#1257 - Numéro 1 : Éclairages sur le cinéma

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DOSSIER Comédie musicale, un genre à prendre au sérieux ? « On vous dit toujours de parler de ce que vous connaissez. Moi, je connaissais le cinéma, alors j’ai fait des films sur le cinéma. » Stanley Donen, coréalisateur avec Gene Kelly de Chantons sous la pluie (1952) 1 . Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne / Juin 2019 N. T. Binh Maître de conférences en études cinématographiques En tant que genre cinématographique, la comédie musicale hollywoodienne a mis du temps à être « prise au sérieux », que ce soit par les milieux intellectuels, la presse spécialisée, la profession… et même le public, en tout cas en France. E n tant que genre cinématographique, la comédie musicale hollywoodienne a mis du temps à être « prise au sérieux », que ce soit par les milieux intellectuels, la presse spécialisée, la profession… et même le public, en tout cas en France. Il y a à cela des raisons de deux ordres. D’une part, la vocation assumée du genre en tant que « divertissement » en fait un synonyme de spectacle sans profondeur et de dégradation des formes nobles (musique de concert, poésie, théâtre, art lyrique, ballet…). L’industrie hollywoodienne, soucieuse de légitimité artistique à travers le vote des Oscars, ne couronne qu’exceptionnellement un musical ; en 2016, la déconvenue des créateurs de La La Land, proclamé vainqueur à la dernière cérémonie, avant d’être évincé in extremis par un film à propos sociétal affiché, Moonlight, ne fait que corroborer cette idée reçue, vaguement puritaine : la comédie musicale procure trop de plaisir pour être considérée sérieusement. D’autre part, sur le plan économique, c’est un genre « cher », dispendieux, donc soucieux de sa rentabilité commerciale et notoirement prompt à choisir la facilité pour satisfaire le public : un genre soumis de fait aux contraintes du marché, au détriment de ses qualités artistiques. Les amateurs de Broadway n’ont jamais cessé de stigmatiser la trivialisation hollywoodienne de spectacles créés sur scène, dénaturés pour satisfaire les masses, ne serait-ce que par son obstination à imposer des têtes d’affiche populaires pour remplacer les interprètes d’origine : plutôt que Carol Lawrence et Julie Andrews dans West Side Story (Robert Wise et Jerome Robbins, 1961) et My Fair Lady (George Cukor, 1964), les producteurs engagent respectivement Natalie Wood et Audrey Hepburn, toutes deux doublées pour les chansons par l’artiste Marni Nixon, qui avait rendu le même service à Deborah Kerr dans Le Roi et moi (Walter Lang, 1956). Pour revenir à La La Land, rappelons que le réalisateur Damien Chazelle se heurta au départ à l’hostilité des studios pour financer son film, et ce n’est qu’après le succès de Whiplash (2014), petite production indépendante, qu’il obtint le feu vert d’une grande compagnie pour La La Land. À cela s’ajoute, en France, un préjugé anti-américain : le musical appartient à la culture etasunienne populaire, avec ses stéréotypes, son approche primaire et sa volonté de domination culturelle (« c’est très américain », reproche 1 Yann Tobin (N.T. Binh), « La mise en scène, c’est intangible ! », entretien avec Stanley Donen, Positif, n os 437-438, juillet-août, 1997, p. 35. 24
Hélène Jeanbrau © Ciné Tamaris Françoise Dorléac et Catherine Deneuve dans Les Demoiselles de Rochefort (Jacques Demy, 1967). Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne / Juin 2019 25
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