#1257 - Numéro 1 : Éclairages sur le cinéma

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Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne / Juin 2019 DOSSIER Les techniques de studio, éclairages, travail de la caméra, habitudes de figuration s’exportent d’un pays à l’autre… Les grands courants Au-delà des individus et des événements ponctuels, des échanges profonds ont lieu en termes esthétiques. Le cinéma s’y prête particulièrement bien, lui qui s’est développé d’abord comme industrie culturelle plutôt que comme mode d’expression vernaculaire, à un moment où les transferts techniques sont quasiment immédiats. Mais il n’empêche que ces échanges ont lieu sur un fond de cultures nationales, liées à des modes de vie, des paysages, des références qui alimentent de fait des identités marquées. Il faut donc que les formes migrantes, aussi bien que les techniques qui les produisent s’adaptent à un milieu chaque fois différent. D’où l’intérêt d’envisager ces échanges sous la forme d’un transfert plutôt que d’un trafic d’influences, orienté et polarisé. Ainsi, de l’expressionnisme qui fut, pendant des années, pensé par les historiens du cinéma et les critiques comme une école allemande exportée à coup de noir et blanc et d’éclairage contrasté dans presque tous les pays du monde, et qui apparaît maintenant comme devant être envisagé avec beaucoup plus de précautions, comme un levier dramaturgique trouvant selon les cultures d’accueil des formes différentes de manifestation. La façon dont les films scandinaves, français, soviétiques accueillent cet expressionnisme pendant l’entre-deux-guerres permet d’en redéfinir le principe même, le territoire et ses implications, et d’en faire un mouvement profondément européen, au-delà de ses racines originelles. La même démarche doit être entreprise vis-à-vis du néoréalisme, de la Nouvelle Vague, de ces mouvements à fort ancrage national – à moins que ce ne soit à fort affichage national – et qui pourtant gagnent à être envisagés dans une déclinaison plus large qui en enrichit la définition par retour. C’est un changement de perspective qui est sollicité : penser ce que peut être un paysage européen (par rapport à un paysage américain ?), un réalisme européen (par rapport à un réalisme japonais ?), un montage européen, fait d’apports successifs et divers. Une telle recherche nécessite donc non seulement de se pencher sur des faits précis, des transferts ponctuels et repérables, mais aussi d’envisager au-delà de ces courants d’échanges des positions esthétiques et des pratiques transnationales, dont les identités seraient repérables à l’échelle du continent. Bref, il s’agit de retrouver une communauté et pas seulement des échanges. Une même façon de construire un discours par le montage : voir L’Homme à la caméra de Dziga Vertov, et À propos de Nice de Jean Vigo. Une même façon de se servir du naturalisme : voir Toni de Jean Renoir et Ossessione de Luchino Visconti. Une même façon, enfin, de militer, de témoigner, de filmer là où l’on se trouve, où l’on travaille, où l’on combat : voir les films de luttes des années 1970, en France, en Italie, en Allemagne. Dans l’analyse politique de la mondialisation, le cinéma occupe sans doute une place à part, ou plus exactement une place exemplaire : pionnier dans le développement des industries culturelles, premier mode d’expression dont tous les composants furent immédiatement échangeables de pays en pays – au moment du passage au parlant, malgré les craintes des producteurs aussi bien que des auteurs, les films continuèrent à traverser les frontières –, il augure positivement de la naissance d’une expression commune. Qu’en est-il alors de l’identité européenne ? N’est-elle que l’avatar d’une « transnationalité » mondiale, qui irait des États-Unis au Japon, en passant par l’URSS et la Chine ? Ou bien s’affirme-t- 56
elle, au-delà de toute naïveté, comme une réalité tangible, qui pense le paysage, l’individu et l’histoire d’une manière singulière ? Y a-t-il une Europe du cinéma qui se distingue nettement des constructions hollywoodiennes ou asiatiques, dans les formes, les thèmes, les pratiques ? À partir de cas concrets, de films, d’auteurs et de champs de création élargis, nous essayons de répondre à ces questions. Les éditeurs invités du dossier José Moure © Pascal Levy / Panthéon-Sorbonne osé Moure est professeur en J études cinématographiques à l’université Paris 1 Panthéon- Sorbonne, responsable du Master « Cinéma & audiovisuel » de l’École des Arts de la Sorbonne et directeur de l’Institut de recherche ACTE (EA 3975). Il a co-dirigé de nombreux ouvrages et publié, avec Daniel Banda, quatre anthologies sur le cinéma (Le Cinéma : naissance d’un art, Le Cinéma : art d’une civilisation, Charlot : histoire d’un mythe chez Flammarion ; Avant le cinéma. L’œil et l’image chez Armand Colin). Il est l’auteur de Vers une esthétique du vide au cinéma (L’Harmattan), Michelangelo Antonioni, cinéaste de l’évidement (L’Harmattan) et Le Plaisir du cinéma : analyses et critiques des films (Klincksieck). T. Binh est maître de conférences N. en études cinématographiques à l’université Paris 1 Panthéon- Sorbonne, membre du comité de rédaction de la revue Positif sous la plume de Yann Tobin, réalisateur de documentaires, commissaire d’expositions (dont Comédies musicales, la joie de vivre du cinéma, Philharmonie de Paris, 2018-2019). Auteur, coauteur ou directeur d’une vingtaine d’ouvrages sur Joseph Mankiewicz, Ingmar Bergman, Jacques Prévert, Marcel Carné, le cinéma britannique, Paris au cinéma, la direction d’acteurs, musique et cinéma, etc. Trois fois lauréat du prix du Syndicat français de la critique de cinéma : Lubitsch (avec Christian Viviani, Rivages, 1991), Sautet par Sautet (avec Dominique Rabourdin, La Martinière, 2005), Monuments, stars du 7 e art (dir. d’ouvrage, Éditions du Patrimoine, 2010). Prix de l’Union des Journalistes de Cinéma 2019 du meilleur entretien pour le dossier « Comédies musicales » dans Positif (n° 692, octobre 2018). © Pascal Levy / Panthéon-Sorbonne N.T. Binh Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne / Juin 2019 57
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