© Wilfrid Crénel / Cor<strong>le</strong>t Com DOSSIER Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne / Juin 2019 ue <strong>le</strong> premier numéro de la nouvel<strong>le</strong> revue Q d’une grande université comme Paris 1 Panthéon-Sorbonne consacre son dossier inaugural au <strong>cinéma</strong> est moins un signe des temps que la confirmation de la place qu’a pris dans notre civilisation et nos imaginaires, ce que l’écrivain et futur académicien Georges Duhamel, à l’instar de bon nombre d’intel<strong>le</strong>ctuels, considérait encore, en 1930, comme « un divertissement d’ilotes, un passe- temps d’il<strong>le</strong>ttrés, de créatures misérab<strong>le</strong>s, ahuries par <strong>le</strong>ur besogne et <strong>le</strong>urs soucis », comme « une machine d’abêtissement et de dissolution », comme « un spectac<strong>le</strong> qui ne demande aucun effort, qui ne suppose aucune suite dans <strong>le</strong>s idées, ne soulève aucune question, n’aborde sérieusement aucun problème, n’allume aucune passion, n’éveil<strong>le</strong> au fond des cœurs aucune espérance, sinon cel<strong>le</strong>, ridicu<strong>le</strong>, d’être un jour star à Los Ange<strong>le</strong>s 1 ». L’espérance qui anime cel<strong>le</strong>s et ceux qui ont accepté de participer à ce dossier 1 George Duhamel, « Intermède <strong>cinéma</strong>tographique ou <strong>le</strong> divertissement du libre citoyen », in Scènes de la vie future, Paris, Mercure de France, 1931, p. 58-59. 16
n’est sans doute pas de devenir des stars hollywoodiennes, mais plus modestement de partager, malgré « <strong>le</strong>ur besogne et <strong>le</strong>urs soucis », cette expérience sensib<strong>le</strong> et intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong> qui consiste à penser <strong>le</strong> <strong>cinéma</strong> avec <strong>le</strong> <strong>cinéma</strong>, c’est-à-dire à se confronter à un phénomène qui est en même temps une technique, une industrie, un divertissement de masse et un art, as<strong>sur</strong>ément de tous <strong>le</strong>s arts <strong>le</strong> plus important du xx e sièc<strong>le</strong>. L’enjeu pour nous était tout simp<strong>le</strong>ment de <strong>le</strong>ur demander comment dans <strong>le</strong>urs recherches, dans <strong>le</strong>urs pratiques, dans <strong>le</strong>ur vie de <strong>le</strong>ttrés, ils s’arrangeaient de ces œuvres et de ces images qui se donnent à réfléchir à la fois comme des objets esthétiques, comme des manifestations inscrites dans <strong>le</strong> grand mouvement des arts, comme des produits d’une culture mondialisée et populaire, comme des documents ou archives faisant mémoire et histoire et témoignant du monde comme il va, comme il allait ou devrait al<strong>le</strong>r. En observant <strong>le</strong> pedigree des collègues qui ont bien voulu apporter <strong>le</strong>ur éclairage <strong>sur</strong> <strong>le</strong>ur manière de se saisir de la chose <strong>cinéma</strong>tographique, nous serions tentés de constater – comme l’avait fait Co<strong>le</strong>tte non sans provocation, dès 1917 – « Ils y viennent tous au <strong>cinéma</strong> » 2 , en l’occurrence : la philosophe, l’historienne, la géographe, l’historienne de l’art, <strong>le</strong> juriste et bien sûr ceux qui, depuis peu – moins d’un demi-sièc<strong>le</strong> –, font profession universitaire d’enseigner <strong>le</strong> septième art. Dans cet intérêt unanime, il ne faut pas tant voir la marque d’un ralliement à une cause gagnée depuis longtemps ou la quête d’une légitimation désormais heureusement reconnue, que la volonté commune d’élargir notre regard <strong>sur</strong> <strong>le</strong> <strong>cinéma</strong> à des disciplines et des approches différentes ; de porter notre attention <strong>sur</strong> des formes filmiques (la fiction, <strong>le</strong> documentaire, <strong>le</strong> film d’actualité), des expressions culturel<strong>le</strong>s (<strong>le</strong> <strong>cinéma</strong> populaire et <strong>le</strong> <strong>cinéma</strong> d’auteur, la comédie musica<strong>le</strong> et <strong>le</strong> <strong>cinéma</strong> du quotidien) et des pratiques (artistiques ou non, dominantes ou minoritaires) variées et singulières ; de modu<strong>le</strong>r la puissance économique et symbolique des images <strong>cinéma</strong>tographiques à l’échel<strong>le</strong> d’un territoire, d’un pays, d’un continent (l’Europe) ; enfin et <strong>sur</strong>tout d’éprouver <strong>le</strong> <strong>cinéma</strong> non seu<strong>le</strong>ment comme objet d’étude, mais aussi comme outil de pensée, comme moyen d’ouvrir des espaces de réf<strong>le</strong>xion entre nos disciplines, entre nous et <strong>le</strong> monde. En 1917, Louis Delluc, qui venait à peine de se lancer dans la critique – il passera à la réalisation en 1920 –, exaltait, dans l’un de ses premiers artic<strong>le</strong>s, la beauté propre du <strong>cinéma</strong>, une beauté moderne, toujours d’actualité et qu’il s’agit, encore aujourd’hui, de questionner dans sa capacité à dépasser l’art pour tendre vers la vie et la connaissance : « Le hasard d’une soirée au <strong>cinéma</strong>, dans une sal<strong>le</strong> du bou<strong>le</strong>vard, m’a donné une joie artistique si extraordinaire qu’el<strong>le</strong> semb<strong>le</strong> ne plus dépendre de l’art. Je sais depuis peu que <strong>le</strong> <strong>cinéma</strong> est destiné à nous donner des impressions de beauté fugace et éternel<strong>le</strong>, comme seul nous en donne <strong>le</strong> spectac<strong>le</strong> de la nature ou, parfois, de l’activité des hommes. Ces impressions, vous savez, de grandeur, de simplicité, de netteté, qui brusquement vous font trouver l’art inuti<strong>le</strong>. Tout à fait inuti<strong>le</strong>, évidemment, l’art <strong>le</strong> serait, si chacun était capab<strong>le</strong> de goûter consciemment la beauté profonde de la minute qui passe. Mais l’éducation des fou<strong>le</strong>s sensib<strong>le</strong>s est trop <strong>le</strong>nte pour que nous puissions la priver avant de nombreux sièc<strong>le</strong>s des œuvres d’art, qui sont la confidence é<strong>le</strong>vée de l’âme des autres. Le <strong>cinéma</strong> est justement un acheminement vers cette suppression de l’art qui dépasse l’art, étant la vie. Ce ne sera d’ail<strong>le</strong>urs qu’un moyen terme entre la stylisation et la réalité animée. Et il a, pour atteindre son propre summum, tant de progrès à conquérir que nous sommes loin de fixer <strong>le</strong> temps où la perfection de l’écran apprendra – et ce sera admirab<strong>le</strong> – à voir dans la nature et dans <strong>le</strong> cœur humain. […] Le <strong>cinéma</strong> fera connaître bien des choses du monde à nous tous et de nous même à nous-mêmes 3 . » Mais en attendant ce « summum » dont rêvait, il y a plus d’un sièc<strong>le</strong>, celui qui inventa <strong>le</strong> mot « cinéaste », il nous faut peut-être, après la <strong>le</strong>cture de ce dossier, nous contenter de suivre l’invitation inconformiste, et tout aussi actuel<strong>le</strong>, de Guillaume Apollinaire dans <strong>le</strong> seul poème qu’il consacra au <strong>cinéma</strong> : « Et puis ce soir on s’en ira Au <strong>cinéma</strong> Les Artistes que sont-ce donc Ce ne sont plus ceux qui s’occupent de l’Art Art poétique ou bien musique Les Artistes ce sont <strong>le</strong>s acteurs et <strong>le</strong>s actrices Si nous étions des Artistes Nous ne dirions pas <strong>le</strong> <strong>cinéma</strong> Nous dirions <strong>le</strong> ciné Mais si nous étions de vieux professeurs de province Nous ne dirions ni ciné ni <strong>cinéma</strong> Mais Cinématographe Aussi mon Dieu faut-il avoir du goût 4 ». 2 Co<strong>le</strong>tte, « Ils y viennent tous, au <strong>cinéma</strong> », Le Film, 21 juil<strong>le</strong>t 1917. Repris dans Co<strong>le</strong>tte, Œuvres, t. II, Paris, Gallimard, 1986, p. 1751. 3 Louis Delluc, « La beauté du <strong>cinéma</strong> », Le Film, n o 73, 6 août 1917. Repris dans <strong>le</strong>s Écrits <strong>cinéma</strong>tographiques II, Paris, Cinémathèque française, 1985, p. 30-33. José Moure et N. T. Binh, éditeurs invités 4 Guillaume Apollinaire, « Avant <strong>le</strong> <strong>cinéma</strong> », Revue Nord-Sud, 15 avril 1917, inclus dans <strong>le</strong> recueil Il y a. Repris dans Œuvres poétiques, Paris, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 1965, p. 362. Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne / Juin 2019 17
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