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Family Stories about the rpg legend of the five rings

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TADASHI

La nuit commençait à blanchir. Une bouteille vide roulait sur le

sol. Le saké n’avait en rien calmé la nervosité de Tadashi, il n’avait fait

qu’engourdir son corps et son esprit. La cérémonie offi cielle pour la

transmission allait débuter dans quelques heures et Tadashi n’avait pas

fermé l’œil depuis la veille. Tadashi rassembla ses forces pour se redresser

et tituba jusqu’à une vasque remplie d’eau fraîche, dans laquelle il

plongea la tête tout entière. La fraîcheur de l’eau lui traversa tout le

corps et dissipa les brumes de l’alcool. Il se redressa d’un seul coup et

prit une profonde respiration. L’eau ruisselait sur le visage de Tadashi.

Il se tenait face à la fenêtre de sa chambre, son regard se perdait dans

le lointain. La maison était encore silencieuse et Tadashi se noyait dans

ses pensées.

Il est l’aîné et c’est à lui que revenait l’honneur d’hériter du titre de

senseï. En réalité, c’était un honneur dont il ne voulait pas ! Pourquoi

avait-il fallu que Yukihiro naisse après lui ? Yukihiro était meilleur que

lui au sabre. Il ferait à coup sûr un meilleur senseï. Il avait la maîtrise

technique, le goût du partage et surtout il aimait la pratique du sabre.

De plus, sa compétence était reconnue unanimement par les élèves à

qui il prodiguait ses conseils avisés. Cette reconnaissance allait bien

au-delà de l’enceinte du dojo, peut-être même jusqu’aux portes du

Palais Impérial. En un mot, Yukihiro était né pour être senseï.

Il avait reçu, avec son frère depuis leur plus jeune âge, l’apprentissage

du sabre par leur père. Celui-ci avait entraîné Tadashi à être son héritier

et Yukihiro à rester un éternel élève. L’enseignement de Kamajiro-senseï

avait toujours été dur, en particulier avec Yukihiro. Pourtant, lui était

curieux et désireux d’apprendre. Mais Kamajiro-senseï ne prodiguait

ses conseils qu’à celui qui devait perpétuer son art dans l’enceinte de

ce dojo.

Tadashi se souvenait de ces longues soirées en tête à tête avec son

père, à répéter des mouvements jusqu’à l’épuisement. C’est durant ces

séances d’entraînement particulières que son père lui enseignait les

arcanes de l’École de l’Esprit Vivant. A cette époque, Yukihiro, était

trop jeune élève pour susciter l’intérêt d’un senseï trop préoccupé à parfaire

son héritage. Bien conscient de cela, il laissait volontairement la

porte du dojo entrouverte, pour laisser à Yukihiro la possibilité d’observer

les exercices et ainsi écouter les conseils de leur père. Tadashi savait

que son frère aurait tellement aimé que leur père soit fier de lui. Au lieu

de cela, le cadet n’avait eu droit au mieux qu’à des tapes d’encouragements

sur l’épaule de la part de son senseï. Même dans ces rares cas, la

tape s’accompagnait de remarques sévères sur la précision de ses frappes

ou la justesse de ses positions.

Tadashi avait été, bien malgré lui, le centre de toutes les attentions

d’un père trop attaché aux traditions. Au fil des années, il se sentait de

plus en plus coupable d’accaparer ainsi l’affection de son père, alors que

son jeune frère suait sang et eau tous les jours dans le dojo en nourrissant

le vain espoir de voir une petite étincelle de fierté dans le regard de

celui qu’il admirait le plus au monde. Tadashi n’avait jamais avoué ce

sentiment de culpabilité à son frère. À vrai dire, il ne s’était jamais vraiment

confié à lui et il était désormais trop tard pour le faire. Trop peur

de dévoiler des faiblesses dans un monde où une seule chose compte :

entretenir son image. Il était l’aîné et ce fardeau lui avait été offert avec

le poids de l’honneur de la famille. Cet honneur qui allait se jouer sur

le tatami du dojo dans quelques heures. Il deviendrait le nouveau senseï

et Yukihiro serait son dévoué senpaï.

Une odeur de riz montait de la cuisine. Reprenant ses esprits, il

reconnut le parfum légèrement acidulé caractéristique du vinaigre de

riz que sa mère avait l’habitude de lui servir depuis qu’il était petit.

D’ordinaire il aurait esquissé un sourire et se serait précipité dans les

escaliers pour être le premier à se servir.

Mais pas ce matin. Aujourd’hui, Tadashi se préparerait et irait directement

au dojo. Toutes ses pensées nocturnes lui avaient coupé la faim.

Il sortirait par le jardin pour ne pas offrir au regard de sa mère le spectacle

d’un fils en proie au doute.

Quand vint l’heure de la présentation des katas, le dojo était bondé

de notables, d’anciens et nouveaux élèves. Kamajiro-senseï remit à son

héritier la lame ancestrale, « Kaze o Bunkatsu ». Tadashi se mit alors en

position, au centre du tatami. Son père annonça le premier kata. Tout

en s’exécutant, Tadashi récitait les conseils de son père, se concentrant

sur ses déplacements, ses positions et la précision de ses coupes.

« Respirer ! La respiration est la clé de la maîtrise de soi et de celle du

sabre. » Tadashi combattait des adversaires invisibles depuis déjà près de quarante

minutes. Le tressage du tsuka-ito 13 de Kaze o Bunkatsu commençait à

lui brûler la paume de la main et les ornements de la tsuba 14 lui blessaient le

dessus du pouce. Maudite soit cette lame. Il s’agissait du sabre de son aïeul,

forgé il y a plus de dix générations par les artisans Doji. Elle était légèrement

plus longue que son propre katana et ô combien plus lourde. Tadashi

présentait des kata de iaï-jutsu pour lesquels il devait montrer précision de

coupes et maîtrise de soi avec une arme dont il n’avait jamais eu le droit de

se servir au préalable. « Kaze o Bunkatsu » n’était enlevé de son présentoir

que pour les événements officiels. Bien sûr qu’elle était magnifique. Sa ligne

de trempe si parfaitement naturelle, sa courbure si harmonieuse et les reflets

légèrement moirés de l’acier feuilleté de la lame témoignaient de la grande

qualité du travail de forge. Le tressage du tsuka-ito très sobre lui conférait

une sorte d’humilité. Enfin, les fleurs de sakura 15 de la tsuba finement

dorées lui donnaient un côté léger et délicat. Les Sept Fortunes savaient ce

que Tadashi aurait sacrifié pour avoir le droit d’utiliser, à ce moment-là, son

bon vieux iaï-to 16 . Mais il s’agissait de la cérémonie de transmission et il était

de tradition que le nouveau senseï présente ses kata avec l’arme familiale.

« Concentration et précision ! » Au début des katas, quand Tadashi

tirait la lame de la saya 17 , il sentait que la pointe frottait sur le koïgushi

18 . À chaque fois, entraîné par le mouvement de coupe et le poids

de la lame, il manquait de justesse de s’entailler la main. Maudite

lame ! Il employait toute sa force, lors des coupes finales, pour stopper

sa course a exactement un shaku du tatami, tel que Kamajiro-senseï

n’avait de cesse de le marteler. Ses avant-bras commençaient à tétaniser

sous les innombrables coupes qu’il venait de faire dans le vide. Maudite

lame ! Ses épaules étaient aussi engourdies que lors des longues séances

de suburi 19 que son père affectionnait, tout particulièrement les jours

où l’entraînement avaient été dur et où, faute d’imagination, il ne trouvait

rien de plus intéressant à imposer à ses élèves. Tadashi poussa un

dernier kiaï libérateur. Il venait de trancher la tête de son adversaire

imaginaire et renvoyait calmement la lame dans sa saya, où elle reposerait

jusqu’à la prochaine génération de senseï. Enfin ! C’en était enfin

fini de la lourde lame familiale ! Tadashi se releva et retira le katana de

sa ceinture. Il salua ses ancêtres dont les portraits sévères ne semblaient

pas avoir apprécié sa prestation. Lorsqu’il releva les yeux, il vit que

Kamajiro-senseï faisait un léger signe de tête en direction de son frère.

Tadashi ne pourrait pas reprendre son souffle. Le senseï avait parlé et

ordonné d’enchaîner avec les katas en kumitachi 20 .

13 Ruban de toile, de soie ou de cuir entourant la poignée du katana.

14 Garde d’un katana de forme approximativement circulaire, souvent

ornée des héraldiques du clan du propriétaire du sabre.

15 Cerisier du Japon.

16 Sabre non tranchant utilisé lors des entraînements de iaï-jutsu.

17 Fourreau du katana.

18 La « bouche de carpe », l’ouverture de la saya par laquelle on glisse

la lame.

19 Exercice répétitif de coupe dans le vide qui a pour but le renforcement

musculaire.

20 Pratique des kata à deux.

32

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