Dumas de Demain: The French Literary Magazine Volume 5
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5<br />
DUMAS<br />
<strong>de</strong> DEMAIN<br />
<strong>The</strong> <strong>French</strong> <strong>Literary</strong> <strong>Magazine</strong><br />
Fall 2019<br />
AVECOEUVRESPAR<br />
Dobroslav Smiljanić Laurent Barcelo<br />
Christian Prince Irene Trung Gary Campbell<br />
Cheryl Block Jean-Jerôme Bellevue<br />
Halfdan Bjørnsson Victor Andrés Parra Avellaneda<br />
Amelie Fournier Yves Chantelrault<br />
Gaspard Chauvignon Mario Loprete Olivier Bodart<br />
ENTRETIEN<br />
Romane Fostier
DANS CETTE PUBLICATION<br />
Note <strong>de</strong> l’éditeur 2<br />
Entretien avec Romane Fostier 4<br />
POÉSIE<br />
Dobroslav Smiljanić La mer dans l’amertume 11<br />
<strong>de</strong> notre siècle<br />
Laurent Barcelo Collection <strong>de</strong> poèmes 15<br />
Christian Prince L’Émotion 18<br />
Irene Trung Secrets <strong>de</strong> l’Aube 23<br />
G. Anthony Campbell Collection <strong>de</strong> poèmes 24<br />
Cheryl Block L’eau sauvage, l’eau qui soulage 33<br />
Jean-Jérôme Bellevue Collection <strong>de</strong> poèmes 36<br />
Halfdan Bjørnsson Chez nous 46<br />
PROSE<br />
Víctor Andrés Parra Une journée sur la Lune 19<br />
Avellaneda<br />
Amelie Fournier Evolution 34<br />
Yves Chantelrault Le Loup Texte 44<br />
Gaspard Chauvignon Cyrano <strong>de</strong> Bergerac 48<br />
Les zoos humains, une enquête 53<br />
réfléchie<br />
VISUALIZATION LITTÉRAIRE<br />
Mario Loprete Sculptures <strong>de</strong> béton 55<br />
Olivier Bodart Zones à risques 69<br />
Cinquième édition | 1
Note <strong>de</strong> l’éditeur<br />
C’est avec une fierté immense que j’annonce la cinquième<br />
édition du magazine littéraire <strong>Dumas</strong> <strong>de</strong> <strong>Demain</strong>. Je trouve que cette<br />
édition marque une étape importante dans la vie du magazine : nous<br />
sommes arrivés à la cinquième année du magazine ! Au cours <strong>de</strong>s<br />
cinq <strong>de</strong>rnières années, nous avons observé <strong>de</strong>s œuvres <strong>de</strong> littérature et<br />
d’art splendi<strong>de</strong>s et diverses. Ceci dit, le contenu et le but du magazine<br />
sont restés les mêmes. Cette année, j’ai remarqué que chaque pièce<br />
— qu’il s’agisse d’une œuvre d’art visuel, une œuvre <strong>de</strong> littérature ou<br />
une discussion avec un auteur — s’articule autour <strong>de</strong> l’ambiguïté <strong>de</strong>s<br />
actions <strong>de</strong> l’Homme, qui se perd dans la complexité <strong>de</strong> la société<br />
humaine et ses diverses sous-cultures. Certains auteurs démontrent<br />
l’ambiguïté du désir ; d’autres expliquent la manière lugubre dont<br />
évolue la culture. Effectivement, nous remarquons cette ambiguïté à<br />
plusieurs échelles et quasiment partout dans le mon<strong>de</strong>. Cette notion<br />
est exprimée <strong>de</strong> différentes manières : aux États-Unis, la vacuité<br />
socio-politique concernant les armes à feu déchire le peuple et<br />
témoigne les dangers intrinsèques d’un gouvernement instable ; les<br />
conflits sur la frontière palestinienne ou la guerre immanente entre<br />
l’In<strong>de</strong> et le Pakistan mettent en œuvre l’ambiguïté inquiétante <strong>de</strong><br />
l’histoire et <strong>de</strong> la religion, ambiguïté qui ne cesse <strong>de</strong> tourmenter<br />
l’humanité. Cela dit, j’ai tenté <strong>de</strong> générer un ensemble d’œuvres qui<br />
respecte les critères du magazine et qui démontre la valeur <strong>de</strong> la<br />
littérature, notamment sa capacité à faire <strong>de</strong> la langue française un<br />
chef-d’œuvre qui ne cesse <strong>de</strong> se réinventer. C’est ainsi qui je souhaite<br />
vous remercier pour votre passion, volonté et désir.<br />
— Phillip Michalak<br />
2 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
Cinquième édition | 3
ENTRETIEN AVEC UN AUTEUR:<br />
ROMANE FOSTIER<br />
Qui est votre héros préféré <strong>de</strong> la littérature <strong>de</strong> Marguerite Duras ?<br />
Pourquoi ?<br />
Mon personnage préféré est l'héroïne <strong>de</strong> l'Amant (elle n'a pas <strong>de</strong><br />
nom, c'est la narratrice. Elle dit « je » et c'est probablement un double<br />
<strong>de</strong> l'auteur Marguerite Duras). Elle a 15 ans dans l'œuvre. C'est l'âge<br />
auquel j'ai lu moi-même pour la première fois le roman. Je me suis<br />
i<strong>de</strong>ntifiée à elle probablement. Elle va vivre avec curiosité et une<br />
forme <strong>de</strong> courage [...] c’est la découverte <strong>de</strong> l'âge <strong>de</strong> femme, la<br />
découverte <strong>de</strong> l'amour, <strong>de</strong> son corps changeant, <strong>de</strong> l'éloignement <strong>de</strong><br />
sa famille, <strong>de</strong> la joie et <strong>de</strong> la souffrance. D'ailleurs nous découvrons<br />
l'héroïne au début du livre qui traverse sur un bac le Mékong, c'est<br />
une traversée symbolique, <strong>de</strong> l'enfance à l'age [sic] adulte, <strong>de</strong><br />
l'innocence à une forme <strong>de</strong> savoir.<br />
Dans votre œuvre, vous écrivez « Les relations <strong>de</strong> la mère et <strong>de</strong> la<br />
fille sont faites <strong>de</strong> ce mélange <strong>de</strong> silences pesants et d’éclats,<br />
relation passionnelle et ambiguë : Ma mère, ma misère, mon<br />
amour. » Comment interprétez-vous cette <strong>de</strong>rnière expression « Ma<br />
mère, ma misère, mon amour » ?<br />
Cette phrase résume bien je trouve la relation très particulière<br />
qu'entretient Marguerite Duras avec sa mère. Cette mère qu'elle adore<br />
et qui la fascine. Cette femme qui a décidé un petit sac en main <strong>de</strong><br />
traverser toute l'Europe et toute l'Asie pour atteindre l'Indochine avec<br />
courage. Cette mère qui a su élever seule ses trois enfants suite à la<br />
mort du père. Cette mère forte et entreprenante qui a donné accès à<br />
ses enfants à un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> liberté et d'expérimentation. Et cette mère<br />
pour qui Marguerite Duras écrit, puisqu'elle sera une <strong>de</strong>s premières<br />
lectrices <strong>de</strong> Barrage contre le pacifique et que LA MÈRE est un<br />
personnage récurrent dans la littérature durassienne. C'est le « mon<br />
amour ».<br />
4 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
Mais la figure <strong>de</strong> la mère est également une figure haïe. C'est celle<br />
qui a <strong>de</strong>s préférences entre ses enfants, celle qui délaisse sa fille, va<br />
jusqu'à la prostituer (dans les romans <strong>de</strong> Duras), celle qui est abusive<br />
et n'écoute pas les souffrances <strong>de</strong> sa fille. Celle qui est une<br />
malédiction pour sa fille puisque Duras ne cessera jamais sa quête<br />
pour l'amour <strong>de</strong> sa mère, quête sans cesse ratée. C'est donc « ma<br />
misère ».<br />
Marguerite Duras entretient cette relation très paradoxale et<br />
intense à sa mère faite d'amour/haine, d'attraction et <strong>de</strong> rejet.<br />
Quel est, selon-vous, l'aspect le plus intéressant <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong><br />
Marguerite Duras ?<br />
Ce qui me fascine le plus chez Marguerite Duras c'est qu'elle a<br />
toujours été au bout <strong>de</strong> ses convictions et qu'elle a mis en pratique ce<br />
qu'elle prônait. Elle a voulu écrite, elle a pu vivre <strong>de</strong> sa plume bien<br />
qu'à l'époque ce type <strong>de</strong> travail n'était pas aisé pour une femme<br />
malgré les critiques <strong>de</strong> son entourage. Elle a été communiste et a<br />
donc milité toutes les semaines ; elle allait à chaque réunion et elle<br />
aimait vivre en communauté que ce soit chez elle (son appartement<br />
parisien a toujours été le lieu <strong>de</strong> dîners conviviaux avec le groupe <strong>de</strong><br />
la rue Saint Benoît) ou durant le tournage <strong>de</strong> ses films. Elle a voulu<br />
être libre et elle a mené, sans se soucier du regard d’autres, une vie <strong>de</strong><br />
femme libre dans ses amours et ses choix professionnels. Elle a voulu<br />
expérimenter l'ivresse, elle a été au plus loin dans l'alcoolisme. Tout<br />
ce qu'elle a fait, le meilleur comme le pire, elle l'a fait jusqu'au bout.<br />
Dans votre carrière d'écrivain, quel est l'obstacle qui vous a causé<br />
le plus <strong>de</strong> peine ?<br />
Pour le moment je ne peux pas dire qu'un obstacle m'ait causé <strong>de</strong><br />
la peine, mais dans l'écriture d'une biographie ce qui est le plus<br />
délicat c'est probablement <strong>de</strong> trouver le juste équilibre entre<br />
l'exactitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s faits et leur mise en forme narrative. C'est-à-dire<br />
entre le fait <strong>de</strong> vouloir coller au plus près <strong>de</strong> la réalité et le fait <strong>de</strong><br />
mettre en vie le récit. Ce sont <strong>de</strong>ux forces contraires.<br />
Cinquième édition | 5
Quelle philosophie ou quel philosophe a le plus en commun avec<br />
l'écriture <strong>de</strong> Duras ?<br />
C'est une question très compliquée en ce qui concerne Duras qui<br />
écrit plus sur les sens que sur les idées. Elle ne s'est jamais<br />
revendiquée d'aucune pensée en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> la sienne. C'est donc<br />
compliqué <strong>de</strong> l'affilier à une philosophie...<br />
Quel livre <strong>de</strong> Duras vous a marquez le plus ? Pourquoi ?<br />
L'Amant pour les raisons évoquées dans la question 1) ainsi que<br />
pour la découverte du style d'écriture <strong>de</strong> Marguerite Duras. Par la<br />
suite beaucoup <strong>de</strong> ses autres romans m'ont touchée comme<br />
Lol.V.Stein et Mo<strong>de</strong>rato cantabile, sur l'errance <strong>de</strong> femmes.<br />
Pourquoi Marguerite Duras ? Qu'en est-il <strong>de</strong> l'époque dans<br />
laquelle nous vivons qui a influencé votre décision <strong>de</strong> choisir<br />
d'écrire sa biographie ?<br />
Par <strong>de</strong> nombreux aspects Marguerite Duras est une femme et<br />
une auteure très mo<strong>de</strong>rne. Sa position <strong>de</strong> femme, écrivaine, engagée<br />
politiquement et libre est, me semble-t-il, un bel exemple féministe<br />
encore aujourd'hui. Dans un contexte qui est en quête une égalité<br />
pour les femmes, Marguerite Duras me parait être une personnalité<br />
intéressante à présenter. Une femme qui s'est faite seule, parfois<br />
contre son entourage, et qui a fait entendre sa voix. Elle a su affirmer<br />
et vivre ses désirs et ses ambitions. Enfin, sa manière <strong>de</strong> parler <strong>de</strong>s<br />
sens et sensations a une dimension intemporelle qui parle encore<br />
aujourd'hui.<br />
Avez-vous eu un avis sur les mémoires <strong>de</strong> Duras - L’amant et<br />
l’Amant <strong>de</strong> la chine du nord ? Y a-t-il eu <strong>de</strong>s différences<br />
substantielles entre eux et comment avez-vous concilié les <strong>de</strong>ux<br />
dans votre œuvre ?<br />
Barrage contre le pacifique, l'Amant et l'Amant <strong>de</strong> la Chine du<br />
Nord sont une même histoire mais racontée <strong>de</strong> trois manières<br />
différentes et à trois âges <strong>de</strong> la vie différents, ce qui change bien sûr<br />
est la perspective du souvenir <strong>de</strong> Marguerite Duras sur son passé.<br />
6 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
Aucun n'est complètement juste, ni complètement faux. Les<br />
différences sont subtiles mais bien présentes. Dans l'Amant<br />
Marguerite Duras fait apparaître le frère aîné qui était absent dans le<br />
Barrage et l'amant est chinois alors qu'il était européen dans le<br />
Barrage. De plus l'Amant fait certaines références à la secon<strong>de</strong> guerre<br />
mondiale que ne fait pas le Barrage. La narratrice du Barrage a un<br />
nom, Suzanne, tandis que celles <strong>de</strong> l'Amant et <strong>de</strong> l'Amant <strong>de</strong> la Chine<br />
du nord sont juste « je » et se rapprochent <strong>de</strong> la figure <strong>de</strong> l'auteur. Il y<br />
a désir et amour pour l'amant dans les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers ouvrages alors<br />
qu'il n'y a que dégoût dans le premier. Enfin le style <strong>de</strong> l'Amant <strong>de</strong> la<br />
Chine du nord est plus théâtral que les <strong>de</strong>ux autres.<br />
Les points communs mais aussi les différences sont autant<br />
d'éléments qui nous révèlent l'évolution <strong>de</strong> la pensée <strong>de</strong> Duras. Il<br />
suffit <strong>de</strong> rester pru<strong>de</strong>nt quand on parle <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong> Duras en <strong>de</strong>hors<br />
<strong>de</strong> la fiction.<br />
Duras a déclaré : « Si je l’ai écrit, c’est que ça a existé » et « cette<br />
histoire est vraie puisque je l’ai inventée ». Compte tenu <strong>de</strong> la<br />
relation particulière <strong>de</strong> Duras avec la vérité, quels types <strong>de</strong> défis<br />
factuels avez-vous rencontré et comment avez-vous traité avec eux ?<br />
En effet c'est très délicat <strong>de</strong> pouvoir raconter avec certitu<strong>de</strong> la<br />
vie <strong>de</strong> Marguerite Duras car elle l'a beaucoup réécrite et a fini par<br />
croire en partie à ses mensonges. Heureusement, une partie <strong>de</strong>s faits<br />
factuels peuvent, avec un travail minutieux, être retrouver [sic]. Jean<br />
Vallier dans sa biographie a fait un travail incroyable <strong>de</strong> recherche et<br />
a retrouvé notamment les menus <strong>de</strong> la classe <strong>de</strong> première du paquebot<br />
sur lequel voyageait la famille Donnadieu, témoin d'une vie plus<br />
aisée que celle qu'elle nous dépeignait. A l'inverse Marguerite Duras<br />
a détruit une gran<strong>de</strong> partie du courrier qu'elle échangeait avec sa<br />
mère, ce qui rend plus difficile d'établir avec certitu<strong>de</strong> le lien qu'elles<br />
avaient. Il faut donc croiser les avis, les témoignages <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> son<br />
entourage.<br />
Cinquième édition | 7
Quel est, selon vous, l'élément le plus important pour le succès d'un<br />
écrivain ?<br />
S'il y avait un élément magique pour le succès, ce serait si simple... !<br />
Mais <strong>de</strong>ux choses me paraissent essentielles : le style et la capacité à<br />
raconter une histoire qui ait une dimension universelle et qui puisse<br />
toucher, <strong>de</strong> manière différente, chacun <strong>de</strong> nous.<br />
Supposez que vous puissiez organiser un ren<strong>de</strong>z-vous avec une<br />
version plus jeune <strong>de</strong> vous-même - avant d'avoir commencé votre<br />
carrière d'écrivaine. Quels avis auriez-vous ?<br />
C'est une question difficile... Je lui dirais surtout : Courage !!<br />
Supposez que vous pourriez organiser un ren<strong>de</strong>z-vous avec votre<br />
auteur préféré quelles questions poseriez-vous ? Pourquoi ?<br />
Je crois que ce qui m'intéresse le plus ce sont les liens entre la vie<br />
intime <strong>de</strong> l'auteur et sa production littéraire. Quelles sont ses sources<br />
d'inspiration, qu'est ce qui dans sa vie l'a mené à l'écriture, les<br />
anecdotes qui ont nourri son travail... C'est pourquoi je m'intéresse à<br />
la biographie, c'est aussi un moyen <strong>de</strong> dialoguer avec un auteur, <strong>de</strong><br />
partir en quête <strong>de</strong> « ses secrets ».<br />
Quel est l'élément le plus stimulant du processus d'écrire une<br />
biographie ? Et aussitôt quel serait le plus provocateur ?<br />
Le plus stimulant est probablement <strong>de</strong> redonner vie à un auteur, le<br />
mettre en mouvement mais le plus complexe est <strong>de</strong> faire cela sans<br />
mentir ou trop s'éloigner du réel. Le raconter dans son intimité pour<br />
lui donner chair sans le dévoyer.<br />
Enfin, selon vous, pourquoi la littérature <strong>de</strong> Duras est-elle<br />
importante aujourd’hui ?<br />
Parce qu’elle a une manière <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> l'émotion et <strong>de</strong> la sensation<br />
d'une manière jamais égalée. Parce que c'est une voix <strong>de</strong> femme forte<br />
et libre. Parce qu'elle a créé un style qui inspire aujourd'hui encore<br />
<strong>de</strong>s écrivains<br />
8 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
ROMANE FOSTIER<br />
Cinquième édition | 9
10 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
DOBROSLAV SMILJANIC<br />
DI DOBROSLAV SMILJANIC<br />
La mer dans l’amertume <strong>de</strong> notre<br />
siècle<br />
Oui, c’est bien ce rayon dans le creux <strong>de</strong> la main que nous sommes<br />
encore en<br />
train <strong>de</strong> chasser<br />
Vague déferlante gelée, semence atemporelle<br />
Étincellement du néant, nénuphar <strong>de</strong>s étoiles <strong>de</strong> plus en plus lour<strong>de</strong>s,<br />
rebord<br />
Quand le tour du cercle bleu est fait<br />
Le berceau dans l’eau est déjà un rêve, et le chœur<br />
Des vierges folles et nues dès l’aube<br />
Chante ta mort afin d’alléger ton far<strong>de</strong>au<br />
Jusqu’à l’étoile du soir qui<br />
Blesse encore plus fort<br />
Écoute, en une couronne-instant la mer concentrée se conçut<br />
Démesurée<br />
LA MER<br />
Assignée<br />
Et rebelle intimité<br />
Qui<br />
Même si nous ne mourons jamais<br />
Cinquième édition | 11
Ne cessera <strong>de</strong> nous transformer et <strong>de</strong> nous tenter<br />
Oui, c’est celui dont on ne parle dans l’obscurité<br />
Détrôné dans l’écho sans <strong>de</strong>scendants ni habitation<br />
L’œil maléfique, vengeance illusoire <strong>de</strong> la <strong>de</strong>struction<br />
Et <strong>de</strong> l’œuvre – bouquet extrasensoriel où ronronne et languit<br />
Le chat fainéant <strong>de</strong> l’indéfini.<br />
Dans la paille d’Éros<br />
Tu tremblotes tel l’enfant qui entend en dormant<br />
Le gron<strong>de</strong>ment du passage vers l’aire <strong>de</strong> l’ouragan<br />
Passage <strong>de</strong> celui-ci à cet autre <strong>de</strong> la <strong>de</strong>nsité <strong>de</strong>s temps d’antan<br />
Qui brille <strong>de</strong> tout son éclat à chaque foudroiement<br />
En mouvement dont c’est toi maintenant la cause<br />
Le battement <strong>de</strong> ton cœur – mesure, don, possession<br />
Dans lequel chaque fin est finalement un nouveau commencement<br />
Auquel tu retournes sous une grâce ajoutée<br />
Pour bâtir un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> ta vivacité<br />
Cette mer est scythe lorsqu’elle saute hors du piège<br />
Mer <strong>de</strong> la farce et du mouvement, caravane <strong>de</strong> la soif jusqu’à l’oasis<br />
Mer <strong>de</strong> l’ar<strong>de</strong>ur mélangée à la clémence et au vin<br />
Mer déchiquetée en queues par <strong>de</strong>s chevaux furieux<br />
Mer <strong>de</strong> l’histoire, mer <strong>de</strong> la mission et <strong>de</strong> l’anabase<br />
Mer <strong>de</strong>s reflets et <strong>de</strong>s fêtes et <strong>de</strong> l’architecture<br />
Mer <strong>de</strong>s gémissements, mer <strong>de</strong>s rugissements et <strong>de</strong> la barbarie<br />
Mer du blasphème - entre l’horreur et l’extase<br />
Mer <strong>de</strong> la naissance, mer <strong>de</strong> la vision et du soin<br />
Mer qui déferle par les barreaux, amers<br />
Mer <strong>de</strong> l’amour et <strong>de</strong> la rencontre, mer <strong>de</strong> la guérison<br />
12 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
Mer <strong>de</strong> l’instant et <strong>de</strong> la <strong>de</strong>scendance et <strong>de</strong>s temps anciens<br />
Mer <strong>de</strong> la douce convalescence, mer <strong>de</strong> l’existence et du<br />
trébuchement<br />
Mer du schisme et <strong>de</strong> l’exil et <strong>de</strong> l’expatriation<br />
Mer <strong>de</strong> l’origine et du corps, mer <strong>de</strong> la primauté<br />
Mer monarque, mer dans l’amertume <strong>de</strong> notre siècle<br />
Sans issue, et sans écho, sans écoulement<br />
Mer illusion découlant <strong>de</strong>s sorts pour l’agneau<br />
Mer <strong>de</strong>s séparations, <strong>de</strong>s touchers secrets et <strong>de</strong>s atrocités<br />
Mer sans enfants et vouée, chaste bûcher et enclave<br />
Mer <strong>de</strong> l’unité et <strong>de</strong> la diversité et <strong>de</strong> l’infidélité<br />
Et patrie <strong>de</strong> la profon<strong>de</strong>ur à la peau orange <strong>de</strong> la lune.<br />
Mer lasse et allongée, mer <strong>de</strong> l’assassinat<br />
Mer <strong>de</strong> l’aztèquisme et <strong>de</strong> l’assyrisme et du sumérisme<br />
Mer agraire et achaïque, mer du narcissisme et <strong>de</strong> l’orphisme<br />
Lichen <strong>de</strong> chemins et d’engourdissements et transcendance charitable<br />
Couvée aptère et sous-entassée avec un œil <strong>de</strong> criminel et un œil <strong>de</strong><br />
saint<br />
Mer émissaire au ruban noir, mer d’espoir et d’égéismes<br />
Œil vert dans le mot eau et pain <strong>de</strong> communion issu <strong>de</strong>s contusions<br />
Mer trésor et persuasion et collection naufragée d’étoiles<br />
Tourbillon et mythe du berceau et toge drapée du chapelain<br />
Mer du singulier, et du pluriel, mer <strong>de</strong> la prière et du paganisme<br />
Mer malpropre et cloaque, mer <strong>de</strong> la miction et <strong>de</strong> l’éructation<br />
Mer macro et mercanti, mer miracle et décontraction<br />
Mer ratichon et exo<strong>de</strong> et émigrante à l’autre bout du mon<strong>de</strong><br />
Mer lecture illisible <strong>de</strong> la force, mer légen<strong>de</strong><br />
Mer maso, dualité entre la douceur et la fustigation<br />
Cinquième édition | 13
Mer <strong>de</strong> la chimie et <strong>de</strong> la polysémie et ressemblance universelle <strong>de</strong><br />
l’eau<br />
Mer virile et ruineuse, sabaoth grisonnant et pramāņa<br />
Mer prière matinale et dissemblance <strong>de</strong>s classes du même genre<br />
Mer qui n’est pas que <strong>de</strong> l’eau.<br />
Traduit par : Jelena Novaković et Jelena Višacki<br />
Dobroslav Smiljanić est poète, essayiste et critique littéraire, né en 1933 à Pavino<br />
polje (Monténégro). Il vit à Belgra<strong>de</strong>. Il a publié plusieurs recueils <strong>de</strong> poésie : La<br />
Branche du non-donné (1970), Une voix solitaire dans le souvenir collectif (1979),<br />
Le Surcroît <strong>de</strong> vue (1984), Les Paradis dans une lentille (1985), Le Dîner avec la<br />
mort (1989), Le Hibou conducteur du train (1990), La Pierre <strong>de</strong> la Fée (1993), Là<br />
où la lumière pense (1997), Ruines et apparitions (2001), Archive <strong>de</strong> la blancheur<br />
(2006). Il a aussi écrit <strong>de</strong>s essais sur la littérature et sur les arts plastiques (Le<br />
Logos <strong>de</strong>s arts plastiques, 2011).<br />
14 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
LAURENT BARCELO<br />
L'île et elle<br />
Une île est un paysage entouré d'eau.<br />
C'est un paysage sans personne autour,<br />
Ou sur <strong>de</strong>s bateaux.<br />
Quand l'orage arrive<br />
Et les bateaux retournent au port,<br />
Vous ne pouvez voir que <strong>de</strong> l'eau.<br />
Un archipel est un groupe d'îles :<br />
Grand, petit, plat, sinueux.<br />
Ici, c'est une fille allongée dans la poitrine saillante,<br />
C'est une femme qui donne naissance à une colline.<br />
Même dans un archipel,<br />
Une île ne prend qu'un « i ».<br />
Une « île » sans « elle », c'est une île déserte.<br />
Une île ne manque pas d'air.<br />
D'une île, nous avons souvent vu la mer.<br />
Comme nous avons rapi<strong>de</strong>ment contourné une île,<br />
Un archipel permet <strong>de</strong> faire plusieurs tournées.<br />
Quand on débarque une île,<br />
Nous espérons trouver l'île sœur.<br />
Sur une île, tous les chemins mènent à la mer.<br />
Cinquième édition | 15
L’Homme qui veut tout savoir<br />
L’Homme qui veut tout savoir<br />
A peur du vi<strong>de</strong>,<br />
Peur du noir.<br />
On lui cache tout,<br />
On ne lui dit rien.<br />
Il y a une raison à tout,<br />
Rien n’est le fruit du hasard.<br />
L’Homme qui veut tout savoir<br />
Veut savoir tout sur tout.<br />
Tout le temps.<br />
Sur tout le mon<strong>de</strong>.<br />
Il ouvre l’œil,<br />
Il tend l’oreille,<br />
Il parle <strong>de</strong> tout.<br />
Quand on lui dit que l’on ne sait pas,<br />
Il ne veut rien entendre,<br />
Ne rien savoir.<br />
16 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
Hémisphère Sud<br />
Un hémisphère, c’est la moitié d’une sphère.<br />
Mais je préfère dire « une » hémisphère : je trouve ça plus<br />
joli.<br />
Il n’y a que <strong>de</strong>ux hémisphères :<br />
Une à l’endroit, une à l’envers,<br />
L’une en été, l’autre en hiver.<br />
Chacune a sa part d’ombre et <strong>de</strong> lumière.<br />
Les frivoles argentés passent <strong>de</strong> l’une à l’autre,<br />
Sans vraiment s’en rendre compte.<br />
On se dit « à <strong>de</strong>main », et c’est déjà hier.<br />
L’hémisphère sud a perdu le nord, il y a longtemps déjà.<br />
Ils sont pourtant faits l’un pour l’autre,<br />
Les <strong>de</strong>ux font la paire.<br />
L’hémisphère sud, c’est celle du <strong>de</strong>ssous ;<br />
L’hémisphère nord est à l’étage.<br />
Dans l’hémisphère sud, on entend les bruits <strong>de</strong> pas.<br />
Cinquième édition | 17
CHRISTIAN PRINCE<br />
L’Émotion<br />
L'émotion, qu'est-ce que c’est ?<br />
J'en ai entendu parler<br />
Mais je ne crois pas que je l’ai déjà ressentie.<br />
Je me sens seulement ce que Plath a appelé :<br />
« <strong>The</strong> thin / Papery feeling »<br />
—oui je connais ce papier.<br />
Le papier change sa couleur, sa transparence, sa texture,<br />
Et parfois c'est mouillé,<br />
Mais c'est toujours du papier.<br />
Qu'est-ce que c'est l’émotion ?<br />
Et, si vous l'avez, comment est-ce que pouvez-vous distinguer entre<br />
Les émotions et le papier ?<br />
Sinon pour papier, où est-ce que vous placez vos mots pour cela<br />
18 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
VICTOR ANDRES PARRA<br />
AVELLANEDA<br />
Une journée sur la Lune<br />
Avant l'aube, je me lève pour aller à l'école. Il fait très froid et<br />
tout est sombre. Mes vêtements sont un manteau <strong>de</strong>nse, un chapeau<br />
<strong>de</strong> laine, <strong>de</strong>s lunettes coupe-vent qui protègent mon visage, et une<br />
écharpe encombrante qui entoure mon cou comme un serpent<br />
énorme<br />
J'ouvre la porte <strong>de</strong> ma maison et une rafale <strong>de</strong> vent m'assaille,<br />
m'immobilise pour quelques instants, jusqu'à ce que je parvienne à<br />
gar<strong>de</strong>r mon équilibre et à m'habituer au vertige <strong>de</strong> marcher dans cet<br />
environnement rempli <strong>de</strong> neige qui atteint mes genoux. Je lève les<br />
pieds aussi haut qu'ils le peuvent et je pénètre dans le froid profond.<br />
Je vois <strong>de</strong>s passants habillés comme moi et morts <strong>de</strong> froid. Des<br />
milliers <strong>de</strong> personnes vont travailler à cette heure-ci.<br />
Le train arrive et je monte à bord. Les gens sont vaincus par le<br />
sommeil . Personne n’a les yeux ouverts. Parfois je me dis que ce<br />
train n’est rien <strong>de</strong> plus qu’un cercueil abrité dans une gran<strong>de</strong> morgue,<br />
où dans notre léthargie nous n’attendons que le diagnostic <strong>de</strong> notre<br />
mort.<br />
***<br />
J'arrive à la <strong>de</strong>stination. Les heures passent et la neige<br />
commence à fondre et à s'évaporer vers 11h30. La nébulosité<br />
dominante du matin sombre disparaît sous l'effet <strong>de</strong> la chaleur du<br />
soleil levant.<br />
Il fait très chaud et je dois enlever tous mes manteaux. Je reste<br />
en sous-vêtements, ce n'est qu'alors que je pourrai supporter la<br />
chaleur qui domine ces heures.<br />
Cinquième édition | 19
Je commence à transpirer. Tous les autres ont les mêmes<br />
symptômes. La sueur apparaît ; ils halètent et sont fatigués.<br />
– De l'eau, s'il vous plaît ! ... cria une voix lointaine.<br />
Voyant la situation se compliquer, je m'éloigne <strong>de</strong> tout le mon<strong>de</strong><br />
en me cachant <strong>de</strong>rrière une salle <strong>de</strong> classe. Je prélève <strong>de</strong> mon sac à<br />
dos une bouteille d'eau que je croyais à tort froi<strong>de</strong>, mais il fait chaud<br />
et il y a <strong>de</strong>s signes d'évaporation.<br />
– C'est tout ce qu'il y a à faire. L'eau est <strong>de</strong> l'eau-pensée.<br />
Je bois, en veillant à ce que personne ne me voie. Je fais cela<br />
parce que beaucoup <strong>de</strong> gens assoiffés oublient d'apporter <strong>de</strong> l'eau et<br />
n'hésiteraient pas à me l'enlever au prix <strong>de</strong> m'attaquer — peut-être<br />
même au prix <strong>de</strong> quelque chose plus violent encore.<br />
La sueur qui éclabousse ma peau s'évapore, exposant les sels<br />
qu'elle expulse. Ils se cristallisent, formant une légère couche<br />
blanchâtre cassante qui provoque <strong>de</strong>s démangeaisons dans<br />
l'épi<strong>de</strong>rme. Les rayons du soleil <strong>de</strong>viennent plus intenses et irritent<br />
ma peau jusqu'à ce qu'elle <strong>de</strong>vienne rouge et s'écaille comme la<br />
craie.<br />
Face au danger évi<strong>de</strong>nt d'être exposé à ce rayonnement, je cours<br />
à la recherche <strong>de</strong> l'ombre d'un arbre. Mais ils sont tous occupés par<br />
<strong>de</strong>s gens qui ne sont pas prêts à abandonner un peu d'espace.<br />
Cependant, une fille s'évanouit <strong>de</strong> déshydratation et est transportée<br />
d'urgence à l'hôpital. Je saisis l'occasion et je prends ma place, me<br />
cachant du soleil brûlant.<br />
On pourrait raisonnablement suggérer que la saturation <strong>de</strong>s<br />
personnes serait facilement résolue si les élèves étaient confinés dans<br />
leurs salles <strong>de</strong> classe. Mais c'est extrêmement dangereux.<br />
Principalement parce que le dioxy<strong>de</strong> <strong>de</strong> carbone généré par la<br />
respiration humaine s'accumule rapi<strong>de</strong>ment dans le petit espace <strong>de</strong> la<br />
classe. Cette situation et la mauvaise circulation <strong>de</strong> l'air transforment<br />
les espaces clos en chambre mortuaire.<br />
D'autres n'ont pas la même chance, comme les employés qui<br />
travaillent dans <strong>de</strong>s bureaux dans <strong>de</strong> grands immeubles, qui ne<br />
peuvent pas utiliser la climatisation parce qu'elle surchaufferait<br />
l'équipement et causerait un incendie capable <strong>de</strong> consumer tout<br />
l'immeuble- ce qui est déjà arrivé.<br />
20 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
***<br />
La pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> canicule est terminée. Le ciel s'obscurcit et une<br />
pluie violente tombe qui, après quelques minutes, inon<strong>de</strong> les rues et<br />
les gares, où le transport passe sous l'eau comme un sous-marin en<br />
transit.<br />
A ce moment-là, tout le mon<strong>de</strong> sur la ligne <strong>de</strong> train porte une<br />
combinaison <strong>de</strong> plongée. Chaque fois que les portes sont ouvertes, les<br />
passagers nagent pour atteindre leur <strong>de</strong>stination. Je quitte la gare et la<br />
forte pluie s'est arrêtée. Au lieu <strong>de</strong> cela, un vent fort prévient d'un<br />
nouveau danger.<br />
Je cours aussi vite que possible jusqu'à chez moi.<br />
Trop <strong>de</strong> grêle. D'énormes morceaux <strong>de</strong> glace tombent du ciel et<br />
recouvrent la ville sous une couche <strong>de</strong> froid inerte.<br />
La température chute <strong>de</strong> 10 <strong>de</strong>grés toutes les heures ainsi que la<br />
pression atmosphérique. Je mets un manteau et mange beaucoup <strong>de</strong><br />
gras et <strong>de</strong> gluci<strong>de</strong>s pour ne pas mourir <strong>de</strong> froid.<br />
***<br />
J'ai entendu « Les Quatre Saisons » <strong>de</strong> Vivaldi. Je ne comprends<br />
pas pourquoi son nom est si étrange.<br />
Mon grand-père me racontait <strong>de</strong>s histoires sur le mon<strong>de</strong> dans<br />
lequel il est né. Parfois, j'ai l'impression qu'il mentait pour<br />
m'embrouiller. Selon lui, ce mon<strong>de</strong> est fou, mais je pense que c'est lui<br />
qui est fou.<br />
D'un autre côté, mes parents me conseillent <strong>de</strong> ne rien croire <strong>de</strong><br />
ce qu'il dit, parce que ce sont <strong>de</strong>s histoires <strong>de</strong> vieux fous.<br />
– Je me souviens que l'hiver commençait en décembre et terminait en<br />
mars ; le printemps continuait ainsi et finissait en juin avec l'été<br />
jusqu'en octobre avec l’automne ; c'était toujours comme ça.<br />
– Tu as tort papa. Il n'y a que <strong>de</strong>ux saisons qui correspon<strong>de</strong>nt à la<br />
température du jour. De 21 h à 11 h, c'est l'hiver. C'est à ce momentlà,<br />
quand la canicule se fait sentir, que l'été commence.<br />
– Tout s'est mal passé et personne ne semble s'en soucier.<br />
Maintenant, les nuits sont très froi<strong>de</strong>s et les jours sont très chauds. Le<br />
mon<strong>de</strong> est <strong>de</strong>venu méconnaissable. Ça me rappelle le roman <strong>de</strong> H.G.<br />
Cinquième édition | 21
Wells, « Les Premiers Hommes dans la Lune ». Mais on n'est pas sur<br />
la lune, on est toujours sur Terre. - dit mon grand-père.<br />
– C'est toi qui es sur la lune, vieil imbécile, répondit mon père.<br />
22 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
IRENE TRUNG<br />
Secrets <strong>de</strong> l’Aube<br />
Quand l’aube égaye comme les tournesols <strong>de</strong> Provence,<br />
les paroles joyeuses <strong>de</strong> pouillot fitis<br />
m’appellent à la fenêtre, la porte ouverte à la clairvoyance<br />
masquée par leurs battements.<br />
Équilibrés précairement sur la corniche <strong>de</strong> chaque possibilité fugace,<br />
les murs <strong>de</strong> mon esprit tombent<br />
et permettent l’entrée <strong>de</strong> la lumière du jour infini<br />
qui porte les secrets <strong>de</strong>s gens.<br />
Le garçon analphabète avec <strong>de</strong>ux pences<br />
collectionne les noyers noirs et la gomme d'acacia,<br />
mais sa voix effacée par l’encre, il passe les ingrédients<br />
avec un bourdonnement faible.<br />
La fille qui a l’o<strong>de</strong>ur d’encens <strong>de</strong> lys<br />
cueille les bigorneaux avec un murmure humble<br />
que l’hiver suit toujours l’automne, que le printemps n’est<br />
rien sans l’hiver.<br />
Et moi, je me suis agenouillée dans le jardin <strong>de</strong> conscience pelée,<br />
et j’ai versé une larme <strong>de</strong> souhaits<br />
aussi tranquillement que la finesse naturelle<br />
<strong>de</strong> germes <strong>de</strong> violette tricolore en l’air.<br />
Cinquième édition | 23
G. ANTHONY CAMPBELL<br />
ne prenez pas mon arrogance<br />
Ne prenez pas mon arrogance<br />
Pour l'intrépidité, c’est parce que<br />
Je dois protéger le petit garçon à l'intérieur<br />
Que je maintiens<br />
Cette position arrogante<br />
Ne t'inquiète pas et ne pense pas que<br />
Je t'ai abandonné ma femme<br />
Noire pour c’est avec toi et pour<br />
Tout ce que vous avez défendu, que<br />
Ne pense pas que j'ai oublié<br />
Ma culture, pour le plus que j'apprends,<br />
je trouve <strong>de</strong> plus en plus que c'est tout<br />
Ma culture. Des chansons <strong>de</strong> nos<br />
Souffrant, au travail non rémunéré<br />
Cela a apporté richesse et loisirs<br />
En Europe<br />
Ne perd pas la foi,<br />
24 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
Pour la bataille livrée avec raison<br />
Et chant, comme la bataille <strong>de</strong> Jéricho<br />
La bataille s'est déroulée avec un bruit joyeux<br />
Pour entrer dans tout ce que nous avons été<br />
Exclus<br />
Cinquième édition | 25
Création<br />
En catharsis, pour les esprits<br />
Et <strong>de</strong>s âmes pleines <strong>de</strong> voix<br />
Et les visions ne sont plus<br />
Contenu à l'intérieur<br />
Des cris d'obscénités et <strong>de</strong> passions<br />
Chansons <strong>de</strong> la même<br />
frustration mène au dédale<br />
Comportement créatif et <strong>de</strong>structeur<br />
Tissez<br />
Main dans la main omniscient<br />
Satisfaction<br />
Physique et mentale pour soulager<br />
Le cathexis qui donne ce pouvoir aux<br />
Vaisseaux créés par nos démons<br />
La prose et la peinture révèlent <strong>de</strong>s aperçus<br />
De vers qui ont fuit<br />
Mais ne peuvent pas cacher<br />
Vignettes <strong>de</strong> ce rêve —<br />
Là où les rêves <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s cauchemars<br />
26 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
Attendant un ami<br />
Dans un café jaune<br />
Le vétéran japonais à une main<br />
Questionne la serveuse<br />
Lorsqu’il s’imagine visiter<br />
St. Tropez<br />
Un chat orange boiteux<br />
Traverse la rue<br />
Risque d'autres membres<br />
Erik Satie joue<br />
Et je pense à<br />
Paris et Malcolm<br />
Les passes africaines<br />
Pour la <strong>de</strong>uxième fois.<br />
Cinquième édition | 27
J’ai connu <strong>de</strong>s amis<br />
J'ai connu <strong>de</strong>s prétendants<br />
Ceux qui draguent avec amour<br />
Mais s’éloignent et se témoignent<br />
Car l’amour est intense<br />
Et laisse les cicatrices<br />
Lorsque les prétendants fuient<br />
Et avec eux la foi<br />
28 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
Lorsque vous traversez <strong>de</strong>s ponts allez<br />
lentement<br />
Va lentement<br />
Remarquez comment même les trains<br />
Ralentissent<br />
Alors qu’ils se frayent un chemin à travers <strong>de</strong>s pistes suspendues à<br />
travers <strong>de</strong>s étendues d’eau<br />
C'est l'acte même<br />
Dans l'air<br />
Défier la gravité<br />
Cela nous fait contempler<br />
La prochaine étape <strong>de</strong> notre position précaire<br />
La distinction entre<br />
Ce que nous laissons <strong>de</strong>rrière<br />
Et ce que nous abordons<br />
Cinquième édition | 29
Vérités aigres-douces<br />
ayant étudié <strong>de</strong>s philosophes morts<br />
jouant maintenant avec la prose<br />
qui n’a aucune signifiance<br />
ne signifie rien vraiment<br />
oublier que «aimer» est un verbe,<br />
un acte du cœur,<br />
un état d'être<br />
est-ce que c'est étonnant que vous cherchiez,<br />
la terre, se mêler à <strong>de</strong>s étrangers,<br />
pour ce qui <strong>de</strong>vrait être à l'intérieur.<br />
un manque d'âme.<br />
30 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
Avoir aimé un fantôme<br />
Avoir aimé un fantôme<br />
Je me suis habitué<br />
A ton absence<br />
L'esprit <strong>de</strong> toi<br />
Hante toujours ma chambre<br />
Même si,<br />
Tu n'as jamais été là.<br />
je ne savais pas<br />
Que ce serait si difficile<br />
De s'habituer à votre<br />
Absence d’ici<br />
Quand tu n'y étais jamais.<br />
Comment pourrais-je aimer autant<br />
Ce que je n'ai jamais eu?<br />
Et pourtant, je le fais.<br />
Je sais que c'était toi<br />
J'ai <strong>de</strong>s lettres avec <strong>de</strong>s mots<br />
qui voulaient dire quelque chose.<br />
J'ai <strong>de</strong>s photos<br />
De moi et toi<br />
Heureux, dois-je<br />
L'accepter comme un fait<br />
Que tu étais si malheureux<br />
Cinquième édition | 31
Avec moi?<br />
Et maintenant tu es parti<br />
Et heureux<br />
C'est maintenant réel<br />
Qu’est-ce que c’était?<br />
S’enfuir<br />
32 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
CHERYL BLOCK<br />
L’eau sauvage, l’eau qui soulage<br />
L’eau sauvage, l’eau qui soulage<br />
pleurent un chemin à travers la cité<br />
ses larmes emprisonnant les citoyens par milliers,<br />
captifs <strong>de</strong>s murs liqui<strong>de</strong>s . . .<br />
On voit un bras qui s’élève<br />
pour nager, pour atteindre un hélicoptère<br />
pour tirer un enfant, un vieux<br />
à la sûreté . . .<br />
L’eau sauvage, l’eau qui soulage<br />
la violence par laquelle<br />
on voit un bras s’élever<br />
et une main prendre l’eau en bouteille.<br />
L’eau sauvage, l’eau qui soulage . . .<br />
Cinquième édition | 33
AMELIE FOURNIER<br />
Évolution<br />
Une fois, il y avait une race d’animaux qui, biens comme les<br />
humains <strong>de</strong> nos jours, pouvaient communiquer <strong>de</strong>s pensées et<br />
événements précis à travers une langue bien différente - mais tout à<br />
fait i<strong>de</strong>ntique - à celle <strong>de</strong> l’Homme. Plus important encore, ils avaient<br />
<strong>de</strong>s pensées et étaient conscients <strong>de</strong> ces pensées. Ils avaient <strong>de</strong>s<br />
personnalités dans leur race, qui étaient évoquées dans le<br />
fonctionnement <strong>de</strong> leur société. Ils n’avaient pas construit<br />
d’infrastructures, plutôt ils ont utilisé les ressources naturelles, mais<br />
néanmoins, ils ont interagi bien comme nous ; si nous aurions eu la<br />
possibilité <strong>de</strong> les observer, nous aurions pu percevoir une partie <strong>de</strong><br />
nous-même.<br />
Au fil du temps, un événement inévitable pour toutes les<br />
créatures vivantes, ils sont <strong>de</strong>venus avi<strong>de</strong>s. Ils ont créé un système <strong>de</strong><br />
pouvoir, où certains prospéraient, et d’autres étaient incapables <strong>de</strong><br />
survivre. Au fil du temps, leur froi<strong>de</strong>ur envers les autres changeait la<br />
température <strong>de</strong> leur sang. Tout "contact humain" que cette espèce<br />
avait disparu. Les écailles ont grossi, bloquant toute sensibilité<br />
physique. Leurs bras et leurs jambes ont finalement disparu s'ils ne<br />
pouvaient pas s'ai<strong>de</strong>r eux-mêmes. S'ils ne pouvaient pas marcher un<br />
kilomètre dans la peau <strong>de</strong> quelqu'un d'autre, quel était le but <strong>de</strong> leurs<br />
pieds ? Ceux qui appartenaient à la "classe supérieure" crachaient<br />
souvent <strong>de</strong>s mots venimeux au vrai venin volatil qui vivait dans leurs<br />
crocs. En guise <strong>de</strong> punition finale, leurs langues ont été coupées en<br />
éclats et toutes les langues ont cessé. À ce jour, ils se souviennent <strong>de</strong>s<br />
erreurs <strong>de</strong> leurs prédécesseurs et ne se limitent pas à ceux qui peuvent<br />
être rendus à eux-mêmes.<br />
34 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
Vers la même époque vivait un groupe <strong>de</strong> personnes qui<br />
n’avaient jamais interagi avec le premier, mais qui avaient pensé<br />
comme un ours. Leur histoire n'est pas aussi dramatique que la<br />
première. Ils n'ont jamais perdu <strong>de</strong> membres et le mal ne s'est jamais<br />
fendu la langue en <strong>de</strong>ux. Ils ne se sont jamais retournés l'un contre<br />
l'autre, ni sur la terre, ni même sur un autre groupe d'animaux.<br />
Néanmoins, leur histoire se termine toujours <strong>de</strong> manière tragique,<br />
bien que leur chute ait été causée par un acte répréhensible différent :<br />
ils ont pris l'habitu<strong>de</strong>. Chaque jour, chacun faisait la même chose et<br />
les variations, gran<strong>de</strong>s ou petites, <strong>de</strong>venaient rares. La passion pour la<br />
vie, qu'ils avaient jadis, a graduellement rétrécie et disparue. Ils ne se<br />
souciaient ni <strong>de</strong>s arts ni <strong>de</strong> l'aventure, et on se moquait <strong>de</strong> l'autoexploration.<br />
Les animaux avaient échangé leur but contre la<br />
simplicité. Ils avaient perdu leur utilité pour leur cerveau. Leur<br />
cerveau mort <strong>de</strong>vient lentement lourd, jusqu'à ce qu'ils se regar<strong>de</strong>nt.<br />
Ils ne parlaient plus et n'interagissaient plus avec leurs pensées,<br />
laissant leur conscience <strong>de</strong> soi et leurs personnalités disparaître.<br />
Toute société, philosophie et culture dans laquelle ils étaient entrés, a<br />
disparu sans qu’ils ne le sachent ni s'en soucient. Ils ont continué,<br />
stupi<strong>de</strong>ment, à travers les habitu<strong>de</strong>s dans lesquelles ils étaient tombés<br />
<strong>de</strong>puis si longtemps que les actions étaient enracinées dans leur<br />
cerveau et leurs muscles.<br />
Cinquième édition | 35
JEAN-JEROME BELLEVUE<br />
Pays du soleil couchant<br />
Une obscurité habite en moi<br />
Et veut manger mes entrailles crues.<br />
Il ne peut pas tout <strong>de</strong> suite — il est endormi<br />
Et ne se lèvera si je ne suis disparu.<br />
Il attend et veut se déchaîner<br />
Par quelque chose <strong>de</strong> corrompu et faux<br />
Si seulement je connaissais la chanson<br />
Pour le calmer avec la force <strong>de</strong>s mots.<br />
Il grogne comme un sanglier<br />
Et ne peut pas être ignoré.<br />
Il n’y a pas longtemps qu’il avait si faim<br />
Pour un prix vi<strong>de</strong> qui l’aurait décoré.<br />
Maintenant, je ne sais pas ce qu'il veut.<br />
Je sens que cela me rend fou.<br />
Je veux griffer mes petits yeux<br />
Et écraser ma tête pour qu’elle soit moue.<br />
36 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
La douleur persiste tout <strong>de</strong> même<br />
Mais je ne suis pas disparu.<br />
La journée ensoleillée s’empare du sang<br />
Et les ombres m'enterrent sous leurs accrus.<br />
Les ténèbres vivent en nous tous,<br />
Et au pays du soleil couchant<br />
Il se régale sur le mon<strong>de</strong> entier<br />
Émergeant pour terminer nos chants.<br />
Je ne peux pas voir où je dois aller<br />
Qui je dois être, ce que je dois faire.<br />
J’ai trop peur <strong>de</strong> faire un pas<br />
Et recommencer ma vie en prière.<br />
Mais je ne peux pas laisser l'obscurité gagner<br />
Car le mon<strong>de</strong> entier a ses yeux sur moi<br />
Les espoirs et et les rêves du mon<strong>de</strong> sont sur<br />
Mon dos, maintenant ancré sous ce lourd poids.<br />
J'oublie en fait qu’il ne s’agit pas<br />
De ma vie à vivre. Il y a beaucoup<br />
Que je n'aurais pas pu faire sans<br />
Tout le bien et le bonheur surtout.<br />
Peut-être que les ténèbres s'épaississent ici,<br />
Et la lumière rayonne <strong>de</strong> moins en moins,<br />
Cinquième édition | 37
Mais je ne peux pas encore abandonner<br />
Parce que ma mère a encore besoin.<br />
Une obscurité habitait en moi<br />
Et a consommé mon âme et ma peau<br />
Ça m’a donné force, esprit et espoir<br />
Et ça m'ai<strong>de</strong>ra à retrouver mon galop.<br />
38 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
Sohan Panjrolia<br />
Un homme a été né dans un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> voix nombreuses ;<br />
Le procès et la tribulation étaient ses <strong>de</strong>ux amis les plus proches.<br />
Sohan Panjrolia a été proclamé ennemi public<br />
Quand il a tué son propre père comme moyen d'atteindre <strong>de</strong> nouvelles<br />
[fins.<br />
Fusil assis confortablement entre ses <strong>de</strong>ux mains<br />
Et murmurant <strong>de</strong>s morsures réconfortantes et <strong>de</strong>s airs à ses oreilles.<br />
Les êtres humains ont été conçus selon <strong>de</strong>s plans stricts<br />
Pour porter <strong>de</strong>s armes, et vivre autrement comme <strong>de</strong>s Fakirs.<br />
Père se tenait tremblant <strong>de</strong> peur dans ses yeux,<br />
Et maman s'agenouilla, <strong>de</strong>s larmes impuissantes tapissaient ses<br />
[vêtements.<br />
Alors que le père a supplié son fils <strong>de</strong> reporter sa disparition,<br />
Fils leva son fusil, se leva, trembla et se figea.<br />
Un silence si fort que les murs commencèrent à trembler<br />
Chambre remplie et imprégné <strong>de</strong> la tête cacophonique <strong>de</strong> son fils.<br />
Autour <strong>de</strong> la pièce, une peinture <strong>de</strong> sang <strong>de</strong> Pollock avait été écaillée.<br />
Sohan savait ce qu’il avait fait et que père était mort.<br />
Ainsi, il est sorti <strong>de</strong> la maison, sur la route, sourd et aveugle,<br />
Et il a couru <strong>de</strong> son passé vers son avenir incertain.<br />
Il était à bout <strong>de</strong> souffle et était facile à trouver.<br />
Grouillée et cernée, la police a fermé son ri<strong>de</strong>au.<br />
Cinquième édition | 39
Si Sohan n'avait pas ce fusil dans sa chambre<br />
Ou El Paso et Dayton ne s'était pas passé du tout,<br />
Peut-être que mère n'aurait pas porté dans son ventre<br />
La cause <strong>de</strong> la mort du père et <strong>de</strong> la chute criminelle <strong>de</strong> son fils.<br />
40 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
Qu’est-ce que cela signifie d’être noir<br />
Qu'est-ce que cela signifie d'être noir ?<br />
Est-ce dans la façon dont vous parlez ?<br />
Est-ce dans la façon dont vous marchez ?<br />
Est-ce que c'est comme ça que vous jouez ?<br />
N'est-ce pas du tout ?<br />
Est-ce dans le fouet frappant ton dos ?<br />
Qu'est-ce que cela signifie d'être noir ?<br />
Est-ce dans l'histoire <strong>de</strong> votre famille<br />
À moins que votre passé soit sang et mystère ?<br />
Est-ce que c'est comme ça<br />
Ou parce que tu ne sais rien du tout ?<br />
Quelle partie <strong>de</strong> cette expérience me manque ?<br />
Qu'est-ce que cela signifie d'être noir ?<br />
Est-ce dans l'obscurité <strong>de</strong> votre peau ?<br />
Où se situe Fre<strong>de</strong>rick Douglass ?<br />
Comment puis-je savoir que je leur ressemble<br />
Si aucun d'entre eux n'est intéressé par les sciences ?<br />
Suis-je aussi blanc que je suis fou ?<br />
Qu'est-ce que cela signifie d'être noir ?<br />
Est-ce que c'est dans le ghetto où tu habites ?<br />
Est-ce dans les coupes <strong>de</strong> cheveux que vous donnez ?<br />
Peut-être qu'on ne peut pas être à la fois noir et intelligent<br />
Cinquième édition | 41
Comme <strong>de</strong>s esclaves d'état à la pointe <strong>de</strong> la technologie ?<br />
Est-ce dans les fouets que les maîtres craquent ?<br />
Qu'est-ce que cela signifie d'être noir ?<br />
Est-ce dans le fouet frappant ton dos ?<br />
42 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
La disparition <strong>de</strong> la langue<br />
Si je ne l’utilise plus,<br />
Ma langue va disparaître.<br />
Et si ma langue disparaît,<br />
Comment vais-je faire pour goûter les plaisirs <strong>de</strong><br />
La vie ?<br />
Je ne veux pas perdre ma langue<br />
Mais je ne sais comment réconcilier<br />
Ma réalité<br />
Avec<br />
Mes expectatives<br />
La langue est une organe qui<br />
Peut ouvrir les esprits et les espoirs <strong>de</strong>s autres.<br />
La langue est synonyme du pouvoir<br />
Parce qu’elle nous transporte<br />
Très loin.<br />
Comment vais-je faire pour goûter les plaisirs <strong>de</strong><br />
La vie<br />
Sans ma langue ? Et comment est-ce que la langue<br />
Va-t-elle survivre l’indomptable froid <strong>de</strong><br />
Sa propre disparition ?<br />
Cinquième édition | 43
YVES CHANTELRAULT<br />
Le loup texte<br />
(J’ai écrit un dialogue avec moi, Hobbes, et Freud)<br />
(Trois camara<strong>de</strong>s <strong>de</strong> classe - Phil, Tom et Schlomo - se sont retrouvés<br />
à la boulangerie après une longue journée <strong>de</strong> réflexion philosophique<br />
au Lycée Saint Louis. Le débat commence car Phil n’a pas compris<br />
une idée vue en cours)<br />
Phil : ‘Homo homini lupus’. Si je me permets, Tom, je suppose que<br />
cette proposition est la plus paradoxale au mon<strong>de</strong> et <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong><br />
l’homme.<br />
Tom : Certes ; mais telle est l’existence <strong>de</strong> l’homme et <strong>de</strong> l’état qu’il<br />
a créé. Les hommes sont parmi les seules espèces vivantes et<br />
couramment observables qui s’entretuent et causent l’oppression <strong>de</strong>s<br />
membres <strong>de</strong> leur espèce, paradoxalement pour leur “bien” - si nous<br />
pouvons supposer qu’il existe un bien et un mal universel.<br />
Schlomo : Effectivement, mein Freund. De la spontanéité <strong>de</strong><br />
l’homme naisse sa violence unique et paradoxale qui ne peut pas<br />
s’expliquer puisque, comme les loups <strong>de</strong> La Fontaine, ça doit être une<br />
loi naturelle. L’homme impose sa force sur soi pour se développer.<br />
Phil : Vous dîtes que l’homme se réduit pour se développer ?<br />
Schlomo : Ja. Il n’exprime aucune cruauté par ses actes.<br />
Tom : Si vous voulez. Il faut comprendre que la politique, et donc le<br />
Léviathan <strong>de</strong> l’état, sont <strong>de</strong>s éléments proprement humains.<br />
Phil : Je crois pourtant que la proposition est limitée. Prenons par<br />
exemple ce croissant qui avait été fait par un homme, aussi libre que<br />
nous dans le cadre politique, qui exerçait son droit <strong>de</strong> vivre librement<br />
et son - pour moi - <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> travailler. Il est imposé <strong>de</strong> me donner ce<br />
44 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
croissant parce que j’exerce une force sur lui qui le mène à me le<br />
donner : il <strong>de</strong>vient moins libre pour que je puisse vivre selon mes<br />
droits<br />
Schlomo : Jusqu’ici, nous sommes d’accord.<br />
Phil : Alors, supposons que cet échange se réservait à la bonne<br />
volonté <strong>de</strong> nous, moi et le boulanger. Dans ce cas, c’est un ordre<br />
social concor<strong>de</strong> qui repose sur plusieurs lois communes. Vue que<br />
nous, <strong>de</strong>s hommes, nous trouvons dans cet ordre créé par l’homme<br />
qui n’exerce ces droits qu’en vue d’une concor<strong>de</strong> absolue, nous<br />
pourrions nous pas dire plutôt que « l’homo homini Deus » ?<br />
Tom : C’est une idée intéressante qui semblerait juste. L’homme agit<br />
selon une bonne foi et établit <strong>de</strong>s états qui se montrent comme<br />
monstres invincibles et <strong>de</strong> forces infinies qui représentent aussi la<br />
souveraineté <strong>de</strong> l’homme. Une image plus violente serait celle <strong>de</strong> la<br />
guerre : l’homme se tue pour se protéger <strong>de</strong> soi-même. Le seul être<br />
qui est immortel serait dieu, et donc je crois que “homo homini<br />
Deus” est juste.<br />
Schlomo : Meiner Meinung nach, cette proposition explique mieux<br />
l’essence paradoxale <strong>de</strong> l’homme : si nous pensons aux invasions et<br />
guerres dans les sociétés humaines, il existait toujours un nombre<br />
indéfini <strong>de</strong> lois communes qui ont justifié l’“injustifiable” mais les<br />
acteurs et spectateurs ne voyaient que le bien <strong>de</strong> leur point <strong>de</strong> vue. Si<br />
l’homme s’observe et se regar<strong>de</strong> en même temps, ainsi qu’il se réduit<br />
et améliore, il ne peut qu'être dieu pour soi. Je vois aussi que “homo<br />
homini Deus”.<br />
Cinquième édition | 45
HALFDAN BJØRNSSON<br />
Chez Nous<br />
En silence, dans la maigreur<br />
qui sépare un jour et le prochain,<br />
sur la surface illuminée <strong>de</strong> l’eau,<br />
la création d’une espèce:<br />
un animal à la recherche d’une vérité.<br />
Notre domicile, tellement comme une mer—<br />
énorme, encore inexplorée—<br />
n’a pas décidé notre <strong>de</strong>stin,<br />
et nous laisse naufragés par la nuit.<br />
Il était une fois, nous étions convaincus<br />
d’avoir vu quelque chose<br />
dans l’absence <strong>de</strong> lumière,<br />
une petite écaille d’espoir.<br />
Pourtant nous avons toujours soif,<br />
toujours moqués par l’eau qui nous entoure.<br />
Nageons encore,<br />
sans vue, condamnés à oublier chaque chose<br />
apprise sous le soleil,<br />
et, <strong>de</strong> nouveau, apprendre<br />
la taille <strong>de</strong> nos mains, notre distance<br />
46 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
<strong>de</strong> vue dans cette nuit<br />
qui n’est pas une nuit—<br />
la douleur, le noir—<br />
une femme et un homme<br />
qui ne trouveront jamais leur réponse.<br />
Cinquième édition | 47
GASPARD CHAUVIGNON<br />
Cyrano <strong>de</strong> Bergerac<br />
(Samedi soir. La ville parisienne est pleine <strong>de</strong> vie et <strong>de</strong> lumière. Trois<br />
amis sortent <strong>de</strong> Cyrano <strong>de</strong> Bergerac montée à la Comédie Française<br />
par Denis Podalydès. Ils déci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> dîner à un restaurant célèbre<br />
appelé “La Bistro Rostand”. L’un, Sener, est un joueur <strong>de</strong> Tennis qui<br />
vient <strong>de</strong> l’Algérie. L’autre, Philippe, est un patriote français à la<br />
limite <strong>de</strong> l’obésité qui adore l’art et surtout l’art français. Le <strong>de</strong>rnier,<br />
Yves(moi), est un petit homme chauve qui étudie les mathématiques à<br />
l’École Polytechnique. Ils s’assoient. Sener est assis entre Philippe et<br />
Yves Le serviteur leur donne les menus.)<br />
Yves : Bon, l’acte 2 m’a rappelé <strong>de</strong> la faim insatiable qui me harcèle<br />
<strong>de</strong>puis ce midi, ou peut-être <strong>de</strong>puis le début <strong>de</strong> cette “pièce” <strong>de</strong><br />
théâtre. Peu-importe celui qui est venu premier. Tiens, que mange-ton<br />
?<br />
Sener : Ah, voilà une question difficile. Peut-être ils ont du pain.<br />
C’est vrai, la mise en scène complexe ma donnée faim. J’ai vraiment<br />
apprécié le rôle du pâtissier, notamment vers la fin. Comme c’était<br />
drôle !<br />
Philippe : Ô dieu ! Dîtes moi que cet imbécile n’ose pas d’insulter<br />
l’oeuvre <strong>de</strong> Denis Podalydès. Quelle mise en scène magnifique,<br />
fantastique, divine ! C’est une expérience que je ne vais point oublier<br />
! Comment oses-tu, Yves, insulter un chef-d’œuvre <strong>de</strong> l’art classique<br />
?<br />
Yves : Déjà je ne crois pas qu’il s’agit du théâtre classique, à moins<br />
que nous vivons pendant le règne du Roi Soleil. Je ne l’ai pas<br />
complètement aimé. Point.<br />
48 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
Sener : (se cachant <strong>de</strong>rrière son menu, en chuchotant) et ça<br />
commence…<br />
Philippe : L’horreur, l’audace même que tu possè<strong>de</strong>s me choquent<br />
profondément. Je t’invite à me donner une seule raison pour laquelle<br />
tu n’aimes pas cette pièce <strong>de</strong> théâtre.<br />
Serviteur : Êtes-vous prêts à choisir vos plats ?<br />
(Sener baisse le menu, regar<strong>de</strong> le serviteur, et en faisant <strong>de</strong>s<br />
mouvements <strong>de</strong> ses yeux vers les <strong>de</strong>ux “savants” et secouant sa tête,<br />
le serviteur comprend qu’il <strong>de</strong>vrait revenir plus tard)<br />
Yves : Ah merci, pour une fois vos émotions ne contrôlent pas tout<br />
ton cerveau entier, s’il existe. J’ai trouvé que la scène d’exposition<br />
était aussi affreuse que le nez <strong>de</strong> Cyrano <strong>de</strong> Bergerac, et je ne vais<br />
pas commencer avec son interprétation du personnage, cela est une<br />
autre tragédie entière. Déjà, si je voulais regar<strong>de</strong>r un bazar inaudible<br />
je serais allé à la Mecque et non pas à la comédie française. Oui, je<br />
comprends la mise en abîme intéressante du théâtre … et j’avoue que<br />
la chanson <strong>de</strong> l’opéra était plutôt comique … et que le décor<br />
chaotique a été utilisé pour caractériser la foule et son excitation pour<br />
une pièce <strong>de</strong> théâtre … mais (en empêchant Philippe <strong>de</strong><br />
l’interrompre) ces <strong>de</strong>ux aspects ne vont pas sauver la présentation<br />
d’emblée affreuse. J’avais du mal à situer même l’époque pendant<br />
laquelle la pièce allait se dérouler ; oui, moi, un maître <strong>de</strong> logique qui<br />
s’amuse à faire <strong>de</strong>s preuves mathématiques. J’ai craint que<br />
l’interprétation <strong>de</strong> Denis Podalydès serait une <strong>de</strong> ses massacres<br />
mo<strong>de</strong>rnes du théâtre, mais au contraire, c’était qu’un massacre.<br />
Sener : (levant les yeux, il murmure) Les tortellinis au fromage<br />
semblent délicieux...<br />
Philippe: Si t’as quelque chose à dire, Sener, n’hésite pas <strong>de</strong> partager<br />
votre avis car clairement Yves à oublier sa logique chez lui. Je crois<br />
que vous oubliez tout l’intérêt <strong>de</strong> ce choix <strong>de</strong> mise en scène. Denis<br />
voulait évoquer le combat du théâtre contre le cinéma, et il évoque<br />
les triomphes et la beauté <strong>de</strong> l’art théâtral. Il souhaite montrer une<br />
forme nouvelle <strong>de</strong> machine <strong>de</strong> théâtre. Il projette les images <strong>de</strong>s<br />
anciennes adaptations qui m’a capté l’attention et a redoublée la<br />
théâtralité <strong>de</strong> l’œuvre. Encore une fois, je n’arrive pas à comprendre<br />
votre pessimisme, ou plutôt, je n’arrive pas à comprendre votre<br />
mécompréhension <strong>de</strong> l’art. En effet, tout s’explique.<br />
Cinquième édition | 49
Yves : Que veux-tu dire ?<br />
Sener : (murmurant) Pas encore avec ça.<br />
Philippe : Je veux dire que tu n’as pas compris la pièce. Votre<br />
opinion négative en est la preuve. Michel <strong>de</strong> Vuillermot était le<br />
meilleur Cyrano <strong>de</strong> Bergerac parmi les milliers que j’ai vu.<br />
Yves : Ah… je vois. Je n’ai pas compris la pièce et j’ai détesté.<br />
Alors, un homme aussi intelligent que vous même aurait dû<br />
comprendre que la tira<strong>de</strong> du nez est une <strong>de</strong>s aspects <strong>de</strong> cette pièce qui<br />
la rend attirante. Je me sens attaqué par la manière affreuse dont<br />
Michel <strong>de</strong> Vuillermot a pu l’abattre, l'assassiner, l’égorger. Il lui<br />
manquait complètement la vigueur et la rage qui complémentent la<br />
poésie et la douceur qui ensemble font un vrai Cyrano qui, j’assume,<br />
manquait aussi chez les milliers d’autres Cyrano que t’as vu. Sa<br />
tonalité était aussi banale et monotone qu’un professeur <strong>de</strong> Biologie<br />
au collège. Franchement, Hélène Keller aurait mieux joué cette<br />
tira<strong>de</strong>. J’aurais cru que la scène <strong>de</strong> sa mort dans l’acte 5 se déroulait<br />
pendant <strong>de</strong>s heures comme elle était assommante. Il y a <strong>de</strong>s éléments<br />
<strong>de</strong> la mise en scène que j’ai apprécié. L’interprétation <strong>de</strong> M. <strong>de</strong><br />
Vuillermot n’est pas un. Mais qui suis-je pour même essayer <strong>de</strong><br />
proposer mon point <strong>de</strong> vue. Je ne suis pas un savant tout puissant,<br />
désolé, un amateur du théâtre - et même ce titre est hyperbolique -<br />
comme vous.<br />
Philippe : Cela reste une opinion subjective qui se base surement sur<br />
votre mécompréhension. Apparemment, la capacité intellectuelle est<br />
limitée par le manque <strong>de</strong> cheveux sur la tête. Peut-être vous ne l’avez<br />
pas aimé parce que tu partages un trait qui te rend… impeccable.<br />
Yves : Certes, et votre choix d’une sala<strong>de</strong> se base uniquement sur<br />
votre goût. Vous savez qu’un article est sorti récemment qui a montré<br />
qu’il existe une nouvelle espèce <strong>de</strong> vaches folles qui préten<strong>de</strong>nt d’être<br />
<strong>de</strong>s connaisseurs du théâtre français.<br />
Sener : (empêchant Philippe <strong>de</strong> se venger) Peut-on, pour une fois,<br />
dîner ensemble après une pièce <strong>de</strong> théâtre sans que vous querellez<br />
incessamment ? Après un moment il faut que vous acceptiez le point<br />
<strong>de</strong> vu <strong>de</strong> l’autre. Tout le mon<strong>de</strong> est capable d’interpréter l’art. Cela<br />
est sa beauté innée. Je me permets <strong>de</strong> dire que la scène du balcon est<br />
la plus artistique.<br />
Philippe : Je suis tout à fait d’accord.<br />
50 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
Yves : (imitant un poulet) Je suis tout à fait d’accord.<br />
(Le serviteur revient)<br />
Serviteur : Je vous signale que la cuisine se ferme dans quelques<br />
minutes.<br />
Philippe : Dans ce cas… j’aurais... le sala<strong>de</strong> <strong>de</strong> Gascogne.<br />
Serviteur : C’est un bon choix.<br />
Yves : Le malaise <strong>de</strong> la vérité hein (il glousse) … moi… je voudrais<br />
bien avoir… le bœuf cuit, s’il vous plaît.<br />
Serviteur : Bien sûr, et rien d’autre pour vous, monsieur ?<br />
Sener : Les tortellinis, s’il vous plaît.<br />
Serviteur : Bien sûr. Je reviens dans quelques minutes. (Il part)<br />
Philippe : Quel est ton but ?<br />
Yves : (Moquant) Qui ? Moi ?<br />
Philippe : Non, le serviteur… oui, toi ! Que veux-tu faire, hein ?<br />
Yves : Je veux savoir, selon-vous, en quoi la scène du balcon, dans<br />
l’acte 3, était artistique ?<br />
Philippe : (Il baille) J’ai bien aimé l’utilisation du rouge dans cette<br />
scène. Ça évoque la passion. Voici ce que j’ai aimé.<br />
Yves : (Un rire incontrôlable qui attire l’attention <strong>de</strong>s autres tables<br />
autour d’eux)<br />
Philippe : (Embarrassée) Quoi ? Ça ne te convient pas ? Je te dis,<br />
Sener, on ne <strong>de</strong>vrait plus l’inviter, il dort tout le temps et n’apprécie<br />
pas l’art.<br />
Yves : L’ironie et l’hypocrisie ! Voilà un vrai spectacle. On peut<br />
l’applaudir (il applaudit bêtement, dérangeant encore la salle)<br />
Voyons… non. Déjà l’utilisation du rouge pour évoquer la passion,<br />
ou peut-être le sang qui renvoi lui-même à la souffrance et donc à<br />
l’amour, était quelque chose <strong>de</strong> progressive dans l'entièreté <strong>de</strong> la<br />
pièce. C’est un élément sous-entendu qui rendait l’allusion au Ra<strong>de</strong>au<br />
<strong>de</strong> la Méduse pendant la bataille très belle et intelligente <strong>de</strong> la part <strong>de</strong><br />
Denis. Au contraire, le rouge n’était pas l’intérêt pour la scène du<br />
balcon. C’est en effet cette scène qui a sauvé le travail <strong>de</strong> Denis<br />
malgré le début atroce ou même, maintenant que j’y pense,<br />
l’interprétation <strong>de</strong> Roxane. C’est la juxtaposition entre Christian et<br />
Cinquième édition | 51
Cyrano, l’amour pure et la beauté, le réel et l’onirique qui rend cette<br />
scène magique et parfaite. La suspension <strong>de</strong> Roxane corrobore<br />
l’aspect onirique <strong>de</strong> la scène en montrant la puissance <strong>de</strong> l’amour et<br />
<strong>de</strong>s mots, qui l’ensorcelle. Et effectivement, en utilisant le vert au<br />
fond, Dennis établit une aire <strong>de</strong> mystère profond qui renforce la<br />
notion du rêve mais aussi l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> son amant. C’est intéressant<br />
aussi que lorsque Cyrano la séduit en <strong>de</strong>ssous du balcon, même la<br />
lumière <strong>de</strong> la Lune ne peut pas lui démasquer. Cette scène est pleine<br />
d’antithèses qui traduisent sans faute le thème déchirant <strong>de</strong> la passion<br />
d’une manière exclusivement théâtrale. Plus profondément, c’est<br />
ironique que la meilleure scène présente le théâtre pur alors que la<br />
scène la plus dégoûtante semble évoquer son déclin... De plus, leurs<br />
échanges étaient aussi comiques. La polyvalence artistique <strong>de</strong> cette<br />
scène la rend impeccable. Si tu n’étais pas endormi, tu l’aurais vu toimême.<br />
Voilà mon but. Pour éviter que je me fâche trop en écoutant ta<br />
réponse, je vais, malheureusement, vous quitter. Bonne. Soirée.<br />
(Il sort)<br />
Sener : Ouais.... Ma mère m’attend. Je crois que je vais partir aussi.<br />
Philippe : (Il soupire) T’habites encore avec ta mère ?<br />
Sener : Non, c’est l’inverse. Veux-tu que je t’appelles un über ?<br />
Philippe : Non, ça va. Marcher me fera du bien. Ne veux-tu pas tes<br />
tortellinis ?<br />
Sener : ...eh. C’est la vie. Qu’en penses-tu d’aller voir Phèdre la<br />
semaine prochaine ? C’est une adaptation mo<strong>de</strong>rne.<br />
Philippe : Certainement. On l’invite ?<br />
Sener : Peu importe il viendra.<br />
(Ils rient et sortent ensemble)<br />
(Fin)<br />
52 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
Les zoos humains, une enquête<br />
réfléchie<br />
Paris : la ville <strong>de</strong>s lumières. Enfin, mon voyage m’a montré que<br />
les rumeurs <strong>de</strong> l’étranger sont parfois fabriquées. Mes serviteurs<br />
osaient me parler d’une exposition extraordinaire et fantastique qui<br />
aurait lieu à Paris pendant l’été. Mon intrigue avait surpassé ma haine<br />
pour l’Occi<strong>de</strong>nt et m’a apporté jusqu’à l’exposition universelle <strong>de</strong><br />
1889. Le pays fêtait ses cent ans <strong>de</strong> liberté, égalité et fraternité ; mais<br />
cette <strong>de</strong>vise n’est pas fêtée par tout le mon<strong>de</strong>. J’étais éblouis par<br />
l’immense variété <strong>de</strong>s exhibitions et attractions étalées à l'exposition.<br />
Parmi les nombreuses attractions <strong>de</strong> cette exposition, nous – moi,<br />
Ahmet et Çinar – avons aperçu une attraction peu glorieuse : le<br />
village <strong>de</strong> nègres. Pour nous trois, c’était la première fois qu’on a vu<br />
les “nègres”. Dans l’empire, il y a peu d’étrangers. Cette exposition,<br />
qu’on pourrait bien appeler un Zoo Humain, permettait à 28 millions<br />
d’Européens d’observer - avec peur ou admiration - 400 victimes <strong>de</strong><br />
la colonisation <strong>de</strong> l’Afrique, jusqu’ici un continent enveloppé par le<br />
mystère. Ceci n’est rien <strong>de</strong> nouveau. Je ne croyais rien <strong>de</strong> mieux pour<br />
les européens. Les expositions <strong>de</strong> ce genre ont été aperçus <strong>de</strong>puis 10<br />
ans auparavant et nous imaginons qu’elles n’ont pas intérêt à arrêter.<br />
Mais nous, les turques, avons quelque chose en commun avec ses<br />
occi<strong>de</strong>ntaux. Les populations rurales <strong>de</strong> la France ne sont point<br />
exposées au mon<strong>de</strong> étranger. En fait, c’est la première fois que<br />
beaucoup d’entre eux ont observé un homme venu d’en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong><br />
l’Europe. J’étais content <strong>de</strong> ne pas être le seul. Çinar avait déjà<br />
beaucoup voyagé mais une exposition <strong>de</strong> cette sorte était une<br />
nouveauté pour lui aussi. En outre, la présentation <strong>de</strong>s étrangers<br />
d’une telle manière sert à justifier la conquête <strong>de</strong>s autres pays, <strong>de</strong>s<br />
autres humains. En les mettant dans <strong>de</strong>s zoos, les africains ne sont<br />
plus <strong>de</strong>s hommes, mais <strong>de</strong>s animaux sauvages <strong>de</strong> la jungle. Cela avait<br />
gâché mes pensées d’avant. Les hommes africains étaient <strong>de</strong>s<br />
étrangers inconnus. J’avais uniquement entendu <strong>de</strong>s ragots <strong>de</strong> temps<br />
en temps, mais rien d’aussi affreux. Ça fait 35 ans que je ne suis pas<br />
retourné en France. Depuis ce témoignage, je n’ai pas pu retourner.<br />
Cinquième édition | 53
Aujourd’hui, ces zoos ne sont pas fêtés mais traités comme <strong>de</strong>s<br />
horreurs et crimes contre l’humanité, <strong>de</strong>s <strong>de</strong>scriptions qu’ils méritent<br />
bien. Ahmet en reparle parfois, indiquant que pour beaucoup <strong>de</strong>s<br />
français, la présentation d’autres êtres d’une telle manière était plutôt<br />
habituelle et acceptée. La justification <strong>de</strong> la conquête était tellement<br />
importante pour ce peuple qu’il cherchait à déshumaniser un autre et<br />
le mettre <strong>de</strong>rrière <strong>de</strong>s barreaux pour le “divertissement”. Après avoir<br />
observé ce phénomène atroce, j’ai conduit <strong>de</strong>s recherches. Ce qui m’a<br />
choqué était que les français, une population supposée d’être<br />
“mo<strong>de</strong>rne” et “sophistiquée”, pratiquait une tradition utilisée<br />
précé<strong>de</strong>mment qu’en Égypte antique.<br />
Ces zoos séparaient les “humains” <strong>de</strong>s sauvages par une barrière<br />
ou les exhibés étaient parfois sur <strong>de</strong>s scènes comme au théâtre.<br />
Certaines exhibitions utilisaient <strong>de</strong>s faux villages comme habitats<br />
pour les “sauvages” exhibés. Les exhibés ont dû faire <strong>de</strong>s danses<br />
immensément caricaturées comme le kanaka ou <strong>de</strong> manger <strong>de</strong> la<br />
vian<strong>de</strong> crue. Les exhibitions étaient basées sur la pratique<br />
“scientifique” <strong>de</strong>s occi<strong>de</strong>ntaux qui voulaient démontrer la supériorité<br />
<strong>de</strong>s blancs. Ils utilisaient <strong>de</strong> l’eugénisme pour associer la taille du<br />
crâne avec l’intelligence ou l'organisation <strong>de</strong>s <strong>de</strong>nts. Le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />
blancs était la civilisation. Toutes les autres “espèces” humaines<br />
étaient justement <strong>de</strong>s retards dans l’évolution. Pour certains, les<br />
exhibitions montraient les différentes “étapes” <strong>de</strong> l’évolution, dont<br />
l’homme blanc est la <strong>de</strong>rnière.<br />
Les zoos n’étaient pas uniquement une apparition française, ils<br />
existaient partout dans le mon<strong>de</strong> occi<strong>de</strong>ntal. Le zoo <strong>de</strong> St. Louis aux<br />
États-Unis avait apporté <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong>s quatre coins du mon<strong>de</strong> pour<br />
exhiber les êtres les plus étranges.<br />
Un pygmée, Ota Benga, a vécu une histoire tragique aux États-<br />
Unis. Ota est originaire du Congo, une colonie belge. Il est né en<br />
1883. Il avait été tiré <strong>de</strong> son village et amené à une exposition<br />
universelle avant d’être remporté aux États-Unis pour faire partie du<br />
vrai zoo à New York. Il était parmi les singes dans le “Monkey<br />
House”. C’était uniquement après l’intervention <strong>de</strong>s autres afroaméricains<br />
qu’il avait été libéré. Sa liberté fut courte : il se suicida le<br />
20 mars 1916. Son témoignage évoque la vraie sauvagerie <strong>de</strong> notre<br />
époque.<br />
J’espère que ces mémoires resteront <strong>de</strong>s mémoires.<br />
54 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
MARIO LOPRETE<br />
Sculptures <strong>de</strong> béton<br />
Mario Loprete est né à Catanzaro, Calabre, Italie.<br />
« Mes sujets sont ceux que l'Occi<strong>de</strong>nt commercialise pour sa<br />
musique, son art et ses performances sportives qui envoient <strong>de</strong>s<br />
millions <strong>de</strong> gens en extase : ils ont cassé les chaînes et ils ont<br />
maintenant marqué le but. Ces sujets qui ont vécu une histoire<br />
ancienne <strong>de</strong> préjugés et <strong>de</strong> marginalisation. Même aujourd'hui, si<br />
quelqu'un les voyait sortir <strong>de</strong> leur élément, ils les appelleraient « nonmembres<br />
<strong>de</strong> l’UE ».<br />
Je suis très attiré par les Noirs et les diasporas africaines. Je les<br />
dépeins avec la plus gran<strong>de</strong> intensité émotionnelle. La figure humaine<br />
est fascinante à représenter, mais les Noirs sont un défi. Ils sont très<br />
expressifs et, <strong>de</strong> mon point <strong>de</strong> vue, ils sont l'incarnation et la<br />
matérialisation <strong>de</strong> l'âme. Mes recherches me conduisent à documenter<br />
les stéréotypes qui peuplent le genre musical que je « nourris »<br />
pendant que je peins <strong>de</strong> la musique hip hop.<br />
Dans le cadre <strong>de</strong> mon cycle <strong>de</strong> peintures « Black », dans lequel<br />
j'étudie et explore le mon<strong>de</strong> du hip-hop américain, je cherche <strong>de</strong>s<br />
repères iconographiques avec le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s jeunes Italiens, en<br />
prenant soin d'absorber les fon<strong>de</strong>ments inspirants du stéréotype<br />
américain.<br />
Tout a commencé dans les années 70 avec un mélange explosif<br />
<strong>de</strong> styles différents : soul, jazz, R & B (« Rhythm & Blues »), funky<br />
et Black-Music, tous astucieusement mixés par DJ qui, grâce au<br />
scratch, à la coupe et au rap, a chargé <strong>de</strong> l'énergie musicale. En peu<br />
<strong>de</strong> temps, la définition « Hip-Hop » a commencé à i<strong>de</strong>ntifier non<br />
Cinquième édition | 55
seulement un style musical, mais également une philosophie, un style<br />
<strong>de</strong> vie, une culture qui varie selon les moments <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong>s gens :<br />
<strong>de</strong>s sports <strong>de</strong> rue comme le skateboard à l’art métropolitain et danser<br />
pendant le breakdance ; une vague si puissante pour donner vie à une<br />
véritable communauté Hip-Hop à travers le mon<strong>de</strong>.<br />
Eh bien, j'essaie <strong>de</strong> reprendre tout cela dans mes œuvres,<br />
d'essayer d'élever le hip-hop et <strong>de</strong> le faire connaître comme un<br />
mouvement <strong>de</strong> révolte contre la marginalisation juvénile.<br />
Mes recherches continues m'ont conduit à utiliser un nouveau<br />
support : le béton armé, un matériau ancien créé par les Romains il y<br />
a <strong>de</strong>s millénaires mais qui est également à la fois. C'est le matériau<br />
contemporain qui symbolise le plus l'industrialisation et la mo<strong>de</strong>rnité<br />
occi<strong>de</strong>ntales. À chaque latitu<strong>de</strong>, il est utilisé comme base sur laquelle<br />
les écrivains font exploser leur créativité. De la même manière,<br />
j'utilise du ciment comme support pour mes huiles. Mon désir est<br />
d'amener la ville, le style urbain, le style contemporain dans les<br />
maisons, les galeries et les musées. Le mien ne veut pas être la voix<br />
du ghetto, mais un élément d'agrégation dans une réalité dans<br />
laquelle, il est vrai, la distance géographique a été réinitialisée, mais<br />
il est également vrai que nous continuons à rejeter tout ce qui est<br />
différent nous ».<br />
56 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
Sculpture <strong>de</strong> béton, 40 x 40 Sculpture <strong>de</strong> béton, 45 x 65<br />
Sculpture <strong>de</strong> béton, 44 x 30 Sculpture <strong>de</strong> béton, 36 x 42<br />
Cinquième édition | 57
58 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN<br />
Sculpture <strong>de</strong> béton, 33 x 94
Sculpture <strong>de</strong> béton, 33 x 33 Sculpture <strong>de</strong> béton, 36 x 32<br />
Sculpture <strong>de</strong> béton, 28 x 32 Sculpture <strong>de</strong> béton, 54 x 37<br />
Cinquième édition | 59
Sculpture <strong>de</strong> béton, 30 x 50<br />
Sculpture <strong>de</strong> béton, 44 x 82<br />
60 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
Sculpture <strong>de</strong> béton, 35 x 31 Sculpture <strong>de</strong> béton, 32 x 45<br />
Sculpture <strong>de</strong> béton, 37 x 34 Sculpture <strong>de</strong> béton, 34 x 40<br />
Cinquième édition | 61
Sculpture <strong>de</strong> béton, 38 x 42 Sculpture <strong>de</strong> béton, 32 x 32<br />
Sculpture <strong>de</strong> béton, 38 x 38 Sculpture <strong>de</strong> béton, 34 x 37<br />
62 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
Sculpture <strong>de</strong> béton, 44 x 33 Sculpture <strong>de</strong> béton, 31 x 33<br />
Sculpture <strong>de</strong> béton, 54 x 37 Sculpture <strong>de</strong> béton, 66 x 56<br />
Cinquième édition | 63
64 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN<br />
Sculpture <strong>de</strong> béton, 54 x 37
Sculpture <strong>de</strong> béton, 30 x 81<br />
Cinquième édition | 65
66 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN<br />
Sculpture <strong>de</strong> béton, 32 x 122
Sculpture <strong>de</strong> béton, 27 x 109<br />
Cinquième édition | 67
68 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN<br />
Sculpture <strong>de</strong> béton, sans dimensions
OLIVIER BODART<br />
Zones à risques<br />
A l’origine du projet il y avait cette fiction, ce roman que j’avais<br />
travaillé pendant <strong>de</strong>s années lorsque j’habitais en France. Il traitait <strong>de</strong><br />
catastrophes naturelles et il se situait à différents endroits <strong>de</strong>s États-<br />
Unis pour <strong>de</strong>s raisons d’espaces et <strong>de</strong> phénomènes climatiques variés<br />
au sein d’un même territoire. Pour cette fiction je m’étais basé sur <strong>de</strong>s<br />
faits réels qui ont eu lieu ces <strong>de</strong>rnières décennies aux quatre coins <strong>de</strong>s<br />
États-Unis. J’ai utilisé ces faits et ces lieux mais durant l’écriture je<br />
ne me suis jamais déplacé <strong>de</strong> Paris.<br />
Puis suite à un événement dramatique qui est intervenu dans ma<br />
vie personnelle je me suis retrouvé comme privé <strong>de</strong> goût pour la<br />
fiction. Ça ne fonctionnait plus, je ne croyais plus aux histoires qu’on<br />
me racontait ou que j’essayais <strong>de</strong> raconter. Au moment <strong>de</strong> ce<br />
bouleversement je vivais aux États-Unis <strong>de</strong>puis trois ans. J’étais venu<br />
m’installer à Chicago avec ma femme et ma fille à ce moment-là et<br />
j’enseignais les arts visuels. Il m’est apparu alors un autre projet : il<br />
fallait que je me ren<strong>de</strong> aux endroits que j’avais utilisés dans ma<br />
fiction, il fallait que j’aille sur place, que je fasse l’expérience <strong>de</strong> ces<br />
lieux, <strong>de</strong>s traces <strong>de</strong> ces drames que j’avais exploités pour nourrir mon<br />
roman. Qu’espérais-je trouver là-bas ? Je n’en avais aucune idée mais<br />
il me semblait soudain évi<strong>de</strong>nt que le récit <strong>de</strong> ces expériences <strong>de</strong>vait<br />
compléter mon projet initial. Ma fiction <strong>de</strong>vait soudain impacter ma<br />
réalité.<br />
Le récit vient en écho au roman en parlant <strong>de</strong>s lieux dont il est<br />
question et <strong>de</strong> l’expérience que j’en ai faite en me rendant là-bas. Le<br />
sujet du roman est l’histoire d’un personnage nommé MAT qui, à un<br />
Cinquième édition | 69
moment se sent comme incapable <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong> nouveaux risques<br />
dans sa vie et n’aspire plus qu’à l’immobilité, mais il se voit un jour<br />
contraint <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong> nouvelles fonctions dans son métier qu’il va<br />
se sentir dans l’incapacité complète d’exercer : en l’occurrence il<br />
s’agit <strong>de</strong> se rendre aux quatre coins du pays pour expertiser <strong>de</strong>s<br />
scènes <strong>de</strong> sinistres dues à <strong>de</strong>s catastrophes naturelles. L’immobilité à<br />
laquelle aspire le personnage n’est qu’un reflet <strong>de</strong> ses peurs<br />
profon<strong>de</strong>s et ces scènes <strong>de</strong> sinistres sont autant <strong>de</strong> miroirs qu’il est<br />
incapable <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r. Et il va donc <strong>de</strong>voir trouver une manière <strong>de</strong><br />
composer avec cette nouvelle situation.<br />
Les photographies ne jouent pas qu’un rôle illustratif dans le<br />
projet. Le personnage principal va prendre la décision folle <strong>de</strong> ne pas<br />
se rendre sur les lieux <strong>de</strong>s catastrophes mais à la place <strong>de</strong> recréer<br />
<strong>de</strong>puis chez lui <strong>de</strong>s scènes en miniature dans <strong>de</strong>s boites en bois. Il va<br />
alors prendre <strong>de</strong>s photographies <strong>de</strong> certains détails <strong>de</strong> ces scènes et<br />
les joindre à <strong>de</strong> faux rapports qu’il va rédiger à partir <strong>de</strong>s quelques<br />
informations qu’il possè<strong>de</strong> sur les victimes <strong>de</strong> ces drames. Tout cela<br />
va lui permettre pour un temps <strong>de</strong> se substituer à la réalité <strong>de</strong>s scènes<br />
dramatiques qu’il est censé affronter dans le cadre <strong>de</strong> son travail.<br />
Pour un temps seulement...<br />
J’ai commencé à travailler sur ces Shadow Boxes, que le<br />
personnage Mat crée dans le livre, il y a plusieurs années à l’occasion<br />
<strong>de</strong> mon premier voyage. Ces shadow Boxes ont un rôle pivot dans le<br />
projet. J’ai rapi<strong>de</strong>ment décidé <strong>de</strong> les créer en vrai. Il m’a semblé<br />
logique <strong>de</strong> les construire en partie avec les matériaux naturels que<br />
j’allais trouver sur place. Par exemple dans cette série sur<br />
l’éboulement <strong>de</strong> terrain en Flori<strong>de</strong> un pauvre homme nommé Jeff<br />
s’est vu soudain avalé par un trou énorme qui s’est ouvert sous son lit<br />
alors qu’il dormait. Pour cette série j’ai récupéré <strong>de</strong> la terre à<br />
l’endroit même <strong>de</strong> la tragédie.<br />
Les Shadow boxes sont dans ce projet artistique une sorte <strong>de</strong><br />
seuil commun à la réalité et à la fiction, elles appartiennent aux <strong>de</strong>ux<br />
univers, tout comme les photographies. Ces éléments sont <strong>de</strong>venus un<br />
projet d’art visuel à part entière fait pour être exposé et qui<br />
fonctionne indépendamment du livre. Il y a cinquante-<strong>de</strong>ux Shadow<br />
Boxes et il y a cent quatre photographies.<br />
Au final la partie fictionnelle du livre a ouvert <strong>de</strong>s horizons sur<br />
un processus artistique plus vaste et sur <strong>de</strong>s réponses personnelles<br />
70 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
face aux événements <strong>de</strong> la vie, face à la question du risque, la<br />
question <strong>de</strong> la distance.<br />
Les photographies sont au nombre total <strong>de</strong> 104 dans le<br />
projet Zones à Risques. Il y a 4 séries <strong>de</strong> 26 photographies chacune,<br />
chaque série étant liée à l’une <strong>de</strong>s quatre catastrophes naturelles<br />
abordées dans le livre. Les photographies ont été créées à partir <strong>de</strong>s<br />
Shadow Boxes, elles en sont l’exploration intérieure, <strong>de</strong>ux clichés ont<br />
été réalisés chaque fois par Shadow Box (a et b).<br />
Cinquième édition | 71
Série 4 – TORNADE – Lebanon, Kansas<br />
Cette série tourne autour du personnage <strong>de</strong> Mat (40 ans) qui vit<br />
avec sa famille à Lebanon dans le Kansas, point sur la carte déclaré<br />
comme « centre géographique <strong>de</strong>s États-Unis » par le gouvernement<br />
en 1918. Elle traite du phénomène <strong>de</strong>s torna<strong>de</strong>s qui est courant dans<br />
cette région du Midwest et se concentre sur <strong>de</strong>s personnages et <strong>de</strong>s<br />
faits qui sont fictifs contrairement aux trois autres séries du projet<br />
« Zones à risques », dont les drames et les victimes sont bien réels.<br />
La catastrophe dont il est question ici s’est déroulée un certain jour<br />
du mois d’août alors que le petit monument <strong>de</strong> pierre en forme <strong>de</strong><br />
pyrami<strong>de</strong> tronquée qui indique le centre du pays cuit sous le soleil<br />
d’été ; ce point <strong>de</strong> repère national perdu au milieu <strong>de</strong> nulle part est<br />
sur le point <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir le mémorial d’une tragédie individuelle.<br />
(40a) Chapelle - (40b) Charpente<br />
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(41a) Lutrin - (41b) Roman<br />
(42a) Parvis - (42b) Table-banc<br />
Cinquième édition | 73
(43a) Salon - (43b) Palier<br />
(44a) Jardin - (44b) Faîtage<br />
74 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
(45a) Patio - (45b) Appentis<br />
(46a) Pale - (46b) Moyeu<br />
Cinquième édition | 75
(47a) Chambre - (47b) Bureau<br />
(48a) Maquette - (48b) Pierre<br />
76 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
(49a) Barillet - (49b) Empreinte<br />
(50a) Combles - (50b) Percée<br />
Cinquième édition | 77
(51a) Rocher - (51b) Pelle<br />
(52a) Monument - (52b) Mémorial<br />
78 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN
Cinquième édition | 79