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#1257 - Numéro 1 : Éclairages sur le cinéma

#1257 : la revue de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

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n’est sans doute pas de devenir des stars hollywoodiennes,<br />

mais plus modestement de partager, malgré<br />

« <strong>le</strong>ur besogne et <strong>le</strong>urs soucis », cette expérience sensib<strong>le</strong><br />

et intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong> qui consiste à penser <strong>le</strong> <strong>cinéma</strong> avec <strong>le</strong><br />

<strong>cinéma</strong>, c’est-à-dire à se confronter à un phénomène qui<br />

est en même temps une technique, une industrie, un divertissement<br />

de masse et un art, as<strong>sur</strong>ément de tous <strong>le</strong>s<br />

arts <strong>le</strong> plus important du xx e sièc<strong>le</strong>. L’enjeu pour nous<br />

était tout simp<strong>le</strong>ment de <strong>le</strong>ur demander comment dans<br />

<strong>le</strong>urs recherches, dans <strong>le</strong>urs pratiques, dans <strong>le</strong>ur vie de<br />

<strong>le</strong>ttrés, ils s’arrangeaient de ces œuvres et de ces images<br />

qui se donnent à réfléchir à la fois comme des objets esthétiques,<br />

comme des manifestations inscrites dans <strong>le</strong><br />

grand mouvement des arts, comme des produits d’une<br />

culture mondialisée et populaire, comme des documents<br />

ou archives faisant mémoire et histoire et témoignant du<br />

monde comme il va, comme il allait ou devrait al<strong>le</strong>r.<br />

En observant <strong>le</strong> pedigree des collègues qui ont bien voulu<br />

apporter <strong>le</strong>ur éclairage <strong>sur</strong> <strong>le</strong>ur manière de se saisir<br />

de la chose <strong>cinéma</strong>tographique, nous serions tentés de<br />

constater – comme l’avait fait Co<strong>le</strong>tte non sans provocation,<br />

dès 1917 – « Ils y viennent tous au <strong>cinéma</strong> » 2 , en<br />

l’occurrence : la philosophe, l’historienne, la géographe,<br />

l’historienne de l’art, <strong>le</strong> juriste et bien sûr ceux qui, depuis<br />

peu – moins d’un demi-sièc<strong>le</strong> –, font profession universitaire<br />

d’enseigner <strong>le</strong> septième art. Dans cet intérêt unanime,<br />

il ne faut pas tant voir la marque d’un ralliement<br />

à une cause gagnée depuis longtemps ou la quête d’une<br />

légitimation désormais heureusement reconnue, que la<br />

volonté commune d’élargir notre regard <strong>sur</strong> <strong>le</strong> <strong>cinéma</strong><br />

à des disciplines et des approches différentes ; de porter<br />

notre attention <strong>sur</strong> des formes filmiques (la fiction,<br />

<strong>le</strong> documentaire, <strong>le</strong> film d’actualité), des expressions<br />

culturel<strong>le</strong>s (<strong>le</strong> <strong>cinéma</strong> populaire et <strong>le</strong> <strong>cinéma</strong> d’auteur, la<br />

comédie musica<strong>le</strong> et <strong>le</strong> <strong>cinéma</strong> du quotidien) et des pratiques<br />

(artistiques ou non, dominantes ou minoritaires)<br />

variées et singulières ; de modu<strong>le</strong>r la puissance économique<br />

et symbolique des images <strong>cinéma</strong>tographiques à<br />

l’échel<strong>le</strong> d’un territoire, d’un pays, d’un continent (l’Europe)<br />

; enfin et <strong>sur</strong>tout d’éprouver <strong>le</strong> <strong>cinéma</strong> non seu<strong>le</strong>ment<br />

comme objet d’étude, mais aussi comme outil de<br />

pensée, comme moyen d’ouvrir des espaces de réf<strong>le</strong>xion<br />

entre nos disciplines, entre nous et <strong>le</strong> monde.<br />

En 1917, Louis Delluc, qui venait à peine de se lancer dans<br />

la critique – il passera à la réalisation en 1920 –, exaltait,<br />

dans l’un de ses premiers artic<strong>le</strong>s, la beauté propre<br />

du <strong>cinéma</strong>, une beauté moderne, toujours d’actualité<br />

et qu’il s’agit, encore aujourd’hui, de questionner dans<br />

sa capacité à dépasser l’art pour tendre vers la vie et la<br />

connaissance :<br />

« Le hasard d’une soirée au <strong>cinéma</strong>, dans une sal<strong>le</strong> du<br />

bou<strong>le</strong>vard, m’a donné une joie artistique si extraordinaire<br />

qu’el<strong>le</strong> semb<strong>le</strong> ne plus dépendre de l’art. Je sais depuis<br />

peu que <strong>le</strong> <strong>cinéma</strong> est destiné à nous donner des impressions<br />

de beauté fugace et éternel<strong>le</strong>, comme seul nous en<br />

donne <strong>le</strong> spectac<strong>le</strong> de la nature ou, parfois, de l’activité<br />

des hommes. Ces impressions, vous savez, de grandeur, de<br />

simplicité, de netteté, qui brusquement vous font trouver<br />

l’art inuti<strong>le</strong>. Tout à fait inuti<strong>le</strong>, évidemment, l’art <strong>le</strong> serait,<br />

si chacun était capab<strong>le</strong> de goûter consciemment la beauté<br />

profonde de la minute qui passe. Mais l’éducation des<br />

fou<strong>le</strong>s sensib<strong>le</strong>s est trop <strong>le</strong>nte pour que nous puissions la<br />

priver avant de nombreux sièc<strong>le</strong>s des œuvres d’art, qui<br />

sont la confidence é<strong>le</strong>vée de l’âme des autres. Le <strong>cinéma</strong><br />

est justement un acheminement vers cette suppression<br />

de l’art qui dépasse l’art, étant la vie. Ce ne sera d’ail<strong>le</strong>urs<br />

qu’un moyen terme entre la stylisation et la réalité<br />

animée. Et il a, pour atteindre son propre summum, tant<br />

de progrès à conquérir que nous sommes loin de fixer <strong>le</strong><br />

temps où la perfection de l’écran apprendra – et ce sera<br />

admirab<strong>le</strong> – à voir dans la nature et dans <strong>le</strong> cœur humain.<br />

[…] Le <strong>cinéma</strong> fera connaître bien des choses du monde à<br />

nous tous et de nous même à nous-mêmes 3 . »<br />

Mais en attendant ce « summum » dont rêvait, il y a<br />

plus d’un sièc<strong>le</strong>, celui qui inventa <strong>le</strong> mot « cinéaste »,<br />

il nous faut peut-être, après la <strong>le</strong>cture de ce dossier,<br />

nous contenter de suivre l’invitation inconformiste, et<br />

tout aussi actuel<strong>le</strong>, de Guillaume Apollinaire dans <strong>le</strong> seul<br />

poème qu’il consacra au <strong>cinéma</strong> :<br />

« Et puis ce soir on s’en ira<br />

Au <strong>cinéma</strong><br />

Les Artistes que sont-ce donc<br />

Ce ne sont plus ceux qui s’occupent de l’Art<br />

Art poétique ou bien musique<br />

Les Artistes ce sont <strong>le</strong>s acteurs et <strong>le</strong>s actrices<br />

Si nous étions des Artistes<br />

Nous ne dirions pas <strong>le</strong> <strong>cinéma</strong><br />

Nous dirions <strong>le</strong> ciné<br />

Mais si nous étions de vieux professeurs de province<br />

Nous ne dirions ni ciné ni <strong>cinéma</strong><br />

Mais Cinématographe<br />

Aussi mon Dieu faut-il avoir du goût 4 ».<br />

2 Co<strong>le</strong>tte, « Ils y viennent tous, au <strong>cinéma</strong> », Le Film, 21 juil<strong>le</strong>t 1917. Repris dans Co<strong>le</strong>tte, Œuvres, t. II, Paris, Gallimard, 1986, p. 1751.<br />

3 Louis Delluc, « La beauté du <strong>cinéma</strong> », Le Film, n o 73, 6 août 1917. Repris dans <strong>le</strong>s Écrits <strong>cinéma</strong>tographiques II, Paris,<br />

Cinémathèque française, 1985, p. 30-33.<br />

José Moure et N. T. Binh,<br />

éditeurs invités<br />

4 Guillaume Apollinaire, « Avant <strong>le</strong> <strong>cinéma</strong> », Revue Nord-Sud, 15 avril 1917, inclus dans <strong>le</strong> recueil Il y a. Repris dans Œuvres poétiques, Paris,<br />

Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 1965, p. 362.<br />

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne / Juin 2019<br />

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