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#1257 - Numéro 1 : Éclairages sur le cinéma

#1257 : la revue de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

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DOSSIER<br />

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne / Juin 2019<br />

C’est précisément<br />

en France que va<br />

naître une manière<br />

de réhabilitation<br />

intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong> de<br />

la comédie musica<strong>le</strong>,<br />

dans <strong>le</strong>s années<br />

1950 et 1960, par <strong>le</strong><br />

biais de la cinéphilie<br />

d’après-guerre, à la<br />

période même où,<br />

dans la production<br />

hollywoodienne,<br />

<strong>le</strong> genre commençait<br />

à décliner.<br />

souvent entendu pour disqualifier <strong>le</strong>s prétendues conventions d’un film hollywoodien).<br />

Son « mauvais goût » provoqua des réactions outragées comme<br />

cel<strong>le</strong> du critique Jean-Jacques Gautier dans Le Figaro après la présentation,<br />

au festival de Cannes, du film Ziegfeld Follies (Vincente Minnelli, 1946), dans<br />

un artic<strong>le</strong> aux connotations savoureusement racistes : « Ils appel<strong>le</strong>nt ça comédie<br />

musica<strong>le</strong> : douze tab<strong>le</strong>aux en technicolor, durée cent huit minutes. C’est du<br />

music-hall pour Zoulous. Quand on pense qu’il s’est trouvé des spectateurs pour<br />

avoir <strong>le</strong> triste courage, l’audace provocante, la perversion ou l’inconscience inquiétante<br />

d’applaudir cette hideur, cette éprouvante abomination, ce jeu de nègres fous,<br />

ces gratte-ciel de mauvais goût […], <strong>le</strong> faux érigé à hauteur d’un dogme ! […] Une<br />

indigestion de Fred Astaire, savez-vous ce que c’est ? […] À la fin, j’avais envie de<br />

pousser des cris d’animaux, de déchirer <strong>le</strong> fauteuil avec mes ong<strong>le</strong>s, de brouter <strong>le</strong><br />

plafond et de crever l’écran à coups de pied. » Ces contradictions persistent ; el<strong>le</strong>s<br />

sont bien exprimées par la remarque du cinéaste français Jean-Pierre Jeunet,<br />

après avoir cédé lui-même <strong>le</strong>s droits de son film Le Fabu<strong>le</strong>ux Destin d’Amélie<br />

Poulain (2001) pour une adaptation musica<strong>le</strong> new-yorkaise : « J’ai absolument<br />

horreur des comédies musica<strong>le</strong>s, je hais Broadway, je considère que c’est l’incarnation<br />

même de la ringardise. »<br />

Or, c’est précisément en France que va naître une manière de réhabilitation<br />

intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong> de la comédie musica<strong>le</strong>, dans <strong>le</strong>s années 1950 et 1960, par <strong>le</strong><br />

biais de la cinéphilie d’après-guerre, à la période même où, dans la production<br />

hollywoodienne, <strong>le</strong> genre commençait à décliner. Les deux revues spécialisées<br />

concurrentes, <strong>le</strong>s Cahiers du <strong>cinéma</strong> et Positif, s’intéressèrent au genre musical<br />

pour des raisons différentes : dans <strong>le</strong>s Cahiers, c’était la possib<strong>le</strong> affirmation<br />

d’auteurs singuliers (Vincente Minnelli, Stan<strong>le</strong>y Donen, Busby Berke<strong>le</strong>y) au<br />

sein d’une industrie calibrée ; dans Positif, c’était l’affirmation d’une liberté des<br />

corps à travers la danse, d’une expression des pulsions qui pouvait être transgressive<br />

tout en restant accessib<strong>le</strong> au public 2 . Par la suite, autour de la Nouvel<strong>le</strong><br />

Vague, la comédie musica<strong>le</strong> va devenir un genre prisé par <strong>le</strong>s cinéastes<br />

« cinéphi<strong>le</strong>s », issus de cette génération des ciné-clubs et des revues. De cette<br />

génération, seul Jacques Demy s’impose durab<strong>le</strong>ment dans cette veine et régulièrement,<br />

jusqu’à aujourd’hui, des réalisateurs se réclameront de son influence<br />

(Olivier Ducastel et Jacques Martineau, François Ozon, Christophe<br />

Honoré…). Mais Louis Mal<strong>le</strong>, Agnès Varda, Alain Resnais, Jean-Luc Godard,<br />

François Truffaut, Éric Rohmer ou Jacques Rivette ne vont cesser de parsemer<br />

<strong>le</strong>urs films d’allusions au genre, quitte à parfois réaliser, tôt ou tard, des films<br />

chantés ou dansés : des comédies musica<strong>le</strong>s pour ainsi dire « en contrebande »,<br />

<strong>le</strong>s exemp<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s plus insolites étant L’une chante, l’autre pas (Varda, 1977),<br />

Haut bas fragi<strong>le</strong> (Rivette, 1995), Conte d’été (Rohmer, 1996) et On connaît la<br />

chanson (Resnais, 1997).<br />

Parallè<strong>le</strong>ment, à partir des années 1970, la recherche universitaire s’intéresse,<br />

de façon margina<strong>le</strong> mais passionnante, au musical classique hollywoodien, aussi<br />

bien en France que dans <strong>le</strong>s pays anglo-saxons. Deux axes vont alors se développer.<br />

Premièrement, un axe esthétique, visant à démontrer analytiquement<br />

2 Voir notamment : Jean Domarchi, « Évolution du film musical », Cahiers du <strong>cinéma</strong>, n o 54, Noël 1955 ;<br />

Ado Kyou, « Note <strong>sur</strong> l’érotisme des films dansés », Positif, n o 33, novembre 1954.<br />

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