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parce que derrière se trouve obligatoirement une histoire différente.
Votre histoire est la clef qui permettra de résoudre votre
problème ».
Toujours avec sa voix doucereuse, Shôta intervint :
« L’histoire… comme au théâtre nô ou kabuki. Elle est essentielle
du début jusqu’à la fin… quelle que soit cette fin. Au fond,
tout est question d’équilibre ! ». Le moine plissa légèrement ses
yeux pour se concentrer davantage sur le visage de Shôta. Puis,
il répondit avec une pointe d’enthousiasme dans la voix : « Hai !
Exactement, Shosuro-sama » Le dramaturge inclina légèrement
la tête, laissant entendre qu’il prenait cette réfl exion comme
un compliment. Il ajouta de nouveau sur le même ton : « Mais
Sōgen-san, j’ai la conviction que votre long délai de réponse
n’est pas entièrement dû aux raisons évoquées, ni même aux
intempéries. Je pressens que vous ne me dîtes pas tout ». Le
moine resta impassible tout en soutenant le regard de Shôta. Les
deux hommes se jaugeaient, voulant déceler les intentions de
l’autre sans dévoiler les siennes. Le religieux rompit le silence :
« Selon vous, quel secret chercherais-je à dissimuler à votre
sagacité ? ».
Shôta opina du chef et leva très brièvement les yeux au ciel
avant de fi xer à nouveau Sōgen avec un large sourire. C’était
ce genre de sourire que les détracteurs du Clan du Scorpion
jugeaient vicieux. Shôta demanda doucement : « Ôtez-moi d’un
doute. En tant que moine, vous avez l’obligation de ne pas mentir,
nous sommes bien d’accord ? ». Son vis-à-vis acquiesça en
silence. Shôta durcit alors le ton : « Donc, dois-je comprendre
qu’il vous semble normal de me faire patienter ? Pourtant, vous
n’ignorez rien de mon rang ni de mon statut au sein du Clan du
Scorpion, n’est-ce pas ? ».
À la grande surprise du Shosuro, le visage du moine resta
impassible et son attitude ne trahissait aucune faiblesse face à
la question et au ton menaçant. Au contraire, Shôta dut lutter
pour masquer la stupeur causée par ce coup porté à son égo !
Décidément, son invité l’intriguait de plus en plus, au point
qu’il en vint à s’interroger sur sa capacité à déceler ses intentions
cachées ! C’était pourtant un exercice auquel il était rompu
depuis son plus jeune âge !
Sōgen lui répondit d’une voix à la fois ferme et ironique :
« Vous êtes très perspicace Shosuro-sama. Vous devriez songer à
une carrière de magistrat ! Il est vrai que tous ceux qui étudièrent
votre requête furent plus que circonspects. Comprenez-nous,
l’Ordre du Repos Paisible n’avait plus de sollicitation du Clan
du Scorpion depuis au moins trois cent ans. »
« Mais ça vous le saviez ! Je vous prie donc d’entendre les
doutes de notre abbé, le vénérable Ikkyu. Il craint légitimement
la sournoise et mortelle piqûre de votre Clan. Rappelez-vous.
J’évoquais plus tôt qu’avec l’apparition des revenants se cachait
une histoire qui menait, bien souvent, à un triste et souvent
terrible secret. Si vous souhaitez toujours l’aide de notre Ordre,
alors vous devrez me livrer votre histoire et certains des secrets
qui y sont liés. »
« Or, il est de notoriété publique que connaître les secrets
d’un membre de votre Clan, équivaudrait à un suicide qui n’aurait
rien de glorieux. En conséquence, je ne sais comment vous
aider s’il devait m’en coûter la vie ou celle de mes frères. C’est
bien cela que vous désiriez m’entendre dire, n’est-ce pas ? ».
Shôta approuva de la tête. La sincérité de Sōgen l’avait touchée,
bousculé même. À fréquenter l’univers de faux-semblants
du théâtre ainsi que les intrigues de Cour, il n’était plus habitué
à une telle franchise. Sōgen venait de lui rappeler que même le
plus doué des samouraïs du Clan du Scorpion ne pouvait échapper
aux conséquences de ses propres mensonges. En définitive,
Shôta se devait de les affronter. Ce fut une révélation brutale
pour lui qui prit conscience d’avoir été battu à son propre jeu.
Le maître des lieux avait oublié à quel point il pouvait être
bon de dire la vérité lorsqu’elle servait un dialogue sincère et
constructif. Le religieux ne l’avait pas attaqué pour l’humilier
mais au contraire pour l’édifier. Manifestement, cet homme souhaitait
réellement l’aider, sans en retirer un quelconque profit.
Dans l’Empire d’Émeraude, il n’y avait bien que les moines de
la Confrérie de Shinsei pour agir de manière aussi désintéressée.
Shôta eut alors la profonde intuition que donner sa confiance
à cet étrange moine serait sa seule porte de sortie. Sa missive
Ill. Anna « Tasia » Demarchi
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