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#1257 - Numéro 1 : Éclairages sur le cinéma

#1257 : la revue de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

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“Regards <strong>sur</strong>”<br />

Le champ sémantique utilisé n’est pas anodin : placées à l’écart du reste de l’humanité<br />

par l’utilisation d’une terminologie spécifique (« peuplade » plutôt que « société<br />

» par exemp<strong>le</strong>) et la suggestion d’un stade de développement plus « primitif »,<br />

ces sociétés subissent une forme de différenciation, qui est aussi hiérarchisation.<br />

Sans s’arrêter <strong>sur</strong> cette question, disons simp<strong>le</strong>ment que cette vision correspond<br />

à des idées remises en cause de longue date puisque ces sociétés sont contemporaines<br />

– <strong>le</strong>ur histoire ne remonte ni plus ni moins à la nuit des temps que cel<strong>le</strong> des<br />

autres – et ont « évolué » comme <strong>le</strong>s autres.<br />

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne / Juin 2019<br />

Placées à l’écart du<br />

reste de l’humanité<br />

par l’utilisation<br />

d’une terminologie<br />

spécifique […]<br />

et la suggestion<br />

d’un stade de<br />

développement<br />

plus « primitif », ces<br />

sociétés subissent<br />

une forme de<br />

différenciation,<br />

qui est aussi<br />

hiérarchisation.<br />

Un iso<strong>le</strong>ment largement exagéré<br />

En outre, il n’est pas besoin d’être un spécialiste de cette région pour saisir que<br />

si <strong>le</strong>s contacts des habitants de l’î<strong>le</strong> de North Sentinel avec des personnes qui n’y<br />

résident pas sont effectivement faib<strong>le</strong>s, donner l’impression que ces sociétés sont<br />

restées dans un iso<strong>le</strong>ment quasi total jusqu’à ces dernières années est largement<br />

exagéré.<br />

En dehors des échanges entre sociétés autochtones au sein des î<strong>le</strong>s Andaman el<strong>le</strong>smêmes,<br />

des contacts existent avec d’autres groupes. L’archipel n’a pas échappé<br />

à l’emprise colonia<strong>le</strong> : entre 1858 et 1900, un système pénitentiaire britannicoindien<br />

y a été établi.<br />

Les habitants des Andaman, représentés avant même d’être connus comme<br />

étant parmi <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s plus « primitifs », deviennent à ce moment des<br />

objets de photographie, d’étude « scientifique », voire de « désir », qu’il faut<br />

« domestiquer » ; bref, ils sont largement « contactés ».<br />

Au xxi e sièc<strong>le</strong>, bien qu’éphémères, <strong>le</strong>s contacts se prolongent.<br />

La mise en scène des soi-disant « premiers contacts »<br />

La <strong>sur</strong>enchère médiatique <strong>sur</strong> l’iso<strong>le</strong>ment des Sentinel<strong>le</strong>s et des Jarawa est donc un<br />

exemp<strong>le</strong> de plus dans une longue série de mises en scène de soi-disant « premiers<br />

contacts » qui semb<strong>le</strong>nt se rejouer incessamment en différents points de la planète.<br />

Comme <strong>le</strong> souligne Pierre Lemonnier en Papouasie-Nouvel<strong>le</strong>-Guinée, ces sociétés<br />

sont présentées comme <strong>le</strong>s traces d’un « âge de pierre » révolu, et <strong>le</strong> périp<strong>le</strong> pour<br />

arriver jusqu’à el<strong>le</strong>s comme un voyage dans <strong>le</strong> temps.<br />

Dans ces différents cas, <strong>le</strong> fait que certaines sociétés aient eu des contacts ténus<br />

avec <strong>le</strong>s représentants de <strong>le</strong>ur administration nationa<strong>le</strong> et encore plus avec <strong>le</strong><br />

« monde occidental », ne fait pas d’el<strong>le</strong>s des « tribus perdues » qui ignoreraient<br />

<strong>le</strong> monde extérieur, et encore moins <strong>le</strong>s témoignages vivants d’organisations humaines<br />

disparues.<br />

Les ma<strong>le</strong>ntendus de la rencontre<br />

On ne peut donc se contenter d’expliquer ce qui s’est passé dans la mort du jeune<br />

Américain, et dans <strong>le</strong>s interactions touristiques avec <strong>le</strong>s Jarawa, comme re<strong>le</strong>vant<br />

d’un rejet ignorant – mais aussi « hosti<strong>le</strong> », « agressif » – de l’« autre » dans <strong>le</strong> premier<br />

cas, ou à l’opposé d’une fascination pour « <strong>le</strong>s étrangers et ce qu’ils ont à offrir<br />

» dans <strong>le</strong> second cas. Au contraire, on devrait l’expliquer dans la continuité<br />

d’échanges plus anciens.<br />

Comme l’écrit l’anthropologue Gérard Lenclud dans un artic<strong>le</strong> paru dans la revue<br />

Gradhiva (« Le monde selon Sahlins », 1991), « toute rencontre entre êtres humains<br />

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