30.09.2019 Views

Dumas de Demain: The French Literary Magazine Volume 5

  • No tags were found...

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

5<br />

DUMAS<br />

<strong>de</strong> DEMAIN<br />

<strong>The</strong> <strong>French</strong> <strong>Literary</strong> <strong>Magazine</strong><br />

Fall 2019<br />

AVECOEUVRESPAR<br />

Dobroslav Smiljanić Laurent Barcelo<br />

Christian Prince Irene Trung Gary Campbell<br />

Cheryl Block Jean-Jerôme Bellevue<br />

Halfdan Bjørnsson Victor Andrés Parra Avellaneda<br />

Amelie Fournier Yves Chantelrault<br />

Gaspard Chauvignon Mario Loprete Olivier Bodart<br />

ENTRETIEN<br />

Romane Fostier


DANS CETTE PUBLICATION<br />

Note <strong>de</strong> l’éditeur 2<br />

Entretien avec Romane Fostier 4<br />

POÉSIE<br />

Dobroslav Smiljanić La mer dans l’amertume 11<br />

<strong>de</strong> notre siècle<br />

Laurent Barcelo Collection <strong>de</strong> poèmes 15<br />

Christian Prince L’Émotion 18<br />

Irene Trung Secrets <strong>de</strong> l’Aube 23<br />

G. Anthony Campbell Collection <strong>de</strong> poèmes 24<br />

Cheryl Block L’eau sauvage, l’eau qui soulage 33<br />

Jean-Jérôme Bellevue Collection <strong>de</strong> poèmes 36<br />

Halfdan Bjørnsson Chez nous 46<br />

PROSE<br />

Víctor Andrés Parra Une journée sur la Lune 19<br />

Avellaneda<br />

Amelie Fournier Evolution 34<br />

Yves Chantelrault Le Loup Texte 44<br />

Gaspard Chauvignon Cyrano <strong>de</strong> Bergerac 48<br />

Les zoos humains, une enquête 53<br />

réfléchie<br />

VISUALIZATION LITTÉRAIRE<br />

Mario Loprete Sculptures <strong>de</strong> béton 55<br />

Olivier Bodart Zones à risques 69<br />

Cinquième édition | 1


Note <strong>de</strong> l’éditeur<br />

C’est avec une fierté immense que j’annonce la cinquième<br />

édition du magazine littéraire <strong>Dumas</strong> <strong>de</strong> <strong>Demain</strong>. Je trouve que cette<br />

édition marque une étape importante dans la vie du magazine : nous<br />

sommes arrivés à la cinquième année du magazine ! Au cours <strong>de</strong>s<br />

cinq <strong>de</strong>rnières années, nous avons observé <strong>de</strong>s œuvres <strong>de</strong> littérature et<br />

d’art splendi<strong>de</strong>s et diverses. Ceci dit, le contenu et le but du magazine<br />

sont restés les mêmes. Cette année, j’ai remarqué que chaque pièce<br />

— qu’il s’agisse d’une œuvre d’art visuel, une œuvre <strong>de</strong> littérature ou<br />

une discussion avec un auteur — s’articule autour <strong>de</strong> l’ambiguïté <strong>de</strong>s<br />

actions <strong>de</strong> l’Homme, qui se perd dans la complexité <strong>de</strong> la société<br />

humaine et ses diverses sous-cultures. Certains auteurs démontrent<br />

l’ambiguïté du désir ; d’autres expliquent la manière lugubre dont<br />

évolue la culture. Effectivement, nous remarquons cette ambiguïté à<br />

plusieurs échelles et quasiment partout dans le mon<strong>de</strong>. Cette notion<br />

est exprimée <strong>de</strong> différentes manières : aux États-Unis, la vacuité<br />

socio-politique concernant les armes à feu déchire le peuple et<br />

témoigne les dangers intrinsèques d’un gouvernement instable ; les<br />

conflits sur la frontière palestinienne ou la guerre immanente entre<br />

l’In<strong>de</strong> et le Pakistan mettent en œuvre l’ambiguïté inquiétante <strong>de</strong><br />

l’histoire et <strong>de</strong> la religion, ambiguïté qui ne cesse <strong>de</strong> tourmenter<br />

l’humanité. Cela dit, j’ai tenté <strong>de</strong> générer un ensemble d’œuvres qui<br />

respecte les critères du magazine et qui démontre la valeur <strong>de</strong> la<br />

littérature, notamment sa capacité à faire <strong>de</strong> la langue française un<br />

chef-d’œuvre qui ne cesse <strong>de</strong> se réinventer. C’est ainsi qui je souhaite<br />

vous remercier pour votre passion, volonté et désir.<br />

— Phillip Michalak<br />

2 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


Cinquième édition | 3


ENTRETIEN AVEC UN AUTEUR:<br />

ROMANE FOSTIER<br />

Qui est votre héros préféré <strong>de</strong> la littérature <strong>de</strong> Marguerite Duras ?<br />

Pourquoi ?<br />

Mon personnage préféré est l'héroïne <strong>de</strong> l'Amant (elle n'a pas <strong>de</strong><br />

nom, c'est la narratrice. Elle dit « je » et c'est probablement un double<br />

<strong>de</strong> l'auteur Marguerite Duras). Elle a 15 ans dans l'œuvre. C'est l'âge<br />

auquel j'ai lu moi-même pour la première fois le roman. Je me suis<br />

i<strong>de</strong>ntifiée à elle probablement. Elle va vivre avec curiosité et une<br />

forme <strong>de</strong> courage [...] c’est la découverte <strong>de</strong> l'âge <strong>de</strong> femme, la<br />

découverte <strong>de</strong> l'amour, <strong>de</strong> son corps changeant, <strong>de</strong> l'éloignement <strong>de</strong><br />

sa famille, <strong>de</strong> la joie et <strong>de</strong> la souffrance. D'ailleurs nous découvrons<br />

l'héroïne au début du livre qui traverse sur un bac le Mékong, c'est<br />

une traversée symbolique, <strong>de</strong> l'enfance à l'age [sic] adulte, <strong>de</strong><br />

l'innocence à une forme <strong>de</strong> savoir.<br />

Dans votre œuvre, vous écrivez « Les relations <strong>de</strong> la mère et <strong>de</strong> la<br />

fille sont faites <strong>de</strong> ce mélange <strong>de</strong> silences pesants et d’éclats,<br />

relation passionnelle et ambiguë : Ma mère, ma misère, mon<br />

amour. » Comment interprétez-vous cette <strong>de</strong>rnière expression « Ma<br />

mère, ma misère, mon amour » ?<br />

Cette phrase résume bien je trouve la relation très particulière<br />

qu'entretient Marguerite Duras avec sa mère. Cette mère qu'elle adore<br />

et qui la fascine. Cette femme qui a décidé un petit sac en main <strong>de</strong><br />

traverser toute l'Europe et toute l'Asie pour atteindre l'Indochine avec<br />

courage. Cette mère qui a su élever seule ses trois enfants suite à la<br />

mort du père. Cette mère forte et entreprenante qui a donné accès à<br />

ses enfants à un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> liberté et d'expérimentation. Et cette mère<br />

pour qui Marguerite Duras écrit, puisqu'elle sera une <strong>de</strong>s premières<br />

lectrices <strong>de</strong> Barrage contre le pacifique et que LA MÈRE est un<br />

personnage récurrent dans la littérature durassienne. C'est le « mon<br />

amour ».<br />

4 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


Mais la figure <strong>de</strong> la mère est également une figure haïe. C'est celle<br />

qui a <strong>de</strong>s préférences entre ses enfants, celle qui délaisse sa fille, va<br />

jusqu'à la prostituer (dans les romans <strong>de</strong> Duras), celle qui est abusive<br />

et n'écoute pas les souffrances <strong>de</strong> sa fille. Celle qui est une<br />

malédiction pour sa fille puisque Duras ne cessera jamais sa quête<br />

pour l'amour <strong>de</strong> sa mère, quête sans cesse ratée. C'est donc « ma<br />

misère ».<br />

Marguerite Duras entretient cette relation très paradoxale et<br />

intense à sa mère faite d'amour/haine, d'attraction et <strong>de</strong> rejet.<br />

Quel est, selon-vous, l'aspect le plus intéressant <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong><br />

Marguerite Duras ?<br />

Ce qui me fascine le plus chez Marguerite Duras c'est qu'elle a<br />

toujours été au bout <strong>de</strong> ses convictions et qu'elle a mis en pratique ce<br />

qu'elle prônait. Elle a voulu écrite, elle a pu vivre <strong>de</strong> sa plume bien<br />

qu'à l'époque ce type <strong>de</strong> travail n'était pas aisé pour une femme<br />

malgré les critiques <strong>de</strong> son entourage. Elle a été communiste et a<br />

donc milité toutes les semaines ; elle allait à chaque réunion et elle<br />

aimait vivre en communauté que ce soit chez elle (son appartement<br />

parisien a toujours été le lieu <strong>de</strong> dîners conviviaux avec le groupe <strong>de</strong><br />

la rue Saint Benoît) ou durant le tournage <strong>de</strong> ses films. Elle a voulu<br />

être libre et elle a mené, sans se soucier du regard d’autres, une vie <strong>de</strong><br />

femme libre dans ses amours et ses choix professionnels. Elle a voulu<br />

expérimenter l'ivresse, elle a été au plus loin dans l'alcoolisme. Tout<br />

ce qu'elle a fait, le meilleur comme le pire, elle l'a fait jusqu'au bout.<br />

Dans votre carrière d'écrivain, quel est l'obstacle qui vous a causé<br />

le plus <strong>de</strong> peine ?<br />

Pour le moment je ne peux pas dire qu'un obstacle m'ait causé <strong>de</strong><br />

la peine, mais dans l'écriture d'une biographie ce qui est le plus<br />

délicat c'est probablement <strong>de</strong> trouver le juste équilibre entre<br />

l'exactitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s faits et leur mise en forme narrative. C'est-à-dire<br />

entre le fait <strong>de</strong> vouloir coller au plus près <strong>de</strong> la réalité et le fait <strong>de</strong><br />

mettre en vie le récit. Ce sont <strong>de</strong>ux forces contraires.<br />

Cinquième édition | 5


Quelle philosophie ou quel philosophe a le plus en commun avec<br />

l'écriture <strong>de</strong> Duras ?<br />

C'est une question très compliquée en ce qui concerne Duras qui<br />

écrit plus sur les sens que sur les idées. Elle ne s'est jamais<br />

revendiquée d'aucune pensée en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> la sienne. C'est donc<br />

compliqué <strong>de</strong> l'affilier à une philosophie...<br />

Quel livre <strong>de</strong> Duras vous a marquez le plus ? Pourquoi ?<br />

L'Amant pour les raisons évoquées dans la question 1) ainsi que<br />

pour la découverte du style d'écriture <strong>de</strong> Marguerite Duras. Par la<br />

suite beaucoup <strong>de</strong> ses autres romans m'ont touchée comme<br />

Lol.V.Stein et Mo<strong>de</strong>rato cantabile, sur l'errance <strong>de</strong> femmes.<br />

Pourquoi Marguerite Duras ? Qu'en est-il <strong>de</strong> l'époque dans<br />

laquelle nous vivons qui a influencé votre décision <strong>de</strong> choisir<br />

d'écrire sa biographie ?<br />

Par <strong>de</strong> nombreux aspects Marguerite Duras est une femme et<br />

une auteure très mo<strong>de</strong>rne. Sa position <strong>de</strong> femme, écrivaine, engagée<br />

politiquement et libre est, me semble-t-il, un bel exemple féministe<br />

encore aujourd'hui. Dans un contexte qui est en quête une égalité<br />

pour les femmes, Marguerite Duras me parait être une personnalité<br />

intéressante à présenter. Une femme qui s'est faite seule, parfois<br />

contre son entourage, et qui a fait entendre sa voix. Elle a su affirmer<br />

et vivre ses désirs et ses ambitions. Enfin, sa manière <strong>de</strong> parler <strong>de</strong>s<br />

sens et sensations a une dimension intemporelle qui parle encore<br />

aujourd'hui.<br />

Avez-vous eu un avis sur les mémoires <strong>de</strong> Duras - L’amant et<br />

l’Amant <strong>de</strong> la chine du nord ? Y a-t-il eu <strong>de</strong>s différences<br />

substantielles entre eux et comment avez-vous concilié les <strong>de</strong>ux<br />

dans votre œuvre ?<br />

Barrage contre le pacifique, l'Amant et l'Amant <strong>de</strong> la Chine du<br />

Nord sont une même histoire mais racontée <strong>de</strong> trois manières<br />

différentes et à trois âges <strong>de</strong> la vie différents, ce qui change bien sûr<br />

est la perspective du souvenir <strong>de</strong> Marguerite Duras sur son passé.<br />

6 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


Aucun n'est complètement juste, ni complètement faux. Les<br />

différences sont subtiles mais bien présentes. Dans l'Amant<br />

Marguerite Duras fait apparaître le frère aîné qui était absent dans le<br />

Barrage et l'amant est chinois alors qu'il était européen dans le<br />

Barrage. De plus l'Amant fait certaines références à la secon<strong>de</strong> guerre<br />

mondiale que ne fait pas le Barrage. La narratrice du Barrage a un<br />

nom, Suzanne, tandis que celles <strong>de</strong> l'Amant et <strong>de</strong> l'Amant <strong>de</strong> la Chine<br />

du nord sont juste « je » et se rapprochent <strong>de</strong> la figure <strong>de</strong> l'auteur. Il y<br />

a désir et amour pour l'amant dans les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers ouvrages alors<br />

qu'il n'y a que dégoût dans le premier. Enfin le style <strong>de</strong> l'Amant <strong>de</strong> la<br />

Chine du nord est plus théâtral que les <strong>de</strong>ux autres.<br />

Les points communs mais aussi les différences sont autant<br />

d'éléments qui nous révèlent l'évolution <strong>de</strong> la pensée <strong>de</strong> Duras. Il<br />

suffit <strong>de</strong> rester pru<strong>de</strong>nt quand on parle <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong> Duras en <strong>de</strong>hors<br />

<strong>de</strong> la fiction.<br />

Duras a déclaré : « Si je l’ai écrit, c’est que ça a existé » et « cette<br />

histoire est vraie puisque je l’ai inventée ». Compte tenu <strong>de</strong> la<br />

relation particulière <strong>de</strong> Duras avec la vérité, quels types <strong>de</strong> défis<br />

factuels avez-vous rencontré et comment avez-vous traité avec eux ?<br />

En effet c'est très délicat <strong>de</strong> pouvoir raconter avec certitu<strong>de</strong> la<br />

vie <strong>de</strong> Marguerite Duras car elle l'a beaucoup réécrite et a fini par<br />

croire en partie à ses mensonges. Heureusement, une partie <strong>de</strong>s faits<br />

factuels peuvent, avec un travail minutieux, être retrouver [sic]. Jean<br />

Vallier dans sa biographie a fait un travail incroyable <strong>de</strong> recherche et<br />

a retrouvé notamment les menus <strong>de</strong> la classe <strong>de</strong> première du paquebot<br />

sur lequel voyageait la famille Donnadieu, témoin d'une vie plus<br />

aisée que celle qu'elle nous dépeignait. A l'inverse Marguerite Duras<br />

a détruit une gran<strong>de</strong> partie du courrier qu'elle échangeait avec sa<br />

mère, ce qui rend plus difficile d'établir avec certitu<strong>de</strong> le lien qu'elles<br />

avaient. Il faut donc croiser les avis, les témoignages <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> son<br />

entourage.<br />

Cinquième édition | 7


Quel est, selon vous, l'élément le plus important pour le succès d'un<br />

écrivain ?<br />

S'il y avait un élément magique pour le succès, ce serait si simple... !<br />

Mais <strong>de</strong>ux choses me paraissent essentielles : le style et la capacité à<br />

raconter une histoire qui ait une dimension universelle et qui puisse<br />

toucher, <strong>de</strong> manière différente, chacun <strong>de</strong> nous.<br />

Supposez que vous puissiez organiser un ren<strong>de</strong>z-vous avec une<br />

version plus jeune <strong>de</strong> vous-même - avant d'avoir commencé votre<br />

carrière d'écrivaine. Quels avis auriez-vous ?<br />

C'est une question difficile... Je lui dirais surtout : Courage !!<br />

Supposez que vous pourriez organiser un ren<strong>de</strong>z-vous avec votre<br />

auteur préféré quelles questions poseriez-vous ? Pourquoi ?<br />

Je crois que ce qui m'intéresse le plus ce sont les liens entre la vie<br />

intime <strong>de</strong> l'auteur et sa production littéraire. Quelles sont ses sources<br />

d'inspiration, qu'est ce qui dans sa vie l'a mené à l'écriture, les<br />

anecdotes qui ont nourri son travail... C'est pourquoi je m'intéresse à<br />

la biographie, c'est aussi un moyen <strong>de</strong> dialoguer avec un auteur, <strong>de</strong><br />

partir en quête <strong>de</strong> « ses secrets ».<br />

Quel est l'élément le plus stimulant du processus d'écrire une<br />

biographie ? Et aussitôt quel serait le plus provocateur ?<br />

Le plus stimulant est probablement <strong>de</strong> redonner vie à un auteur, le<br />

mettre en mouvement mais le plus complexe est <strong>de</strong> faire cela sans<br />

mentir ou trop s'éloigner du réel. Le raconter dans son intimité pour<br />

lui donner chair sans le dévoyer.<br />

Enfin, selon vous, pourquoi la littérature <strong>de</strong> Duras est-elle<br />

importante aujourd’hui ?<br />

Parce qu’elle a une manière <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> l'émotion et <strong>de</strong> la sensation<br />

d'une manière jamais égalée. Parce que c'est une voix <strong>de</strong> femme forte<br />

et libre. Parce qu'elle a créé un style qui inspire aujourd'hui encore<br />

<strong>de</strong>s écrivains<br />

8 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


ROMANE FOSTIER<br />

Cinquième édition | 9


10 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


DOBROSLAV SMILJANIC<br />

DI DOBROSLAV SMILJANIC<br />

La mer dans l’amertume <strong>de</strong> notre<br />

siècle<br />

Oui, c’est bien ce rayon dans le creux <strong>de</strong> la main que nous sommes<br />

encore en<br />

train <strong>de</strong> chasser<br />

Vague déferlante gelée, semence atemporelle<br />

Étincellement du néant, nénuphar <strong>de</strong>s étoiles <strong>de</strong> plus en plus lour<strong>de</strong>s,<br />

rebord<br />

Quand le tour du cercle bleu est fait<br />

Le berceau dans l’eau est déjà un rêve, et le chœur<br />

Des vierges folles et nues dès l’aube<br />

Chante ta mort afin d’alléger ton far<strong>de</strong>au<br />

Jusqu’à l’étoile du soir qui<br />

Blesse encore plus fort<br />

Écoute, en une couronne-instant la mer concentrée se conçut<br />

Démesurée<br />

LA MER<br />

Assignée<br />

Et rebelle intimité<br />

Qui<br />

Même si nous ne mourons jamais<br />

Cinquième édition | 11


Ne cessera <strong>de</strong> nous transformer et <strong>de</strong> nous tenter<br />

Oui, c’est celui dont on ne parle dans l’obscurité<br />

Détrôné dans l’écho sans <strong>de</strong>scendants ni habitation<br />

L’œil maléfique, vengeance illusoire <strong>de</strong> la <strong>de</strong>struction<br />

Et <strong>de</strong> l’œuvre – bouquet extrasensoriel où ronronne et languit<br />

Le chat fainéant <strong>de</strong> l’indéfini.<br />

Dans la paille d’Éros<br />

Tu tremblotes tel l’enfant qui entend en dormant<br />

Le gron<strong>de</strong>ment du passage vers l’aire <strong>de</strong> l’ouragan<br />

Passage <strong>de</strong> celui-ci à cet autre <strong>de</strong> la <strong>de</strong>nsité <strong>de</strong>s temps d’antan<br />

Qui brille <strong>de</strong> tout son éclat à chaque foudroiement<br />

En mouvement dont c’est toi maintenant la cause<br />

Le battement <strong>de</strong> ton cœur – mesure, don, possession<br />

Dans lequel chaque fin est finalement un nouveau commencement<br />

Auquel tu retournes sous une grâce ajoutée<br />

Pour bâtir un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> ta vivacité<br />

Cette mer est scythe lorsqu’elle saute hors du piège<br />

Mer <strong>de</strong> la farce et du mouvement, caravane <strong>de</strong> la soif jusqu’à l’oasis<br />

Mer <strong>de</strong> l’ar<strong>de</strong>ur mélangée à la clémence et au vin<br />

Mer déchiquetée en queues par <strong>de</strong>s chevaux furieux<br />

Mer <strong>de</strong> l’histoire, mer <strong>de</strong> la mission et <strong>de</strong> l’anabase<br />

Mer <strong>de</strong>s reflets et <strong>de</strong>s fêtes et <strong>de</strong> l’architecture<br />

Mer <strong>de</strong>s gémissements, mer <strong>de</strong>s rugissements et <strong>de</strong> la barbarie<br />

Mer du blasphème - entre l’horreur et l’extase<br />

Mer <strong>de</strong> la naissance, mer <strong>de</strong> la vision et du soin<br />

Mer qui déferle par les barreaux, amers<br />

Mer <strong>de</strong> l’amour et <strong>de</strong> la rencontre, mer <strong>de</strong> la guérison<br />

12 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


Mer <strong>de</strong> l’instant et <strong>de</strong> la <strong>de</strong>scendance et <strong>de</strong>s temps anciens<br />

Mer <strong>de</strong> la douce convalescence, mer <strong>de</strong> l’existence et du<br />

trébuchement<br />

Mer du schisme et <strong>de</strong> l’exil et <strong>de</strong> l’expatriation<br />

Mer <strong>de</strong> l’origine et du corps, mer <strong>de</strong> la primauté<br />

Mer monarque, mer dans l’amertume <strong>de</strong> notre siècle<br />

Sans issue, et sans écho, sans écoulement<br />

Mer illusion découlant <strong>de</strong>s sorts pour l’agneau<br />

Mer <strong>de</strong>s séparations, <strong>de</strong>s touchers secrets et <strong>de</strong>s atrocités<br />

Mer sans enfants et vouée, chaste bûcher et enclave<br />

Mer <strong>de</strong> l’unité et <strong>de</strong> la diversité et <strong>de</strong> l’infidélité<br />

Et patrie <strong>de</strong> la profon<strong>de</strong>ur à la peau orange <strong>de</strong> la lune.<br />

Mer lasse et allongée, mer <strong>de</strong> l’assassinat<br />

Mer <strong>de</strong> l’aztèquisme et <strong>de</strong> l’assyrisme et du sumérisme<br />

Mer agraire et achaïque, mer du narcissisme et <strong>de</strong> l’orphisme<br />

Lichen <strong>de</strong> chemins et d’engourdissements et transcendance charitable<br />

Couvée aptère et sous-entassée avec un œil <strong>de</strong> criminel et un œil <strong>de</strong><br />

saint<br />

Mer émissaire au ruban noir, mer d’espoir et d’égéismes<br />

Œil vert dans le mot eau et pain <strong>de</strong> communion issu <strong>de</strong>s contusions<br />

Mer trésor et persuasion et collection naufragée d’étoiles<br />

Tourbillon et mythe du berceau et toge drapée du chapelain<br />

Mer du singulier, et du pluriel, mer <strong>de</strong> la prière et du paganisme<br />

Mer malpropre et cloaque, mer <strong>de</strong> la miction et <strong>de</strong> l’éructation<br />

Mer macro et mercanti, mer miracle et décontraction<br />

Mer ratichon et exo<strong>de</strong> et émigrante à l’autre bout du mon<strong>de</strong><br />

Mer lecture illisible <strong>de</strong> la force, mer légen<strong>de</strong><br />

Mer maso, dualité entre la douceur et la fustigation<br />

Cinquième édition | 13


Mer <strong>de</strong> la chimie et <strong>de</strong> la polysémie et ressemblance universelle <strong>de</strong><br />

l’eau<br />

Mer virile et ruineuse, sabaoth grisonnant et pramāņa<br />

Mer prière matinale et dissemblance <strong>de</strong>s classes du même genre<br />

Mer qui n’est pas que <strong>de</strong> l’eau.<br />

Traduit par : Jelena Novaković et Jelena Višacki<br />

Dobroslav Smiljanić est poète, essayiste et critique littéraire, né en 1933 à Pavino<br />

polje (Monténégro). Il vit à Belgra<strong>de</strong>. Il a publié plusieurs recueils <strong>de</strong> poésie : La<br />

Branche du non-donné (1970), Une voix solitaire dans le souvenir collectif (1979),<br />

Le Surcroît <strong>de</strong> vue (1984), Les Paradis dans une lentille (1985), Le Dîner avec la<br />

mort (1989), Le Hibou conducteur du train (1990), La Pierre <strong>de</strong> la Fée (1993), Là<br />

où la lumière pense (1997), Ruines et apparitions (2001), Archive <strong>de</strong> la blancheur<br />

(2006). Il a aussi écrit <strong>de</strong>s essais sur la littérature et sur les arts plastiques (Le<br />

Logos <strong>de</strong>s arts plastiques, 2011).<br />

14 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


LAURENT BARCELO<br />

L'île et elle<br />

Une île est un paysage entouré d'eau.<br />

C'est un paysage sans personne autour,<br />

Ou sur <strong>de</strong>s bateaux.<br />

Quand l'orage arrive<br />

Et les bateaux retournent au port,<br />

Vous ne pouvez voir que <strong>de</strong> l'eau.<br />

Un archipel est un groupe d'îles :<br />

Grand, petit, plat, sinueux.<br />

Ici, c'est une fille allongée dans la poitrine saillante,<br />

C'est une femme qui donne naissance à une colline.<br />

Même dans un archipel,<br />

Une île ne prend qu'un « i ».<br />

Une « île » sans « elle », c'est une île déserte.<br />

Une île ne manque pas d'air.<br />

D'une île, nous avons souvent vu la mer.<br />

Comme nous avons rapi<strong>de</strong>ment contourné une île,<br />

Un archipel permet <strong>de</strong> faire plusieurs tournées.<br />

Quand on débarque une île,<br />

Nous espérons trouver l'île sœur.<br />

Sur une île, tous les chemins mènent à la mer.<br />

Cinquième édition | 15


L’Homme qui veut tout savoir<br />

L’Homme qui veut tout savoir<br />

A peur du vi<strong>de</strong>,<br />

Peur du noir.<br />

On lui cache tout,<br />

On ne lui dit rien.<br />

Il y a une raison à tout,<br />

Rien n’est le fruit du hasard.<br />

L’Homme qui veut tout savoir<br />

Veut savoir tout sur tout.<br />

Tout le temps.<br />

Sur tout le mon<strong>de</strong>.<br />

Il ouvre l’œil,<br />

Il tend l’oreille,<br />

Il parle <strong>de</strong> tout.<br />

Quand on lui dit que l’on ne sait pas,<br />

Il ne veut rien entendre,<br />

Ne rien savoir.<br />

16 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


Hémisphère Sud<br />

Un hémisphère, c’est la moitié d’une sphère.<br />

Mais je préfère dire « une » hémisphère : je trouve ça plus<br />

joli.<br />

Il n’y a que <strong>de</strong>ux hémisphères :<br />

Une à l’endroit, une à l’envers,<br />

L’une en été, l’autre en hiver.<br />

Chacune a sa part d’ombre et <strong>de</strong> lumière.<br />

Les frivoles argentés passent <strong>de</strong> l’une à l’autre,<br />

Sans vraiment s’en rendre compte.<br />

On se dit « à <strong>de</strong>main », et c’est déjà hier.<br />

L’hémisphère sud a perdu le nord, il y a longtemps déjà.<br />

Ils sont pourtant faits l’un pour l’autre,<br />

Les <strong>de</strong>ux font la paire.<br />

L’hémisphère sud, c’est celle du <strong>de</strong>ssous ;<br />

L’hémisphère nord est à l’étage.<br />

Dans l’hémisphère sud, on entend les bruits <strong>de</strong> pas.<br />

Cinquième édition | 17


CHRISTIAN PRINCE<br />

L’Émotion<br />

L'émotion, qu'est-ce que c’est ?<br />

J'en ai entendu parler<br />

Mais je ne crois pas que je l’ai déjà ressentie.<br />

Je me sens seulement ce que Plath a appelé :<br />

« <strong>The</strong> thin / Papery feeling »<br />

—oui je connais ce papier.<br />

Le papier change sa couleur, sa transparence, sa texture,<br />

Et parfois c'est mouillé,<br />

Mais c'est toujours du papier.<br />

Qu'est-ce que c'est l’émotion ?<br />

Et, si vous l'avez, comment est-ce que pouvez-vous distinguer entre<br />

Les émotions et le papier ?<br />

Sinon pour papier, où est-ce que vous placez vos mots pour cela<br />

18 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


VICTOR ANDRES PARRA<br />

AVELLANEDA<br />

Une journée sur la Lune<br />

Avant l'aube, je me lève pour aller à l'école. Il fait très froid et<br />

tout est sombre. Mes vêtements sont un manteau <strong>de</strong>nse, un chapeau<br />

<strong>de</strong> laine, <strong>de</strong>s lunettes coupe-vent qui protègent mon visage, et une<br />

écharpe encombrante qui entoure mon cou comme un serpent<br />

énorme<br />

J'ouvre la porte <strong>de</strong> ma maison et une rafale <strong>de</strong> vent m'assaille,<br />

m'immobilise pour quelques instants, jusqu'à ce que je parvienne à<br />

gar<strong>de</strong>r mon équilibre et à m'habituer au vertige <strong>de</strong> marcher dans cet<br />

environnement rempli <strong>de</strong> neige qui atteint mes genoux. Je lève les<br />

pieds aussi haut qu'ils le peuvent et je pénètre dans le froid profond.<br />

Je vois <strong>de</strong>s passants habillés comme moi et morts <strong>de</strong> froid. Des<br />

milliers <strong>de</strong> personnes vont travailler à cette heure-ci.<br />

Le train arrive et je monte à bord. Les gens sont vaincus par le<br />

sommeil . Personne n’a les yeux ouverts. Parfois je me dis que ce<br />

train n’est rien <strong>de</strong> plus qu’un cercueil abrité dans une gran<strong>de</strong> morgue,<br />

où dans notre léthargie nous n’attendons que le diagnostic <strong>de</strong> notre<br />

mort.<br />

***<br />

J'arrive à la <strong>de</strong>stination. Les heures passent et la neige<br />

commence à fondre et à s'évaporer vers 11h30. La nébulosité<br />

dominante du matin sombre disparaît sous l'effet <strong>de</strong> la chaleur du<br />

soleil levant.<br />

Il fait très chaud et je dois enlever tous mes manteaux. Je reste<br />

en sous-vêtements, ce n'est qu'alors que je pourrai supporter la<br />

chaleur qui domine ces heures.<br />

Cinquième édition | 19


Je commence à transpirer. Tous les autres ont les mêmes<br />

symptômes. La sueur apparaît ; ils halètent et sont fatigués.<br />

– De l'eau, s'il vous plaît ! ... cria une voix lointaine.<br />

Voyant la situation se compliquer, je m'éloigne <strong>de</strong> tout le mon<strong>de</strong><br />

en me cachant <strong>de</strong>rrière une salle <strong>de</strong> classe. Je prélève <strong>de</strong> mon sac à<br />

dos une bouteille d'eau que je croyais à tort froi<strong>de</strong>, mais il fait chaud<br />

et il y a <strong>de</strong>s signes d'évaporation.<br />

– C'est tout ce qu'il y a à faire. L'eau est <strong>de</strong> l'eau-pensée.<br />

Je bois, en veillant à ce que personne ne me voie. Je fais cela<br />

parce que beaucoup <strong>de</strong> gens assoiffés oublient d'apporter <strong>de</strong> l'eau et<br />

n'hésiteraient pas à me l'enlever au prix <strong>de</strong> m'attaquer — peut-être<br />

même au prix <strong>de</strong> quelque chose plus violent encore.<br />

La sueur qui éclabousse ma peau s'évapore, exposant les sels<br />

qu'elle expulse. Ils se cristallisent, formant une légère couche<br />

blanchâtre cassante qui provoque <strong>de</strong>s démangeaisons dans<br />

l'épi<strong>de</strong>rme. Les rayons du soleil <strong>de</strong>viennent plus intenses et irritent<br />

ma peau jusqu'à ce qu'elle <strong>de</strong>vienne rouge et s'écaille comme la<br />

craie.<br />

Face au danger évi<strong>de</strong>nt d'être exposé à ce rayonnement, je cours<br />

à la recherche <strong>de</strong> l'ombre d'un arbre. Mais ils sont tous occupés par<br />

<strong>de</strong>s gens qui ne sont pas prêts à abandonner un peu d'espace.<br />

Cependant, une fille s'évanouit <strong>de</strong> déshydratation et est transportée<br />

d'urgence à l'hôpital. Je saisis l'occasion et je prends ma place, me<br />

cachant du soleil brûlant.<br />

On pourrait raisonnablement suggérer que la saturation <strong>de</strong>s<br />

personnes serait facilement résolue si les élèves étaient confinés dans<br />

leurs salles <strong>de</strong> classe. Mais c'est extrêmement dangereux.<br />

Principalement parce que le dioxy<strong>de</strong> <strong>de</strong> carbone généré par la<br />

respiration humaine s'accumule rapi<strong>de</strong>ment dans le petit espace <strong>de</strong> la<br />

classe. Cette situation et la mauvaise circulation <strong>de</strong> l'air transforment<br />

les espaces clos en chambre mortuaire.<br />

D'autres n'ont pas la même chance, comme les employés qui<br />

travaillent dans <strong>de</strong>s bureaux dans <strong>de</strong> grands immeubles, qui ne<br />

peuvent pas utiliser la climatisation parce qu'elle surchaufferait<br />

l'équipement et causerait un incendie capable <strong>de</strong> consumer tout<br />

l'immeuble- ce qui est déjà arrivé.<br />

20 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


***<br />

La pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> canicule est terminée. Le ciel s'obscurcit et une<br />

pluie violente tombe qui, après quelques minutes, inon<strong>de</strong> les rues et<br />

les gares, où le transport passe sous l'eau comme un sous-marin en<br />

transit.<br />

A ce moment-là, tout le mon<strong>de</strong> sur la ligne <strong>de</strong> train porte une<br />

combinaison <strong>de</strong> plongée. Chaque fois que les portes sont ouvertes, les<br />

passagers nagent pour atteindre leur <strong>de</strong>stination. Je quitte la gare et la<br />

forte pluie s'est arrêtée. Au lieu <strong>de</strong> cela, un vent fort prévient d'un<br />

nouveau danger.<br />

Je cours aussi vite que possible jusqu'à chez moi.<br />

Trop <strong>de</strong> grêle. D'énormes morceaux <strong>de</strong> glace tombent du ciel et<br />

recouvrent la ville sous une couche <strong>de</strong> froid inerte.<br />

La température chute <strong>de</strong> 10 <strong>de</strong>grés toutes les heures ainsi que la<br />

pression atmosphérique. Je mets un manteau et mange beaucoup <strong>de</strong><br />

gras et <strong>de</strong> gluci<strong>de</strong>s pour ne pas mourir <strong>de</strong> froid.<br />

***<br />

J'ai entendu « Les Quatre Saisons » <strong>de</strong> Vivaldi. Je ne comprends<br />

pas pourquoi son nom est si étrange.<br />

Mon grand-père me racontait <strong>de</strong>s histoires sur le mon<strong>de</strong> dans<br />

lequel il est né. Parfois, j'ai l'impression qu'il mentait pour<br />

m'embrouiller. Selon lui, ce mon<strong>de</strong> est fou, mais je pense que c'est lui<br />

qui est fou.<br />

D'un autre côté, mes parents me conseillent <strong>de</strong> ne rien croire <strong>de</strong><br />

ce qu'il dit, parce que ce sont <strong>de</strong>s histoires <strong>de</strong> vieux fous.<br />

– Je me souviens que l'hiver commençait en décembre et terminait en<br />

mars ; le printemps continuait ainsi et finissait en juin avec l'été<br />

jusqu'en octobre avec l’automne ; c'était toujours comme ça.<br />

– Tu as tort papa. Il n'y a que <strong>de</strong>ux saisons qui correspon<strong>de</strong>nt à la<br />

température du jour. De 21 h à 11 h, c'est l'hiver. C'est à ce momentlà,<br />

quand la canicule se fait sentir, que l'été commence.<br />

– Tout s'est mal passé et personne ne semble s'en soucier.<br />

Maintenant, les nuits sont très froi<strong>de</strong>s et les jours sont très chauds. Le<br />

mon<strong>de</strong> est <strong>de</strong>venu méconnaissable. Ça me rappelle le roman <strong>de</strong> H.G.<br />

Cinquième édition | 21


Wells, « Les Premiers Hommes dans la Lune ». Mais on n'est pas sur<br />

la lune, on est toujours sur Terre. - dit mon grand-père.<br />

– C'est toi qui es sur la lune, vieil imbécile, répondit mon père.<br />

22 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


IRENE TRUNG<br />

Secrets <strong>de</strong> l’Aube<br />

Quand l’aube égaye comme les tournesols <strong>de</strong> Provence,<br />

les paroles joyeuses <strong>de</strong> pouillot fitis<br />

m’appellent à la fenêtre, la porte ouverte à la clairvoyance<br />

masquée par leurs battements.<br />

Équilibrés précairement sur la corniche <strong>de</strong> chaque possibilité fugace,<br />

les murs <strong>de</strong> mon esprit tombent<br />

et permettent l’entrée <strong>de</strong> la lumière du jour infini<br />

qui porte les secrets <strong>de</strong>s gens.<br />

Le garçon analphabète avec <strong>de</strong>ux pences<br />

collectionne les noyers noirs et la gomme d'acacia,<br />

mais sa voix effacée par l’encre, il passe les ingrédients<br />

avec un bourdonnement faible.<br />

La fille qui a l’o<strong>de</strong>ur d’encens <strong>de</strong> lys<br />

cueille les bigorneaux avec un murmure humble<br />

que l’hiver suit toujours l’automne, que le printemps n’est<br />

rien sans l’hiver.<br />

Et moi, je me suis agenouillée dans le jardin <strong>de</strong> conscience pelée,<br />

et j’ai versé une larme <strong>de</strong> souhaits<br />

aussi tranquillement que la finesse naturelle<br />

<strong>de</strong> germes <strong>de</strong> violette tricolore en l’air.<br />

Cinquième édition | 23


G. ANTHONY CAMPBELL<br />

ne prenez pas mon arrogance<br />

Ne prenez pas mon arrogance<br />

Pour l'intrépidité, c’est parce que<br />

Je dois protéger le petit garçon à l'intérieur<br />

Que je maintiens<br />

Cette position arrogante<br />

Ne t'inquiète pas et ne pense pas que<br />

Je t'ai abandonné ma femme<br />

Noire pour c’est avec toi et pour<br />

Tout ce que vous avez défendu, que<br />

Ne pense pas que j'ai oublié<br />

Ma culture, pour le plus que j'apprends,<br />

je trouve <strong>de</strong> plus en plus que c'est tout<br />

Ma culture. Des chansons <strong>de</strong> nos<br />

Souffrant, au travail non rémunéré<br />

Cela a apporté richesse et loisirs<br />

En Europe<br />

Ne perd pas la foi,<br />

24 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


Pour la bataille livrée avec raison<br />

Et chant, comme la bataille <strong>de</strong> Jéricho<br />

La bataille s'est déroulée avec un bruit joyeux<br />

Pour entrer dans tout ce que nous avons été<br />

Exclus<br />

Cinquième édition | 25


Création<br />

En catharsis, pour les esprits<br />

Et <strong>de</strong>s âmes pleines <strong>de</strong> voix<br />

Et les visions ne sont plus<br />

Contenu à l'intérieur<br />

Des cris d'obscénités et <strong>de</strong> passions<br />

Chansons <strong>de</strong> la même<br />

frustration mène au dédale<br />

Comportement créatif et <strong>de</strong>structeur<br />

Tissez<br />

Main dans la main omniscient<br />

Satisfaction<br />

Physique et mentale pour soulager<br />

Le cathexis qui donne ce pouvoir aux<br />

Vaisseaux créés par nos démons<br />

La prose et la peinture révèlent <strong>de</strong>s aperçus<br />

De vers qui ont fuit<br />

Mais ne peuvent pas cacher<br />

Vignettes <strong>de</strong> ce rêve —<br />

Là où les rêves <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s cauchemars<br />

26 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


Attendant un ami<br />

Dans un café jaune<br />

Le vétéran japonais à une main<br />

Questionne la serveuse<br />

Lorsqu’il s’imagine visiter<br />

St. Tropez<br />

Un chat orange boiteux<br />

Traverse la rue<br />

Risque d'autres membres<br />

Erik Satie joue<br />

Et je pense à<br />

Paris et Malcolm<br />

Les passes africaines<br />

Pour la <strong>de</strong>uxième fois.<br />

Cinquième édition | 27


J’ai connu <strong>de</strong>s amis<br />

J'ai connu <strong>de</strong>s prétendants<br />

Ceux qui draguent avec amour<br />

Mais s’éloignent et se témoignent<br />

Car l’amour est intense<br />

Et laisse les cicatrices<br />

Lorsque les prétendants fuient<br />

Et avec eux la foi<br />

28 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


Lorsque vous traversez <strong>de</strong>s ponts allez<br />

lentement<br />

Va lentement<br />

Remarquez comment même les trains<br />

Ralentissent<br />

Alors qu’ils se frayent un chemin à travers <strong>de</strong>s pistes suspendues à<br />

travers <strong>de</strong>s étendues d’eau<br />

C'est l'acte même<br />

Dans l'air<br />

Défier la gravité<br />

Cela nous fait contempler<br />

La prochaine étape <strong>de</strong> notre position précaire<br />

La distinction entre<br />

Ce que nous laissons <strong>de</strong>rrière<br />

Et ce que nous abordons<br />

Cinquième édition | 29


Vérités aigres-douces<br />

ayant étudié <strong>de</strong>s philosophes morts<br />

jouant maintenant avec la prose<br />

qui n’a aucune signifiance<br />

ne signifie rien vraiment<br />

oublier que «aimer» est un verbe,<br />

un acte du cœur,<br />

un état d'être<br />

est-ce que c'est étonnant que vous cherchiez,<br />

la terre, se mêler à <strong>de</strong>s étrangers,<br />

pour ce qui <strong>de</strong>vrait être à l'intérieur.<br />

un manque d'âme.<br />

30 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


Avoir aimé un fantôme<br />

Avoir aimé un fantôme<br />

Je me suis habitué<br />

A ton absence<br />

L'esprit <strong>de</strong> toi<br />

Hante toujours ma chambre<br />

Même si,<br />

Tu n'as jamais été là.<br />

je ne savais pas<br />

Que ce serait si difficile<br />

De s'habituer à votre<br />

Absence d’ici<br />

Quand tu n'y étais jamais.<br />

Comment pourrais-je aimer autant<br />

Ce que je n'ai jamais eu?<br />

Et pourtant, je le fais.<br />

Je sais que c'était toi<br />

J'ai <strong>de</strong>s lettres avec <strong>de</strong>s mots<br />

qui voulaient dire quelque chose.<br />

J'ai <strong>de</strong>s photos<br />

De moi et toi<br />

Heureux, dois-je<br />

L'accepter comme un fait<br />

Que tu étais si malheureux<br />

Cinquième édition | 31


Avec moi?<br />

Et maintenant tu es parti<br />

Et heureux<br />

C'est maintenant réel<br />

Qu’est-ce que c’était?<br />

S’enfuir<br />

32 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


CHERYL BLOCK<br />

L’eau sauvage, l’eau qui soulage<br />

L’eau sauvage, l’eau qui soulage<br />

pleurent un chemin à travers la cité<br />

ses larmes emprisonnant les citoyens par milliers,<br />

captifs <strong>de</strong>s murs liqui<strong>de</strong>s . . .<br />

On voit un bras qui s’élève<br />

pour nager, pour atteindre un hélicoptère<br />

pour tirer un enfant, un vieux<br />

à la sûreté . . .<br />

L’eau sauvage, l’eau qui soulage<br />

la violence par laquelle<br />

on voit un bras s’élever<br />

et une main prendre l’eau en bouteille.<br />

L’eau sauvage, l’eau qui soulage . . .<br />

Cinquième édition | 33


AMELIE FOURNIER<br />

Évolution<br />

Une fois, il y avait une race d’animaux qui, biens comme les<br />

humains <strong>de</strong> nos jours, pouvaient communiquer <strong>de</strong>s pensées et<br />

événements précis à travers une langue bien différente - mais tout à<br />

fait i<strong>de</strong>ntique - à celle <strong>de</strong> l’Homme. Plus important encore, ils avaient<br />

<strong>de</strong>s pensées et étaient conscients <strong>de</strong> ces pensées. Ils avaient <strong>de</strong>s<br />

personnalités dans leur race, qui étaient évoquées dans le<br />

fonctionnement <strong>de</strong> leur société. Ils n’avaient pas construit<br />

d’infrastructures, plutôt ils ont utilisé les ressources naturelles, mais<br />

néanmoins, ils ont interagi bien comme nous ; si nous aurions eu la<br />

possibilité <strong>de</strong> les observer, nous aurions pu percevoir une partie <strong>de</strong><br />

nous-même.<br />

Au fil du temps, un événement inévitable pour toutes les<br />

créatures vivantes, ils sont <strong>de</strong>venus avi<strong>de</strong>s. Ils ont créé un système <strong>de</strong><br />

pouvoir, où certains prospéraient, et d’autres étaient incapables <strong>de</strong><br />

survivre. Au fil du temps, leur froi<strong>de</strong>ur envers les autres changeait la<br />

température <strong>de</strong> leur sang. Tout "contact humain" que cette espèce<br />

avait disparu. Les écailles ont grossi, bloquant toute sensibilité<br />

physique. Leurs bras et leurs jambes ont finalement disparu s'ils ne<br />

pouvaient pas s'ai<strong>de</strong>r eux-mêmes. S'ils ne pouvaient pas marcher un<br />

kilomètre dans la peau <strong>de</strong> quelqu'un d'autre, quel était le but <strong>de</strong> leurs<br />

pieds ? Ceux qui appartenaient à la "classe supérieure" crachaient<br />

souvent <strong>de</strong>s mots venimeux au vrai venin volatil qui vivait dans leurs<br />

crocs. En guise <strong>de</strong> punition finale, leurs langues ont été coupées en<br />

éclats et toutes les langues ont cessé. À ce jour, ils se souviennent <strong>de</strong>s<br />

erreurs <strong>de</strong> leurs prédécesseurs et ne se limitent pas à ceux qui peuvent<br />

être rendus à eux-mêmes.<br />

34 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


Vers la même époque vivait un groupe <strong>de</strong> personnes qui<br />

n’avaient jamais interagi avec le premier, mais qui avaient pensé<br />

comme un ours. Leur histoire n'est pas aussi dramatique que la<br />

première. Ils n'ont jamais perdu <strong>de</strong> membres et le mal ne s'est jamais<br />

fendu la langue en <strong>de</strong>ux. Ils ne se sont jamais retournés l'un contre<br />

l'autre, ni sur la terre, ni même sur un autre groupe d'animaux.<br />

Néanmoins, leur histoire se termine toujours <strong>de</strong> manière tragique,<br />

bien que leur chute ait été causée par un acte répréhensible différent :<br />

ils ont pris l'habitu<strong>de</strong>. Chaque jour, chacun faisait la même chose et<br />

les variations, gran<strong>de</strong>s ou petites, <strong>de</strong>venaient rares. La passion pour la<br />

vie, qu'ils avaient jadis, a graduellement rétrécie et disparue. Ils ne se<br />

souciaient ni <strong>de</strong>s arts ni <strong>de</strong> l'aventure, et on se moquait <strong>de</strong> l'autoexploration.<br />

Les animaux avaient échangé leur but contre la<br />

simplicité. Ils avaient perdu leur utilité pour leur cerveau. Leur<br />

cerveau mort <strong>de</strong>vient lentement lourd, jusqu'à ce qu'ils se regar<strong>de</strong>nt.<br />

Ils ne parlaient plus et n'interagissaient plus avec leurs pensées,<br />

laissant leur conscience <strong>de</strong> soi et leurs personnalités disparaître.<br />

Toute société, philosophie et culture dans laquelle ils étaient entrés, a<br />

disparu sans qu’ils ne le sachent ni s'en soucient. Ils ont continué,<br />

stupi<strong>de</strong>ment, à travers les habitu<strong>de</strong>s dans lesquelles ils étaient tombés<br />

<strong>de</strong>puis si longtemps que les actions étaient enracinées dans leur<br />

cerveau et leurs muscles.<br />

Cinquième édition | 35


JEAN-JEROME BELLEVUE<br />

Pays du soleil couchant<br />

Une obscurité habite en moi<br />

Et veut manger mes entrailles crues.<br />

Il ne peut pas tout <strong>de</strong> suite — il est endormi<br />

Et ne se lèvera si je ne suis disparu.<br />

Il attend et veut se déchaîner<br />

Par quelque chose <strong>de</strong> corrompu et faux<br />

Si seulement je connaissais la chanson<br />

Pour le calmer avec la force <strong>de</strong>s mots.<br />

Il grogne comme un sanglier<br />

Et ne peut pas être ignoré.<br />

Il n’y a pas longtemps qu’il avait si faim<br />

Pour un prix vi<strong>de</strong> qui l’aurait décoré.<br />

Maintenant, je ne sais pas ce qu'il veut.<br />

Je sens que cela me rend fou.<br />

Je veux griffer mes petits yeux<br />

Et écraser ma tête pour qu’elle soit moue.<br />

36 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


La douleur persiste tout <strong>de</strong> même<br />

Mais je ne suis pas disparu.<br />

La journée ensoleillée s’empare du sang<br />

Et les ombres m'enterrent sous leurs accrus.<br />

Les ténèbres vivent en nous tous,<br />

Et au pays du soleil couchant<br />

Il se régale sur le mon<strong>de</strong> entier<br />

Émergeant pour terminer nos chants.<br />

Je ne peux pas voir où je dois aller<br />

Qui je dois être, ce que je dois faire.<br />

J’ai trop peur <strong>de</strong> faire un pas<br />

Et recommencer ma vie en prière.<br />

Mais je ne peux pas laisser l'obscurité gagner<br />

Car le mon<strong>de</strong> entier a ses yeux sur moi<br />

Les espoirs et et les rêves du mon<strong>de</strong> sont sur<br />

Mon dos, maintenant ancré sous ce lourd poids.<br />

J'oublie en fait qu’il ne s’agit pas<br />

De ma vie à vivre. Il y a beaucoup<br />

Que je n'aurais pas pu faire sans<br />

Tout le bien et le bonheur surtout.<br />

Peut-être que les ténèbres s'épaississent ici,<br />

Et la lumière rayonne <strong>de</strong> moins en moins,<br />

Cinquième édition | 37


Mais je ne peux pas encore abandonner<br />

Parce que ma mère a encore besoin.<br />

Une obscurité habitait en moi<br />

Et a consommé mon âme et ma peau<br />

Ça m’a donné force, esprit et espoir<br />

Et ça m'ai<strong>de</strong>ra à retrouver mon galop.<br />

38 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


Sohan Panjrolia<br />

Un homme a été né dans un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> voix nombreuses ;<br />

Le procès et la tribulation étaient ses <strong>de</strong>ux amis les plus proches.<br />

Sohan Panjrolia a été proclamé ennemi public<br />

Quand il a tué son propre père comme moyen d'atteindre <strong>de</strong> nouvelles<br />

[fins.<br />

Fusil assis confortablement entre ses <strong>de</strong>ux mains<br />

Et murmurant <strong>de</strong>s morsures réconfortantes et <strong>de</strong>s airs à ses oreilles.<br />

Les êtres humains ont été conçus selon <strong>de</strong>s plans stricts<br />

Pour porter <strong>de</strong>s armes, et vivre autrement comme <strong>de</strong>s Fakirs.<br />

Père se tenait tremblant <strong>de</strong> peur dans ses yeux,<br />

Et maman s'agenouilla, <strong>de</strong>s larmes impuissantes tapissaient ses<br />

[vêtements.<br />

Alors que le père a supplié son fils <strong>de</strong> reporter sa disparition,<br />

Fils leva son fusil, se leva, trembla et se figea.<br />

Un silence si fort que les murs commencèrent à trembler<br />

Chambre remplie et imprégné <strong>de</strong> la tête cacophonique <strong>de</strong> son fils.<br />

Autour <strong>de</strong> la pièce, une peinture <strong>de</strong> sang <strong>de</strong> Pollock avait été écaillée.<br />

Sohan savait ce qu’il avait fait et que père était mort.<br />

Ainsi, il est sorti <strong>de</strong> la maison, sur la route, sourd et aveugle,<br />

Et il a couru <strong>de</strong> son passé vers son avenir incertain.<br />

Il était à bout <strong>de</strong> souffle et était facile à trouver.<br />

Grouillée et cernée, la police a fermé son ri<strong>de</strong>au.<br />

Cinquième édition | 39


Si Sohan n'avait pas ce fusil dans sa chambre<br />

Ou El Paso et Dayton ne s'était pas passé du tout,<br />

Peut-être que mère n'aurait pas porté dans son ventre<br />

La cause <strong>de</strong> la mort du père et <strong>de</strong> la chute criminelle <strong>de</strong> son fils.<br />

40 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


Qu’est-ce que cela signifie d’être noir<br />

Qu'est-ce que cela signifie d'être noir ?<br />

Est-ce dans la façon dont vous parlez ?<br />

Est-ce dans la façon dont vous marchez ?<br />

Est-ce que c'est comme ça que vous jouez ?<br />

N'est-ce pas du tout ?<br />

Est-ce dans le fouet frappant ton dos ?<br />

Qu'est-ce que cela signifie d'être noir ?<br />

Est-ce dans l'histoire <strong>de</strong> votre famille<br />

À moins que votre passé soit sang et mystère ?<br />

Est-ce que c'est comme ça<br />

Ou parce que tu ne sais rien du tout ?<br />

Quelle partie <strong>de</strong> cette expérience me manque ?<br />

Qu'est-ce que cela signifie d'être noir ?<br />

Est-ce dans l'obscurité <strong>de</strong> votre peau ?<br />

Où se situe Fre<strong>de</strong>rick Douglass ?<br />

Comment puis-je savoir que je leur ressemble<br />

Si aucun d'entre eux n'est intéressé par les sciences ?<br />

Suis-je aussi blanc que je suis fou ?<br />

Qu'est-ce que cela signifie d'être noir ?<br />

Est-ce que c'est dans le ghetto où tu habites ?<br />

Est-ce dans les coupes <strong>de</strong> cheveux que vous donnez ?<br />

Peut-être qu'on ne peut pas être à la fois noir et intelligent<br />

Cinquième édition | 41


Comme <strong>de</strong>s esclaves d'état à la pointe <strong>de</strong> la technologie ?<br />

Est-ce dans les fouets que les maîtres craquent ?<br />

Qu'est-ce que cela signifie d'être noir ?<br />

Est-ce dans le fouet frappant ton dos ?<br />

42 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


La disparition <strong>de</strong> la langue<br />

Si je ne l’utilise plus,<br />

Ma langue va disparaître.<br />

Et si ma langue disparaît,<br />

Comment vais-je faire pour goûter les plaisirs <strong>de</strong><br />

La vie ?<br />

Je ne veux pas perdre ma langue<br />

Mais je ne sais comment réconcilier<br />

Ma réalité<br />

Avec<br />

Mes expectatives<br />

La langue est une organe qui<br />

Peut ouvrir les esprits et les espoirs <strong>de</strong>s autres.<br />

La langue est synonyme du pouvoir<br />

Parce qu’elle nous transporte<br />

Très loin.<br />

Comment vais-je faire pour goûter les plaisirs <strong>de</strong><br />

La vie<br />

Sans ma langue ? Et comment est-ce que la langue<br />

Va-t-elle survivre l’indomptable froid <strong>de</strong><br />

Sa propre disparition ?<br />

Cinquième édition | 43


YVES CHANTELRAULT<br />

Le loup texte<br />

(J’ai écrit un dialogue avec moi, Hobbes, et Freud)<br />

(Trois camara<strong>de</strong>s <strong>de</strong> classe - Phil, Tom et Schlomo - se sont retrouvés<br />

à la boulangerie après une longue journée <strong>de</strong> réflexion philosophique<br />

au Lycée Saint Louis. Le débat commence car Phil n’a pas compris<br />

une idée vue en cours)<br />

Phil : ‘Homo homini lupus’. Si je me permets, Tom, je suppose que<br />

cette proposition est la plus paradoxale au mon<strong>de</strong> et <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong><br />

l’homme.<br />

Tom : Certes ; mais telle est l’existence <strong>de</strong> l’homme et <strong>de</strong> l’état qu’il<br />

a créé. Les hommes sont parmi les seules espèces vivantes et<br />

couramment observables qui s’entretuent et causent l’oppression <strong>de</strong>s<br />

membres <strong>de</strong> leur espèce, paradoxalement pour leur “bien” - si nous<br />

pouvons supposer qu’il existe un bien et un mal universel.<br />

Schlomo : Effectivement, mein Freund. De la spontanéité <strong>de</strong><br />

l’homme naisse sa violence unique et paradoxale qui ne peut pas<br />

s’expliquer puisque, comme les loups <strong>de</strong> La Fontaine, ça doit être une<br />

loi naturelle. L’homme impose sa force sur soi pour se développer.<br />

Phil : Vous dîtes que l’homme se réduit pour se développer ?<br />

Schlomo : Ja. Il n’exprime aucune cruauté par ses actes.<br />

Tom : Si vous voulez. Il faut comprendre que la politique, et donc le<br />

Léviathan <strong>de</strong> l’état, sont <strong>de</strong>s éléments proprement humains.<br />

Phil : Je crois pourtant que la proposition est limitée. Prenons par<br />

exemple ce croissant qui avait été fait par un homme, aussi libre que<br />

nous dans le cadre politique, qui exerçait son droit <strong>de</strong> vivre librement<br />

et son - pour moi - <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> travailler. Il est imposé <strong>de</strong> me donner ce<br />

44 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


croissant parce que j’exerce une force sur lui qui le mène à me le<br />

donner : il <strong>de</strong>vient moins libre pour que je puisse vivre selon mes<br />

droits<br />

Schlomo : Jusqu’ici, nous sommes d’accord.<br />

Phil : Alors, supposons que cet échange se réservait à la bonne<br />

volonté <strong>de</strong> nous, moi et le boulanger. Dans ce cas, c’est un ordre<br />

social concor<strong>de</strong> qui repose sur plusieurs lois communes. Vue que<br />

nous, <strong>de</strong>s hommes, nous trouvons dans cet ordre créé par l’homme<br />

qui n’exerce ces droits qu’en vue d’une concor<strong>de</strong> absolue, nous<br />

pourrions nous pas dire plutôt que « l’homo homini Deus » ?<br />

Tom : C’est une idée intéressante qui semblerait juste. L’homme agit<br />

selon une bonne foi et établit <strong>de</strong>s états qui se montrent comme<br />

monstres invincibles et <strong>de</strong> forces infinies qui représentent aussi la<br />

souveraineté <strong>de</strong> l’homme. Une image plus violente serait celle <strong>de</strong> la<br />

guerre : l’homme se tue pour se protéger <strong>de</strong> soi-même. Le seul être<br />

qui est immortel serait dieu, et donc je crois que “homo homini<br />

Deus” est juste.<br />

Schlomo : Meiner Meinung nach, cette proposition explique mieux<br />

l’essence paradoxale <strong>de</strong> l’homme : si nous pensons aux invasions et<br />

guerres dans les sociétés humaines, il existait toujours un nombre<br />

indéfini <strong>de</strong> lois communes qui ont justifié l’“injustifiable” mais les<br />

acteurs et spectateurs ne voyaient que le bien <strong>de</strong> leur point <strong>de</strong> vue. Si<br />

l’homme s’observe et se regar<strong>de</strong> en même temps, ainsi qu’il se réduit<br />

et améliore, il ne peut qu'être dieu pour soi. Je vois aussi que “homo<br />

homini Deus”.<br />

Cinquième édition | 45


HALFDAN BJØRNSSON<br />

Chez Nous<br />

En silence, dans la maigreur<br />

qui sépare un jour et le prochain,<br />

sur la surface illuminée <strong>de</strong> l’eau,<br />

la création d’une espèce:<br />

un animal à la recherche d’une vérité.<br />

Notre domicile, tellement comme une mer—<br />

énorme, encore inexplorée—<br />

n’a pas décidé notre <strong>de</strong>stin,<br />

et nous laisse naufragés par la nuit.<br />

Il était une fois, nous étions convaincus<br />

d’avoir vu quelque chose<br />

dans l’absence <strong>de</strong> lumière,<br />

une petite écaille d’espoir.<br />

Pourtant nous avons toujours soif,<br />

toujours moqués par l’eau qui nous entoure.<br />

Nageons encore,<br />

sans vue, condamnés à oublier chaque chose<br />

apprise sous le soleil,<br />

et, <strong>de</strong> nouveau, apprendre<br />

la taille <strong>de</strong> nos mains, notre distance<br />

46 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


<strong>de</strong> vue dans cette nuit<br />

qui n’est pas une nuit—<br />

la douleur, le noir—<br />

une femme et un homme<br />

qui ne trouveront jamais leur réponse.<br />

Cinquième édition | 47


GASPARD CHAUVIGNON<br />

Cyrano <strong>de</strong> Bergerac<br />

(Samedi soir. La ville parisienne est pleine <strong>de</strong> vie et <strong>de</strong> lumière. Trois<br />

amis sortent <strong>de</strong> Cyrano <strong>de</strong> Bergerac montée à la Comédie Française<br />

par Denis Podalydès. Ils déci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> dîner à un restaurant célèbre<br />

appelé “La Bistro Rostand”. L’un, Sener, est un joueur <strong>de</strong> Tennis qui<br />

vient <strong>de</strong> l’Algérie. L’autre, Philippe, est un patriote français à la<br />

limite <strong>de</strong> l’obésité qui adore l’art et surtout l’art français. Le <strong>de</strong>rnier,<br />

Yves(moi), est un petit homme chauve qui étudie les mathématiques à<br />

l’École Polytechnique. Ils s’assoient. Sener est assis entre Philippe et<br />

Yves Le serviteur leur donne les menus.)<br />

Yves : Bon, l’acte 2 m’a rappelé <strong>de</strong> la faim insatiable qui me harcèle<br />

<strong>de</strong>puis ce midi, ou peut-être <strong>de</strong>puis le début <strong>de</strong> cette “pièce” <strong>de</strong><br />

théâtre. Peu-importe celui qui est venu premier. Tiens, que mange-ton<br />

?<br />

Sener : Ah, voilà une question difficile. Peut-être ils ont du pain.<br />

C’est vrai, la mise en scène complexe ma donnée faim. J’ai vraiment<br />

apprécié le rôle du pâtissier, notamment vers la fin. Comme c’était<br />

drôle !<br />

Philippe : Ô dieu ! Dîtes moi que cet imbécile n’ose pas d’insulter<br />

l’oeuvre <strong>de</strong> Denis Podalydès. Quelle mise en scène magnifique,<br />

fantastique, divine ! C’est une expérience que je ne vais point oublier<br />

! Comment oses-tu, Yves, insulter un chef-d’œuvre <strong>de</strong> l’art classique<br />

?<br />

Yves : Déjà je ne crois pas qu’il s’agit du théâtre classique, à moins<br />

que nous vivons pendant le règne du Roi Soleil. Je ne l’ai pas<br />

complètement aimé. Point.<br />

48 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


Sener : (se cachant <strong>de</strong>rrière son menu, en chuchotant) et ça<br />

commence…<br />

Philippe : L’horreur, l’audace même que tu possè<strong>de</strong>s me choquent<br />

profondément. Je t’invite à me donner une seule raison pour laquelle<br />

tu n’aimes pas cette pièce <strong>de</strong> théâtre.<br />

Serviteur : Êtes-vous prêts à choisir vos plats ?<br />

(Sener baisse le menu, regar<strong>de</strong> le serviteur, et en faisant <strong>de</strong>s<br />

mouvements <strong>de</strong> ses yeux vers les <strong>de</strong>ux “savants” et secouant sa tête,<br />

le serviteur comprend qu’il <strong>de</strong>vrait revenir plus tard)<br />

Yves : Ah merci, pour une fois vos émotions ne contrôlent pas tout<br />

ton cerveau entier, s’il existe. J’ai trouvé que la scène d’exposition<br />

était aussi affreuse que le nez <strong>de</strong> Cyrano <strong>de</strong> Bergerac, et je ne vais<br />

pas commencer avec son interprétation du personnage, cela est une<br />

autre tragédie entière. Déjà, si je voulais regar<strong>de</strong>r un bazar inaudible<br />

je serais allé à la Mecque et non pas à la comédie française. Oui, je<br />

comprends la mise en abîme intéressante du théâtre … et j’avoue que<br />

la chanson <strong>de</strong> l’opéra était plutôt comique … et que le décor<br />

chaotique a été utilisé pour caractériser la foule et son excitation pour<br />

une pièce <strong>de</strong> théâtre … mais (en empêchant Philippe <strong>de</strong><br />

l’interrompre) ces <strong>de</strong>ux aspects ne vont pas sauver la présentation<br />

d’emblée affreuse. J’avais du mal à situer même l’époque pendant<br />

laquelle la pièce allait se dérouler ; oui, moi, un maître <strong>de</strong> logique qui<br />

s’amuse à faire <strong>de</strong>s preuves mathématiques. J’ai craint que<br />

l’interprétation <strong>de</strong> Denis Podalydès serait une <strong>de</strong> ses massacres<br />

mo<strong>de</strong>rnes du théâtre, mais au contraire, c’était qu’un massacre.<br />

Sener : (levant les yeux, il murmure) Les tortellinis au fromage<br />

semblent délicieux...<br />

Philippe: Si t’as quelque chose à dire, Sener, n’hésite pas <strong>de</strong> partager<br />

votre avis car clairement Yves à oublier sa logique chez lui. Je crois<br />

que vous oubliez tout l’intérêt <strong>de</strong> ce choix <strong>de</strong> mise en scène. Denis<br />

voulait évoquer le combat du théâtre contre le cinéma, et il évoque<br />

les triomphes et la beauté <strong>de</strong> l’art théâtral. Il souhaite montrer une<br />

forme nouvelle <strong>de</strong> machine <strong>de</strong> théâtre. Il projette les images <strong>de</strong>s<br />

anciennes adaptations qui m’a capté l’attention et a redoublée la<br />

théâtralité <strong>de</strong> l’œuvre. Encore une fois, je n’arrive pas à comprendre<br />

votre pessimisme, ou plutôt, je n’arrive pas à comprendre votre<br />

mécompréhension <strong>de</strong> l’art. En effet, tout s’explique.<br />

Cinquième édition | 49


Yves : Que veux-tu dire ?<br />

Sener : (murmurant) Pas encore avec ça.<br />

Philippe : Je veux dire que tu n’as pas compris la pièce. Votre<br />

opinion négative en est la preuve. Michel <strong>de</strong> Vuillermot était le<br />

meilleur Cyrano <strong>de</strong> Bergerac parmi les milliers que j’ai vu.<br />

Yves : Ah… je vois. Je n’ai pas compris la pièce et j’ai détesté.<br />

Alors, un homme aussi intelligent que vous même aurait dû<br />

comprendre que la tira<strong>de</strong> du nez est une <strong>de</strong>s aspects <strong>de</strong> cette pièce qui<br />

la rend attirante. Je me sens attaqué par la manière affreuse dont<br />

Michel <strong>de</strong> Vuillermot a pu l’abattre, l'assassiner, l’égorger. Il lui<br />

manquait complètement la vigueur et la rage qui complémentent la<br />

poésie et la douceur qui ensemble font un vrai Cyrano qui, j’assume,<br />

manquait aussi chez les milliers d’autres Cyrano que t’as vu. Sa<br />

tonalité était aussi banale et monotone qu’un professeur <strong>de</strong> Biologie<br />

au collège. Franchement, Hélène Keller aurait mieux joué cette<br />

tira<strong>de</strong>. J’aurais cru que la scène <strong>de</strong> sa mort dans l’acte 5 se déroulait<br />

pendant <strong>de</strong>s heures comme elle était assommante. Il y a <strong>de</strong>s éléments<br />

<strong>de</strong> la mise en scène que j’ai apprécié. L’interprétation <strong>de</strong> M. <strong>de</strong><br />

Vuillermot n’est pas un. Mais qui suis-je pour même essayer <strong>de</strong><br />

proposer mon point <strong>de</strong> vue. Je ne suis pas un savant tout puissant,<br />

désolé, un amateur du théâtre - et même ce titre est hyperbolique -<br />

comme vous.<br />

Philippe : Cela reste une opinion subjective qui se base surement sur<br />

votre mécompréhension. Apparemment, la capacité intellectuelle est<br />

limitée par le manque <strong>de</strong> cheveux sur la tête. Peut-être vous ne l’avez<br />

pas aimé parce que tu partages un trait qui te rend… impeccable.<br />

Yves : Certes, et votre choix d’une sala<strong>de</strong> se base uniquement sur<br />

votre goût. Vous savez qu’un article est sorti récemment qui a montré<br />

qu’il existe une nouvelle espèce <strong>de</strong> vaches folles qui préten<strong>de</strong>nt d’être<br />

<strong>de</strong>s connaisseurs du théâtre français.<br />

Sener : (empêchant Philippe <strong>de</strong> se venger) Peut-on, pour une fois,<br />

dîner ensemble après une pièce <strong>de</strong> théâtre sans que vous querellez<br />

incessamment ? Après un moment il faut que vous acceptiez le point<br />

<strong>de</strong> vu <strong>de</strong> l’autre. Tout le mon<strong>de</strong> est capable d’interpréter l’art. Cela<br />

est sa beauté innée. Je me permets <strong>de</strong> dire que la scène du balcon est<br />

la plus artistique.<br />

Philippe : Je suis tout à fait d’accord.<br />

50 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


Yves : (imitant un poulet) Je suis tout à fait d’accord.<br />

(Le serviteur revient)<br />

Serviteur : Je vous signale que la cuisine se ferme dans quelques<br />

minutes.<br />

Philippe : Dans ce cas… j’aurais... le sala<strong>de</strong> <strong>de</strong> Gascogne.<br />

Serviteur : C’est un bon choix.<br />

Yves : Le malaise <strong>de</strong> la vérité hein (il glousse) … moi… je voudrais<br />

bien avoir… le bœuf cuit, s’il vous plaît.<br />

Serviteur : Bien sûr, et rien d’autre pour vous, monsieur ?<br />

Sener : Les tortellinis, s’il vous plaît.<br />

Serviteur : Bien sûr. Je reviens dans quelques minutes. (Il part)<br />

Philippe : Quel est ton but ?<br />

Yves : (Moquant) Qui ? Moi ?<br />

Philippe : Non, le serviteur… oui, toi ! Que veux-tu faire, hein ?<br />

Yves : Je veux savoir, selon-vous, en quoi la scène du balcon, dans<br />

l’acte 3, était artistique ?<br />

Philippe : (Il baille) J’ai bien aimé l’utilisation du rouge dans cette<br />

scène. Ça évoque la passion. Voici ce que j’ai aimé.<br />

Yves : (Un rire incontrôlable qui attire l’attention <strong>de</strong>s autres tables<br />

autour d’eux)<br />

Philippe : (Embarrassée) Quoi ? Ça ne te convient pas ? Je te dis,<br />

Sener, on ne <strong>de</strong>vrait plus l’inviter, il dort tout le temps et n’apprécie<br />

pas l’art.<br />

Yves : L’ironie et l’hypocrisie ! Voilà un vrai spectacle. On peut<br />

l’applaudir (il applaudit bêtement, dérangeant encore la salle)<br />

Voyons… non. Déjà l’utilisation du rouge pour évoquer la passion,<br />

ou peut-être le sang qui renvoi lui-même à la souffrance et donc à<br />

l’amour, était quelque chose <strong>de</strong> progressive dans l'entièreté <strong>de</strong> la<br />

pièce. C’est un élément sous-entendu qui rendait l’allusion au Ra<strong>de</strong>au<br />

<strong>de</strong> la Méduse pendant la bataille très belle et intelligente <strong>de</strong> la part <strong>de</strong><br />

Denis. Au contraire, le rouge n’était pas l’intérêt pour la scène du<br />

balcon. C’est en effet cette scène qui a sauvé le travail <strong>de</strong> Denis<br />

malgré le début atroce ou même, maintenant que j’y pense,<br />

l’interprétation <strong>de</strong> Roxane. C’est la juxtaposition entre Christian et<br />

Cinquième édition | 51


Cyrano, l’amour pure et la beauté, le réel et l’onirique qui rend cette<br />

scène magique et parfaite. La suspension <strong>de</strong> Roxane corrobore<br />

l’aspect onirique <strong>de</strong> la scène en montrant la puissance <strong>de</strong> l’amour et<br />

<strong>de</strong>s mots, qui l’ensorcelle. Et effectivement, en utilisant le vert au<br />

fond, Dennis établit une aire <strong>de</strong> mystère profond qui renforce la<br />

notion du rêve mais aussi l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> son amant. C’est intéressant<br />

aussi que lorsque Cyrano la séduit en <strong>de</strong>ssous du balcon, même la<br />

lumière <strong>de</strong> la Lune ne peut pas lui démasquer. Cette scène est pleine<br />

d’antithèses qui traduisent sans faute le thème déchirant <strong>de</strong> la passion<br />

d’une manière exclusivement théâtrale. Plus profondément, c’est<br />

ironique que la meilleure scène présente le théâtre pur alors que la<br />

scène la plus dégoûtante semble évoquer son déclin... De plus, leurs<br />

échanges étaient aussi comiques. La polyvalence artistique <strong>de</strong> cette<br />

scène la rend impeccable. Si tu n’étais pas endormi, tu l’aurais vu toimême.<br />

Voilà mon but. Pour éviter que je me fâche trop en écoutant ta<br />

réponse, je vais, malheureusement, vous quitter. Bonne. Soirée.<br />

(Il sort)<br />

Sener : Ouais.... Ma mère m’attend. Je crois que je vais partir aussi.<br />

Philippe : (Il soupire) T’habites encore avec ta mère ?<br />

Sener : Non, c’est l’inverse. Veux-tu que je t’appelles un über ?<br />

Philippe : Non, ça va. Marcher me fera du bien. Ne veux-tu pas tes<br />

tortellinis ?<br />

Sener : ...eh. C’est la vie. Qu’en penses-tu d’aller voir Phèdre la<br />

semaine prochaine ? C’est une adaptation mo<strong>de</strong>rne.<br />

Philippe : Certainement. On l’invite ?<br />

Sener : Peu importe il viendra.<br />

(Ils rient et sortent ensemble)<br />

(Fin)<br />

52 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


Les zoos humains, une enquête<br />

réfléchie<br />

Paris : la ville <strong>de</strong>s lumières. Enfin, mon voyage m’a montré que<br />

les rumeurs <strong>de</strong> l’étranger sont parfois fabriquées. Mes serviteurs<br />

osaient me parler d’une exposition extraordinaire et fantastique qui<br />

aurait lieu à Paris pendant l’été. Mon intrigue avait surpassé ma haine<br />

pour l’Occi<strong>de</strong>nt et m’a apporté jusqu’à l’exposition universelle <strong>de</strong><br />

1889. Le pays fêtait ses cent ans <strong>de</strong> liberté, égalité et fraternité ; mais<br />

cette <strong>de</strong>vise n’est pas fêtée par tout le mon<strong>de</strong>. J’étais éblouis par<br />

l’immense variété <strong>de</strong>s exhibitions et attractions étalées à l'exposition.<br />

Parmi les nombreuses attractions <strong>de</strong> cette exposition, nous – moi,<br />

Ahmet et Çinar – avons aperçu une attraction peu glorieuse : le<br />

village <strong>de</strong> nègres. Pour nous trois, c’était la première fois qu’on a vu<br />

les “nègres”. Dans l’empire, il y a peu d’étrangers. Cette exposition,<br />

qu’on pourrait bien appeler un Zoo Humain, permettait à 28 millions<br />

d’Européens d’observer - avec peur ou admiration - 400 victimes <strong>de</strong><br />

la colonisation <strong>de</strong> l’Afrique, jusqu’ici un continent enveloppé par le<br />

mystère. Ceci n’est rien <strong>de</strong> nouveau. Je ne croyais rien <strong>de</strong> mieux pour<br />

les européens. Les expositions <strong>de</strong> ce genre ont été aperçus <strong>de</strong>puis 10<br />

ans auparavant et nous imaginons qu’elles n’ont pas intérêt à arrêter.<br />

Mais nous, les turques, avons quelque chose en commun avec ses<br />

occi<strong>de</strong>ntaux. Les populations rurales <strong>de</strong> la France ne sont point<br />

exposées au mon<strong>de</strong> étranger. En fait, c’est la première fois que<br />

beaucoup d’entre eux ont observé un homme venu d’en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong><br />

l’Europe. J’étais content <strong>de</strong> ne pas être le seul. Çinar avait déjà<br />

beaucoup voyagé mais une exposition <strong>de</strong> cette sorte était une<br />

nouveauté pour lui aussi. En outre, la présentation <strong>de</strong>s étrangers<br />

d’une telle manière sert à justifier la conquête <strong>de</strong>s autres pays, <strong>de</strong>s<br />

autres humains. En les mettant dans <strong>de</strong>s zoos, les africains ne sont<br />

plus <strong>de</strong>s hommes, mais <strong>de</strong>s animaux sauvages <strong>de</strong> la jungle. Cela avait<br />

gâché mes pensées d’avant. Les hommes africains étaient <strong>de</strong>s<br />

étrangers inconnus. J’avais uniquement entendu <strong>de</strong>s ragots <strong>de</strong> temps<br />

en temps, mais rien d’aussi affreux. Ça fait 35 ans que je ne suis pas<br />

retourné en France. Depuis ce témoignage, je n’ai pas pu retourner.<br />

Cinquième édition | 53


Aujourd’hui, ces zoos ne sont pas fêtés mais traités comme <strong>de</strong>s<br />

horreurs et crimes contre l’humanité, <strong>de</strong>s <strong>de</strong>scriptions qu’ils méritent<br />

bien. Ahmet en reparle parfois, indiquant que pour beaucoup <strong>de</strong>s<br />

français, la présentation d’autres êtres d’une telle manière était plutôt<br />

habituelle et acceptée. La justification <strong>de</strong> la conquête était tellement<br />

importante pour ce peuple qu’il cherchait à déshumaniser un autre et<br />

le mettre <strong>de</strong>rrière <strong>de</strong>s barreaux pour le “divertissement”. Après avoir<br />

observé ce phénomène atroce, j’ai conduit <strong>de</strong>s recherches. Ce qui m’a<br />

choqué était que les français, une population supposée d’être<br />

“mo<strong>de</strong>rne” et “sophistiquée”, pratiquait une tradition utilisée<br />

précé<strong>de</strong>mment qu’en Égypte antique.<br />

Ces zoos séparaient les “humains” <strong>de</strong>s sauvages par une barrière<br />

ou les exhibés étaient parfois sur <strong>de</strong>s scènes comme au théâtre.<br />

Certaines exhibitions utilisaient <strong>de</strong>s faux villages comme habitats<br />

pour les “sauvages” exhibés. Les exhibés ont dû faire <strong>de</strong>s danses<br />

immensément caricaturées comme le kanaka ou <strong>de</strong> manger <strong>de</strong> la<br />

vian<strong>de</strong> crue. Les exhibitions étaient basées sur la pratique<br />

“scientifique” <strong>de</strong>s occi<strong>de</strong>ntaux qui voulaient démontrer la supériorité<br />

<strong>de</strong>s blancs. Ils utilisaient <strong>de</strong> l’eugénisme pour associer la taille du<br />

crâne avec l’intelligence ou l'organisation <strong>de</strong>s <strong>de</strong>nts. Le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />

blancs était la civilisation. Toutes les autres “espèces” humaines<br />

étaient justement <strong>de</strong>s retards dans l’évolution. Pour certains, les<br />

exhibitions montraient les différentes “étapes” <strong>de</strong> l’évolution, dont<br />

l’homme blanc est la <strong>de</strong>rnière.<br />

Les zoos n’étaient pas uniquement une apparition française, ils<br />

existaient partout dans le mon<strong>de</strong> occi<strong>de</strong>ntal. Le zoo <strong>de</strong> St. Louis aux<br />

États-Unis avait apporté <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong>s quatre coins du mon<strong>de</strong> pour<br />

exhiber les êtres les plus étranges.<br />

Un pygmée, Ota Benga, a vécu une histoire tragique aux États-<br />

Unis. Ota est originaire du Congo, une colonie belge. Il est né en<br />

1883. Il avait été tiré <strong>de</strong> son village et amené à une exposition<br />

universelle avant d’être remporté aux États-Unis pour faire partie du<br />

vrai zoo à New York. Il était parmi les singes dans le “Monkey<br />

House”. C’était uniquement après l’intervention <strong>de</strong>s autres afroaméricains<br />

qu’il avait été libéré. Sa liberté fut courte : il se suicida le<br />

20 mars 1916. Son témoignage évoque la vraie sauvagerie <strong>de</strong> notre<br />

époque.<br />

J’espère que ces mémoires resteront <strong>de</strong>s mémoires.<br />

54 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


MARIO LOPRETE<br />

Sculptures <strong>de</strong> béton<br />

Mario Loprete est né à Catanzaro, Calabre, Italie.<br />

« Mes sujets sont ceux que l'Occi<strong>de</strong>nt commercialise pour sa<br />

musique, son art et ses performances sportives qui envoient <strong>de</strong>s<br />

millions <strong>de</strong> gens en extase : ils ont cassé les chaînes et ils ont<br />

maintenant marqué le but. Ces sujets qui ont vécu une histoire<br />

ancienne <strong>de</strong> préjugés et <strong>de</strong> marginalisation. Même aujourd'hui, si<br />

quelqu'un les voyait sortir <strong>de</strong> leur élément, ils les appelleraient « nonmembres<br />

<strong>de</strong> l’UE ».<br />

Je suis très attiré par les Noirs et les diasporas africaines. Je les<br />

dépeins avec la plus gran<strong>de</strong> intensité émotionnelle. La figure humaine<br />

est fascinante à représenter, mais les Noirs sont un défi. Ils sont très<br />

expressifs et, <strong>de</strong> mon point <strong>de</strong> vue, ils sont l'incarnation et la<br />

matérialisation <strong>de</strong> l'âme. Mes recherches me conduisent à documenter<br />

les stéréotypes qui peuplent le genre musical que je « nourris »<br />

pendant que je peins <strong>de</strong> la musique hip hop.<br />

Dans le cadre <strong>de</strong> mon cycle <strong>de</strong> peintures « Black », dans lequel<br />

j'étudie et explore le mon<strong>de</strong> du hip-hop américain, je cherche <strong>de</strong>s<br />

repères iconographiques avec le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s jeunes Italiens, en<br />

prenant soin d'absorber les fon<strong>de</strong>ments inspirants du stéréotype<br />

américain.<br />

Tout a commencé dans les années 70 avec un mélange explosif<br />

<strong>de</strong> styles différents : soul, jazz, R & B (« Rhythm & Blues »), funky<br />

et Black-Music, tous astucieusement mixés par DJ qui, grâce au<br />

scratch, à la coupe et au rap, a chargé <strong>de</strong> l'énergie musicale. En peu<br />

<strong>de</strong> temps, la définition « Hip-Hop » a commencé à i<strong>de</strong>ntifier non<br />

Cinquième édition | 55


seulement un style musical, mais également une philosophie, un style<br />

<strong>de</strong> vie, une culture qui varie selon les moments <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong>s gens :<br />

<strong>de</strong>s sports <strong>de</strong> rue comme le skateboard à l’art métropolitain et danser<br />

pendant le breakdance ; une vague si puissante pour donner vie à une<br />

véritable communauté Hip-Hop à travers le mon<strong>de</strong>.<br />

Eh bien, j'essaie <strong>de</strong> reprendre tout cela dans mes œuvres,<br />

d'essayer d'élever le hip-hop et <strong>de</strong> le faire connaître comme un<br />

mouvement <strong>de</strong> révolte contre la marginalisation juvénile.<br />

Mes recherches continues m'ont conduit à utiliser un nouveau<br />

support : le béton armé, un matériau ancien créé par les Romains il y<br />

a <strong>de</strong>s millénaires mais qui est également à la fois. C'est le matériau<br />

contemporain qui symbolise le plus l'industrialisation et la mo<strong>de</strong>rnité<br />

occi<strong>de</strong>ntales. À chaque latitu<strong>de</strong>, il est utilisé comme base sur laquelle<br />

les écrivains font exploser leur créativité. De la même manière,<br />

j'utilise du ciment comme support pour mes huiles. Mon désir est<br />

d'amener la ville, le style urbain, le style contemporain dans les<br />

maisons, les galeries et les musées. Le mien ne veut pas être la voix<br />

du ghetto, mais un élément d'agrégation dans une réalité dans<br />

laquelle, il est vrai, la distance géographique a été réinitialisée, mais<br />

il est également vrai que nous continuons à rejeter tout ce qui est<br />

différent nous ».<br />

56 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


Sculpture <strong>de</strong> béton, 40 x 40 Sculpture <strong>de</strong> béton, 45 x 65<br />

Sculpture <strong>de</strong> béton, 44 x 30 Sculpture <strong>de</strong> béton, 36 x 42<br />

Cinquième édition | 57


58 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN<br />

Sculpture <strong>de</strong> béton, 33 x 94


Sculpture <strong>de</strong> béton, 33 x 33 Sculpture <strong>de</strong> béton, 36 x 32<br />

Sculpture <strong>de</strong> béton, 28 x 32 Sculpture <strong>de</strong> béton, 54 x 37<br />

Cinquième édition | 59


Sculpture <strong>de</strong> béton, 30 x 50<br />

Sculpture <strong>de</strong> béton, 44 x 82<br />

60 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


Sculpture <strong>de</strong> béton, 35 x 31 Sculpture <strong>de</strong> béton, 32 x 45<br />

Sculpture <strong>de</strong> béton, 37 x 34 Sculpture <strong>de</strong> béton, 34 x 40<br />

Cinquième édition | 61


Sculpture <strong>de</strong> béton, 38 x 42 Sculpture <strong>de</strong> béton, 32 x 32<br />

Sculpture <strong>de</strong> béton, 38 x 38 Sculpture <strong>de</strong> béton, 34 x 37<br />

62 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


Sculpture <strong>de</strong> béton, 44 x 33 Sculpture <strong>de</strong> béton, 31 x 33<br />

Sculpture <strong>de</strong> béton, 54 x 37 Sculpture <strong>de</strong> béton, 66 x 56<br />

Cinquième édition | 63


64 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN<br />

Sculpture <strong>de</strong> béton, 54 x 37


Sculpture <strong>de</strong> béton, 30 x 81<br />

Cinquième édition | 65


66 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN<br />

Sculpture <strong>de</strong> béton, 32 x 122


Sculpture <strong>de</strong> béton, 27 x 109<br />

Cinquième édition | 67


68 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN<br />

Sculpture <strong>de</strong> béton, sans dimensions


OLIVIER BODART<br />

Zones à risques<br />

A l’origine du projet il y avait cette fiction, ce roman que j’avais<br />

travaillé pendant <strong>de</strong>s années lorsque j’habitais en France. Il traitait <strong>de</strong><br />

catastrophes naturelles et il se situait à différents endroits <strong>de</strong>s États-<br />

Unis pour <strong>de</strong>s raisons d’espaces et <strong>de</strong> phénomènes climatiques variés<br />

au sein d’un même territoire. Pour cette fiction je m’étais basé sur <strong>de</strong>s<br />

faits réels qui ont eu lieu ces <strong>de</strong>rnières décennies aux quatre coins <strong>de</strong>s<br />

États-Unis. J’ai utilisé ces faits et ces lieux mais durant l’écriture je<br />

ne me suis jamais déplacé <strong>de</strong> Paris.<br />

Puis suite à un événement dramatique qui est intervenu dans ma<br />

vie personnelle je me suis retrouvé comme privé <strong>de</strong> goût pour la<br />

fiction. Ça ne fonctionnait plus, je ne croyais plus aux histoires qu’on<br />

me racontait ou que j’essayais <strong>de</strong> raconter. Au moment <strong>de</strong> ce<br />

bouleversement je vivais aux États-Unis <strong>de</strong>puis trois ans. J’étais venu<br />

m’installer à Chicago avec ma femme et ma fille à ce moment-là et<br />

j’enseignais les arts visuels. Il m’est apparu alors un autre projet : il<br />

fallait que je me ren<strong>de</strong> aux endroits que j’avais utilisés dans ma<br />

fiction, il fallait que j’aille sur place, que je fasse l’expérience <strong>de</strong> ces<br />

lieux, <strong>de</strong>s traces <strong>de</strong> ces drames que j’avais exploités pour nourrir mon<br />

roman. Qu’espérais-je trouver là-bas ? Je n’en avais aucune idée mais<br />

il me semblait soudain évi<strong>de</strong>nt que le récit <strong>de</strong> ces expériences <strong>de</strong>vait<br />

compléter mon projet initial. Ma fiction <strong>de</strong>vait soudain impacter ma<br />

réalité.<br />

Le récit vient en écho au roman en parlant <strong>de</strong>s lieux dont il est<br />

question et <strong>de</strong> l’expérience que j’en ai faite en me rendant là-bas. Le<br />

sujet du roman est l’histoire d’un personnage nommé MAT qui, à un<br />

Cinquième édition | 69


moment se sent comme incapable <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong> nouveaux risques<br />

dans sa vie et n’aspire plus qu’à l’immobilité, mais il se voit un jour<br />

contraint <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong> nouvelles fonctions dans son métier qu’il va<br />

se sentir dans l’incapacité complète d’exercer : en l’occurrence il<br />

s’agit <strong>de</strong> se rendre aux quatre coins du pays pour expertiser <strong>de</strong>s<br />

scènes <strong>de</strong> sinistres dues à <strong>de</strong>s catastrophes naturelles. L’immobilité à<br />

laquelle aspire le personnage n’est qu’un reflet <strong>de</strong> ses peurs<br />

profon<strong>de</strong>s et ces scènes <strong>de</strong> sinistres sont autant <strong>de</strong> miroirs qu’il est<br />

incapable <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r. Et il va donc <strong>de</strong>voir trouver une manière <strong>de</strong><br />

composer avec cette nouvelle situation.<br />

Les photographies ne jouent pas qu’un rôle illustratif dans le<br />

projet. Le personnage principal va prendre la décision folle <strong>de</strong> ne pas<br />

se rendre sur les lieux <strong>de</strong>s catastrophes mais à la place <strong>de</strong> recréer<br />

<strong>de</strong>puis chez lui <strong>de</strong>s scènes en miniature dans <strong>de</strong>s boites en bois. Il va<br />

alors prendre <strong>de</strong>s photographies <strong>de</strong> certains détails <strong>de</strong> ces scènes et<br />

les joindre à <strong>de</strong> faux rapports qu’il va rédiger à partir <strong>de</strong>s quelques<br />

informations qu’il possè<strong>de</strong> sur les victimes <strong>de</strong> ces drames. Tout cela<br />

va lui permettre pour un temps <strong>de</strong> se substituer à la réalité <strong>de</strong>s scènes<br />

dramatiques qu’il est censé affronter dans le cadre <strong>de</strong> son travail.<br />

Pour un temps seulement...<br />

J’ai commencé à travailler sur ces Shadow Boxes, que le<br />

personnage Mat crée dans le livre, il y a plusieurs années à l’occasion<br />

<strong>de</strong> mon premier voyage. Ces shadow Boxes ont un rôle pivot dans le<br />

projet. J’ai rapi<strong>de</strong>ment décidé <strong>de</strong> les créer en vrai. Il m’a semblé<br />

logique <strong>de</strong> les construire en partie avec les matériaux naturels que<br />

j’allais trouver sur place. Par exemple dans cette série sur<br />

l’éboulement <strong>de</strong> terrain en Flori<strong>de</strong> un pauvre homme nommé Jeff<br />

s’est vu soudain avalé par un trou énorme qui s’est ouvert sous son lit<br />

alors qu’il dormait. Pour cette série j’ai récupéré <strong>de</strong> la terre à<br />

l’endroit même <strong>de</strong> la tragédie.<br />

Les Shadow boxes sont dans ce projet artistique une sorte <strong>de</strong><br />

seuil commun à la réalité et à la fiction, elles appartiennent aux <strong>de</strong>ux<br />

univers, tout comme les photographies. Ces éléments sont <strong>de</strong>venus un<br />

projet d’art visuel à part entière fait pour être exposé et qui<br />

fonctionne indépendamment du livre. Il y a cinquante-<strong>de</strong>ux Shadow<br />

Boxes et il y a cent quatre photographies.<br />

Au final la partie fictionnelle du livre a ouvert <strong>de</strong>s horizons sur<br />

un processus artistique plus vaste et sur <strong>de</strong>s réponses personnelles<br />

70 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


face aux événements <strong>de</strong> la vie, face à la question du risque, la<br />

question <strong>de</strong> la distance.<br />

Les photographies sont au nombre total <strong>de</strong> 104 dans le<br />

projet Zones à Risques. Il y a 4 séries <strong>de</strong> 26 photographies chacune,<br />

chaque série étant liée à l’une <strong>de</strong>s quatre catastrophes naturelles<br />

abordées dans le livre. Les photographies ont été créées à partir <strong>de</strong>s<br />

Shadow Boxes, elles en sont l’exploration intérieure, <strong>de</strong>ux clichés ont<br />

été réalisés chaque fois par Shadow Box (a et b).<br />

Cinquième édition | 71


Série 4 – TORNADE – Lebanon, Kansas<br />

Cette série tourne autour du personnage <strong>de</strong> Mat (40 ans) qui vit<br />

avec sa famille à Lebanon dans le Kansas, point sur la carte déclaré<br />

comme « centre géographique <strong>de</strong>s États-Unis » par le gouvernement<br />

en 1918. Elle traite du phénomène <strong>de</strong>s torna<strong>de</strong>s qui est courant dans<br />

cette région du Midwest et se concentre sur <strong>de</strong>s personnages et <strong>de</strong>s<br />

faits qui sont fictifs contrairement aux trois autres séries du projet<br />

« Zones à risques », dont les drames et les victimes sont bien réels.<br />

La catastrophe dont il est question ici s’est déroulée un certain jour<br />

du mois d’août alors que le petit monument <strong>de</strong> pierre en forme <strong>de</strong><br />

pyrami<strong>de</strong> tronquée qui indique le centre du pays cuit sous le soleil<br />

d’été ; ce point <strong>de</strong> repère national perdu au milieu <strong>de</strong> nulle part est<br />

sur le point <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir le mémorial d’une tragédie individuelle.<br />

(40a) Chapelle - (40b) Charpente<br />

72 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


(41a) Lutrin - (41b) Roman<br />

(42a) Parvis - (42b) Table-banc<br />

Cinquième édition | 73


(43a) Salon - (43b) Palier<br />

(44a) Jardin - (44b) Faîtage<br />

74 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


(45a) Patio - (45b) Appentis<br />

(46a) Pale - (46b) Moyeu<br />

Cinquième édition | 75


(47a) Chambre - (47b) Bureau<br />

(48a) Maquette - (48b) Pierre<br />

76 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


(49a) Barillet - (49b) Empreinte<br />

(50a) Combles - (50b) Percée<br />

Cinquième édition | 77


(51a) Rocher - (51b) Pelle<br />

(52a) Monument - (52b) Mémorial<br />

78 | DUMAS <strong>de</strong> DEMAIN


Cinquième édition | 79

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!