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15 août<br />

Quand personne ne le savait. Quand personne ne le savait,<br />

elle est morte, d’abord. Oui parce qu’au moment où ma mère<br />

mourrait moi j’ai dû attendre comme si ce n’était pas entre elle et moi<br />

ou entre elle et nous que ça se passait ; comme si c’était davantage<br />

entre l’hôpital et le patient, les payeurs d’impôts et les chômeurs, les<br />

vendeurs de lit médicalisés et ceux qui vendent la soupe froide de ces<br />

hôpitaux miséreux, qu’entre la mourante et ses enfants,<br />

sa progéniture.<br />

Il fallait des intermédiaires, il fallait atténuer la nouvelle de<br />

cette extinction, rendre prêt à la fin. Il ne fallait pas qu’on soit là.<br />

J’étais jeune et j’allais me baigner. Jeune comment ? Jeune comme<br />

un enfant innocent des affres de la vie et de son existence ; l’enfant<br />

qui ne peut pas souffrir parce que tout n’est encore que de jolis jeux<br />

sans maux. Bercé par cet absurde imbroglio, le joli mot.<br />

Alors je me sèche, car j’ai froid. Je claque des dents. Je me<br />

blottis grelottant contre cette serviette élimée, trop usée, semblant<br />

aussi éternelle que le bruit de l’écume qui s’abat sur le rivage. Je me<br />

sèche parce que j’ai froid lorsque l’océan Atlantique fait encore vivre<br />

en moi le goût de l’espoir, qu’il déambule dans ma nuque armée de<br />

ses gouttes salées. Je claque des dents. Mon père reçoit ce coup de<br />

téléphone. C’était la vie qui téléphonait.<br />

Mon propre père nous le dit. Il ne dit rien, il murmure. Ces<br />

mots dans sa bouche sont étrangers. Le vent les emporte. « C’est fini<br />

les enfants ». C’était la vie qui ôtait toute sensation corporelle, la vie<br />

qui t’arrachait toutes tes dents sans anesthésie buccale. De fait. Cela<br />

n’arrive plus qu’aux autres. J’ai la mort qui m’aspire dans un faisceau<br />

lumineux, paranoïaque et fou.<br />

72 | DUMAS de DEMAIN

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