18.04.2019 Views

Marianne: Dossier sur Notre Dame de Paris

Ces autres trésors qu'on laisse partir en fumée!

Ces autres trésors qu'on laisse partir en fumée!

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

Evénement<br />

MIEUX QUE REBÂTIR,<br />

CESSER DE DÉTRUIRE<br />

A cause <strong>de</strong> l’insouciance <strong>de</strong>s pouvoirs publics, combien <strong>de</strong> <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> agricoles,<br />

artisanales ou sociales va-t-on encore immoler <strong>sur</strong> l’autel du profit industriel ? Il est<br />

temps <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r les choses en face et <strong>de</strong> réagir. Il y a urgence. PAR PƒRICO LƒGASSE<br />

Gallimard via Opale / Leemage<br />

L’image <strong>de</strong> <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong><br />

en flammes marquera<br />

longtemps les esprits,<br />

non pas du fait qu’une<br />

charpente <strong>de</strong> cathédrale<br />

aussi prestigieuse<br />

prenne feu – <strong>de</strong>s centaines,<br />

et non moins belles, ont<br />

connu le même sort –, mais du fait<br />

que cela ne <strong>de</strong>vait jamais arriver. Il<br />

est ainsi <strong>de</strong>s sanctuaires porteurs<br />

<strong>de</strong> civilisation dont on se dit qu’ils<br />

sont hors d’atteinte <strong>de</strong> la fatalité.<br />

Au cœur physique et spirituel <strong>de</strong><br />

la capitale <strong>de</strong> la France, <strong>sur</strong> l’île <strong>de</strong><br />

la Cité, <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> <strong>Paris</strong> n’est<br />

pas seulement sous la protection<br />

<strong>de</strong> l’histoire, elle l’est aussi sous<br />

celle d’un Etat fort, mo<strong>de</strong>rne et<br />

organisé, et d’un peuple vigilant,<br />

courageux et passionné. Talisman<br />

national auquel la Provi<strong>de</strong>nce<br />

accor<strong>de</strong> sa bénédiction <strong>de</strong>puis<br />

Saint Louis, cette maison <strong>de</strong> Dieu<br />

était aussi celle <strong>de</strong> François I er , <strong>de</strong><br />

Louis XIV, <strong>de</strong> Napoléon et du général<br />

<strong>de</strong> Gaulle, c’est-à-dire éternelle.<br />

Le responsable du court-circuit<br />

aura volatilisé huit siècles <strong>de</strong> droit<br />

divin en une heure. Huit siècles<br />

<strong>de</strong> légen<strong>de</strong> partis en fumée sous<br />

les yeux d’un pays impuissant. La<br />

masse <strong>de</strong>s pleurs unanimes, où la<br />

rose communiait avec le réséda<br />

dans un chagrin spontané, celui<br />

d’une nation meurtrie par les<br />

cendres <strong>de</strong> ce qu’elle découvrait<br />

avoir <strong>de</strong> plus cher, n’a pas lavé le<br />

soupçon d’abandon qui jaillit soudain.<br />

Hurlant sa douleur dans les<br />

braises incan<strong>de</strong>scentes, l’insigne<br />

édifice lançait sa flèche accusatrice<br />

: « Combien d’autres cathédrales<br />

allez-vous laisser périr avant<br />

qu’il ne soit trop tard, combien ? Vos<br />

sanglots magnifiques n’éteindront<br />

pas l’incendie qui menace ailleurs,<br />

puisse mon sacrifice alerter vos<br />

consciences. » On peut se sentir<br />

interpellé par un tel brasier.<br />

Menacés <strong>de</strong> disparition<br />

Posée au milieu <strong>de</strong> la scène mondiale,<br />

cette tragédie nous touche<br />

en direct et nous bouleverse, mais<br />

qu’en est-il d’autres drames, ceux<br />

que l’on feint <strong>de</strong> ne pas voir ?<br />

Reprenant la formule que Nicolas<br />

Hulot avait suggérée à Jacques<br />

Chirac, au Sommet <strong>de</strong> la Terre<br />

“Qui n’a pas vu le jour se lever<br />

<strong>sur</strong> la Seine / Ignore ce que c’est que<br />

ce déchirement / Quant prise <strong>sur</strong> le<br />

fait la nuit qui se dément / Se défend<br />

se défait les yeux rouges obscène / Et<br />

<strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> sort<br />

<strong>de</strong>s eaux comme un aimant.”<br />

Louis Aragon, <strong>Paris</strong> 42, 1944<br />

<strong>de</strong> Johannesburg, en 2002 – « La<br />

maison brûle et nous regardons<br />

ailleurs » –, nous pourrions considérer,<br />

pour la énième fois, qu’il y a<br />

urgence à voir les choses en face.<br />

Mieux que rebâtir, nos gouvernants<br />

ne feraient-ils pas mieux <strong>de</strong> ne plus<br />

détruire ? Combien <strong>de</strong> trésors sontils<br />

à ce jour menacés <strong>de</strong> disparition<br />

lorsque plus <strong>de</strong> 80 % <strong>de</strong> la biodiversité<br />

a été sacrifiée <strong>sur</strong> l’autel<br />

du profit industriel ? Laisseronsnous<br />

encore longtemps se déliter<br />

les patrimoines naturels et culturels<br />

qui constituent le ferment <strong>de</strong> la civilisation<br />

sous prétexte que la croissance<br />

néolibérale a besoin d’actions<br />

fraîches pour nourrir le mon<strong>de</strong> ?<br />

Nos schémas économiques financiarisent<br />

la consommation, en<br />

détruisant la ressource planétaire<br />

et l’environnement, sous prétexte<br />

qu’il ne peut y avoir <strong>de</strong> progrès<br />

sans conquête <strong>de</strong> parts <strong>de</strong> marché.<br />

Combien <strong>de</strong> <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> agricoles,<br />

maritimes, minérales, forestières,<br />

phréatiques, sociales, animales<br />

ou végétales a-t-il fallu immoler<br />

pour que le libre-échange globalisé<br />

continue à enrichir sa Bourse ?<br />

Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s éléphants et <strong>de</strong>s rhinocéros<br />

d’Afrique, emblèmes parmi<br />

les emblèmes du massacre auquel<br />

nous assistons sans rien faire, au<strong>de</strong>là<br />

<strong>de</strong> cette faune et <strong>de</strong> cette flore<br />

menacées <strong>de</strong> disparition parce que<br />

les traités commerciaux sont bien<br />

plus effcaces que les traités <strong>sur</strong> le<br />

climat, les institutions européennes<br />

peuvent-elles enfin prendre les<br />

me<strong>sur</strong>es définitives pour sauver,<br />

autre emblème, nos abeilles. Depuis<br />

la fin 2017, on estime à 60 %, voire<br />

90 % dans certains cas, le taux <strong>de</strong><br />

16 / <strong>Marianne</strong> / 19 au 25 avril 2019

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!