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#1257 - Numéro 1 : Éclairages sur le cinéma

#1257 : la revue de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

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DOSSIER<br />

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne / Juin 2019<br />

La série TV<br />

fait partie<br />

indissolub<strong>le</strong>ment<br />

de la vie privée et<br />

du domaine public ;<br />

el<strong>le</strong> est<br />

une interface.<br />

conduit à réviser <strong>le</strong> statut de la mora<strong>le</strong>, à la voir non dans des règ<strong>le</strong>s, normes<br />

transcendantes et principes de décision, mais dans l’attention aux conduites<br />

ordinaires, aux micro-choix quotidiens, aux sty<strong>le</strong>s d’expression et de revendication<br />

des individus. Toutes transformations de la mora<strong>le</strong> auxquel<strong>le</strong>s ont appelé<br />

bon nombre de philosophes lassés d’une méta-éthique trop abstraite, ou<br />

d’une éthique déontologiste trop normative. Ils l’ont parfois, comme Martha<br />

Nussbaum, testée <strong>sur</strong> un matériau littéraire. Mais <strong>le</strong> matériau des séries TV<br />

permet une contextualisation plus développée, une historicité de la relation<br />

publique et privée (régularité, durée), une familiarisation et une éducation<br />

de la perception – l’attention aux expressions et gestes de personnages qu’on<br />

apprend à connaître – à la spécificité des situations. La série TV fait partie<br />

indissolub<strong>le</strong>ment de la vie privée et du domaine public ; el<strong>le</strong> est une interface.<br />

Tirer <strong>le</strong>s conséquences de tout cela nécessite de prendre réel<strong>le</strong>ment au sérieux<br />

<strong>le</strong>s intentions mora<strong>le</strong>s des producteurs et scénaristes des séries TV et téléfilms,<br />

et <strong>le</strong>s contraintes ainsi imposées aux fictions, là aussi dans la lignée de<br />

la <strong>le</strong>cture de Cavell : ce dernier, en effet, en rupture avec une tradition critique<br />

qui faisait de l’intelligence du film un sous-produit de la <strong>le</strong>cture critique,<br />

affirmait l’importance de « l’intelligence apportée par <strong>le</strong> film à sa propre réalisation<br />

» : <strong>le</strong> fait que <strong>le</strong> matériau lui-même éduque <strong>le</strong> spectateur, ainsi que <strong>le</strong><br />

critique, et qu’il n’est pas dépendant du regard critique pour sa pertinence.<br />

Cavell fut <strong>le</strong> premier à souligner l’importance de ce point et à appe<strong>le</strong>r à une<br />

valorisation, dans la critique, de la fonction du scénariste et du réalisateur,<br />

mais aussi du travail des acteurs, dans l’élaboration du sens moral et de la<br />

portée d’éducation mora<strong>le</strong> du film. Ainsi, <strong>le</strong>s modes d’expression (la texture<br />

mora<strong>le</strong>, <strong>le</strong> sty<strong>le</strong> de paro<strong>le</strong> et de démarche) des acteurs de film et de série sont<br />

un élément central de <strong>le</strong>ur apport moral. Une tâche de la critique serait alors<br />

de mettre en évidence, dans la <strong>le</strong>cture de l’expression mora<strong>le</strong> constituée par<br />

<strong>le</strong>s séries, <strong>le</strong>s choix moraux, col<strong>le</strong>ctifs et individuels, <strong>le</strong>s négociations, conflits<br />

et accords qui sont à la base de la représentation mora<strong>le</strong> : choix et itinéraires<br />

des personnages de fiction, tournants de la narration, tournants dans <strong>le</strong>s scénarios.<br />

On déplace la question de la mora<strong>le</strong> vers cel<strong>le</strong> de l’interprétation des<br />

choix publics et l’élaboration d’une sensibilité commune, à la fois supposée et<br />

éduquée/transformée par <strong>le</strong>s médias.<br />

Les personnages de fiction TV sont si bien ancrés, mora<strong>le</strong>ment dirigés et clairs<br />

dans <strong>le</strong>urs expressions mora<strong>le</strong>s, sans être archétypaux, qu’ils peuvent être<br />

« lâchés » et ouverts à l’imagination et à l’usage de chacun, « confiés » à nous<br />

– comme s’il restait à chacun d’en prendre soin. D’où la grande importance<br />

de la conclusion des séries, qui doivent apprendre au spectateur à se passer<br />

d’el<strong>le</strong>s. Lost est <strong>le</strong> plus bel exemp<strong>le</strong> ; mais aussi Mad Men et The Americans ont<br />

récemment illustré ce travail des séries à l’accompagnement de notre séparation<br />

d’avec <strong>le</strong>s personnages.<br />

Il y a bien une recherche démocratique et mora<strong>le</strong>, perfectionniste, dans ces<br />

séries étasuniennes, par <strong>le</strong>ur espoir dans l’éducabilité du spectateur. Une des<br />

innovations que représentaient <strong>le</strong>s nouvel<strong>le</strong>s séries du tournant du xxi e sièc<strong>le</strong><br />

était la confrontation à un monde et un vocabulaire mystérieux, dont on ne<br />

comprend pas des éléments, et où <strong>le</strong> téléspectateur est obligé de prêter attention,<br />

de se familiariser, et peu à peu de s’éduquer, comme l’enfant qui s’intègre<br />

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