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Arrivé tout près du shōji, il enleva ses zōri 19 et se mit à genou.
Il fi t ensuite doucement coulisser le panneau de bois aux carreaux
de papier. La lueur frémissante émanant du andon 20 posé
sur le côté du tokonoma laissait fugacement apercevoir l’ikebana
et la calligraphie accrochée au milieu du mur de l’alcôve.
Placée à droite dans la washitsu, cette dernière faisait une taille
d’environ un tatami et demi et s’intégrait harmonieusement au
reste de la pièce. Une profonde impression de tranquillité et
d’intimité se dégageait du lieu.
Tout en finissant d’ouvrir le shōji, Shosuro Shôta cherchait du
regard son invité et nota rapidement la présence d’une ombre
faisant face au tokonoma. Il l’observa plus attentivement. Il
s’agissait d’un homme de bonne taille, mais pas un « géant »
comme certains samouraïs du Clan du Crabe. Son corps paraissait
d’abord athlétique puis la vue de ses joues légèrement
creusées confi rmait plutôt la pratique d’une vie ascétique. Le
moine attendait en position zazen 21 , certainement plongé dans
sa méditation nocturne. Son crâne rasé, sa barbe de quelques
jours et son kesa 22 de couleur sombre et terne sous-entendaient
que l’habit faisait bien le moine !
Shôta se releva puis marcha d’un pas calme et déterminé vers
le centre de la pièce sans chercher à dissimuler sa présence. Face
à son invité, dos à l’alcôve, il s’agenouilla et se présenta tout en
s’inclinant : « Konbanwa 23 vénérable moine ! Soyez le bienvenu
dans ma modeste demeure. Je suis Shosuro Shôta, votre hôte ».
Le religieux ouvrit immédiatement les yeux et changea prestement
la position de ses jambes pour s’asseoir sur ses genoux
19 Zōri (En japonais : 草 履 ) : Modèle de sandales japonaises constitué
d’une semelle plate généralement fabriquée en paille de riz (ou en
jonc) sur sa partie supérieure et en cuir sur sa partie inférieure. Deux
lanières passent entre le gros orteil et le second orteil, puis se séparent
pour s’arrimer sur le côté de la semelle. Les zōri sont fréquemment
portées avec des chaussettes séparant le gros orteil des autres orteils,
connues sous le nom de tabi.
20 Andon (En japonais 行 灯 ) : Lampe faite de papier étendu sur
un cadre de bambou, de métal ou de bois. La lumière est produite
grâce à la combustion de l’huile dans un support de pierre ou de céramique.
L’andon existe dans différente versions : portative, placée sur
un pied ou fixée sur un mur. La plupart de ces lampes ont une forme
de boîte verticale dotée d’un support intérieur pour permettre la combustion
et produire de la lumière.
21 Zazen (En japonais 座 禅 ) : Za signifie « assis » et zen «méditation».
Il s’agit de la posture de méditation assise employée dans la
pratique du bouddhisme zen.
22 Kesa (En japonais 袈 裟 , du sanskrit kasaya, « couleur ocre ») :
désigne la robe des moines et moniales bouddhistes. Il s’agit à l’origine
d’une bande de tissu teinte en ocre, constituée de plusieurs pièces
assemblées. Elle se drape autour du corps, passant sous le bras droit,
un pan reposant sur l’épaule gauche. Dans le Bouddhisme japonais, la
couleur se situe plutôt dans les tons noirs ou gris, parfois brun, à cause
du recours à des pigments bon marché. Les moines de base étaient
ainsi connus comme kuro-e (en japonais 黒 ), « habit noir ». Pendant
les ères Edo et Meiji, les kesa étaient parfois cousues de pièces tirées
d’anciens costumes de théâtre Nô/Noh.
23 Bonsoir, en japonais.
en position seiza 24 puis s’inclina profondément à son tour. Il lui
répondit d’une voix calme : « Konbanwa Shosuro-sama ! Je suis
le frère Sōgen de l’honorable Ordre du Repos Paisible, branche
de la très vénérable Confrérie de Shinsei. Je vous prie de
pardonner mon impolitesse, mais comme j’ai commis la maladresse
d’arriver trop tôt, votre jeune disciple m’a aimablement
accueilli, mené ici et prié de vous attendre. Je me suis donc permis
de méditer et ne vous ai pas entendu arriver. »
Le Shosuro esquissa un sourire que la lueur de l’andon laissait
à peine deviner puis ajouta : « Je ne désirais nullement vous
effrayer ou vous placer dans l’embarras. Vous êtes mon invité
et je suis fort honoré que votre Ordre ait répondu à ma requête.
Je suis conscient que vous devez être très sollicité et que la ville
de Ryoko Owari est fort éloignée de votre monastère ! Si éloignée
que je me languissais de votre réponse. Vous comprendrez
donc ma joie lorsque je reçus la réponse positive de votre supérieur
! Dōmo arigatō gozaimasu ». Shôta s’inclina profondément
devant son interlocuteur qui lui répondit de même.
Le religieux reprit : « Cheminer à pied sur les routes impériales
au printemps n’est certes pas la chose la plus reposante à
cause des pluies fréquentes. Mais quand le but du voyage est certain
et la nécessité avérée, pour mes frères comme pour moi, nul
chemin terrestre ne saurait nous empêcher de guider les âmes en
peine vers la Voie du Repos et de l’Illumination. La nature de
votre problème et le dévouement que je porte à mon sacerdoce
m’ont conduit à vous rencontrer au plus vite, quitte à devancer
le délai annoncé par notre abbé, le vénérable Ikkyu ». Il s’interrompit
un court instant, baissa légèrement le regard pour
reprendre sa concentration et poursuivit : « Quant à notre délai
de réponse, il est dû à l’intense réfl exion que votre missive a
suscité parmi l’ensemble des membres de notre communauté ».
Shôta l’interrompit en usant d’un ton presque onctueux : « Y
compris vous, Sōgen-san ? ». Le moine soutint son regard tout
en lui répondant avec gravité : « Y compris moi Shosuro-sama…
y compris moi ».
Sōgen continua : « Chaque cas soumis est unique. Le pour
et le contre doivent être pesés. En ce qui vous concerne, est-on
bien en présence d’une affaire impliquant un yōkai 25 . Si oui,
quelle est sa nature ? Si non, a-t-on affaire à une rupture de l’harmonie
du yin et du yang chez le sujet ? Serait-ce là, la cause de
votre indicible mélancolie ? Le vénérable Ikkyu nous enseigne
que notre Ordre se doit d’étudier minutieusement chaque cas,
24 Seiza (En japonais 正 座 , « s’asseoir correctement ») : Terme
japonais pour désigner la façon traditionnelle de s’asseoir au Japon.
Une personne assise dans le style seiza est agenouillée tout en reposant
ses fesses sur ses talons, Les chevilles sont tournées vers l’extérieur du
corps. Le dos est gardé droit, mais détendu.
25 Yōkai (En japonais 妖 怪 , « esprit », « fantôme », « démon »,
« apparition étrange »). Le mot japonais dérive du chinois : 妖 怪 ;
pinyin : yāoguài signifiant littéralement « monstre bizarre ». Ce mot
désigne différents types de créatures surnaturelles dans le folklore japonais.
On trouve aussi comme synonyme le mot mononoke (en japonais
物 の 怪 ) qui porte le sens de « monstre », « fantôme » ou « esprit ».
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