#1257 - Numéro 1 : Éclairages sur le cinéma
#1257 : la revue de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
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Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne / Juin 2019<br />
DOSSIER<br />
Les réalisateurs<br />
alternent discours<br />
officiel et images<br />
si<strong>le</strong>ncieuses<br />
du Mur et des<br />
Berlinois, et <strong>le</strong><br />
montage fait se<br />
répondre <strong>le</strong>s deux<br />
points de vue.<br />
L’ouverture de la deuxième partie offre alors un net contraste. Une musique<br />
inquiétante accompagne <strong>le</strong> passage de la frontière, <strong>le</strong>s différents contrô<strong>le</strong>s et<br />
l’arrivée à Berlin-Est. Des images d’archives montrent la construction du Mur<br />
et la répression d’une manifestation par des chars. Gerhard Leo détail<strong>le</strong> alors<br />
<strong>le</strong>s raisons de la construction du Mur. Ses arguments sont avant tout d’ordre<br />
économique, à savoir la nécessité de se protéger de la concurrence déloya<strong>le</strong><br />
de la RFA et du taux de change défavorab<strong>le</strong>. Les deux réalisateurs interrogent<br />
ensuite des passants <strong>sur</strong> ce qu’ils pensent du Mur. Les Berlinois de l’Est se<br />
montrent à la fois prudents, mais sincères : « C’était probab<strong>le</strong>ment nécessaire<br />
mais ce serait mieux sans, je préférerais pouvoir al<strong>le</strong>r de l’autre côté », déclare<br />
une femme. Le journaliste Albert Reiss définit <strong>le</strong> Mur comme un « mal nécessaire<br />
» (« notwendiges Übel »). Suivent alors des plans du Mur de Berlin,<br />
sans autre accompagnement sonore que <strong>le</strong> son in. On retrouve dans cette<br />
deuxième partie <strong>le</strong>s caractéristiques d’un « Mur-fracture » 3 . La musique inquiétante,<br />
<strong>le</strong>s plans des chars et des militaires rappel<strong>le</strong>nt la relation conflictuel<strong>le</strong><br />
avec l’Ouest. Les secousses dans <strong>le</strong>s plans filmés à bord de la voiture et<br />
<strong>le</strong> passage successif des points de contrô<strong>le</strong> rendent la tension palpab<strong>le</strong>. D’un<br />
côté, <strong>le</strong> discours est-al<strong>le</strong>mand officiel <strong>sur</strong> la « nécessité » du Mur de Berlin se<br />
trouve légitimé par la posture d’anciens résistants de ceux qui <strong>le</strong> défendent.<br />
De l’autre, <strong>le</strong>s passants anonymes remettent en cause ces affirmations par l’expression<br />
de <strong>le</strong>ur souhait de se déplacer librement et de rendre visite à <strong>le</strong>urs<br />
famil<strong>le</strong>s. Les réalisateurs alternent discours officiel et images si<strong>le</strong>ncieuses du<br />
Mur et des Berlinois, et <strong>le</strong> montage fait se répondre <strong>le</strong>s deux points de vue. Les<br />
anciens résistants font figure d’autorité, mais <strong>le</strong>urs arguments idéologiques<br />
sont mis à mal par la simplicité des aspirations des habitants, qui acquièrent<br />
une légitimité, précisément en raison de <strong>le</strong>ur spontanéité. Cette séquence de<br />
micro-trottoir dans <strong>le</strong>s rues de Berlin-Est est l’une des plus exceptionnel<strong>le</strong>s du<br />
film : la tempérance des passants interrogés et <strong>le</strong>ur sincérité contredisent de<br />
manière aussi efficace que naturel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s propos des journalistes Gerhard Leo et<br />
Albert Reiss. Dans cette partie, la posture d’autorité de ces derniers – ils sont<br />
filmés à l’intérieur, assis et s’expriment tranquil<strong>le</strong>ment face à la caméra – paraît<br />
artificiel<strong>le</strong> face à l’authenticité des personnes interrogées dans la rue. Les<br />
plans si<strong>le</strong>ncieux du Mur et de la vil<strong>le</strong>, <strong>le</strong> calme des Al<strong>le</strong>mands de l’Ouest qui<br />
passent à Berlin-Est pour Noël, sont d’autant plus éloquents.<br />
La dernière partie, intitulée « La jeunesse », s’ouvre <strong>sur</strong> des images du mémorial<br />
de Buchenwald. Un groupe scolaire est-al<strong>le</strong>mand qui visite l’ancien<br />
camp est interrogé <strong>sur</strong> <strong>le</strong> passé nazi de l’Al<strong>le</strong>magne. Les questions des réalisateurs<br />
français sont clairement culpabilisantes. D’anciens résistants al<strong>le</strong>mands<br />
(Erich Seidemann, Erich Schäfer et Harald Hauser) affirment de nouveau <strong>le</strong>ur<br />
confiance en la RDA et l’importance que la jeune génération connaisse <strong>le</strong> passé<br />
pour bâtir l’avenir. Cette responsabilité face au passé à assumer et face à<br />
3 Pour définir la représentation du Mur dans <strong>le</strong> <strong>cinéma</strong> ouest-al<strong>le</strong>mand des années 1960, Diane Barbe<br />
propose l’expression de « Mur-fracture », un Mur filmé comme « une enceinte de prison ». Diane<br />
Barbe, Berlin(s) à l’écran de 1961 à 1989. Essai de topographie <strong>cinéma</strong>tographique : la représentation<br />
de Berlin divisé dans <strong>le</strong>s <strong>cinéma</strong>s est- et ouest-al<strong>le</strong>mands, thèse de doctorat en Études <strong>cinéma</strong>tographiques<br />
et audiovisuel<strong>le</strong>s, Université Sorbonne Nouvel<strong>le</strong>-Paris 3, 2016, p. 315-325.<br />
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