#1257 - Numéro 1 : Éclairages sur le cinéma

DOSSIER
Derrière le Mur :
Berlin-Est vu par des
documentaristes français
« Es muss weg », « le Mur doit disparaître » lance un Berlinois de l’Est à
la caméra de deux documentaristes français, six ans après la construction
du Mur. Ce témoignage brut, qui s’accompagne de plusieurs autres
prises de parole d’anonymes interrogés lors d’un micro-trottoir dans
les rues de la capitale de la République démocratique allemande (RDA),
frappe par sa spontanéité, mais aussi par sa rareté.
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne / Juin 2019
Perrine Val
Docteure en histoire
de l’art
Le regard porté
sur le Mur est
critique, sans
pour autant être
frontalement
accusateur.
D
errière le Mur (Mario Marret, Jacqueline Meppiel, 1967) constitue en
effet le tout premier documentaire tourné par une équipe française de
l’autre côté du Mur. Il s’insère dans une filmographie française consacrée
à la RDA particulièrement modeste, qui ne compte que quelques
reportages produits par la télévision et le documentaire Vivre en paix – RDA
1974 (Daniel Karlin, 1974), coproduit par la société Unicité affiliée au Parti
communiste français 1 .
Derrière le Mur est réalisé à la veille de Mai 68 par deux piliers du cinéma
militant. En portant leur attention sur la RDA, Mario Marret et Jacqueline
Meppiel cherchent à informer sur une réalité mal connue des spectateurs
français, tout en donnant la parole à des anonymes. Produit par une équipe
réduite, politiquement engagée à gauche, le documentaire filme la transition
qui s’opère alors entre les défenseurs du documentaire issus du Groupe des
Trente et le cinéma militant en train d’émerger. Les producteurs de Derrière le
Mur, Fred Orain et Pierre Neurisse, ainsi que Mario Marret, étaient en effet
signataires du manifeste de 1953 défendant le court métrage et s’engageront
plus tard aux côtés des grévistes en mai 1968, à l’instar de Jacqueline Meppiel.
La forme hybride de Derrière le Mur témoigne de ce passage vers un cinéma
militant, « un cinéma de combat, qui se met d’emblée, et par définition, au
service de la classe ouvrière et des autres classes ou catégories populaires en
s’assignant une fonction de contre-information, d’intervention ou de mobilisation
» 2 . Il s’agit là moins d’un long métrage que de la juxtaposition de trois
moyens métrages documentaires, bien distincts les uns des autres. La transition
se joue également dans le regard porté sur la RDA. Le discours officiel
est-allemand côtoie les points de vue plus mitigés des habitants anonymes.
Le regard porté sur le Mur est critique, sans pour autant être frontalement
accusateur. C’est la volonté d’informer et de montrer qui prédomine.
1 Ironie de l’Histoire, ce n’est qu’au moment de sa disparition que la RDA attirera les regards de cinéastes
du monde entier.
2 Sébastien Layerle, Caméras en lutte en Mai 68 : « Par ailleurs le cinéma est une arme... », Paris,
Nouveau Monde Éditions, 2008, p. 19.
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