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Marianne: Dossier sur Notre Dame de Paris

Ces autres trésors qu'on laisse partir en fumée!

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Evénement<br />

RetRouveR<br />

le temps et<br />

le savoiR <strong>de</strong>s<br />

bâtisseuRs<br />

“Nous rebâtirons <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> plus belle encore. Je veux<br />

que ce soit achevé d’ici à cinq années”, a déclaré Emmanuel<br />

Macron. Pourtant, l’incendie <strong>de</strong> la cathédrale souligne<br />

la nécessité du temps long, ainsi que les conséquences<br />

<strong>de</strong>s décisions politiques <strong>de</strong> ces vingt <strong>de</strong>rnières années<br />

à l’égard <strong>de</strong>s métiers d’art. PAR MIKAËL FAUJOUR<br />

Il faudra du temps et <strong>de</strong> la<br />

patience. D’abord, pour évaluer<br />

l’étendue <strong>de</strong>s dégâts causés<br />

<strong>sur</strong> la cathédrale par le feu<br />

et, plus pernicieux, par l’eau.<br />

Si les rosaces semblent avoir<br />

gardé leur intégrité, quel est<br />

l’état <strong>de</strong>s verres ? Quid <strong>de</strong> l’altération<br />

<strong>de</strong>s plombs, dont le point <strong>de</strong> fusion<br />

est bas ? Quels seront les effets <strong>de</strong>s<br />

tonnes d’eau projetées pour éteindre<br />

l’incendie – infiltration dans le bois<br />

et la pierre, mais aussi dégradation<br />

<strong>de</strong>s peintures ou du mobilier ? Le<br />

précé<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’incendie du parlement<br />

<strong>de</strong> Bretagne, en 1994, a montré<br />

comment l’eau avait altéré la<br />

pierre, en l’occurrence en raison <strong>de</strong><br />

sa charge en nitrates. De tels effets<br />

ne peuvent être pris pleinement en<br />

compte à court terme.<br />

Passé le temps du diagnostic<br />

viendra ensuite le temps <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong>,<br />

<strong>de</strong> la concertation et <strong>de</strong> la planification<br />

<strong>de</strong> la reconstruction. Un<br />

agenda en tension avec celui du<br />

mon<strong>de</strong> politique, voire <strong>de</strong> notre<br />

époque tout court, celle <strong>de</strong>s télérobinets<br />

d’information en continu<br />

et <strong>de</strong>s messageries instantanées.<br />

« Nous rebâtirons <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> plus<br />

belle encore. Je veux que ce soit achevé<br />

d’ici à cinq années », a ainsi déclaré<br />

Emmanuel Macron au len<strong>de</strong>main<br />

<strong>de</strong> l’incendie.<br />

« Il faut espérer qu’on se laisse le<br />

temps <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> scientifique, du projet,<br />

explique pourtant Elise Baillieul,<br />

historienne <strong>de</strong> l’architecture médiévale<br />

à l’université <strong>de</strong> Lille, spécialiste<br />

<strong>de</strong>s débuts <strong>de</strong> l’architecture<br />

gothique en Ile-<strong>de</strong>-France. Nous,<br />

universitaires, allons clairement être<br />

pris en étau entre ces <strong>de</strong>ux agendas.<br />

Ce chantier aura-t-il une dimension<br />

expérimentale, scientifique ou, au<br />

contraire, une dimension politique ? »<br />

La question a tout son sens, tant<br />

l’incendie <strong>de</strong> <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> montre<br />

l’incompatibilité <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux temporalités<br />

et met en lumière les ravages<br />

<strong>de</strong>s politiques <strong>de</strong> réduction budgétaire<br />

<strong>de</strong> ces quinze <strong>de</strong>rnières années.<br />

Savoirs et savoir-faire nécessaires à<br />

la reconstruction ont été, il est vrai,<br />

déconsidérés et marginalisés sous<br />

la rosace du<br />

transept nord,<br />

composée à la fin du<br />

XIII e sièce, semble<br />

avoir bien résisté.<br />

Mais il est encore tôt<br />

pour prendre toute la<br />

me<strong>sur</strong>e <strong>de</strong>s dégâts<br />

causés par le feu,<br />

puis par l’eau.<br />

l’effet <strong>de</strong>s politiques néolibérales,<br />

dans le mon<strong>de</strong> universitaire, mais<br />

aussi dans celui <strong>de</strong>s métiers d’art.<br />

Si, au len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> l’incendie,<br />

divers oligarques se sont engagés<br />

à verser <strong>de</strong>s dons, pour Etienne<br />

Hamon, professeur d’histoire <strong>de</strong><br />

l’art du Moyen Age à l’université<br />

<strong>de</strong> Lille, « les moyens intellectuels et<br />

le temps, ça ne s’achète pas ». Même<br />

dans la « start-up nation » dont rêve<br />

le prési<strong>de</strong>nt. « Dans la restauration<br />

et la construction, on ne peut pas aller<br />

vite. C’est plus diffcile <strong>de</strong> restaurer<br />

un bâtiment comme <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> que<br />

<strong>de</strong> construire une tour <strong>de</strong> 100 étages.<br />

Il faut que l’Etat se donne les moyens<br />

d’accompagner ce travail, en recrutant<br />

le personnel scientifique et en<br />

mettant en place <strong>de</strong>s commissions<br />

d’experts pour la méthodologie. Il<br />

faut que l’Etat et les scientifiques<br />

qu’il réunira gar<strong>de</strong>nt la main <strong>sur</strong><br />

cette opération. Or, en affaiblissant<br />

ses services, il a un peu abandonné<br />

sa mission <strong>de</strong> contrôle scientifique et<br />

technique <strong>sur</strong> ces gran<strong>de</strong>s opérations<br />

<strong>de</strong> restauration. Depuis une dizaine<br />

14 / <strong>Marianne</strong> / 19 au 25 avril 2019

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