheminer sur la Voie de l’Illumination

en toute circonstance… au risque de froisser l’amour-propre de

votre hôte. Soit. »

« Puisque je sens chez vous la volonté de m’aider, soyez assuré que

je ne vous cacherai rien de ce qui est en rapport avec mon affaire. Je

vous le redis également, ni vous ni votre Ordre ne mettrez vos vies

en jeu en acceptant de m’aider. Je n’emploierai contre vous aucune

des ruses ou artifices de mon Clan, ni n’ordonnerai d’assassinats.

D’ailleurs, la vision du sang m’insupporte ».

Sōgen remercia son hôte par une grande inclination : « Dōmo

arigatō gozaimasu Shosuro-sama. On vous dit grand dramaturge

et excellent acteur. Pourtant, je décèle chez vous l’accent de la

26 Hôshi (En japonais 法 師 ) : Terme désignant un moine bouddhiste

/ bonze.

vérité. C’est entendu, j’accomplirai mon sacerdoce et vous porterai

assistance ».

Sur ces mots, Sōgen se replaça en position zazen. Shôta tenta de

l’imiter en lui demandant si le rituel d’invocation pouvait commencer,

ce à quoi le religieux répondit avec un sourire détendu : « Mais

nous avons commencé depuis longtemps déjà. Prenez une posture

confortable. Soyez simplement attentif et répondez à mes questions.

Si vous désirez boire du thé, je vous saurais gré de bien vouloir le

faire maintenant afin de ne pas perturber le rituel. Je ne vous accompagnerai

pas car j’ai bu à mon arrivée un matcha 27 spécialement

élaboré pour m’aider dans mon office ».

Shosuro Shôta appela Naoki resté à portée de voix. Le jeune disciple

apparut sur le seuil de la pièce, servit son maître puis, sur son

geste, laissa la théière en fonte toute chaude. Au moment de quitter

la pièce, son sensei l’autorisa à rejoindre les autres pour profiter des

festivités. Le disciple interpréta cette permission comme un ordre. Il

s’assura que la maison était sûre et pris congé de son maître.

27 Matcha (En japonais 抹 茶 ) : Thé vert en poudre finement

moulu et broyé entre deux meules en pierre. Il est employé pour la

cérémonie du thé japonaise et comme colorant ou arôme naturel avec

des aliments tels que le mochi (gâteaux à base de riz gluant), les soba,

(pâtes de sarrasin), la crème glacée au thé vert, etc. L’orthograhe « matcha

» a été retenue pour conserver un son proche de la prononciation

à avoir. La transcription Hepburn est en réalité «maccha» ou la double

consonne « c » se prononce « tch ».

Ill. Carmen De Murga Miralles

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