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#1257 - Numéro 1 : Éclairages sur le cinéma

#1257 : la revue de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

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et l’une de ses plus grandes réussites, est de mettre en évidence l’intelligence<br />

apportée déjà par <strong>le</strong> film à sa réalisation, ce qui revient aussi à « laisser<br />

une œuvre d’art avoir sa propre voix dans ce que la philosophie dira d’el<strong>le</strong> ».<br />

Comprendre l’importance du <strong>cinéma</strong> implique alors apprendre en quoi<br />

consiste, pour reprendre l’expression d’À la recherche du bonheur (2017),<br />

« contrô<strong>le</strong>r son expérience », c’est-à-dire, examiner sa propre expérience, et<br />

« laisser à l’objet qui vous intéresse <strong>le</strong> soin de vous apprendre à <strong>le</strong> considérer ». Cela<br />

signifie qu’il faut éduquer son expérience de façon à se rendre éducab<strong>le</strong> par<br />

el<strong>le</strong>. Il y a là une circularité inévitab<strong>le</strong> : avoir une expérience nécessite de faire<br />

confiance à son expérience. Ce rô<strong>le</strong> de la confiance dans l’éducation fait de<br />

la culture populaire une ressource essentiel<strong>le</strong> dans l’éducation mora<strong>le</strong> et politique<br />

et la transmission de va<strong>le</strong>urs.<br />

Cela répond à un certain nombre de préoccupations éthiques et esthétiques<br />

centra<strong>le</strong>s et à la question, sou<strong>le</strong>vée par Cavell, de la part mora<strong>le</strong> des œuvres<br />

« publiques », et de la forme d’éducation qu’el<strong>le</strong>s suscitent précisément dans ce<br />

public, et ce privé, qui sont créés par ces formes de communication contemporaines,<br />

<strong>cinéma</strong>tographiques comme télévisuel<strong>le</strong>s. La question d’une mora<strong>le</strong><br />

exprimée par <strong>le</strong>s médias contemporains se trouve enchevêtrée dans toutes <strong>le</strong>s<br />

dimensions de la vie privée et publique comme <strong>le</strong> montre <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> des séries<br />

télévisées dans la mise en avant de la libération des femmes (Sex and the City),<br />

la visibilisation des minorités sexuel<strong>le</strong>s (The L Word, Orange is the New Black),<br />

racia<strong>le</strong>s (The Wire).<br />

On assiste ainsi à un déplacement de la mora<strong>le</strong>, vers une mora<strong>le</strong> non plus normative<br />

ou impérative, mais pas non plus purement descriptive : une éthique<br />

du care, au sens de la perception particulière des situations, moments, motifs,<br />

tel<strong>le</strong> qu’el<strong>le</strong> nous est offerte par notre rapport intime aux séries qui sont inscrites<br />

dans notre vie quotidienne. L’intérêt d’un examen du discours moral des<br />

séries TV est aussi par la constitution d’une éthique pluraliste et conflictuel<strong>le</strong>.<br />

Le care, mobilisé par la vision d’une série, n’a rien de spectaculaire et fait partie<br />

de ces phénomènes vus mais non remarqués as<strong>sur</strong>ant l’entretien (en plusieurs<br />

sens, dont celui de la conversation et de la préservation) d’un monde humain.<br />

Les séries TV mettent à la fois en scène ce souci des autres et <strong>le</strong>s conflits de<br />

care : la plus fameuse série TV peut-être, ER (Urgences, NBC, 1994-2008) articu<strong>le</strong><br />

en permanence <strong>le</strong>s exigences de la vie privée et du travail, et <strong>le</strong>s conflits<br />

internes dans <strong>le</strong>s soins à apporter aux patients (care moral ou médical) et a<br />

sou<strong>le</strong>vé en ses quinze saisons nombre de questions de santé publique comme<br />

cel<strong>le</strong>s suscitées par <strong>le</strong> sida, l’inégalité d’accès aux soins, l’avortement, <strong>le</strong> handicap,<br />

la fin de vie...<br />

Les séries sont éga<strong>le</strong>ment un moyen de susciter <strong>le</strong> care par éveil de l’affectivité,<br />

la représentation de figures émouvantes ou de situations. Le tournant<br />

accompli avec <strong>le</strong>s séries des années 1990 (ER et The West Wing, NYPD Blue)<br />

est celui de la formation mora<strong>le</strong> col<strong>le</strong>ctive ; c’est la régularité de la fréquentation,<br />

l’intégration des personnages à la vie ordinaire et familia<strong>le</strong> des spectateurs,<br />

l’initiation à des formes de vie non explicitées et à des vocabulaires<br />

nouveaux et d’abord opaques (sans que <strong>le</strong> spectateur soit lourdement guidé<br />

et éclairé comme il l’était dans des productions antérieures) – <strong>le</strong>s modes de<br />

narration de la série TV – qui font la va<strong>le</strong>ur mora<strong>le</strong> de ces productions. Or cela<br />

Les séries<br />

sont éga<strong>le</strong>ment<br />

un moyen<br />

de susciter<br />

<strong>le</strong> care par éveil<br />

de l’affectivité,<br />

la représentation<br />

de figures<br />

émouvantes ou<br />

de situations.<br />

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne / Juin 2019<br />

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