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SUPERFOOD N°8

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INTERVIEW<br />

Clémentine Oliver<br />

Ensemble, c’est tout !<br />

Portée par une radieuse énergie, Clémentine Oliver, petite-fille et fille des<br />

chefs Raymond et Michel Oliver, creuse son sillon dans la boulangeriepâtisserie<br />

sans gluten. Son credo : gourmandise et partage.<br />

Vous étiez psychologue. Qu’est -ce qui<br />

vous a fait quitter ce métier pour la<br />

boulangerie ?<br />

J’ai été psychologue pendant 15 ans, j’avais<br />

tout fait pour éviter le métier que faisaient mes<br />

aïeux, mon grand-père Raymond Oliver, mon<br />

père Michel, mon neveu également Aleksandre<br />

qui a été élu meilleur chef pâtissier de l’année<br />

2018. J’étais la seule de ma lignée à ne pas être<br />

dans le métier. Mais la vie m’a rattrapée quand<br />

j’ai découvert que j’étais intolérante au gluten.<br />

Je souffrais depuis dix ans, au stade 2 sur 3 de<br />

la douleur. J’avais de gros problèmes de santé<br />

et je devais me faire opérer. Je suis allée voir<br />

une naturopathe qui m’a enjoint de supprimer<br />

tous les aliments à base de sucre raffiné, de lait<br />

et de gluten. « Glu quoi » ? Je ne savais pas de<br />

quoi elle parlait ! Dès la première semaine de<br />

ce régime, j’ai arrêté les antalgiques. J’ai perdu<br />

du poids et retrouvé la forme. Au bout de trois<br />

mois, j’ai réintroduit le sucre et les produits<br />

laitiers, sans problème, mais le gluten, horrible,<br />

j’étais totalement malade… Donc plus de<br />

gluten, j’allais mieux mais j’étais déprimée.<br />

Pourquoi ?<br />

Me restreindre, ce n’est pas dans ma nature.<br />

J’aime casser la croûte, avec une croûte qui<br />

craque ! Dans ma famille, on fait des grandes<br />

tablées et je suis extrêmement jalouse quand<br />

je vois quelqu’un qui mange quelque chose<br />

qui m’est interdit. Je suis jalouse à un point ! J’ai<br />

demandé à mon père que nous fassions des<br />

recettes ensemble. J’ai acheté des livres de<br />

recettes sans gluten mais ça n’allait pas à mon<br />

palais. J’ai commencé à concevoir moi-même<br />

des recettes et j’y ai pris goût. Quand je touche<br />

la pâte, elle me parle. Dans ma main, elle me<br />

raconte quand elle a besoin de plus de farine, de<br />

plus de ceci, de plus de cela. Donc je l’écoute,<br />

elle dégage une sensualité et je prends un plaisir<br />

en la touchant que je n’ai jamais trouvé ailleurs.<br />

Je suis accro ! Pendant deux ans, je travaille à 4<br />

mains avec mon père, et ça devient un livre en<br />

2012. C’est l’un des premiers livres sans gluten.<br />

La gomme de guar que j’utilisais dans mes<br />

recettes a disparu du marché et je me suis ainsi<br />

lancée dans la recherche pour la remplacer. Je<br />

faisais des essais dans ma petite cuisine de 5 m 2 .<br />

Cela m’a passionné. Quand j’ai dû reprendre le<br />

travail, j’ai compris que pendant 8 heures, je ne<br />

ferai pas de fournée. Je me suis inscrite en CAP<br />

cuisine à la Ville de Paris en reconversion et à<br />

côté de ça, j’ai suivi une formation en pâtisserie.<br />

Maintenant, j’ai un labo de 240 m 2 en plein Paris,<br />

tout près des Buttes Chaumont.<br />

Actuellement, vous fournissez<br />

principalement des grands chefs…<br />

Oui, j’ai créé la baguette pour Christian Constant<br />

qui était mon chef, la ficelle pour Guy Savoy, la<br />

boule pour Yannick Alleno, la boule aux graines<br />

pour le Lutecia, la fougasse végane au thym et<br />

au romarin pour Alain Passard… Je sers aussi le<br />

brunch du Ritz. J'ai également une boutique, la<br />

Belle vie sans gluten, à Paris dans le 7 e .<br />

Quel est votre processus de création ?<br />

Le manque est mon principal vecteur ! Il y a une<br />

histoire de cake au citron dans notre famille. Ma<br />

maman de cœur avait l’habitude d’acheter un<br />

cake au citron chez un pâtissier célèbre. Cela<br />

énervait mon père et il a créé un cake au citron…<br />

meilleur ! C’est dans plusieurs de ses livres. Et<br />

moi, j’étais super jalouse car dans notre famille<br />

quand on se retrouve, on partage un cake au<br />

citron. On a travaillé avec mon père et ma mère<br />

là-dessus. Quand on dit « casser la croûte », c’est<br />

pour la casser ensemble, la croûte ! Le problème<br />

pour les cœliaques, c’est la contamination<br />

croisée. Même les traces nous rendent malades.<br />

Je n’avais pas envie d’être parano avec un tout<br />

petit pain tout triste dans un coin, je voulais<br />

que mon pain de cœliaque, on veuille me le<br />

piquer ! C’était l'objectif, et il paraît que c’est<br />

ce que j’ai réussi à l'atteindre. Qu’il ait le même<br />

aspect qu’un pain normal, qu’on ne sente pas<br />

puni, qu’on ne se sente pas différent. Je ne<br />

voulais pas qu’on nous rappelle trois fois par jour<br />

notre différence. Je voulais qu‘on puisse être<br />

ensemble, ouvrir une bouteille de vin et croquer<br />

dans une tartine de fromage ou de pâté.<br />

Comment le fait d’être petite-fille et fille de<br />

chef vous a influencée ?<br />

Mon père m’a élevé, j’étais toujours dans ses<br />

pattes à regarder ce qu’il faisait. Mais je n’aurais<br />

jamais pu être en cuisine, trop de pression. Cela<br />

me faisait peur. Là, j’ai choisi ma voie, je suis<br />

libre de m’exprimer. Enfin j’ai choisi… En fait, je<br />

n’ai rien choisi du tout ! Je suis croyante, je crois<br />

que les choses n’arrivent pas par hasard et que<br />

cela m’a été envoyé. Ce n’est pas arrivé pour<br />

rien qu’une fille de cuisinier qui a tout fait pour<br />

éviter la cuisine se retrouve avec cette maladie.<br />

J’ai la chance d’avoir un père aussi intelligent et<br />

curieux. Il m’a soutenue depuis le début.<br />

De quoi avez-vous hérité de votre père ?<br />

Le goût du travail. Rien ne vaut la valeur<br />

de l’exemple. Il m’a toujours montré qu’en<br />

travaillant, on obtenait quelque chose. Et la<br />

curiosité. L’envie toujours d’aller plus loin, de<br />

découvrir, le goût de la recherche. Il m’a appris<br />

à mettre au point les recettes. Trois essais pour<br />

la recette et trois essais de confirmation pour le<br />

livre. Pour chaque recette, ce sont des centaines<br />

d’essais. Tout est noté et déposé à l’INPI. C’est<br />

la première bouchée qui compte.<br />

Qu’est-ce qui vous inspire ?<br />

La gourmandise, le manque, la frustration.<br />

Plus je suis frustrée, plus j’ai envie de créer !<br />

La maladie cœliaque, je l'ai à vie, alors autant<br />

en faire quelque chose de bien. J’adore créer,<br />

faire mes recherches. J’aime aussi beaucoup<br />

aller rencontrer les chefs et me mettre à leur<br />

écoute. Ils ont toujours des choses intéressantes<br />

à m’apprendre. Ils ont des idées. Ils me font des<br />

retours. C’est un échange très agréable.<br />

clementineoliver.fr<br />

Propos recueillis par Céline Dupuy<br />

Photographies : Nathalie Jouan<br />

44 <strong>SUPERFOOD</strong>

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